Ulfgar Haraldson le Damné
Des monceaux de calcium craquant, se brisant, cherchant à percer la semelles de ses bottes, l’orage grondait encore, parsemant de tâches claires l’océan de sang qu’était le ciel. Il se souvenait maintenant de la raison de sa présence ici : il avait été maudit, enfermé à double tours et vomi dans l’infinité.
Restait à savoir pourquoi il avait été maudit, pourquoi il avait été rejeté ici. Cela viendrait le moment venu se dit-il tandis que les marques sur sa chair n’étaient plus que cratères oscillant entre le gris et le noir d’où s’envolaient des feuilles cendreuses. La lame plantée dans son corps remua, se courbant sous le poids de la douleur il ne cessa pas de marcher pour autant. Au loin les tours semblaient faites d’os et de chair mais il ne pouvait en être certain tant la distance qui le séparait de la mythique cité était grande.
Il y arriverait, il percerait les voiles de l’oubli, les voiles du mensonge et de la douleur, il retrouverait ses souvenirs, il retrouverait l’existence. Sa posture commençait à se rapprocher de celle d’un animal, blessé et dangereux tel le sanglier ou l’ours, mais il marcherait jusqu’au bout, il avait planté ses dents dans la proie et ne la lâcherait pas.
Il sentit un contact froid sur sa jambe, forçant le passage il entendit qu’il traînait quelque chose derrière lui, le ‘tac, tac, tac,’ de la chose frappant les calottes crâniennes et autres ossements tandis qu’il continuait d’avancer dans les montagnes blanchies.
À nouveau un contact froid, sur l’autre jambe, ajoutant du poids à chacun de ses pas. Grognant, il baissa le regard et vit des mains squelettiques le tenant fermement. Reportant son regard sur l’horizon et la cité il ne chercha pas à déloger ces mains parasites qui tentaient temps bien que mal de le retenir. La lame bougea à nouveau, tirant un râle de douleur de la part du damné, des copeaux sortaient d’entre ses lèvres, teintant sa bouche d’un noir profond alors que des volutes de fumée s’échappaient de son corps.
Il vaincrait la malédiction, il atteindrait les pierres de la cité.
Des orifices entre les os sortirent des tiges épineuses et leurs bourgeons joufflus, crachant à nouveau de la cendre au sol il secouea du chef et hâta le pas. Quelque chose lui faisait peur dans ces fleurs prêtes à éclore, quelque chose qui mettait des échardes de glace dans ses entrailles. Mais il devait continuer à se battre, continuer à marcher, il endurerait les tourments, jamais il ne lâcherait prise.
Son cri déchira le silence, retentissant de toute la douleur qui lui était infligée, retentissait de sa haine et de sa volonté. Les bourgeons semblèrent répondre à ce cri primal, s’ouvrant pour dévoiler des fleurs bleues qui le suivaient de leurs têtes. Au centre se trouvait un œil d’un blanc opaque comme frappé de cataracte, il continua tentant de ne pas prendre attention aux alentours mais ressentant un danger imminent, un stress violent faisant battre le cadavre de son coeur plus vite, celui-ci se faisant poignarder à répétition par la lame qui semblait en demander toujours plus. Sa voix aurait-elle une fin ? Il n’osait la retirer d’entre ses côtes de peur que celle-ci ne le paralyse à nouveau.
Au moins, en son sein, elle se nourrissait sans le tétaniser. La rune flottait dans son esprit, accompagné du cri toujours présent de la créature couverte d’écailles.Les épines commençaient à percer son pantalon, griffant sa chair, qu’était une douleur de plus dans la tourmente ? Il prendrait sur son dos toutes celles qui se présenteraient, il ne les éviterait pas, il ne perdrait pas de temps, il ne tomberait plus à genoux.
De nouvelles mains l’agrippèrent, il sentait le poids s’accumuler, faisant crier ses muscles spirituels mais ne brisant en rien sa détermination. Que viennent ronces et squelettes, que viennent lames assoiffées et éclairs, que vienne la douleur, il ne leur offrirait pas son attention.
Et puis des ombres se firent voir du coin de l’oeil, tournant la tête, intrigué, elles disparaissaient de sa vue lorsqu’il les fixait. Remettant les deux morceaux de glace qu’était son regard vers l’horizon il serra les dents, quel était ce nouveau jeu ? Quelles nouvelles manigances pouvaient bien se préparer pour lui ?
« Je n’abandonnerai pas ! Vous ne pouvez rien face à moi ! Absolument rien ! »Sa voix déchira l’air avec le claquement du tonnerre, violentant le silence imposé qui n’était brisé que par les cris sourd du tonnerre sous l’océan rubicond. Il lutterait jusqu’à ce que le temps lui-même cesse d’exister, les fleurs continuèrent de pousser, leurs épines venant maintenant griffer ses bras, il pouvait sentir ces couteaux végétaux prélever leur dû avec une intention meurtrière. Les ombres entrèrent dans la danse dans sa vision périphérique, chacune d’entre elles jouait une scène : des gens à genoux, une autre ombre beaucoup plus grande et massive armée d’une hache les assassinait brutalement.
À ses oreilles des cris et des pleurs retentirent, étouffant presque le hurlement de la créature à écailles. Il secoua la tête de gauche à droite tout en marchant, endurant la douleur, endurant la souffrance mentale, endurant absolument tout. La poigne des mains osseuses se serra de plus en plus, il pouvait sentir la matière dont il était constitué s’échapper des sillons de cendre qui couraient sur son corps. Non, on ne lui enlèverait pas sa victoire, on ne le priverait pas de ce voyage.
Les ronces furent de plus en plus proches, continuant de pousser et se resserrant les unes aux autres, les fleurs continuaient d’éclore et de le fixer de leurs regards aveugles. Il se saisit de la hache accrochée à son flanc et tailla tout en avançant. Des jets d’un rouge clair jaillissaient des tiges tranchées, mais il ne pouvait sentir leur chaleur tandis que les fluides venaient repeindre son corps, il n’y avait nulle chaleur juste le froid de l’inexistence qui se rapprochait et enserrait ses griffes autour de son âme.
Les cris devinrent des suppliques, le hurlement de la créature devint une voix étouffée, comme si elle provenait des sous les flots rouges. Il n’arrivait pas à comprendre ce qui lui était hurlé, le voulait-il au final ? Était-ce un moyen pour lui d’échapper à cette malédiction et à l’oubli ?
Et bien des mains surgirent du sol, marchant sur leurs doigts osseux pour se jeter sur lui et l’agripper avec force. La hache fendit en diagonale, os et plantes, il sentait battre dans ses veines le coeur meurtri qui habitait sa poitrine, non il ne s’arrêterait pas alors que son corps lui hurlait de se reposer, de simplement se coucher au sol et de laisser l’oubli le prendre et l’emmener.
Tout s’arrêterait enfin, plus de douleur, de saccages dans sa chair et son esprit, la fin du tourment, la fin de tout.
Sa tête était lourde, ses membres ankylosés et meurtris, son pas traînant mais il continuait, encore et encore !
‘Jamais !’ se dit-il, cherchant à ragaillardir son être de par sa seule détermination. Les ombres venaient maintenant jouer leur spectacle morbide à ses côtés, la forme du bourreau lui était si familière mais il n’arrivait pas à mettre de visage ou de nom sur elle.
Et puis le ciel rencontra la terre.
La déferlante et le poids le jetèrent au sol, le traînant sur les monceaux macabres, les dents des crânes ajoutant des coupures à sa chair jusqu’à ce que son front frappe et que tout ne fut plus que nuit.
Ses yeux se rouvrirent plus tard, combien de temps était-il passé ? Il était au fond de l’océan, oppressé par la pression de celui-ci et la sensation d’étouffer. Un éclair vint à nouveau dans son esprit avec une voix grondante, puissante, familière, dotée d’un écho singulier.
°Ulfgar Haraldson°Son nom ? Oui, il lui semblait que c’était son nom. La voix semblait emplie de douleur, brisée, autrefois fière. Il secoua la tête, les mouvements ralentis par l’océan, ses tempes comme enserrées dans un étau, à qui appartenait cette voix ? Pourquoi la connaissait-il ? Qui était Ulfgar Haraldson ? Ou plutôt : qui avait-il été ? Mais à nouveau, il ne pouvait sentir en bouche que cendre et sel, cendre et sel.
Il se releva, poussant un grognement de rage étouffé par les flots et reprit la marche. Des yeux il chercha la cité de l’horizon, le seul point fixe de son univers, mais sa visibilité était si réduite qu’il n’arrivait pas à la trouver.
Sa main gauche se referma sur un tube dur comme l’acier, des choses le griffaient et il sût qu’il venait de se saisir d’une des tiges des étranges fleurs. Il entreprit donc l’ascension, les pointes servant de point d’accrochage et le propulsant toujours plus haut. Le paysage de la surface lui fit ouvrir grand la bouche alors que la cendre mêlée à du sang coulait entre ses dents.
Un ciel de flammes à perdre de vue où se battaient des silhouettes de fumée.
Il sut à ce moment, que le bourreau des silhouettes était Ulfgar Haraldson, était lui.
Il remit la hache dans la boucle à sa ceinture et sauta dans les flots pour nager vers l’horizon car il l’avait à nouveau trouvée : la cité.
Les spires noires semblaient avaler toute lumière, celles-ci s’étendaient dans des angles impossibles à tenir pour le moindre bâtiment, mais après tout, cet endroit avait-il le moindre sens ? Il vaincrait comme il avait toujours vaincu. Des choses bougeaient dans les flots, immenses, paresseuses. Parfois il pouvait voir des voiles de chair reptilienne sortir des flots avant d’y retourner tels des serpents de mer, ces choses s’en prendraient-elles à lui ?
Il remarqua que le sang avait rempli les creux de cendre qui avaient été ses tatouages, tenant là malgré la gravité et son état toujours liquide. Une force nouvelle parcourait ses membres tandis qu’il fendait les flots à grand coups de bras et de jambes.
Et puis l’une des créatures fut prise d’un mouvement brusque, il le vit à la voile qui se plia dans sa direction pour guider la chose vers l’intrus.
Non, pas même ces bêtes ne viendraient à bout de lui ! Il continuerait d’exister ! Il atteindrait la cité ! Grimpant sur l’une des fleurs qui avaient maintenant une taille immense il sorti à nouveau sa hache, le couteau dans sa poitrine se mit à gigoter avec l’ardeur d’une sangsue comme pour protester. Une tête hideuse faite de crocs et d’écailles jaillit des flots, elle n’avait pas d’yeux, pas de naseaux, juste des dents et des cornes.
Mais là où le damné s’attendait à un combat, la créature s’arrêta, le cou dressé et ce qui lui servait de tête tournée vers lui.
« Cesse ton combat, rend les armes. » La voix était étrangement féminine, doucereuse et teintée d’une grande tristesse. Serrant les dents sous la douleur qui se fit plus vive, il se courba quelques instants avant de se redresser, le dos droit, torse bombé et bras écartés :
« JAMAIS ! »Et il couru comme il n’avait jamais couru, ses pieds le propulsant du bord du pétale tandis que sa hache était levée bien haut. Il pouvait entendre un sifflement de serpent à ses oreilles alors que la créature entendait ses mots, la lame vint fendre la chair, se plantant dans le cou de l’immensité serpentine. Il sorti le couteau de sa poitrine en hurlant de douleur, la rune brillait de milles feux, et le planta profondément dans la chair écailleuse.
Curieusement il n’y avait pas de sang, à l’intérieur il n’y avait nul fluides simplement une masse blanchâtre qui lui arracha une mine de dégoût.
Il était Ulfgar Haraldson, il était maudit.
Mais il n’abandonnerait pas, il atteindrait la cité.
Que quoi que ce soit se mette en travers de son chemin et il l’éliminerait.
Il était un combattant.
Il était un bourreau.
Il était, tout simplement.