[RP] Gratter entre les écailles

Il était bien rare qu'Iva livra elle-même ses bougies, mais il s'agissait aujourd’hui d'un client privilégié. Nombreuses et parfumées étaient en effet les bougies qui brûlaient quotidiennement dans les salles de massage ou aux alentours des bains, et le travail de la cirière y était fort apprécié. Et puis la jeune femme aimait beaucoup l'ambiance qui régnait aux thermes en ces journées d'hiver, comme il y faisait toujours doux et cela contraistait avec la fraîcheur d’au dehors. Qui plus est, les bains étaient de ces lieux, magiques à ses yeux, où dragons et bipèdes se cotoyaient réellement : aucun ne marchait à l'ombre du vol des autres, aucun ne se grimait pour mieux s'adapter à l'autre. Ils se délassaient en ce lieu, cheveux et écailles côte à côte, en simples camarades. Ici, elle pouvait rêver être elle aussi l'égale et la moitié d'une belle dragonne.

« Hey les aspirants, entendit-elle résonner sous le dôme pour elle et les autres baigneurs, celui qui me lavera gagnera un tour sur mon dos demain ou une course à l'extérieur du Kaerl ! »

Il n'en fallut pas plus pour que le cœur d'Iva Mola ne s'emballe ! Depuis qu'avait pris fin son aspiranat, les occasions de voler s'étaient faites bien rares. Même Savaynith n'avait eu que peu de temps à lui consacrer récemment pour cela, alors même qu'elles avaient toujours apprécié voler ensemble. La bleue la disait d’ailleurs cavalière fort compétente, pour malentendante qu’elle était au don. Aussi l'elfe menue n'hésita pas un instant et se présenta devant la verte avant même que n'eurent tourné la tête les autres candidats éventuels. Tout sourire, les mains  tenant dans son dos son panier d'osier, elle se porta volontaire dans un éclat de rire cristallin.

« Marché conclu ! Mais ce sera sans doute plus simple si tu reprends ta jolie forme, au moins quand on ira voler ? »

Tandis que la verte se mettait à son aise, la demoiselle s'apprêta pour entrer dans l'eau à sa suite. Ses cheveux noués et sa robe ôtée, elle semblait dans sa chainse de lin blanc à peine sortie de l’enfance, si ce n'était pour une maturité qui pointait dans son regard par delà rêverie et malice.

« Je m'appelle Iva Moea, au fait, lança-t-elle en sautant à pieds joints dans le bassin, et toi ? »

Iva Moea demeura un instant interdite devant la métamorphose de la verte. C'était là un spectacle dont elle ne se lasserait sans doute jamais. Pénétrant dans l'eau, qui lui montait jusqu'à la taille et alourdissait sa tunique, elle admirait la dragonne sous tous les angles. Sans pudeur ni insistance, elle laissait courir son regard sur la courbe de son dos et les ondulations de sa crête, les lignes de ses cornes et les dessins de sa tête. Aux yeux de l'elfe, chacune de ces créatures de légende était magnifique à sa propre manière, et chaque rencontre était plus magique que la précédente. Et comment n'aurait-elle pu être séduite par celle-ci dont la chatoyance s'accordait si bien avec son propre caractère ?

« Oh, tu es la fille de Savaynith, n'est-ce pas, remarqua avec enthousiasme l'elfe, qui avait appris avec passion les lignées du kaerl. Ravie de te connaître. »

La question de Ninlil, bien trop souvent entendue, mettait toujours mal à l'aise la jeune elfe. Du fait de son âge et de ses regards plein d'admiration, on la prenait encore régulièrement pour une aspirante, bien qu'elle ait quitté sa triade depuis des années déjà... Mais ces interrogations étaient autant de rappels de sa condition, d'autant plus douloureux lorsqu'elle venaient d'un dragon. Car aussitôt qu'elle avait repris sa forme véritable, la voix de la verte s'était faite incroyablement ténue. Il en avait toujours été ainsi. Iva Moea possédait le Don, en effet, pouvoir fabuleux qui lui permettait d'être entendue des dragons et lui accordait l'entrée au Mar Menel. Malheureusement, son héritage était si dilué qu'elle n'entendait en retour que des voix lointaines, si étouffées qu'il lui fallait mentalement tendre l'oreille, et que jamais elle ne serait liée. Son sourire disparut donc un très court instant en évoquant sa triade, comme un bref nuage de mélancolie passant sur son doux visage.

« Je n'ai... Comment dire... Je ne fais plus partie d'une triade, pour être honnête. Je ne suis pas tout à fait aspirante, expliqua-t-elle avant de rire à nouveau, mais j'espère que ton offre n'était pas limitée aux aspirants ! »

La jeune femme avisa seau moussant et brosses diverses qui étaient à laissés en libre accès et les disposa à proximité, avant de se saisir d'une brosse grossière. Pour pouvoir faire resplendir le lustre de ces écailles d'émeraude, encore faudrait-il les débarasser de la boue qui avait accompagné la neige dans les creux de l'armure de Ninlil.

« J'avais tout bien appris, rassura-t-elle la verte, et je m'en sortais pas mal à ce qu'il paraît. Mais c'était il y a longtemps, donc n'hésite pas à me dire tes préférences au cas où. »

Une première brosse en main, elle se mit en devoir de frotter avec énergie les flancs de la dragonne. À mesure que s'en délogeait la saleté, l'astucieux courant de leur petit bassin l'emmenait au loin, et avec elle la fatigue de la journée.