[RP] Bonsoir Maître (de maison) !

Elle l'avait prévenu. Mais entre les explications et la réalité, il y avait un monde. Il s'attendait à du froid, à de l’obscurité… mais il ne s’attendait pas à l’Interstice. Rien ne préparait à l’Interstice en réalité. A l’absence d’air, de chaleur, de sensations. Lorsque Chishongo y plongea,  il sentit son cœur rater un battement. Mais il ne l’entendit pas. Il n’entendait plus rien. Tout comme il ne sentait plus la force de la Reine sous ses fesses, l’air siffler autour de lui, la taille de Dak entre ses mains. Mais il percevait toujours les émotions des deux liées. Il se raccrocha à cette perception de toute la force de son esprit pour ne pas le laisser dériver vers toutes les hypothèses les plus abracadabrantes qui menaçaient de l’envahir. La Fëalocë avait mentionné la durée du transfert mais il ne s’en souvenait plus et avait de toute façon oublié de compter lorsque le monde avait disparu. La seule chose certaine, c’était que c’était long. Très long. Peut-être trop…

La lumière réapparut brusquement, l’éblouissant presque, en même temps qu’un monde de sensations. Que le monde, simplement. Arjuna expira brusquement, vidant ses poumons de l’air qu’il n’avait pas conscience d’avoir retenu, tandis que ses cinq sens se trouvaient soudain submergés de nouvelles informations. Le contraste était brutal, après le vide de l’Interstice, évidemment, mais aussi après le calme de la forêt de Qahra. Le presque silence de la forêt se trouvait remplacé par le brouhaha d’une activité foisonnante sur la place en contrebas. Ils venaient de quitter un océan de verdure pour émerger au-dessus d’un tourbillon de couleurs, dominé par l’or d’un motif de dragon ornant le centre de la place. Même l’air qui les entourait n’avait ni la même odeur ni la même saveur que celui, marin et saturé d’embruns, des alentours d’Itzahuacán.

Chishongo entama sa descente vers la Grand’Place et le Torhil admira en silence la maîtrise des courants, avant de reporter son attention sur la vie qui grouillait en dessous. Une part de lui, la plus calme et détachée, souligna qu’Itzahuacán donnait sans doute la même impression de fourmilière vue du ciel, mais il n’avait aucun moyen de vérifier son hypothèse. Il sourit intérieurement en notant que la Reine, malgré sa stature, se posait sans encombre - ce n’était pas comme si les habitants du coin avaient l’habitude, sans doute - et démonta lorsque Dakarai lui en donna le signal. Il hocha simplement la tête quand elle lui annonça qu’elle le conduisait au Maître Peddyr Thelrand, qui était prévenu et les attendait, mais ses yeux brillèrent un peu plus, tandis qu’il lui emboîtait le pas à travers ce qui lui semblait un véritable dédale.

Retrouver sa Furie avait comblé le manque d’elle qu’il ressentait depuis deux ans et demi, faisant disparaître d’un coup l’inquiétude et le désespoir qui le dévoraient depuis deux lunes. L’accompagner et partager sa vie auraient largement suffi à son bonheur et, s’il avait écouté avec attention ses explications sur les dragons et leurs cités, il n’avait pas vraiment réalisé les autres implications de son discours. Ce n’était qu’en quittant définitivement sa ville natale qu’il avait finalement percuté. Lui aussi pouvait avoir une chance de se lier à une de ces créatures mythiques ! A croire que la réponse décevante du capitaine de La Cihuati datait de plusieurs années au lieu de quelques heures !

Il laissa Dak le conduire jusqu'à trois tours octogonales et grimpa l'escalier de l'une d'elle à sa suite. Il s'arrêta devant la porte qu'elle lui indiquait et, après un hochement de tête pour la remercier, il frappa à la porte, son cœur accélérant légèrement au rythme des coups sur le bois. Il avait le Don, disait Dakarai, puisqu'il entendait Chishongo, mais l'avait-il suffisamment pour être accepté comme Aspirant par un Maître ?

Spoiler:

Dak sourit en sortant de l’interstice. Sauf erreur de sa part, l’étreinte d’Arjuna s’était resserrée. Aurait-il eu peur de l’interstice ? Probablement. Elle-même n’avait pas vraiment fait la fière, la première fois. Ni les suivantes, d’ailleurs. L’interstice, c’était effrayant.

*Ah bon ? Je trouve pas.*

*C’est normal, ma chérie, toi tu t’y déplaces naturellement.*

*Mais avec moi, tu n’a pas peur, hein ?*

*Non, bien sur !*

C’était vrai. Avec Chishongo, elle avait l’impression de plus contrôler le phénomène. Elle gardait bien en tête les coordonnées et ensembles, elles traversaient le néant.

Elles se posèrent, Dak préférant montrer à Arjuna les chemins pour piéton. Avant de démonter, elle s’adressa à sa Reine :

*Fait dire à Maître Nalesean que j’ai ramené mon Arjuna, qu’il a le don et qu’il lui faudrait un Maître… ?*

Elle espérait que le Maître guérisseur prendrait lui-même le Torhil sous son aile, mais quelques minutes plus tard, alors qu’elle finissait de détacher le Harnais, la réponse arriva :

*Il dit qu’il ne peut pas prendre d’aspirant pour le moment, mais que peut être, Maître Peddyr peut et veux bien rencontrer Arjuna.*

« Maître Peddyr, ok... »

L’ancien Ambassadeur ? Assigné au Mar ? Bah… Après tout, si Maître Nalesean le disait, pourquoi pas ? Elle prit le chemin des Spires.

« Viens, je t’amène chez Maître Peddyr. Mon propre Maître me l’a recommandé, il accepte de te rencontrer. »

Pendant qu’ils s’éloignaient, Chichi redécolla et partit vers les Spires par la voix des airs, vers son propre appartement.

La jeune Chevalière mena son fiancé dans le dédale de chemins.

« Ici, c’est les Spires. C’est trois grandes tours, et elles sont uniquement constituées d’appartements avec de grands balcons, pour que les dragons puissent aller et venir à leur guise. À la naissance de Chishongo, on m’avait proposé un petit appartement, mais j’ai négocié. C’est une Reine, elle a besoin de place. Et j’avais pas envie de déménager trois fois pendant sa croissance. Avec un peu de discussion, j’ai obtenu un bel appartement de Reine. J’ai un camarade d’éclosion, sa dragonne est plus grande que Chichi, il l’on collé dans un placard, au début. Je te jure. Ridicule. Mais bon, il a pas su s’imposer. Total, il a eu besoin de déménager, le pauvre.

Enfin, je parle, je parle, mais je ferais mieux de te parler un peu de ton Maître Potentiel. Déjà, tu vas rester en apprentissage auprès de lui au moins quelques mois. Jusqu’à ce qu’il te juge digne d’aller sur les Sables d’éclosion, assister à la naissance des dragonnets. C’est là que tu pourras potentiellement marquer. Mais avant, il faut que tu apprennes des tas de choses. En gros, comment gérer un dragon. Parce qu’après l’éclosion, tu seras livré a toi même.

Maître Peddyr, donc. Son Dragon est... »

*Sveargith*

« Sveargith, un brun de belle taille. Il s’est lié tard, y paraît, mais il a gravis les échelons a toute vitesse. Recemment encore, il etait notre ambassadeur auprès des autres villes de Dragons, mais… Disons qu’il y a eu des troubles politiques et il a perdu son titre. »

Enfin, ils arrivèrent à la porte du Brun.

« Bon, je te laisse là. Tu sauras retrouver le Motif de téléportation ? Le gros dragon ou on s’est posé. Si tu me cherches, je vais aller boire un verre sur cette place. Bonne chance ! »

Peddyr terminait de lire un parchemin, avant de tendre sa main vers son plumier. La plume d'oie blanche qui y demeurait sortit hors de l'encre, ne démordant même pas d'une goutte. Là, la pointe effilée de la tige taillée pour pouvoir écrire rencontra la surface du support et glissa dessus, guidée par des doigts agiles. L'humain termina de signer un simple rapport et porta le papier paraphrasé sur le côté de son bureau, avant de commencer à écrire sur un nouveau parchemin.

Bien qu'il n'était plus Ambassadeur depuis longtemps, il avait gardé des contacts avec quelques gens, autant sur la Terre de l'Aube que dans les autres continents. Bien entendu, il n'y avait rien de secret dans ce qu'il écrivait. C'étaient que des simples correspondances, pour garder contact, avoir des nouvelles, et entretenir son savoir de ce qui se tramait dans les autres contrées. Mais cette lettre là était totalement différente. Il alignait des mots pour une âme qu'il avait aimé et qu'il aimait encore. Bien des mois étaient passés depuis qu'il avait pris la décision de couper à toute relation avec Crylith, l chevalière neutre avec laquelle il s'était unis. En brisant ce lien, elle avait décidé de partir loin de la Terre de l'Aube, avec leurs deux jeunes enfants. Ainsi,; ils étaient tous les trois à l'abri, loin des intrigues des Kaerls et des derniers heurts qui avaient pris bien des vies dans les trois màrs réunis. Depuis peu, il correspondait avec son ancienne bien aimé, pour savoir comment se portaient sa fille et son fils, qui grandissaient très bien dans la dernière lettre qu'il avait reçue.

Puis, sentant qu'un dragon frôlait son esprit, il redressa la tête. Son regard se voila, signe qu'il communiquait mentalement avec le saurien. Puis, ses yeux retrouvèrent leur éclat et il se leva. S'il s'était attendu à cela.... et bien entendu, il avait accepté. Même s'il n'en avait plus vraiment le statut, il avait toujours le devoir de former de futurs chevaliers-dragons. Si on redoutait qu'il corrompe leur esprit, avec les doutes qui persistaient sur ce qu'il avait subi avant de disparaître dans l'Interstice, on ne viendrait pas lui confier un aspirant. C'était le dragon de Nalesean qui avait pris contact avec lui. Donc, si ce n'était pas là un gage de confiance... Puis il entendit des voix à l'extérieur de son chez lui.

Sans doute que l'aspirant arrivait déjà. Une fois que les voix se turent, Peddyr se leva de son bureau et ouvrit la porte de ses appartements, avec un sourire serein aux lèvres.

"Salutations Aspirant. On m'a prévenu de ta venue. Je présume que tu es Arjuna Tlaloc ? ''

Tout en suivant Dakarai parmi les rues du – comment avait-elle dit, déjà ? – Màr et en tâchant de se repérer, le Torhil écoutait attentivement ce qu’elle disait. Il avait l’impression que son esprit était saturé de nouveautés. Pas d’émotions, heureusement, il ne percevait rien d’autre que le flou habituel venant des personnes qu’ils croisaient, mais il avait amplement de quoi faire. Ses yeux lui montraient une ville qui n’avait absolument rien à voir avec ce qu’il connaissait. Ni Itzahuacán, ni Arsuh, et encore moins l’Oasis de T’Shallah, ne pouvait rivaliser avec ce qu’il voyait. Tout semblait immense, de marbre et d’or, d’une architecture qui ne ressemblait en rien à ce qu’il avait pu voir ailleurs. Ses oreilles, elles, lui rapportaient fidèlement les paroles de sa Fëalocë par-dessus le brouhaha ambiant. Ce dernier n’était pas difficile à ignorer, il n’était pas très différent du vacarme des autres cités. En revanche, les mots de Dak véhiculaient quantité d’informations, et Arjuna s’efforça donc de se concentrer sur sa voix – sa voix ! ça avait encore un côté irréel de pouvoir l’entendre ! – quitte à prêter un peu moins d’attention à son environnement. De toute façon, il ne serait probablement pas capable de se repérer seul dans ce dédale avant un moment, alors autant ne pas risquer de manquer quelque chose d’important avant de rencontrer son Maître.

Il ne put s’empêcher de sourire lorsque les explications de sa fiancée sur les trois tours – les Spires – dérivèrent vers son propre appartement et la croissance de sa Reine. Il ne doutait pas qu’elle avait été capable de s’imposer, comme elle disait, mais il se demanda une seconde quelle taille pouvait faire une dragonne de la taille de Chishongo à la naissance. Il n’eut toutefois pas le temps de poser la question que Dak enchaînait sur le rôle du Maître et Aru ravala ses interrogations pour le moment. Ça ressemblait tout à fait au genre de renseignement que lui donnerait son Maître. S’il l’acceptait en tant qu’Aspirant, évidemment. Ce qui, dans la voix de la rouquine, semblait acquis. Pourtant ce n’était pas parce qu’il acceptait de le rencontrer qu’il l’acceptait automatiquement comme Aspirant, si ? A moins qu’il ait raté une étape… Enfin. Il verrait ça plus tard. Quand la Fëalocë aurait terminé ses explications et la présentation de son (peut-être) futur Maître, par exemple.

Aru hocha de nouveau la tête lorsqu’elle conclut et s’arrêta devant la porte qui l’intéressait.

« Je me débrouillerai, assura-t-il avec un sourire – au pire, il trouverait bien quelqu’un à qui demander son chemin. Merci, à tout à l’heure. »

Il la laissa s’éloigner avant de se tourner vers la porte. Bonne chance, avait-elle dit. Donc sa première impression n’était pas fausse ; il pouvait très bien être recalé. Il sentit le stress grimper alors qu’il frappait à la porte, avant que celle-ci ne s’ouvre quasiment immédiatement sur un homme de grande taille – du moins, pour un humain – au sourire serein.

« En effet. Enchanté de vous rencontrer… Maître Thelrand ? – on ne savait jamais, les dragons pouvaient prendre une apparence bipède, n’est-ce pas ? – Je vous remercie de bien vouloir me recevoir. »

Les salutations, le sourire et le calme du Maître dragon eurent raison de la petite bouffée de stress du Torhil. Quelle que soit l’issue de l’entrevue, il avait déjà bien plus que tout ce qu’il aurait pu espérer ne serait-ce que quelques heures plus tôt. En début de matinée, il guettait la moindre parcelle d’information à propos de Dakarai. A présent, non seulement il l’avait retrouvée, saine et sauve, mais ils allaient se marier et vivre ensemble au milieu des dragons. Être accepté comme Aspirant serait sans aucun doute formidable mais il n’oubliait pas qu’il avait déjà tout le reste.

Peddyr s'était légèrement écarté de la porte ouverte pour laisser de la place à son futur Aspirant. Il tendit d'ailleurs le bras pour l'inviter à entrer au sein de ses appartements. Sveargith n'était pas présent et peut être que c'était mieux ainsi. Connaissant le Brun, celui-ci n'aurait pas manqué d'abreuver de questions le malheureux arrivant et de le taquiner.

''Je suis bien Maître Thelrand. Entre donc. Sauf si tu veux qu'on aborde le début de ton aspiranat sur le pas de la porte...''

Le ton était taquin... Même si Sveargith n'était pas là pour mettre une touche d'humour, Peddyr, bien malgré lui, l'avait fait à sa place.

Une fois à l'intérieur et la porte fermée, Peddyr proposa à son invité de prendre place dans ce qui lui servait de salon. Dans un recoin de la pièce centrale se dressait quelques chaises entourant une table de facture orënnienne. Sur cette dernière, on y trouvait une généreuse coupe de fruits.

''Allons nous installer là-bas. Si tu as faim, j'ai des fruits frais de Loméanor. ''

Peddyr arrivait à parfaitement caché son début de malaise. Prendre un aspirant alors qu'il avait à peine retrouvé la confiance du Kaerl pour ce qui était d'apporter son savoir et son expérience pour former un Aspirant était quelque chose d'étrange. Il avait pourtant formé quelques aspirants qui avaient fini par marquer un dragon, devenant de bons chevaliers-dragons. Mais après le drame avec Drazahir, serait-il encore capable de former un jeune individu pour se lier un jour prochain avec un Dragon ? Si Svear' avait été là, il l'aurait généreusement gourmandé quand à cette pensée. Si on lui permettait de former à nouveau des Aspirants, c'est que oui, il en avait les capacités et qu'il ne les corromprait pas.

Une fois installé et le malaise passablement, il cherchait une entrée en matière pour apprendre à connaître le jeune homme.

''D'ordinaire, je parcours le Rhaëg pour trouver des Aspirants à notre Kaerl. Mais vu que la situation est inversée, ce sera plus aisé pour apprendre à te connaître et évaluer tes connaissances. Commençons simplement. parle moi un peu de toi, de ton histoire, de ce que tu as appris. S'il y a des points de ton existence que tu ne veux pas narrer, je comprendrais. ''

Il ne voulait pas le bousculer et lui laissait l'initiative de lui apporter les réponses à ses quelques interrogations. Ainsi, s'il arrivait à apprendre ce que ce jeune homme connaissait déjà comme acquis, il pourra alors orienter sa formation.

''Et si tu as des questions, peu importe le sujet, tu peux me les poser, j'y répondrai."

La taquinerie du Maître dragon fit naître un léger sourire sur les lèvres d’Arjuna dont l’inquiétude continua à s’étioler. Il ne s’était pas trompé d’interlocuteur et celui-ci ne semblait pas gêné de le voir débarquer à l’improviste. Parce que, oui, s’annoncer par dragons interposés cinq minutes avant de frapper à la porte, c’était quand même à l’improviste. Mais il avait déjà remercié l’homme de le recevoir, aussi n’allait-il pas se répéter. À la place, il rebondit sur l’accueil de Peddyr.

« L’architecture est étonnante, mais ça risque de ne pas être très confortable, effectivement... » sourit donc le torhil, en entrant dans l’appartement comme on l’y invitait.

Il suivit son hôte vers la table et prit place sur une chaise. Il ne savait pas où se trouvait Lòmëanor, s’il s’agissait d’un pays ou d’une cité renommée pour ses vergers ou si son nom était garant d’une saveur particulière, mais il n’avait de toute manière pas vraiment faim. Sa vie avait changé du tout au tout mais seules quelques heures le séparaient pourtant de son petit déjeuner. Et, malgré l’accueil chaleureux de Maître Thelrand, il ne se sentait pas tout à fait à son aise. Il ne lui vint toutefois pas à l’idée que son léger malaise pouvait être le reflet de celui de son interlocuteur. Non seulement, celui-ci semblait tout à fait détendu et maître de lui-même, mais Aru avait, quant à lui, suffisamment de raison d’être un peu anxieux ou embarrassé. S’il s’avérait que le Maître dragon ne voulait pas de lui comme Aspirant, pourrait-il rester auprès de Dak tout de même ? Elle avait eu l’air de considérer la chose comme acquise. Mais elle avait également eu l’air persuadée qu’il serait accepté comme Aspirant… Et, alors qu’il connaissait les rouages de sa ville natale sur le bout des doigts, il n’avait aucune idée de la façon dont fonctionnait la cité… Le Kaerl. Le Màr Menel. Mais, qu’importe… Qui que soit le dépositaire de l’autorité, il ne se laisserait pas séparer de sa Furie. Il l’avait retrouvée – ou, plus exactement, elle était venue le chercher – ce n’était pas pour la perdre à nouveau !

Comme si formuler clairement en pensée ce qu’il savait déjà l’aidait à se détendre, le forgeron oublia un peu son malaise pour se concentrer sur les paroles de son vis-à-vis. Parler de lui. Ce n’était pas son exercice favori. En réalité, il ne voyait pas très bien par où commencer. Aussi rebondit-il simplement sur la dernière phrase de l’humain.

« Des questions… J’en ai beaucoup. Et c’est un peu difficile de les ordonner… avoua Arjuna. Ce matin, les dragons n’étaient pour moi que des créatures de légendes ou de contes pour les enfants. »

Il offrit un léger sourire d’excuse à son peut-être futur Maître et prit une seconde pour trier ses pensées. Parler de lui, de son histoire, de ce qu’il avait appris. Bon. Autant commencer par le commencement, du coup, non ?

« Je suis né et j’ai grandi à Qahra, dans une ville portuaire au sud des Plaines, comme Dakarai. Je suis forgeron mais j’ai passé deux ans dans le Désert du Ssyl’Shar, parce que mon père souhaitait que je devienne guerrier… commença le torhil avec une grimace. Je suis meilleur forgeron que combattant – et il n’aimait pas se battre, surtout. C’est pendant ce temps que Dakarai a dis… est venue ici. »

Il hésita une seconde. Devait-il développer sa relation avec Dak ? Ça n’apportait rien du point de vue de ses connaissances. Et si son interlocuteur avait des questions, il pouvait toujours les poser, n’est-ce pas ?

« Elle est revenue ce matin reprit donc Aru, sans pouvoir réprimer un nouveau sourire – il avait retrouvé sa Furie, enfin ! Il avait encore du mal à le croire. J’ai fait la connaissance de Chishongo et elles m’ont un peu expliqué le secret qui entoure l’existence des dragons, les trois cités, le Lien qui les unit toutes les deux. Et elles ont dit que j’avais le potentiel pour devenir Aspirant puisque j’entendais Chishongo. »

L’attitude du lié Brun mit rapidement à l’aise le nouvel aspirant. Se détendant un peu, il entra dans les appartements de Peddyr et prit place. L’humain avait bien remarqué le malaise du jeune homme mais fit comme s’il n’avait rien vu. Arjuna n’était pas le premier aspirant qu’il venait à former et avait largement compris depuis tout ce temps que le stress et l’inquiétude pouvait miner le cœur des futurs formés. Même lui, quand il avait été ‘’repéré’’, possédant le Don, ne s’était pas vraiment senti à l’aise en découvrant le potentiel qui s’offrait à lui. En même temps, les circonstances de l’époque étaient un peu particulières. Quand il avait été détecté comme possible aspirant, il errait dans le Désert de Ssyl’ Shar, comme guide caravanier, cherchant à fuir son passé troublé. Et tant de chemins avaient été parcourus en si peu de temps.

Il sentit brièvement la présence réconfortante de son lié. Sveargith était l’une des plus magnifiques qui lui avaient été donné d’avoir. Et il ne le regrettait point, se demandant comment il aurait pu faire sans lui dans son existence. Tant de bonheur et d’épreuves en sa présence, ainsi que ses divers amis et connaissances. Des pages s’étaient tournées et se tourneraient encore.

Il ne perdit pas de vue la présence de son futur aspirant. Celui n’avait pas perdu de temps pour exprimer la quantité de questions qui pointaient déjà à son esprit. Peddyr gardait le sourire.

’’Pour te rassurer, j’ai été comme toi quand on a détecté mon Don. Et encore, malgré mon apparence, je n’ai pas marqué Sveargith depuis si longtemps que cela. A peine plusieurs années. J’étais plus vieux que toi quand mon maître m’a trouvé. Mais quand les Dragons sentent le potentiel d’un homme ou d’une femme, il fait fi de son âge physique. Ne fais pas attention à ma tignasse grisée’’

Autant aborder cela plus tard, sauf si l’aspirant en viendrait à demander des précisions. Les rumeurs et l’histoire de son retour de l’Interstice n’était pas vraiment un secret maintenant. Mais le jeune homme n’en avait peut être pas encore entendu parler. Donc, autant parler des choses quand elles viendraient.

’’Ssyl’Shar est idéal pour apprendre un certain style de combat. Les nomades, les mercenaires et les bandits ne sont pas des enfants de cœur. J’y ai passé quelques années de ma vie. Et pour te rassurer d’avance, tous les chevaliers-dragons ne se spécialisent pas en combat. Tu en auras les rudiments, autant à titre personnel qu’à titre de chevalier-dragon, mais tu pourras largement, une fois lié à ton âme sœur draconique, exercer la profession de ton choix. Forgeron donc. C’est un domaine qui est toujours important sous nos cieux. ‘’


Au moins rassérénait-il son aspirant quand à la voie à suivre. Puis, en entendant le nom de Dakarai, il interrogea mentalement son lié. Sveargith l’informa qu’elle était une céleste liée.

’’C’est donc elle qui t’a découverte et qui t’a conseillé à moi donc. Tu pourras la féliciter de t’avoir bien apporté la base de savoir en te menant ici et plus tard à moi. Quand à l’Histoire de pourquoi tu as la capacité d’entendre les Dragons, on approfondira plus tard. Car je ne doute pas que tu as beaucoup à digérer en si peu de temps. Mais tu verras. Plus le temps passera, plus tu apprendras et comprendras. Tous les possesseurs de Dons s’en sortent très bien et très rares sont les échecs à se lier à un Dragon. Tous les aspirants que j’ai eus à former ont réussi à devenir chevalier-dragon. ‘’

Quand lui-même était arrivé au Kaerl, le regard des autres avait pesé sur ses épaules. On le disait trop vieux… et pourtant, il avait pu devenir chevalier-dragon. Comme quoi, certains préjugés n’avaient vraiment pas lieu d’être.

’’Pour te devancer en terme d’interrogations, sache qu’avec moi, tu aborderas l’art de te battre, même si cela te déplaira. Savoir manier une lame pourra te sauver la vie. En complément, nous étudierons l’Histoire de notre Kaerl , de nos ‘’ancêtres’’ ainsi que des matières comme l’herboristerie et plus encore. Un chevalier dragon ne se contente pas de chevaucher un dragon. Il a des connaissances bien plus étendant qu’un simple mortel… Tiens, est ce que Dakarai t’a évoqué les ‘’avantages’’ à être lié à un dragon ? Ainsi que ses inconvénients ? Cela va être comme une première leçon pour toi…’’

Et surtout de tester la détermination d’Arjuna à vouloir devenir un chevalier-dragon.

Le Maître brun n’avait pas l’air étonné par le fait que, le matin-même, il ne connaissait des dragons que les contes qu’on racontait aux enfants. En même temps, il n’était sans doute pas le premier à arriver au Kaerl sans rien savoir – ou presque, les nouveaux arrivants avaient forcément au moins découvert leur existence – des grands sauriens. Dak elle-même avait été dans le même cas… et les dires de Peddyr semblaient sous-entendre que c’était fréquent. Ce qui était logique vu que tout était fait pour conserver le secret sur leur existence et leur lieu de vie. Arjuna hocha donc simplement la tête en réponse aux propos de son peut-être futur Maître, sans rebondir dessus, puisqu’ils n’avaient rien de bien surprenant. Sa Furie lui avait déjà dit que l’homme s’était Lié sur le tard, et le torhil ne se voyait pas interroger son interlocuteur sur sa vie. C’aurait été la dernière des impolitesses. Dakarai avait parlé de son ancienne fonction d’ambassadeur et de troubles politiques à l’origine de son changement de statut, mais ça n’avait sans doute aucun lien avec ce qui motivait leur entretien… Et, pour ce qu’Aru en avait vu autour de son père, la politique était souvent sujette à des troubles que certains ne considéraient que comme un prétexte pour excuser leur indiscrétion. Et après, on s’étonnait que ça ne le tente pas.

Lorsque Peddyr rebondit sur le Ssyl’Shar et ses styles de combat, Arjuna ne put qu’acquiescer. C’était un style de combat particulier, oui. Bien différent de celui que son frère avait essayé de lui apprendre à Itzahuacán à son adolescence. Fallait dire que les armes n’étaient pas les mêmes, le milieu non plus – se battre sur du sables ou dans des rues pavées, ce n’était pas vraiment la même chose – et les adversaires encore moins. Les Rinkors n’avaient pas grand-chose en commun avec les bipèdes… sauf leur souffrance quand on les coupait en deux. Mais l’ancien ambassadeur lui assurait qu’il pourrait continuer à exercer son métier, ce qui était rassurant. Il ne serait ni inutile, ni obligé de se battre… et, surtout, le Maître brun ne remettait pas en cause sa présence au Kaerl ou sa capacité à devenir chevalier-dragon. En réalité, plus que la possibilité d’échouer à se Lier à un dragon, c’était la crainte de ne pouvoir rester qui avait inquiété Aru. La perspective de trouver son – comment avait dit Dak, déjà ? – âme-sœur était tentante, évidemment, très tentante, mais le torhil avait du mal à concevoir un tel Lien. En revanche, il avait parfaitement conscience de ce que serait sa vie s’il n’était pas accepté au Màr : il avait vécu loin de sa Furie pendant plus de deux ans et il n’envisageait pas de recommencer.

Et si, pour ça, il fallait manier les armes au lieu de ses outils de forgeron, il le ferait.

« Je sais me battre, fit simplement remarquer Arjuna lorsque Peddyr lui dit qu’il le lui apprendrait. Enfin, à pied, bien sûr. Je n’aime pas ça mais mon frère fait partie de la garde de ma cité natale et m’a appris les rudiments… et je n’aurais pas survécu deux ans à T’Shallah si je n’avais pas été capable de manier une arme. Mais j’apprendrai ce que vous voudrez m’enseigner, » ajouta-t-il pour que l’humain ne le croit pas de mauvaise volonté.

Il espérait juste qu’il n’aurait pas à le mettre en application. Blesser ou tuer, ce n’était vraiment pas son truc. Même s’il avait réussi à renforcer un peu ses barrières mentales dans le Désert, elles étaient encore bien trop perméables aux fortes émotions de ceux qui l’entouraient. Et se faire embrocher par une lance ou une épée, ça générait des émotions fortes en général. Mais Arjuna n’était pas prêt à expliquer tout ça à son Maître. Depuis toujours, seul son oncle Rajeev était au courant pour sa capacité à percevoir les émotions des autres. Dak le savait aussi, à présent, mais il ne se voyait pas le confier à un parfait inconnu. Fut-il son futur Maître. Ce n’était pas comme si ça pouvait influer sur son apprentissage, n’est-ce pas ?

Pour le reste du programme, Aru se contenta de hocher la tête à nouveau. Il n’avait rien contre l’idée de développer ses connaissances dans quelque domaine que ce soit – à l’exception de celui des armes. En revanche, il fronça les sourcils à la question sur les avantages et les inconvénients du Lien avec un dragon.

« Dakarai m’a simplement expliqué que la déesse Flarmya nouait les âmes du bipède et du dragon lors de l’Empreinte, à la naissance du dragon. J’avoue que j’ai un peu de mal à concevoir ce Lien, reconnut-il. Elle a précisé qu’ils devenaient inséparables. Et que c’était la raison pour laquelle elle devait rester vivre au Màr avec Chishongo qui, elle ne peut pas le quitter. »

C’était tout ce qu’il avait retenu des propos de sa Furie. Mais Peddyr complèterait s’il lui manquait des éléments, non ?

Peddyr gardait le sourire, comme pour essayer de détendre son nouvel aspirant. Il pouvait comprendre que celui-cu n'appréciait pas de se battre. Apporter la mort n'était jamais une chose agréable, même quand il était question de défendre sa vie ou celle d'un proche. Et dans la réponse simple d'Arjuna, le Maître Brun comprenait qu'il n'était pas tout à fait un néophyte. Il ne voulait pas que le jeune se sente sous-estimé. D'ailleurs, n'était-ce pas de la modestie qui avait été exprimé ?

''Je suis certain que tu sais bien plus que certains rudiments. Nous évaluerons cela sur un terrain d'entraînement. Pour te rassurer, cette apprentissage, ou plutôt ce perfectionnement ne sera pas dans les matières principales à acquérir. Il faudra veiller durant ton aspiranat à ce que tu poursuives ton activité de forgeron. Nous en avons de très bien ici comme un ou deux à Loméanor qui ne diraient pas non pour avoir quelques nouvelles de ce que se fait en terme de forgeage dans d'autres contrées. Tu trouveras de quoi en causer des heures. Bien entendu, ce sera à intercaler avec les autres domaines d'apprentissage''

Il tenait à ce que son jeune Aspirant puisse continuer à exercer sa passion, car un homme motivé était plus réceptif à comprendre et à acquérir des choses nouvelles. Car devenir Chevalier-dragon n'était pas que de se lier à un dragon. C'était prendre connaissance de bien des savoirs. Puis, il revient sur ce que savait Arjuna sur le Don.

''La Déesse Flarmya a créé le Don en effet, pour permettre à un dragon qui éclos de se lier à l'âme d'un homme ou d'une femme. Sans cela, il ne peut que connaître la mort. Ce lien est viral pour un dragon, qui est un Enfant de Flarmya. Elle ne voulait pas voir ses Enfants disparaître à tout jamais, alors ainsi est né ce lien. Et là, Dakarai a raison, on devient inséparable. Quand à l'expliquer plus en profondeur, ce n'est pas évident. Quand tu sens le dragon se lier à toi, tu ressens et tu comprends que tu avais un manque à ton âme, que tu te retrouves complété avec ton âme soeur''

Il fallait le vivre pour l'appréhender dans toute sa profondeur.

"Rien n'empêcher un dragon de se rendre autre part que dans son Kaerl. Il peut se rendre à l'autre bout du Rhaëg... En fait, c'est la distance qui fait que tu ne ressens plus le lien. Et sur le sens de plus pouvoir la quitter, le dragon comme son lié sont uni sur le fil de l'existence. Le Don permet de vivre bien plus longtemps que n'importe quel individu ; hors les Elfes me semble-t-il. Mais cela a un prix. Si toi ou ton dragon vient à périr, la moitié ne peut vivre sans l'autre...La mort n'est que le seul besoin ressenti pour échapper à la perte plus que douloureuse de son âme soeur. Un dragon ne peut vivre sans son lié... Son lié peut peut être demeuré en vie... s'il en a la volonté. Mais vivra avec une peine inconsolable dans son coeur...''

Le ton qu'il avait pris pour terminer cette partie là était un peu attristé. Il ne connaissait pas cela et espérait ne jamais perdre Sveargith. Voir un ancien chevalier ou maître se retrouver sans dragon ne pouvait qu'apporter de la compassion ou encore de la compréhension quand à ce que vivait cette âme esseulée. Lui, il se demandait s'il serait capable de vivre sans son Brun. Avant de se lier, au vue des circonstances de son existence passé, il n'avait fait que vivre au jour le jour.

''Je m'excuse si je manque de t'effrayer quand à ce qu'est le Don, mais je tenais déjà à ce que tu saches la base du Don. ''

Techniquement, Peddyr avait raison, le torhil connaissait plus que les rudiments du combat. Mais Aru n’avait aucune envie de s’en vanter – d’une, ce n’était pas dans ses habitudes de façon générale… et, de deux, ses combats dans le Désert ne faisaient pas vraiment partie des souvenirs qu’il chérissait – et, de toute façon, il était à peu près certain que ce que lui apprendrait le maître dragon n’aurait pas grand-chose à voir avec ce qu’il savait déjà. Le style des guerriers du Ssyl’Shar n’était déjà pas le même que celui des gardes d’Itzahuacán, donc celui des soldats du Màr Menel serait forcément encore différent. Ne serait-ce que parce qu’il fallait ajouter des dragons dans l’équation. Et, non seulement ils étaient dix fois plus grands que les plus grands des Rinkors qu’il ait jamais vus, mais, en plus, leur présence ouvrait des possibilités stratégiques quasi infinies. Vipul aurait sans doute pu disserter sur le sujet pendant des heures, mais, même si Arjuna n’était pas son frère, il n’était pas idiot : si les grands sauriens servaient de monture, ça voulait dire qu’on pouvait se battre en plein ciel. Et s’il fallait les affronter… il fallait forcément adapter ses techniques…

Heureusement, son interlocuteur ne s’éternisait pas sur le sujet et répétait qu’il était tout à fait libre – voire encouragé – de continuer à exercer son métier, ce qui lui convenait parfaitement. Il se contenta donc de hocher la tête pour montrer qu’il prenait note des recommandations de Peddyr… et qu’il comptait bien ne pas manquer à ses autres devoirs d’aspirant.

Il écouta également avec attention les précisions que l’ancien Ambassadeur apportait sur le Don et le Lien qui pouvait unir un bipède et un dragon. Ça recoupait tout ce que lui avait déjà dit Dak, mais Peddyr donnait plus de détails. Aussi Arjuna l’écouta-t-il en silence, en essayant de se représenter ce que le maître brun décrivait. Il avait beaucoup de mal à imaginer la sensation de se sentir complété par son âme-sœur, évidemment. Même s’il avait entendu Chishongo lui parler sous son crâne, il n’avait pas l’impression de ressentir un manque ou d’avoir besoin qu’un autre être vienne compléter son âme. Le seul manque qu’il avait pu ressentir, c’était celui de sa Furie quand ils avaient été séparés, quand il l’avait cru disparue, mais là encore c’était très différent. Dak n’était pas apparue d’un coup dans son univers pour revendiquer une part de son esprit. Leur relation s’était construite au fil du temps, avec des hauts et des bas, s’était enrichie de nombreux fils jusqu’à devenir si solide qu’il n’envisageait même pas de la perdre. Ou plutôt, que la perdre créait un véritable vide. Alors, même si ce n’était pas exactement la même chose que ce que Peddyr voulait dire par « vivre avec une peine inconsolable dans son cœur, » Aru avait une petite idée de ce que ça pouvait signifier.

« Je comprends, répondit simplement le torhil. Et c’est sûr que ce n’est pas une perspective réjouissante… »

Il sourit à l’homme qui lui faisait face.

« … mais je ne connais pas grand-chose de bien qui n’ait pas une contrepartie, ajouta-t-il. Est-ce que vous, qui êtes Lié, vous le regrettez, sachant tout ce que vous venez de m’expliquer ? »

En tout cas, Dak n’avait pas eu l’air de regretter quoi que ce soit, elle.

Arjuna se tut un instant pour réfléchir à ce que venait de lui expliquer le maître brun et ce qu’il avait appris de Dakarai et de Chishongo. Plus il y pensait et plus la perspective de pouvoir se Lier à un dragon le tentait. Mais il se devait d’avouer la vérité à son peut-être futur maître.

« Pour être honnête, reprit donc Aru, je n’ai pas accepté de suivre Dakarai et Chishongo pour devenir Aspirant. Du moins pas en premier lieu. Je… »

Il hésita une seconde. Il n’y avait pas grand-monde qui connaissait ses sentiments pour sa Furie et les acceptait malgré leurs différences de races. Son oncle Rajeev, son ami Asim… et c’était tout. Mais s’il restait vivre au Kaerl, il y en aurait d’autres, forcément. Autant commencer tout de suite et savoir comment ça pourrait être perçu, non ?

« Je voulais simplement retrouver Dak. Mais disons que j’ai une raison supplémentaire du coup. Comment devient-on Aspirant ? Y a-t-il un examen ou quelque chose ? »

Dakarai avait dit qu’il avait le Don et pouvait devenir Aspirant, qu’il lui fallait donc un maître, mais elle n’avait pas expliqué comment on était accepté.

Peddyr avait acquiescé légèrement, quand au fait de la perspective d'une vie difficile, voir impossible sans son lié, si ce dernier venait à périr. Mais les chances que cela arrive étaient plus que réduites. Hormis dans un acte de guerre ou en se faisant tout bonnement assassiné, un lié humain avait plus de chance de mourir de vieillesse avec deux siècles de vie. Sauf si la guerre se déclarait à nouveau bien entendu. Mais tous les liés des dragons n'étaient pas des guerriers. Donc Arjuna avait des chances de finir ses jours après une belle existence avec son dragon, quand il viendrait à se lier à l'éclosion de celui-ci. Et quand il viendra à ''marquer'' un dragon, il aura l'entièreté de la réponse à ses nombreuses interrogations sur le Don. D'ailleurs, il en apporta la précision oralement

''Il faut savoir donner pour avoir quelque chose en retour en effet. C'est un peu à prendre comme un échange en se liant à un dragonnet à son éclosion. On lie son âme à jamais avec lui, mais de l'autre côté, nous partageons une vie avec une partie de soi complété, une vie prolongée, une force un peu plus conséquence qu'un simple mortel et un renforcement de la magie qui coule dans nos veines, pour peu qu'on en possède un peu. Quand à le regretter ? ''

Son sourire s'élargit plus encore, comme pour conforter ce qu'il allait suivre.

''Oh non, je ne regrette en rien. Ma vie d'avant n'avait guère d'avenir, aucune perspective intéressante. Avec Sveargith, je connais une existence que je n'aurai jamais pu rêver. Je ne dois pas que nous avons eu notre petit lot d'épreuves à surmonter, mais en aucun cas, je ne regrette pas d'avoir accepter de venir ici, pour me lier avec mon Brun. Je me demande encore comment je faisais pour supporter la vie sans lui, au quotidien. ''

Il eut un instant de flottement dans le regard, comme s'il se remémorait la fusion de son âme avec celle de Sveargith. Son sourire pouvait presque confirmer un bref instant de béatitude, avant que le Maître céleste ne revienne à la réalité. Puis, Arjuna exprima un peu le fond de sa venue au sein du Kaerl Céleste. Il ne put s'empêcher de garder un sourire face à cette honnêteté dévoilée.

''C'est un but comme un autre. D'autres jeunes gens arrivent sans avoir d'idées en tête, autant par peur de dire non au chevalier, au maître ou au dragon qu'ils ont croisé, que de voir au jour le jour. Et si Dakarai et sa Dorée ont détecté ton potentiel, c'est qu'elles ont raison dans un sens. Et de comment devenir Aspirant ? ''

Peddyr ne put s'empêcher de porter un index plié sous son menton à la barbe plus ou bien taillée, prenant un drôle d'air, mi songeur mi souriant. A croire qu'il préparait quelque chose. Puis il reprit un air moins perturbant pour son aspirant. Il ne voulait pas le mettre mal à l'aise. Oui, vous avez bien lu ''aspirant''.

''Chaque Maître a sa vision de la chose quand à déclarer un jeune apprenant comme Aspirant. Moi, je n'impose pas d'épreuve pour le devenir. Pour participer à une Empreinte, il faut l'accord de ton Maître. Donc te lier à un dragon dépendra de toi, de comment tu apprends mes leçons et mes exercices et de ta part personnelle de travail pour acquérir tout ce qu'un Aspirant devienne un Candidat à l'Empreinte. Je peux t'accorder quelques libertés, mais à condition que tu me les demandes, ou que tu en fasses part à Sveargith. Que tu passes du temps avec Dakaraï ne me posera pas de soucis, tant que cela ne met pas à mal ta formation. Et si elle ou sa liée viennent à t'inculquer quelques savoirs, fais en moi part, que je ne fasse pas un doublon dans ce que je t'enseignerai.

Puis il prit quelques secondes de silence avant de prendre une voix plus solennelle -légèrement solennelle.

''Bienvenue dans notre Triade, Aspirant Arjuna Tlaloc. Rassuré ? ''

Savoir donner pour avoir quelque chose en retour, c’était un peu la base en terme de relations sociales quelles qu’elles soient. Aru se contenta donc de hocher la tête à la réponse de Peddyr, tout en écoutant le reste de ses explications. Il déglutit nerveusement lorsque le maître brun déclara que le Lien pouvait provoquer un renforcement de la magie qu’il possédait éventuellement. Est-ce que cela voulait dire qu’il risquait d’être d’autant plus submergé par des émotions qui ne lui appartenaient pas ? Il avait beau savoir que ce qu’il ressentait n’était pas toujours de lui, il ne pouvait pas faire la part des choses. Il pouvait simplement s’efforcer au calme et prendre du recul. Retrouver Dak lui avait permis de réaliser que ses barrières mentales n’étaient pas aussi étanches qu’il l’aurait voulu, malgré leur renforcement dans le Désert… Il n’avait plus qu’à faire de nouveaux efforts, même s’il ne savait pas trop comment. Mais, quant à poser la question… Même si son interlocuteur était censé devenir son maître, même s’il semblait calme, posé et sympathique, Arjuna n’était pas prêt à avouer ce qu’il avait l’habitude de garder pour lui.

Il ne put s’empêcher de sourire, toutefois, lorsque Peddyr lui répondit qu’il ne regrettait en rien de s’être Lié. Comme Dak. Ses inquiétudes sur la magie semblaient bien faibles comparées à ce que lui décrivait l’ex-Ambassadeur et, pendant le petit silence qui suivit l’affirmation de son interlocuteur, le torhil se fit la réflexion que, vraiment, cette journée était irréelle. Le matin-même, il s’était levé à Itzahuacán pour se rendre à la forge, désespérant d’avoir la moindre nouvelle de sa Furie, et à présent, alors que la matinée n’était même pas achevée – ou, peut-être que si ? il n’avait plus vraiment conscience du temps qui s’était écoulé – il se trouvait à l’autre bout du Rhaëg, dans une cité volante, pleine de magie, de magnificence… et de dragons, à envisager non seulement une vie aux côté de Dak mais aussi d’un dragon. Les dieux aimaient les retournements de situation improbables, apparemment.

Était-ce l’aveu de Peddyr – aussi bien verbal que lisible sur son visage – concernant son Empreinte ? Ou une envie de donner un peu en échange de tout ce qu’il avait gagné en quelques heures ? Toujours était-il qu’Arjuna se départit d’une partie de sa réserve pour avouer à son peut-être futur maître la véritable raison qui l’avait menée au Màr Menel. Et, comme ça, si son interlocuteur poussait les hauts cris et le jetait dehors à l’idée d’une relation interraciale, au moins, il serait fixé…

Mais non. Il conservait son sourire et acceptait ses paroles tranquillement. Aru sentit ses épaules se détendre, inconscient de sa crispation jusque-là. Peut-être Peddyr n’était-il pas représentatif de la majorité des habitants du Kaerl mais le fait que la première personne qu’il rencontrait en ces lieux ne soient pas contre Dak et lui était déjà rassurant. Et le fait qu’il déclare qu’il n’avait pas d’épreuve à prévoir pour devenir Aspirant aussi.

« Je ne suis plus apprenti depuis plusieurs années, c’est un peu étrange de me dire que je vais à nouveau avoir un maître, reconnut le torhil. Mais je suis prêt à fournir les efforts voulus et à apprendre ce qu’il faudra. »

Chaque mot qu’il prononçait était pesé et pensé, même si l’idée de demander à son futur maître l’autorisation de prendre « quelques libertés » n’était pas la plus plaisante du monde. Depuis qu’il avait fini son apprentissage auprès de son oncle, il était libre de gérer son temps du moment qu’il se pliait aux contraintes de son métier. Même à T’Shallah, une fois l’entraînement terminé. Mais on n’avait rien sans rien, comme ils en étaient tombés d’accord plus tôt.

Il offrit donc un léger sourire à son… maître donc, quand celui-ci lui souhaita la bienvenue dans sa Triade.

« Oui, répondit Aru – étrange comme il avait été un peu inquiet de ne pas être accepté alors que quelques heures plus tôt cet enjeu lui était inconnu – avant que son sourire ne se teinte d’une pointe de malice : Que dois-je faire maintenant, Maître ? »

Le fait que Peddyr énonça clairement, distinctement et de sa propre bouche le fait que désormais, Arjuna était son Aspirant, parut détendre celui-ci, comme s'il attendait une toute autre chute orale. Qu'avait-il pu pouvoir redouté ? Un refus de la part du Maître Brun ? Peut être que c'était une appréhension normale, avait songé Peddyr sur le coup. Après tout, n'avait-il pas eu quelques soupçons sur les épaules durant quelques mois après sa sortie de l'interstice ? Peut être que le jeune Torhil avait redouté que le vieil Ambassadeur finisse par ne pas accepter de le former. Et pourtant, tout se déroulait dans un merveilleux schéma. Arjuna s'était présenté et Peddyr avait accepté de le prendre dans sa Triade.

A la déclaration de son nouvel apprenti, le Maître ne put s'empêcher de sourire. Cela lui rappelait sa propre arrivée au sein du Màr.

''Oui, cela fait toujours cette impression.  Et plus encore quand tu penses ne plus avoir à apprendre de choses importantes dans l'existence, en dehors de ton métier de forge. Dis toi que j'ai été aussi dans cette même pensée, plus encore que mon maître était bien plus jeune que moi à ce moment là. Un vieux croûton d'une trentaine d'année passée formée par un jeune homme qui aurait pu être son fils.''

Il se permit un léger rire, se rappelant ce maître espiègle et à la grande patience à l'égard de l'aspirant qu'il était. Dire qu'il avait commencé avec tellement d'incertitude avant que Flarmya ne bénisse son Don en le liant avec Sveargith. Maintenant, pour ce premier jour d'Aspiranat, il fallait répondre à la question du jeune Torhil. Que devait-il donc faire. Et là, toujours avec un petit sourire un peu énigmatique, Peddyr parut réfléchir. Cela ne dura guère.

''Pour ce premier jour, je ne vais pas pas te charger de tâches ou d'une formation un peu rude à emmagasiner. Je peux te laisser cette journée de libre, si tu le désires. Ou bien alors, voir si tu veux un logement d'aspirant ; si tu n'as pas de lieu précis où loger.''

Il comprendrait très bien qu'il puisse déjà avoir un lit quelque part. Pas besoin de l'évoquer véritablement ; il devait être avec Dakarai, jusque dans ses appartements.

''Ou te dire où tu pourras trouver de quoi étudier, t'entraîner.... faire une visite des lieux, sauf si Dakarai a veillé à te faire le tour de l'Île Céleste. La réponse à ta propre question t'appartient.''

Autant qu'il en profite, car, quand viendrait le moment de se plonger pleinement dans sa formation, le malheureux ne pourrait plus où savoir donner de la tête. Peddyr aurait pu lui imposer une petite évaluation martiale, mais ayant appris que le jeune homme n'aimait guère cela, même s'il savait s'en servir, le Maître préférait le laisser tranquille avec cela. Il aurait bien assez le temps de le tester sur l'aire d'entraînement plus tard.

La réponse et le sourire du maître brun achevèrent de détendre le nouvel aspirant. Peddyr Thelrand avait l’air compréhensif et sympathique, il acceptait sa relation avec Dak et l’acceptait, lui, comme aspirant, et sa réplique dénotait un certain sens de l’humour et de l’autodérision qui vit naître un sourire en miroir sur le visage d’Arjuna.

« On n’est pas vieux à trente ans, émit le torhil, amusé, avant de faire mine de réfléchir : Et vous avez dit que le Lien permettait de vivre bien plus longtemps que n’importe qui, non ? Vous avez encore de la marge avant de devenir un vieux crouton, je pense. »

Savoir qu’il était accepté, en tant qu’aspirant d’abord, au sein du Kaerl ensuite, et qu’il n’aurait pas à se battre pour rester auprès de sa Furie, ça valait bien un peu d’humour, non ? Et ce fut donc dans la même veine qu’il posa sa question à son interlocuteur. C’était à la fois une vraie question – que devait-il faire une fois accepté comme aspirant ? – et une façon de montrer en plaisantant à son nouveau maître qu’il était prêt à retrouver un rôle d’apprenti. Le sourire un peu énigmatique de Peddyr ne l’inquiéta pas outre mesure, toutefois. Non seulement l’ex-ambassadeur n’avait pas l’air d’un tortionnaire, mais il était vraiment prêt à commencer tout de suite s’il le fallait. Dakarai comprendrait… ou n’aurait pas besoin de comprendre, puisqu’il avait quartier libre pour le reste de la journée.

L’allusion rapide à son logement d’aspirant, comme si ce n’était qu’un détail, surprit toutefois Aru une seconde, avant qu’il ne réalise que c’était simplement une acceptation totale de sa relation avec Dak quelle qu’en soit la nature. C’était très étrange. Le maître brun ne semblait choqué ni par leurs race, ni par leur âge, ni par leur non-mariage, ni par leur différence de rang – Arjuna avait bien compris qu’une Reine comme Chishongo était importante… sans doute que Dak l’était aussi, du coup, d’une certaine manière. Est-ce que tout le monde au Kaerl était si ouvert que lui ? Il savait qu’il était loin d’Itzahuacán en distance, mais était-ce possible que les mentalités en soient si différentes aussi ?

En tout cas, maintenant que son acceptation était réglée, le torhil n’avait plus qu’une hâte : retrouver sa sienne. Pour être sûr que tout ça n’était pas complètement irréel et qu’il n’allait pas se réveiller à Qahra, loin des dragons et de sa Furie.

« Dakarai m’a guidé chez vous avant tout, répondit donc Aru. Mais, telle que je la connais, elle doit avoir hâte de tout me faire visiter – ou alors, c’était qu’elle avait bien changé en deux ans. Donc, si ça ne vous dérange pas, je vais aller la rejoindre. Elle m’a donné rendez-vous sur la place avec le grand dragon doré. »

I repoussa sa chaise pour se lever et prendre poliment congé de Peddyr, persuadé que Dak saurait lui montrer tous les coins et recoins utiles – ou qu’elle aimait – du Kaerl.

« Est-ce que je vous rejoins ici demain matin ? »

[HJ – Je pense que tu peux conclure, sauf si tu as d’autres choses à développer ?]

Peddyr ne put s'empêcher de rire.

''Oui, tu as raison. J'exagère un peu la longévité qui est nôtre une vois que nous avons marqué un dragon dès son éclosion. Je me suis lié à Sveargith il y a peine quelques années sais-tu. J'étais déjà jugé un peu trop vieux pour espérer me lier à un Enfant de Flarmya et pourtant, le destin en a voulu autrement. ''

Il se rappelait encore les regards et les murmures des Célestes présents à la Cérémonie de l'Empreinte ; ce qui avait été pesant sur ses épaules, car il vivait encore dans l'incertitude d'avoir un avenir, au vue de ce qu'il avait pu vivre avant d'appartenir au Màr Menel. Donc, forcément, il avait réagi avec la mentalité d'un adulte qui avait déjà parcouru plus d'un tiers de l'existence en tant que simple mortel.

''Vu que nous pouvons vivre jusqu'au moins deux cents ans. Oui, tu as raison : j'ai de la marge, même si j'avoue ne pas m'y faire. Bien. Si Dakarai meurt déjà d'impatience de te faire visiter le kaerl et ses recoins les plus dissimulés...''

Un sourire un peu taquin avait naquis à ses lèvres. Même au Kaerl Céleste, les jeunes gens se plaisaient à trouver des lieux isolés pour un côté un peu... romantique. Mais il ne s'aventurait pas à aller causer de cela avec son nouvel Aspirant. Ce n'était pas ses affaires après tout.

''Tu peux aller la rejoindre, oui. J'inclues cela comme ta première leçon du jour, en la compagnie d'un autre maître-dragon. Tu me feras un résumé des lieux principaux que tu auras vu avec elle, d'accord ? Et nous nous retrouvons ici demain matin. Profite bien de cette journée, car les prochaines seront plus éprouvantes en terme d'apprentissage. ''

Il affirmait cela sans aucune pression. Arjuna était un homme intelligent, il savait déjà à quoi s'attendre. Puis, il vit le jeune homme partir, fermant la porte de ses appartements derrière lui.

°Cela parait bien s'annoncer avec ce jeune homme. Il est un aspirant prometteur.°
°En effet. Il aura tôt fait de se faire une belle place au sein du Màr, bien que je sois son Maitre.°
°Rho, mais arrête de penser de la sorte ! redoutes-tu à ce point que ce qui reste encore dans ton sillage lui retombe dessus ? °
°Je le redoute un peu, en effet. Je ne voudrai pas que son avenir soit compromis à cause de moi.°
°Tu replonges encore dans le négatif. N'omets pas que c'est une Liée à une Reine Dorée qui l'a orienté vers toi, donc c'est déjà un poids conséquent dans la balance.°
°Tu as raison, Svear'. Je broie trop de noir en ce moment. Bon, allez, je vais te mener à la Baie, pour te récurer un peu. °


[HRP : fin pour moi. A la prochaine leçon mouahahaha]