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 [RP] Ritournelle pour les Damnés

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Amaélis Eleicúran
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Amaélis Eleicúran


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MessageSujet: [RP] Ritournelle pour les Damnés   [RP] Ritournelle pour les Damnés Icon_minitimeSam 1 Juin 2019 - 14:59

Ritournelle pour les Damnés.

Eurilyaku 919. Dernier Quartier.

Huit fois, Iolya avait parcouru le ciel depuis que la Maîtresse Déchue Amaélis Yodera et sa Liée, la sauvage Airain Ithildin, avaient quitté la Terre de l’Aube pour les contrées désolées de la Vinddalen. L’étau rigoureux de l’hiver, doucement, s’était desserré ; les nuages avaient craché toutes leurs larmes sur les falaises arides, sur les denses et obscures forêts de mélèzes ; puis le gel avait disparu, les jours s’étaient allongés, les timides rayons de Solyae étaient venus caresser une diversité invraisemblable de fleurs perçant entre les roches sombres, et les neiges s’étaient muées en une multitude de cours d’eau, attirant nuées de moustiques et animaux sauvages. L’été ne durait jamais bien longtemps, aussi loin dans le Nord, et le froid restait toujours mordant. À Sjaldgaef, la fonte des glaces avait révélé le corps de Helgi, l’adolescent perdu, près des ruines de l’ancienne maison Yodera, et un bûcher avait été érigé pour accompagner son âme vers les Dieux. Nul n’avait revu l’étrange Neishaane et sa compagne, plus étrange encore – et nul ne s’en était plaint.

Perdues dans les montagnes, errant de cols en vallées, les deux Liées en disgrâce avaient d’abord tenté de renouer avec leur vie d’antan. En vain – car, de toute évidence, Amaélis Yodera était morte huit mois plus tôt, sur une plage reculée que jamais être humain n’avait foulée, au milieu des brumes du bout du Monde. La Dragonne le savait. Elle l’avait senti parce qu’une partie de son âme avait disparu avec elle. Une étoile était morte mais, dans le chaos engendré, un nouvel astre s’était peu à peu formé, amassant poussières, gaz et cendres. La Neishaane ne ressemblait plus à ce qu’elle avait été autrefois – même son apparence avait changé. Chaque nuit, ses rêves la ramenaient en des temps anciens, maudits. Chaque jour, elle devait faire le tri entre ses souvenirs et les autres. C’était là un processus long, et complexe. Plusieurs fois, Ithildin avait cru la perdre sans espoir de retour – quand Amaélis hurlait le nom de la Blanche Aisling à travers les falaises, se griffant le visage jusqu’au sang, ou quand elle se mettait à chanter dans la langue de ses Ancêtres, faisant pleuvoir flocons et flammes sur les alpages solitaires.

Huit Lunes, cela avait été juste assez pour permettre à l’ancienne Maîtresse Engloutie de se retrouver elle-même ; juste assez pour lui permettre de se rappeler. Avec l’aide de la Dragonne, elle avait pu à nouveau se situer sur la roue du temps. Et puis, progressivement, elle avait fini par s’ennuyer, par oublier les épisodes anarchiques et moribonds de sa propre démence. Ici, elle n’était pas plus chez elle qu’ailleurs. Sur Tol Orëa, elle et sa Liée avaient laissé tant de choses inachevées… Galaad lui manquait – peut-être pensait-il qu’elle avait enfin trouvé la mort ? Dans les ruines du Màr Maudit, qui savait ce qu’elle avait éveillé lors de son rituel ? Et Lam’…  Si elle n’avait pas pu la ramener à la vie, elle voulait toutefois lui rendre un dernier hommage. Elle ne pouvait pas rester en Vaendark plus longtemps. Alors, sans un mot, Amaélis avait fait part à Ithildin de son désir de rentrer, et la Dragonne avait jugé que cela était juste. Les ailes de l’Airain s’étaient déployées à la faveur de la nuit, sous un ciel brodé de mercure et de violine, avant qu’elle ne s’engouffre dans l’Interstice, ne laissant derrière elles que l’écho d’un rugissement empli d’orgueil et de colère.

~°~

Non loin de la tour de garde à moitié effondrée qui avait été le refuge de Lam’, le Néant recracha ses deux voyageuses. Le soleil, même à travers la chappe opaque de brouillard et de fumées toxiques, leur parut aveuglant. Ithildin fendait les airs, les sens aux aguets, laissant à sa Liée tout loisir de se perdre en réminiscences interrogatives, teintées de surprise. C’était toujours ici que la Dragonne choisissait d’apparaître, pourtant, elle aurait été incapable de comprendre quels liens, quels sentiments l’attachaient à cet endroit – si ce n’étaient les siens. Sur l’horizon mouvant, terne, se détachait la masse immuable et menaçante des ruines du Quatrième Ordre. C’était vers elle que se dirigeait maintenant l’Airain, et Amaélis observa à s’en tordre le cou la svelte silhouette de la tour de garde disparaître dans des méandres de brumes.  

Ici, il était certain que le Temps n’avait aucune prise, et la Lande était restée la même qu’au jour de leur disparition – était restée la même depuis des siècles, en vérité. Il y avait dans cette idée comme un vague sentiment de réconfort, à mesure que les ailes d’Ithildin les portaient au-dessus de la forteresse en ruines, engloutissant les allées aux pavés déchaussés, les statues démembrées émergeant du brouillard et les arches détruites dans leur ombre imposante. Là, entre les colonnades, des vieux cauchemars se traînaient en longs râles, exhalés par le souffle las des ans. Seul un œil avisé aurait pu saisir, au-delà des fumées et des vapeurs changeantes, l’éclat terni d’écailles spectrales, le froissement d’une robe qui s’effaçait à l’angle d’une ruelle, ou la froide lueur de l’acier ricochant de passé en présent. Plus aucune crainte ne pouvait étreindre le cœur de la Neishaane désormais, et elle laissait défiler le cortège d’ombres blêmes sous ses grands yeux froids, sans s’émouvoir.

Et puis, son regard fut attiré par une immense tache noire au milieu de tout ce gris. Un trou ; un abîme obscur qui évoquait l’orbite d’un visage énucléé et d’où s’élevaient des fumerolles langoureuses, semblant étouffer toute lumière visible entre leurs anneaux d’encre. La Maîtresse déchue sentit qu’il la regardait et quelque chose dans ses veines parut alors s’agiter, un fourmillement infâme dévorant peu à peu ses membres, lui faisant l’effet d’un essaim de vers juste sous sa peau. C’était là. L’hésitation d’Ithildin s’empara de son esprit, et il n’y avait pas sentiment plus étrange et ambigu que la peur émanant d’une créature pareille. Dans leurs âmes mêlées, une voix leur parvint alors, faussement douce, coulée dans le même métal que celui des étoiles. Elle était le Kaerl, et elle n’appréciait pas que les vivants viennent troubler son maudit, morne et long repos.

° Tu as du cran de revenir ici, Neishaane. Fut un temps où l’on commit maints sacrifices pour que tu puisses naître un jour ; alors pourquoi t’entêtes-tu à accourir en ces lieux que tu devrais fuir ? Et combien de fois suis-je intervenue pour sauver ta peau, et la vie de ta Liée ? Cette fois sera la dernière. Répare ce que tu as brisé, et peut-être accepterai-je de vous laisser partir. °

La menace, bien qu’implicite et amplement méritée, fit bouillir le sang de l’Airain, et Amaélis posa une main ferme sur son cuir de bronze terni pour l’empêcher d’y répondre.

° Je m’en souviendrai, Gardienne. ° déclara-t-elle simplement, et elle ne sut jamais si ses pensées avaient trouvé leur destinataire. À contrecœur, la Dragonne avait obliqué en direction de l’ancienne demeure Eleicúran, ombres et brumes réduites en lambeaux par le claquement meurtrier de ses ailes. Sur sa peau brûlante de vie, dénudée par les bourrasques, Amaélis devinait le baiser des Spectres, le toucher glacial de leurs lèvres flétries et pâles.

° Comment comptes-tu t’y prendre, Neishaane ? ° Ithildin s’exprimait si peu souvent que sa Liée ne sut quoi répondre, désorientée par le son de cette voix pourtant familière. Distraitement, elle se mordit l’intérieur de la joue, orientant ses pupilles voilées vers l’abîme qu’elle avait créé. En vérité, elle ne savait nullement de quelle manière allait pouvoir être contré son propre sortilège – elle ignorait ce qu’elle avait ouvert, ou ce qu’elle avait éveillé. Hypnotisée par les lentes et profondes ondulations des nuées ténébreuses qui s’en échappaient, perdue dans des pensées bien éloignées de ce pan de réalité, elle ne réalisa pas tout de suite que l’Airain avait dévié son vol. Elle perçut, en revanche, que tous ses sens étaient en émoi, et observa les alentours, plissant les paupières pour mieux percer le voile du brouillard.

° Nous ne sommes pas seules… °
° L’Ardente ? ° Amaélis frissonna d’effroi à cette idée, mais Ithildin aurait sans doute réagi autrement si les inconnus avaient effectivement été la magicienne et sa Liée silencieuse. Non, il s’agissait d’une toute autre présence, beaucoup plus diffuse.

° Je suis sûre que je reconnais cette odeur. Je les ai déjà sentis, auparavant, mais ils aiment se cacher... °  

Une sensation de malaise enveloppa la frêle Neishaane. Avait-elle été épiée, durant tout ce temps passé dans les ruines du Màr ? Par qui, par quoi ? Ithildin la rassura : elle n’avait jamais jugé que ces fantômes-là représentaient une quelconque forme de danger. Le Dragon avait ces effluves infâmes de neutralité, auxquels s’ajoutait un mélange sournois de folie et de désespoir qui n’était pas sans lui rappeler sa propre Liée. Il se glissait sans bruit, fuyant, à la limite de ce qu’elle était capable de percevoir – et cette fois, l’Airain décida qu’elle en avait assez. Brisant avec fracas le silence de mort qui régnait partout sur le Kaerl, ses pensées s’élevèrent dans l’air lourd.

° Qui que tu sois, mon frère, sache que tu ne pourras pas demeurer dans l’ombre indéfiniment. Alors, sors de ta cachette et viens à notre rencontre, ou que je ne te surprenne plus jamais à nous observer – à moins que tu ne souhaites la mort. °

L’Airain poussa un rugissement provocateur et se posa près d’une imposante fontaine éclatée, cernée de gravures complexes et surmontée par les restes d’un Dragon d’orichalque. Le raclement de ses griffes contre les dalles déchira à nouveau le calme plat, faisant fuir quelques silhouettes vaporeuses. Amaélis se laissa glisser du dos d’Ithildin, serrant contre elle les liens de sa cape, jetant des regards peu rassurés aux alentours.

° Penses-tu qu’ils viendront ? °

° Je m’en fiche, Neishaane. Mais si je le surprends encore à traîner dans les parages, j’irai le chercher moi-même. °

Elle avait dit cela avec détermination, la lueur rougeoyante de ses iris nimbant les brumes de reflets sanglants, mais Amaélis se demanda discrètement si elle ne cherchait pas simplement à détourner son attention de leur principal problème.
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Persée Garaldhorf
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MessageSujet: Re: [RP] Ritournelle pour les Damnés   [RP] Ritournelle pour les Damnés Icon_minitimeMar 25 Juin 2019 - 12:18

[RP] Ritournelle pour les Damnés Mether10-56d7ee4 [RP] Ritournelle pour les Damnés Shivan10
Métherkan Garaldhorf & Niedesh

Queen Dies - Ignea


Le Kaerl Silencieux n’avait jamais paru aussi peu vide, aussi bruyant que depuis qu’il s’était effondré. Dans les immenses galeries, à travers les fenêtres aveugles, souffle brûlant des trépassés sur les places à colonnades comme dans les plus minuscules niches servant de repaires aux ombres les moins aptes à se souvenirs de ce qu’elles étaient auparavant, le chant sulfureux des Maudits emplissait tout l’espace. C’était une symphonie de mort, de haine, de chagrin… Et peut-être un peu d’espoir, également.

Arpentant les corridors que lui-seul savait admirer par-delà la poussière et le délabrement, tel un roi en son palais, ou rampant parmi les ombres pour mieux se fondre dans cette population éthérée aux baisers glacés, il laissait vagabonder son esprit sur son chemin, au milieu d’un passé jamais totalement révolu. Avec le temps et ses errances à la frontière des siècles enfermés dans ces ruines, sa peau s’était lentement affadie par le manque de lumière. Sur son élégante armature osseuse reposaient une musculature sèche, de beaux atours princiers – bien que rapiécés -, modelant ce visage à l’envie pour en éloigner la ressemblance avec un certain Maître Dragon du Màr Tàralöm. La similitude des traits n’échapperait pas au regard sagace d’un observateur avisé mais la comparaison s’essoufflerait rapidement. Cet être-là, sauvage et hors du temps, n’évoquait plus qu’une pâle copie, un reflet inversé, de ce qu’il avait été jadis, ou de ce frère dont il refusait de prononcer le nom.

Ses yeux habitués à la pénombre constante soulignaient avec avidité les fresques peintes, y trouvant l’écho d'une gloire qu’il voulait sienne depuis toujours. Il ne voyait pas les plantes envahissantes et leurs ravages, ni les reliquats des anciens murs tapissés de trésors artistiques presque entièrement disparus. Sous son regard s’étalaient les merveilles de son véritable foyer, tel qu’il les avait vues dans la mémoire des spectres ou ses propres fantasmes. Cependant, l’amertume rongeait son cœur et pulsait d’une souffrance lancinante car, malgré les ans perdus ici, il ne pouvait ignorer l’état funeste dans lequel reposait son précieux Kaerl. Maudits soient les dieux, il lui restait encore suffisamment de lucidité pour s’en apercevoir.

Elles sont revenues.

Cette pensée émergeait si bien telle une flèche fulgurante dans la brume de son esprit qu’il ignorait s’il s’agissait de la sienne, de celle de son Lié ou même venue d’un fantôme particulièrement servile et alerte. Un puissant afflux d’adrénaline l’envahit tandis que l’elfe solitaire tournait brusquement les talons pour s’enfoncer dans un Màr qu’il connaissait si bien qu’il pouvait s’y perdre les yeux fermés. A travers ce dédale familier, il aurait tôt fait de retrouver le dragon qui partageait miraculeusement ce qu’il lui restait d’âme. Il connaissait les intruses. Elles entraient dans cette catégorie d’êtres méprisables, qui charriaient une légitimité ignominieuse, laquelle faisait mentir la respectabilité des descendants du Quatrième Kaerl. En tant d’années, le royal vagabond qu’il était avait vu défiler ici plus de prétendants et de fous qu’il aurait voulu, qu’il en aurait même rêvé… Celles-ci étaient les dernières de sa longue liste mais pas les moins dangereuses. Si Drazahir avait été un adversaire d’envergure et un véritable tyran qui ne respectait absolument pas le sol sacré qu’il avait souillé, le couple d’Âmes Sœurs qui revenait en ces lieux s’était montré par trop audacieux et avait causé plus de dégâts que toute une armée de maléfices de ce mage noir.

Ombre parmi les silhouettes vaporeuses des véritables habitants du Màr, il n’était plus qu’une incarnation sans failles, aux yeux brûlant d’un feu vert, qui transperçait les souvenirs pour mieux revenir dans un présent honni. Plus il se rapprochait de l’autre facette de sa psyché et plus il regagnait en consistance, s’éloignant de son rêve éveillé, reprenant corps aux côtés d’une gargouille écailleuse qu’on aurait peinte pour mieux la transfigurer en Fils de Flarmya.

Un rugissement outrageusement vivant fendit le chœur des Maudits. Elfe et dragon pressèrent le pas. Ils ne faisaient plus qu’un tandis que le premier enfourchait le second pour un court saut dans le Vide. Le cœur battant à se rompre les côtes, la créature à deux esprits mêlés s’avançait vers la demeure Eleicúran d’un pas qui se voulait conquérant. Au sortir d’un obscur couloir, le museau pointant entre les ténèbres entrelacées, deux paires d’yeux contemplèrent les intruses. Une dragonne à la teinte sans pareille, au charme inédit et digne de la plus chaotique des comètes, près d’une frêle neishaane aux yeux caves dont la pâleur aurait pu la confondre avec un spectre. Toutes deux siégeaient dans ces vestiges telles des reines revenues en leurs terres. Ce constat tira un rictus de pure haine au souverain auto-proclamé du Màr Dìnen.

- Je ne vous souhaite pas la bienvenue.

La voix grave et suave de Métherkan Lysandre Garaldhorf s’éleva, incroyablement inchangée malgré les mois passés dans le silence, tandis qu’il émergeait de l’obscurité. Le Brun Niedesh le suivait de près de sa démarche serpentine. Imprimant un sourire affable sur sa face, celui qui ne s’était jamais considéré comme un Englouti fit surface, son regard pétillant de cruelle malice. Il ouvrit grands les bras, en signe d’hospitalité, si faux avec tant d’emphase. Un pas derrière lui, seule la tête massive du dragon apparaissait sous la fade clarté d’un ciel déchiré de vapeurs délétères. Ses opales étonnamment placides se mouchetaient par intermittence d’étincelles aux couleurs d’un incendie.

- Nous ne nous cachons pas dans l’ombre, chères visiteuses. Nous sommes ici chez nous.


Dernière édition par Persée Garaldhorf le Jeu 7 Jan 2021 - 12:12, édité 4 fois
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MessageSujet: Re: [RP] Ritournelle pour les Damnés   [RP] Ritournelle pour les Damnés Icon_minitimeJeu 25 Juil 2019 - 15:28

Ithildin, bien évidemment, fut la première à percevoir leur approche. Perdue dans des réflexions lointaines, sa Liée errait parmi les allées en ruines, croyant reconnaître dans la disposition des lieux le vague souvenir des jardins autrefois luxuriants qu’avaient parcourus la jeune Arnhilde et sa tante Eir. L’Airain rappela la Neishaane auprès d’elle, d’une pensée ferme mais dénuée de crainte. Prenant son temps, l’ancienne Maîtresse délaissa le poids du passé pour rejoindre l’ombre rassurante de son Âme Sœur, laissant sa main effleurer les écailles à l’éclat changeant et y trouver l’appui nécessaire. Elle orienta son regard dans la direction que fouillaient les yeux ardents d’Ithildin, dans ces ténèbres opaques que crachaient les pierres. Un grondement sourd, lourd de menace, s’éleva des flancs frottés d’argent.

Presque au même moment, deux silhouettes se détachèrent du voile obscur et mouvant qui séparait le présent des temps anciens. Un frisson remonta le long de son échine, et, instinctivement, Amaélis croisa les bras autour de son buste amaigri. L’étranger était grand. Il allait, drapé et couronné d’ombres, au milieu desquelles flambaient la lueur blafarde de sa chair et de deux orbes où dansaient de vives flammes d’émeraude. Du fond de sa mémoire morcelée, elle lui trouva quelque ressemblance avec le Roi nocturne dont parlaient certaines légendes du Nord sauvage. Un souffle rauque, crépusculaire et antique, accompagnait sa venue ; derrière lui, un Brun glissait sans bruit, le cuir aussi terne que les brumes, et son odeur fit se dévoiler les crocs de l’Airain.

Je ne vous souhaite pas la bienvenue.

À mesure qu’il avançait, ouvrant les bras en un simulacre de salut, ses derniers oripeaux de noirceur glissaient de ses larges épaules et s’effaçaient. Amaélis distinguait mieux ses traits acérés, creusés, et elle ne pouvait pas se méprendre sur la nature des mains qui avaient modelé ce visage sombre mais fier. La moquerie suintante dont il faisait preuve, en revanche, laissa sur ses lèvres un goût amer. Et Ithildin, repliée sur elle-même à la manière d’un fauve prêt à bondir, observait la venue de ces deux personnages, méfiante. Elle ne leur céderait pas le moindre morceau de son territoire.

Nous ne nous cachons pas dans l’ombre, chères visiteuses. Nous sommes ici chez nous.

° L’ombre semble en effet vous seoir. ° répondit la Dragonne avec un sifflement de sa langue bifide, faisant passer son regard, brodé de veines rougeoyantes, de l’Elfe au Dragon. Quelque chose dans leur simple présence agaçait son sang capricieux, plus encore que l’aura de la Lande et de son Kaerl Maudit. Amaélis, semblable à elle-même, était incapable de sentir autre chose qu’un distant sentiment d’impatience. Elle n’aimait pas les joutes verbales, ne savait pas manier les mots afin d’en changer le sens. Elle se mordit distraitement la lèvre, puis fit un pas en avant, car elle n’était plus la créature faible qui aimait se terrer dans l’ombre de sa Liée ; celle-là était morte, et il ne subsistait d’elle rien de plus qu’un souvenir vaporeux.

Vous êtes pas le premier à me dire ça, déclara la Neishaane avec une douceur froide, l’esquisse d’un sourire maussade creusant un peu plus ses joues pâles.

Quelques Lunes plus tôt, Mora del Caelan avait voulu lui faire croire qu’elle était la gardienne légitime de ces lieux. Peut-être ce nouveau protagoniste avait-il simplement voulu signifier qu’il avait le droit de hanter les ruines sans rendre de compte à qui que ce soit. Amaélis ne savait jamais réellement à quoi s’attendre, venant des âmes égarées qui peuplaient ce Màr, et elle préféra ne pas tirer de conclusions trop hâtives. Un jour prochain, serait-ce elle qui se prendrait pour la Reine des Maudits ? Elle en doutait ; elle estimait que le Màr était bien mieux ainsi, oublié et endormi, pour l’éternité. Il n’aurait jamais plus de Seigneur.

Quoiqu’en l’occurrence, il se trouve que vous êtes plutôt chez moi, reprit-elle après un pas de plus vers l’Elfe, levant le menton d’un air suffisant. Vous faites ce que vous voulez, je m’en fiche, du moment que vous me laissez faire ce que je veux.

° Mais je n’aime guère me sentir épiée. ° ajouta l’Airain, à mi-chemin entre la plainte et la colère, et ses griffes raclaient doucement contre les vieilles dalles. ° J’ai assez à faire avec les Spectres, je n’ai pas besoin que les vivants s’y mettent. °

Le regard de la Neishaane, trouble comme un océan à l’approche de l’orage, s’était éclairci lorsqu’il se posa à nouveau sur leurs invités inattendus. Elle décroisa les bras afin de se donner une allure moins réservée, solidement campée sur ses deux jambes, envers et contre tout. S’ils devaient cohabiter, d’une façon ou d’une autre, peut-être pouvait-elle au moins essayer de se montrer agréable ? Amaélis avait assez d’une ennemie.  

Je suis Amaélis Eleicúran, et Ithildin est ma Liée. Autrefois, j'étais Maîtresse du Màr Luimë. Et vous ?
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Persée Garaldhorf
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MessageSujet: Re: [RP] Ritournelle pour les Damnés   [RP] Ritournelle pour les Damnés Icon_minitimeLun 14 Oct 2019 - 20:15

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Métherkan Garaldhorf & Niedesh


Le masque de Métherkan Garaldhorf tenait bon. Les rayons gris de Solyae perçant le brouillard ne le flattaient guère mais il tâchait de ne pas s'en soucier. Il se tenait dans toute sa majesté éphémère sur le pas de la porte et ne cillait pas. Un frémissement troubla pourtant l’eau stagnante de son visage figé face aux tirades de son interlocutrice. Le manque d’éducation de cette dernière transparaissait dans sa syntaxe. L’elfe avait cela en horreur. Un véritable héritier du Quatrième Ordre Draconique se devait de se montrer digne du plus pur et du plus glorieux des Kaerls. Que cette péronnelle opaline s’arrogeât le droit de prétendre à ce titre sans en présenter les lettres de noblesse l’horripilait profondément. Il croyait avoir affaire à une mauvaise comédienne, une artiste sans le sou qui ne prenait même pas la peine de s’essuyer les pieds en montant sur scène.

- Bien sûr, minauda l’arrogant seigneur miteux. Vous êtes chez vous ici. Je venais vous présenter mes hommages et faire connaissance, enfin, avec mes charmantes voisines.

Si la présence de l’Airain aurait dû naturellement l’inquiéter – effroyable créature issue d’un cosmos décadent -, il se méfiait davantage de l’apparente fragilité de sa voisine. Il l’avait déjà observée, flairant sa présence en ces murs saints et ne pouvait se défaire de l’impression d’être face à un éclat de glace tombé du ciel. Voilà un monstre à visage féminin dont il devait se garder de le sous-estimer. Car derrière ce faciès de pucelle se cachait assurément les fantômes de la folie. Les paroles de la dragonne étaient agressives mais celles de la neishaane se révélaient dénuées d’émotions, ce qui était bien pire. Celle-là serait difficile à manipuler.

- Pardonnez-moi de ne pas avoir apporté le thé.

Il aurait beau s’offusquer en silence de leurs présomptions et de leurs menaces, Métherkan savait qu’il ne pourrait pas aisément chasser cette femme et sa Liée. Elles ne figuraient pas parmi ses alliées possibles, à l’heure actuelle. Il voyait davantage en elles des rivales et des fauteuses de troubles encombrantes. Il n’avait pas pour habitude de partager. Il avait notamment vécu la tyrannie de l’Ombremage tel un cauchemar éveillé. Et même s’il admettait difficilement son admiration pour Ketesh et ses projets de renaissance, il n’avait pu se résoudre à la considérer comme une alliée, ou même une égale. Tous, jusqu’ici, n'avaient fait que souiller le Màr par leurs manigances et leurs ambitions stériles.

La demeure Eleicúran lui apparaissait soudain étrangère, alors qu’il arpentait sans peurs les ruines du Màr depuis des années. Il pouvait se targuer de connaître tout ce qui constituait la Lande d’Eru mais se sentait aujourd’hui l’intrus, dans ce vieux manoir  délabré, car une dragonne et une fille avaient soudain décidé de le revendiquer. Il détestait ça. Il aurait voulu clamer que tout le Kaerl lui appartenait – car tel était le cas -… Cependant, il ne pouvait pas même se résoudre à approcher le seul lieu de la cité qui aurait pourtant dû être son bastion le plus confortable. L’ancienne demeure Garaldhorf ne lui était pas interdite mais il ne s’y sentait nullement à l’aise, constamment placé sous l’œil sévère et scrutateur de la spectrale matriarche Iriana Garaldhorf, qui contre toute logique le jugeait indigne de siéger dans la maison de ses ancêtres.

- Je me nomme Métherkan Lysandre Garaldhorf, premier du nom, salua le roi mendiant, plus altier et plus poussiéreux que jamais, en une révérence aussi élégante que futile. Et voici mon charmant Lié, Niedesh.

Le charmant Brun restait posté en arrière en sentinelle silencieuse, tel un monstre immobile, impavide, que Flarmya aurait daigné transfigurer par accident en dragon. Le souffle expulsé par ses naseaux ressemblait à des volutes de fumée dans un salon d’opiomane.

- Autrefois, j’étais un Maître Dragon du Màr Luimë. Enchanté de vous rencontrer !

Métherkan n’avait peut-être pas vu la lumière du jour depuis longtemps – son dragon lui apportait la nourriture dont il avait honteusement besoin au quotidien puisqu’il n’était pas encore devenu un être supérieur – mais il savait encore reconnaître ses ennemis. Il ne mentait pas vraiment : il était réellement ravi de découvrir en chairs et en os les deux écervelées qui avaient créé le déséquilibre magique dans son Kaerl. Il ne les laisserait pas filer aisément.

- Bien ! Les présentations sont faites... Faisons connaissance, puisque nous sommes voisins.

Et il s’assit nonchalamment sur le genou de la patte antérieure gauche de Niedesh, un sourire avenant peint sur son visage, démenti par la lueur prédatrice dans ses yeux verts.


Dernière édition par Persée Garaldhorf le Dim 26 Avr 2020 - 17:13, édité 4 fois
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MessageSujet: Re: [RP] Ritournelle pour les Damnés   [RP] Ritournelle pour les Damnés Icon_minitimeSam 23 Nov 2019 - 12:56

Il y avait quelque chose de dérangeant, de dissonant dans l’attitude de l’Elfe sombre autant que dans les inflexions de sa voix. Cela n’avait pas échappé à ses oreilles de musicienne, et Amaélis sentait sa mâchoire se contracter à chaque fois qu’un nouveau mot quittait les lèvres de l’étranger, comme si le son produit était celui de lentes griffures sur une plaque de métal. Maintenant qu’elle se concentrait pleinement sur les inconnus, ayant enfin émergé du marasme poisseux de ses propres pensées qui l’avait autrefois si souvent empêchée de voir, elle se serait presque crue capable de deviner l’odeur de leur âme. Elle le sentait, comme un picotement sous la pulpe de ses doigts : ils n’étaient pas seulement liés au Màr, par le sang ou par dessein. Ils s’étaient perdus en lui.

° Quel triste sort… ° songea la Neishaane, inclinant légèrement la tête sur son épaule, paupières mi-closes pour mieux humer le parfum âcre de poussière et de quelque chose pire que la mort.

Derrière elle, Ithildin continuait de gronder doucement. Les paroles fausses et futiles de l’Elfe n’avaient fait qu’accroître sa méfiance, et dans son esprit, les contours du Brun silencieux ne cessaient de se troubler un peu plus à chaque fois qu’elle tentait de mieux les saisir. Amaélis ne partageait pas sa curiosité ou ses suspicions ; elle se contentait d’observer avec ce détachement inquiétant qui semblait désormais être son seul moteur. Elle ne craignait pas leurs invités – leurs voisins – ni n’était vraiment dérangée par leur présence. Ils parleraient tant qu’ils auraient des choses à dire, puis, vraisemblablement, retourneraient chacun vaquer à leurs occupations.

L’Elfe les salua d’une révérence courtoise, avant de se présenter à son tour. Lorsqu’il reprit mot pour mot la phrase d’Amaélis concernant son passé au Màr Luimë pour l’appliquer à lui-même, l’Errante eut un bref sourire amusé. Le Kaerl Neutre avait-il donc sa propre malédiction ? Ses yeux à l’éclat de l’acier glissèrent de Métherkan jusqu’au Dragon. Au milieu des brumes, il avait l’air d’une chimère qu’un simple soupir aurait pu dissiper. Elle ne reconnaissait nullement en lui les flammes d’un Enfant de Flarmya ; elle ne voyait qu’une tentative erratique, malhabile et contrefaite, de s’approprier leur faste. Cela n’avait rien pour lui déplaire, bien au contraire, et la frêle Neishaane aurait voulu accueillir son esprit au creux du sien, l’y piéger et le regarder s’effriter lentement.

Comme toujours, l’ombre menaçante de sa Liée planait au-dessus de ses rêveries. Elle ne lui parlait presque plus, mais sa voix résonnait avec force entre les maigres parois de ses pensées. Tu te trompes si tu crois qu’un Dragon comme lui t’aurait plus convenu qu’une Dragonne comme moi, était sans doute le message qu’elle souhaitait lui faire passer.

Je m’attendais pas à croiser un ancien confrère ici. Disons que ça vous excuse pour le thé
, déclara finalement la Neishaane, s’avançant à nouveau de quelques pas.

Elle n’avait jamais été très douée pour l’humour, mais si son ton sonnait affreusement faux, son regard clair rayonnait d’une volonté sincère. Amaélis n’avait pas besoin de créer l’illusion ou de jouer les faux-semblants ; elle était une illusion. Sa propre existence ici-bas n’était probablement qu’un vaste simulacre, une erreur que le Destin peinait à corriger. Comment alors aurait-elle pu craindre des étrangers quand elle était l’intruse ? Elle prit appui contre un pan de mur en ruines, les mains derrière le dos, tandis que l’Airain s’allongeait enfin, non sans avoir émis un dernier grognement hargneux. Dans ses larges opales, la couleur du sang se reflétait plus aisément que celle du ciel.

Je suis juste là pour régler une affaire. Nous ne serons pas voisins très longtemps, si ça peut vous rassurer…

La Neishaane toisa un instant la façade ternie et éventrée de la demeure de ses ancêtres. Maintenant qu’elle s’était emparée de son Héritage, qu’elle avait repris ce qui lui revenait de droit, elle contemplait la possibilité de détruire ce bastion de mensonges, d’hérésies. D’en brûler les racines gorgées de haine et de douleur. Ce palais n’avait jamais été une maison pour personne. Elle ne pouvait pas le laisser devenir sa prison ni son tombeau. L’Airain avait eu tort, plus tôt, de présumer qu’elle aurait jamais pu désirer une autre Empreinte. Amaélis était fière, car elle savait que la Dragonne ne s’abandonnerait pas à la Lande, qu’elle ne finirait pas comme cette fade gargouille qui se fondait dans l’ombre de son Âme Sœur.

D’ailleurs, la Neishaane ne laisserait jamais une telle chose se produire, dût-elle plonger le Kaerl entier dans des abysses de ténèbres.

La Maîtresse Déchue passa une main distraite dans ses mèches d’albâtre, lactescentes, avant de reporter son attention sur Métherkan. Le nom de Garaldhorf ne lui était pas inconnu, mais elle ne parvenait pas vraiment à le remettre en contexte.

Depuis combien de temps vivez-vous ici ?
s’enquit-elle, au demeurant peu intéressée par la réponse, une moue sceptique fleurissant sur ses lèvres.
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Persée Garaldhorf
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Persée Garaldhorf


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MessageSujet: Re: [RP] Ritournelle pour les Damnés   [RP] Ritournelle pour les Damnés Icon_minitimeMar 17 Déc 2019 - 17:06

[RP] Ritournelle pour les Damnés Mether10-56d7ee4 [RP] Ritournelle pour les Damnés Shivan10
Métherkan Garaldhorf & Niedesh


Lorsque ses pas l’avaient entraîné pour la première fois à fouler ce sol interdit depuis des générations, Métherkan méritait à peine son titre de Chevalier Dragon. Un titre dérisoire, sans aucune signification, comme s’il suffisait de souder son âme à celle d’un dragon pour mériter un tel respect… La petite forme ailée qui sautillait sur ses talons voyait déjà sa robe s’affadir sous le souffle délétère de la Lande d’Eru, alors que le couple d’Âmes Sœurs en franchissait tout juste le seuil. Si l’elfe n’avait pas hésité longtemps avant de s’engager d’un pas impérieux sur le sentier le menant vers son héritage, le dragonneau avait osé émettre quelques réticences, sans pour autant espérer avoir du succès. Il s’était agi d’une énième tentative, aussi désespérée que futile, pour faire changer d’avis un Lié qu’il ne comprenait pas – du moins pas encore. S’il mettait sur le compte des vapeurs malsaines de la lande son teint pâle et souffreteux, une partie de lui ne pouvait pas se leurrer : depuis l’Empreinte, sa croissance ralentie par un manque d’affection notoire ne facilitait pas la venue d’écailles brillantes et solides sur son maigre cuir.

Il avait vu son Lié, son univers et son foyer incarnés par cet elfe aussi retors que sans cœur, palabrer avec les spectres comme s’il ne s’agissait que d’une réunion d’anciens compagnons d’aventure. Il l’avait suivis tandis qu’il s’inclinait devant de hauts dignitaires décédés depuis des siècles et dont il ne restait que poussières, ainsi que des esprits avides d’être reconnus et glorifiés comme de leur vivant. Il avait pleuré et gémi lorsqu’une immense créature de cauchemar, à la spectrale teinte pourpre, avait osé médire sur son ascendance et regretter de n’être pas sa génitrice pour le punir elle-même. Il avait tenté de fuir, avec la vaine illusion qu’il retrouverait son chemin dans ce dédale en ruines où les souvenirs se ranimaient au fur et à mesure que leur séjour s’y éternisait. Son Lié n’avait guère tardé à le rattraper.

Regarde comme c’est beau, petit frère ! clamait la voix extatique d’un elfe perdu dans ses songes éveillés, au point de s’accrocher à un souvenir bien plus qu’à la réalité. Un jour, ce Kaerl renaîtra et ce sera grâce à moi. A nous. Fais-moi confiance, petit frère, nous y arriverons. Ensemble, nous pouvons tout.

Il y avait cru. Ce jour-là, quelque chose était mort en lui. Une force nouvelle était venue remplacer le feu du Màr Luimë coulant dans ses veines. Et le dragonneau chétif à l’émail imparfait avait grandi en s’acclimatant davantage aux voyages parmi les fantômes et les brumes, plutôt qu’aux doux reliefs de Tol Orëa et de son ancienne maison sous-marine. Le chaos l’avait fait sien et s’il s’y était abandonné corps et âme, tel ce fameux jour où Métherkan avait présenté la lande et sa cité avec leurs plus beaux atours et où lui-même avait sombré dans les iris emplies de folie de son Lié sans une once d’hésitation.

Niedesh, fils de feue l’Argentée Nyptiseh, n’était peut-être qu’une réincarnation d’une âme esseulée du Màr Maudit. Il pouvait y croire. Ici, le passé et l’avenir n’avaient plus guère d’importance. Il suffisait d’exister pour chambouler la trame du temps. Dans les larges opales blanches du dragon se nichaient la même folie que celle de son Lié. Il avait seulement mis un peu plus de temps avant de l’accepter.

Lorsqu’il contemplait l’Airain, fille de rien du tout bien plus que du chaos, il ne voyait qu’une dragonnelle perdue, affranchie des entraves du monde tel qu’il était connu depuis des siècles sur Tol Orëa et qui aurait dû disparaître dans le néant d’où elle avait émergé. Il promenait son insondable regard sur l’émail étranger et virginal de toute affiliation qu’arborait la robe d’Ithildin. Le Brun dévisageait une aberration de la nature, sans lui porter ni sympathie ni animosité, pareille à la contemplation d’un chat mort sur le bord du chemin : avec la même curiosité nuancée d’indifférence, celle d’un individu détaché de la réalité.

- C’est vraiment dommage, renchérissait l’ombre d’un Garaldhorf avec le même entrain que précédemment. J’ai pourtant un magnifique service à thé chez moi. Vous devriez venir le voir à l’occasion. Ce serait un plaisir !

Du point de vue du Brun, l’elfe avait toujours été doué pour faire la conversation. La main de Métherkan vint flatter son poitrail. En apparence, le geste était anodin. Niedesh s’était habitué aux morsures glacées des spectres, au noir absolu des souterrains, aux meurtrissures de l’infamie et du désintérêt, autant qu’aux caresses sibyllines de son Lié. Ils avaient élaboré tous deux une communication unique, issue d’une symbiose dysfonctionnelle mais fusionnelle. Pensées et sens en permanence connectés, leurs deux esprits ne formaient qu’un. Quelques fois, l’un s’égarait dans la folie de l’autre mais, toujours, ils communiquaient dans un silence parfait.

Niedesh ressentait l’hostilité latente de son Lié pour les deux femelles face à eux. Il ne les appréciait pas non plus. De fait, il ne ressentait pas grand-chose à leur égard, si ce n’était une vague contrariété. La mémoire brisée transmise par ses aïeux déclenchait parfois de violentes migraines. Aujourd’hui, il sentait ses entrailles se nouer et une fébrile impatience, parfaitement inconvenante, venait troubler ses pensées. Plus il regardait cette arrogante dragonne à la robe disgracieuse mêlant des couleurs dangereuses, plus les images d’un vol tout aussi périlleux envahissaient sa conscience. Métherkan le sentait, lui aussi. La pression de la main de l’elfe s’accentua contre les écailles du dragon. Niedesh ne voulait pas décevoir son Lié. Il représentait tout ce qui le rattachait à la vie et à ce monde.

- Restez autant de temps qu’il vous plaira, mesdames. Cette demeure est vôtre, souligna Métherkan en camouflant son amertume sous son éternel sourire affable. Le Màr est toujours heureux de voir le retour de ses enfants.

A en juger par l’écarlate de son regard, l’Airain ne semblait pas en accord avec les événements. Peut-être était-ce la couleur naturelle de ses prunelles mais Niedesh en doutait. Il n’avait pas quitté les Kaerls des vivants depuis assez longtemps pour oublier à quoi ressemblaient ses pairs. Quant à la dénommée Amaélis, Métherkan ne la quittait pas des yeux. Il sentait la méfiance grandir dans le cœur de son Lié. Un ouragan se préparait.

- Le temps est une notion versatile ici. Il ne signifie plus grand-chose, répondit le roi mendiant en roulant des épaules. Disons que cela fait suffisamment longtemps pour savoir quels fantômes sont de bonne compagnie ou quels couloirs effondrés vaut-il mieux éviter… Assez pour savoir que le trou béant dans le tissu de la réalité n’a pas été semé par le vent mais pas des mains ignorantes…

Le sourire était devenu froid, le visage figé. Un grand froid gagna Niedesh qui, sans quitter sa posture initiale, banda tous ses muscles, paré à toute éventualité. Dans les yeux émeraude de Métherkan tournoyait une bête tourmentée, chaotique et plus affamée que jamais.


Dernière édition par Persée Garaldhorf le Dim 26 Avr 2020 - 17:14, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: [RP] Ritournelle pour les Damnés   [RP] Ritournelle pour les Damnés Icon_minitimeMer 18 Déc 2019 - 20:55


Le sourire de l’Elfe lui glaçait autant le sang qu’il allumait dans ses veines un flamboyant brasier de haine, lui faisait l’effet d’une démangeaison impossible à soulager. Il ne la quittait pas des yeux et, en retour, Amaélis tentait de ne pas baisser la tête afin de garder son malaise secret. Les galanteries trop faciles glissaient sur elle comme une pluie d’automne. Elle n’était pas amusée par la complaisance de l'ancien Englouti. Et puis, soudain, sa voix avait pris une inflexion plus grave, plus terrible. Avait-il enfin décidé de se débarrasser de son masque ? L’idée la laissait transie d’inquiétude et d’appréhension, mais lui semblait également préférable aux civilités hypocrites. Haussant les sourcils, la Maîtresse déchue ouvrit la bouche et se tassa un peu plus contre le mur :

Eh bien, ne vous ai-je pas dit que j’étais là pour régler une affaire ?

Les bras fermement croisés autour de son buste maigre, la Neishaane maintenait sa tête haute, les lèvres retroussées en un sourire ambivalent. Dans les profondeurs liquides de ses iris, là où sûrement les étoiles mêmes venaient mourir, flottait l’ombre d’une menace indicible. Son ton, clair et mutin, s’égrenait en arpèges mystérieux. Outrée par les sous-entendus de Métherkan, elle l’était certainement, mais pas assez pour lui en tenir rigueur. En vérité, elle se trouvait lasse de ces petites querelles mesquines qui refusaient de dire leur nom, et qui n’avaient pour but que de définir un rapport de force entre deux êtres. À quoi bon ? Elle avait vu ce que personne sans doute avant elle n’avait jamais eu l’occasion de voir, et elle savait. Ils n’étaient rien ; pas même des insectes s’agitant vainement sous l’œil de Dieux implacables, pas même le plus modeste grain de poussière dans la roue éternelle du temps.

Ils n’étaient qu’un amas de particules errantes, soufflées au loin par les grands soupirs d’astres dont ils ignoraient tout, et que le hasard avait fini par entremêler jusqu’à leur donner un semblant de conscience. Sous son épiderme, elle pouvait encore sentir le frémissement lumineux et ancestral des constellations et des nébuleuses. Il aurait dû s’agenouiller devant elle, lui qui la prenait pour une ignare, qui ne la considérait guère mieux que le reste de la vermine attirée par le Màr ; mais à quoi bon ? La Neishaane aurait pu faire payer chaque personne ayant jamais eu l’audace de la dénigrer ou de la blesser, elle aurait pu se venger des Dieux – mais elle n’en ressentait plus l’envie que par secousses bien vite dissipées, comme s’il y avait encore eu en elle quelque barrière assez résistante pour endiguer la terrible marée montante. Elle pencha légèrement sa tête en arrière, son sourire insolent se flétrissant jusqu’à n’être plus qu’une ombre triste dans l’albâtre de ses joues.

Avec une lenteur mesurée, Amaélis leva les bras pour contempler ses mains, faisant onduler et tourner ses poignets autour des volutes de brume, le regard perdu dans le jeu des ombres contre sa chair. Ces mains sont moins ignorantes aujourd’hui qu’elles ne l’étaient hier, déclara la jeune femme d’une voix trouble, cessant tout mouvement, reportant son attention sur l’Elfe qu’elle dévisageait maintenant à travers ses doigts écartés. Je n’suis pas revenue pour jouer avec les puissances du fond des âges ; je suis venue pour les renvoyer là où est leur place.

Elle laissa ses bras retomber le long de son corps, comme une marionnette dont on aurait coupé les fils. Je sais qu’il est mal vu de déranger le silence des Maudits, conclut-elle, oscillant d’un pied sur l’autre, et son visage se tourna en direction des lourds lambeaux de fumée qui flottaient au-dessus des toits déchiquetés du Kaerl. Leurs ténèbres se reflétaient dans ses yeux aussi sûrement que le fanal d’un phare, grossissaient ses pupilles jusqu’à leur donner la forme et le pouvoir des trous noirs. Ses lèvres tremblantes s’entrouvrirent sur un profond soupir, et elle dut serrer la mâchoire pour parvenir à s’arracher à la contemplation de son œuvre sacrilège.

N’avez-vous pas été tenté de voir au-delà ? Demain, on pourrait tous être morts… susurra l’Errante, frottant distraitement la peau sèche de ses lèvres du bout de l’ongle ou mordant délicatement son pouce, laissant son regard brumeux, écarquillé et avide, glisser le long des traits de l’Elfe. Ce qu’elle lisait dans ses yeux lui donnait des sueurs froides, faisait naître dans son dos de lancinantes traînées de frissons, et une partie d’elle s’en réjouissait. Si elle trouvait la bonne tonalité, alors peut-être… N’avez-vous pas été curieux, pas même une seule seconde… ?

° Arrête ! Tu en as déjà trop dit. Lui, Mora… Ils essaieront tous de te voler tout ce que tu sais ! ° gronda soudain l’Airain, s’immisçant dans l’esprit de la Neishaane avec toute la douceur d’un vent de tempête, la forçant à se taire. Amaélis se mordit la langue, laissant la fin de sa phrase se perdre dans une expiration craintive, juste avant qu’un rire léger ne secoue sa poitrine. Elle coula une œillade amoureuse en direction de la Dragonne, repliée sur elle-même, prête à bondir, panique et colère ruisselant dans ses larges prunelles comme un torrent de lave incandescente.

Depuis le début de cet étrange entretien parmi les ruines, Ithildin avait senti peser sur elle et sur chacune de ses écailles l’attention malvenue du Brun. De lui, elle ne percevait rien ; comme s’il n’avait été qu’un Spectre de plus à arpenter la défunte plaine, qui aurait eu pour dernière lubie de suivre les pas d’un vivant. Elle l’observait en retour et n’en concevait que de la peur, ainsi qu’une forme de pitié amère qui lui brûlait les entrailles. Chaque seconde qui passait renforçait son désir de les tuer tous les deux, l’Elfe et son Dragon sans substance. Elle ne comprenait pas l’indifférence, avait été habituée à être détestée, crainte ou révérée. Inconsciemment, sous le regard de Niedesh, elle faisait miroiter les reflets impossibles de son cuir, tout en continuant de gronder faiblement, de projeter son esprit à la rencontre de l’autre – sans succès. Elle qui souffrait de n’avoir pas connu ses frères, puis de les avoir perdus, ne pouvait pas envisager les tourments qu’avait dû subir le Brun avant d’être totalement vidé de son essence.

Ithildin dardait à présent sur sa Liée trop imprudente un regard sans équivoque, crocs apparents, mais cette dernière était capable de le soutenir désormais. Elle n’avait plus peur. Elle n’aurait plus jamais peur, car elle avait sacrifié son âme pour devenir le parfait rejeton de sa famille Maudite. « Sans espoir, ni sans crainte. ». La Maîtresse déchue quitta sa posture défensive et s’approcha de Métherkan, vacillante comme la flamme d’une bougie malmenée par un courant d’air, mais déterminée à ne montrer aucune faiblesse.

Cela étant dit, je pensais qu’on faisait connaissance. Vous êtes passé bien vite aux accusations, Seigneur Garaldhorf, siffla-t-elle entre ses dents, se haussant sur la pointe des pieds pour mieux affronter l’Elfe. Elle s’en voulait de s’être d’abord laissé impressionner. Si votre thé a le même goût que vos paroles, comptez pas sur moi pour venir le prendre chez vous.
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Persée Garaldhorf
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MessageSujet: Re: [RP] Ritournelle pour les Damnés   [RP] Ritournelle pour les Damnés Icon_minitimeLun 23 Déc 2019 - 17:44



-  Allons, je ne vous accuse nullement, Dame Eleicúran, renchérit le souverain auto-proclamé d’un cauchemar. Nous sommes tous deux de plein droit des enfants du Màr. Il est légitime que je me renseigne sur mes voisins, de même qu’il est de mon devoir d’enquêter sur les événements pouvant mettre en péril la cité.

Qu’il était malaisé, pour cette âme noyée de ténèbres et de flammes, ni vraiment elfique ni vraiment draconique, plus morte que vive, de masquer son dégoût des vivants. Sa haine de tout ce qui vit et qui croît à l’extérieur des ruines dont il avait fait son palais autant que sa prison. Elle était capable de se transfigurer des sentiments et de converser, comme tout un chacun. Cependant, il y avait un abîme, que rien ne saurait effacer ni remplir, qui la séparait de ses semblables. Un véritable trou noir. Cette âme se gorgeait de l’essence maudite d’un Kaerl tout entier et avait fait de sa propre souffrance un vecteur de pouvoir. Il n’y avait plus grand-chose de l’elfe et du dragon en elle. Tout juste une enveloppe de chairs et d’os, mollement déposée sur une ossature depuis longtemps perdue dans les méandres tortueux du temps.

Métherkan démontrait un calme souverain. Il brûlait de chasser ces intruses et de détruire leur souvenir mais, hélas, depuis leur arrivée en ces lieux, elles avaient fait siennes les ruines de la Demeure Eleicúran. Et il y était devenu un étranger avant même de songer à explorer en profondeur l’ancienne maison de cette famille autrefois prospère et respectée. L’aura de la jeune Amaélis était chargée de tension, pareille à une tempête prête à crever le ciel. Sûrement, les ancêtres de sa famille verraient d’un mauvais œil que l’héritier Garaldhorf ne vienne briser leur quiétude en s’attaquant à leur – probable – dernière descendante. Alors Métherkan faisait bonne figure. Il excellait à ce jeu.

La petite neishaane au regard fixe le narguait avec insolence. Que dire : avec tout l’aplomb d’une héritière du Màr et il s’en mordait les doigts. Il avait senti dès le départ qu’elle ne devait pas être sous-estimée et il avait eu raison. Qu’il aurait préféré le contraire ! La noirceur de son aura enveloppait chaque parcelle lactescente de cette maigre poupée de chairs. L’envie, de l’écorcher vive et d’exposer son cadavre sur le seuil du Kaerl, lui tordait les entrailles. Avec un peu de chance, il aurait pu boire son âme jusqu’à la lie, ou se l’imaginer et son sang répandu aurait été du plus bel effet. Il aurait voulu la jeter, elle et son Airain, dans le gouffre béant entre les mondes qu’elles avaient ouverts, pour mieux contempler leur essence en train de se consumer dans le grand vide. Si exquise Amaélis Eleicúran, de toute beauté, songeait-il en cherchant à regarder son âme cachée sous les dégradants oripeaux de la neishaane.

- Vous venez de vous vanter d’être à l’origine de ce maléfice. Je ne vous en félicite pas.

Sa voix charriait un blizzard dévastateur. L’émeraude de son regard, assombri par les ténèbres et la folie, prenait l’éclat du diamant. Sur ses traits creux s’imprimaient la dureté et le tranchant qui transparaissaient dans chaque mot prononcé. Le roi mendiant s’exprimait avec sa voix de commandement, prêt à déclamer la sentence. Il ne laisserait personne le priver de son héritage.

Il jeta un bref coup d’œil à la dragonne impossible, avant de reporter – tout aussi brièvement – son attention sur son propre Lié. Jadis, il avait soupiré de dépit à de nombreuses reprises en contemplant le reflet supposé de son âme, offert par Flarmya sur des sables impurs. Il aurait préféré être lié à un Bronze ou peut-être à un Empereur Noir. Il avait néanmoins vite compris que chaque dragon était unique et se révélait tout aussi imparfait qu’un bipède, aussi s’était-il contenté du Brun jusqu’à le modeler à son image. Il le couva d’un regard empli d’une sereine satisfaction. Aujourd’hui, il demeurait sa plus belle réussite.

Tel un pantin désarticulé qui retrouverait inopinément l’usage de ses fils, le rigide dragon sans reliefs s’anima. A son essence se mêlait irrémédiablement celle de son Âme Sœur ; à ses pensées s’entrecroisaient celles de son tyran des songes et d’âme. Jusqu’à ne faire plus qu’un. Le Brun avait depuis longtemps perdu sa voix au profit d’une nouvelle obscurité. Il ne communiquait d’ordinaire jamais, sauf avec son Lié et de cette manière si particulière, bien à eux.
Bien qu’il restât assis sur son postérieur, pareil à un sphinx grossièrement taillé, il écarta légèrement ses ailes. La timide clarté des lieux rayonna à travers le fin voile de ses membranes, à l’image d’une fenêtre ouverte sur mille promesses. Il susurrait à l’esprit d’Ithildin un chant silencieux, caressait son émail par la pensée, sans que ni ses prunelles reflétant mal le bleu du ciel ni sa gueule au sourire plein de crocs ne révélassent le moindre son ou la plus petite émotion. Les mots n’étaient ni ceux de Métherkan ni ceux de Niedesh : ils appartenaient à tous deux, ou à personne, ou peut-être même à des milliers de spectres avides d’amour et de vengeance. Un léger mouvement de balancier, de gauche à droite, agitait son corps malingre. Sa queue serpentait sur le sol au même rythme. Il ne voyait qu’elle, Ithildin, la comète furieuse, sur la voie lactée de ses pensées. Il murmurait le rêve d’un vol éternel, par-delà les étoiles, dans le sang et la violence, tissant un cocon autour de sa promise. Sans que jamais sa voix ne s’élevât.

Soudain, Métherkan reprenait un air jovial, d’une sincérité effrayante si on le comparait au précédent. Sur une musique connue de lui seul, il se déplia, plus souple et gracieux qu’en apparence, avec l’arrogance tranquille du chef d’orchestre dirigeant la plus grande symphonie de tous les temps. Charmeur, hypnotique, l’inoffensif elfe seulement armé de son verbe habile, se rapprocha d’un pas de sa rivale. Il plongea ses iris dans les siens sans même frémir.

- Si vous n’aimez ni mon thé ni mes paroles, peut-être aimeriez-vous mon savoir. Je pourrai le partager avec vous. Je ne suis pas sot. Après tout, ma chère, nous sommes en quelque sorte apparentés. J’ai vu beaucoup d’ignorants se presser ici, affirmant être les héritiers de ce Màr et en revendiquer la puissance. Ils étaient aveuglés par leur égoïsme et leurs désirs si ridicules… Ils ont tous été détruits par ce fol orgueil. On ne dompte pas cette bête-là : on l’apprivoise patiemment, on la  nourrit mais on ne lui tourne pas le dos sous peine de finir entre ses crocs.

Se penchant vers le sol, il en ramassa à sa surface une poignée de poussière puis se redressa. D’un geste élégant, il ouvrit sa main et souffla pour faire s’envoler ces fines particules dans l’air. Les minces rayons de soleil traversant les ombres et les ruines firent voler en suspension ces minuscules astres argentés. L’elfe avait courtisé bien des fantômes, retrouvé les os des dragons pour les rendre à leurs éthérés orphelins pour s’en faire des alliés, jusqu’à vendre son âme au pire d’entre tous. S’il n’avait pas encore accès à tous les savoirs amassés dans ces vestiges, il n’était plus cet étourdi qui se nourrissait de rêve et de revanche. Celui-là était mort dans la gueule du Kaerl. Il claqua des mains dans un geste théâtral. L’air se figea. Et soudain, une lumière chaude et dorée emplit les lieux, où valsaient mille formes éthérées, tantôt bipèdes tantôt dragons, au milieu des rires et du brouhaha confus de la vie. Le trou bouillant de ténèbres dans le ciel n’en parut que plus sombre et dangereux. Au milieu de ce fastueux décor, Métherkan naviguait parmi les souvenirs avec une aisance rappelant le vol nonchalant d’un dragon en terre conquise. Toujours en transe, prisonnier de sa danse, Niedesh lui-même paraissait plus chatoyant, plus beau.

- J’aurais été prêt à partager beaucoup de choses avec vous, Amaélis Eleicúran, poursuivit l’elfe au sourire doucereux – presque trop normal pour une telle occasion -, en répétant son nom telle une invocation. Vous me paraissez bien plus digne de l’honneur de faire partie des héritiers du Màr Ilmarë que n’importe lequel de ces inconscients. Cependant, vous avez joué avec des forces qui vous dépassent. La puissance n’est rien si elle n’est pas maîtrisée, ce Kaerl en est la triste preuve. Il avait tout à vous offrir et vous l’avez mutilé, sans faire cas des trésors qu’il renferme. C’est regrettable.

Il avait appris déjà tant de choses des spectres et des reliquats cachés dans les entrailles de la forteresse… Mais il enrageait de ne pas tout posséder encore. Le savoir de ses propres ancêtres lui était interdit, car l’accès lui était barré par la matriarche elle-même. Iriana Garaldhorf l’empêchait d’approcher de l’ancienne demeure de ses aïeux et il la craignait assez pour ne pas passer outre son autorité. Aurait-elle préféré son frère comme successeur ? Cette pensée manqua le faire grincer des dents. Avait-elle peur de son héritier ? Il en doutait. L’inflexible douairière se montrait peut-être jalouse de la vie qui animait son descendant, une vie qu’elle ne posséderait jamais plus, à moins qu’elle ne lui envoyât une épreuve à surmonter pour prouver sa valeur. S’il fallait sacrifier la Chevalière et son Airain dans le processus, il s’exécuterait avec joie. Il n’en oubliait pas pour autant son principal grief.

- Je ne veux rien venant de vous. Réparez votre erreur, dit-il en dardant sans ciller son regard dans celui de sa consœur. Puis partez ou restez : cela ne m’intéresse pas. Mais votre affaire est devenue la mienne dès le jour où vous avez percé le tissu de la réalité par fantaisie. Je vous aiderai à ôter ce maléfice si vous me le demandez.  

Sans savoir s’il ne s’agissait que du ballet des réminiscences d’une autre époque ou de véritables ectoplasmes savourant un regain d’illusoire vitalité, certains de ces derniers tournèrent leurs regards, mi curieux mi hostiles, vers ceux qui troublaient leurs festivités.


Dernière édition par Persée Garaldhorf le Dim 26 Avr 2020 - 17:14, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: [RP] Ritournelle pour les Damnés   [RP] Ritournelle pour les Damnés Icon_minitimeMer 1 Jan 2020 - 16:47


À travers elle, entourant sa frêle silhouette, ondulaient doucement les fréquences diffuses et distantes de ses ancêtres, brouillant les contours de qui elle était vraiment. Ni là, ni absente, elle faisait face à Métherkan, à son ombre qui grossissait pour mieux l’engloutir.

Je n'me vante pas. Tout ça… ça n’a jamais été mon intention. Et ça restera pas là indéfiniment ; je pensais simplement que vous auriez pu être intéressé, fit-elle, imperturbable sous le souffle mordant de l’Elfe, toujours sans baisser le regard. Puisque j'y suis allée et qu'j'en suis revenue, je vais vous dire un secret : en vérité, il n’y a rien.

Amaélis éclata de rire, quelques maigres trilles cristallines qui résonnèrent une éternité entre les ruines, et en profita pour enfin détourner son visage, cachant la panique qui dévorait lentement toute lumière dans ses yeux. Sa poitrine se soulevait au rythme de sa respiration laborieuse. Si son arrogance lui murmurait qu’elle n’aurait plus jamais rien à craindre, elle n’irait pas jusqu’à commettre l’erreur de mal juger son adversaire. Brièvement, il s’était dévoilé : noir et autoritaire, un abîme insondable mais cruellement familier au fond de ses iris. Quel chaos, quels trésors de tourments et quels mystères s’y cachaient qu’elle aurait pu exhumer ? Ses ténèbres auraient-elles eu un goût rassurant, connu ? La curiosité menaçait d’étouffer les dernières voix de sa raison – parmi lesquelles se trouvait encore celle d’Ithildin, vibrant d'une peur nouvelle dont Amaélis chercha instinctivement la cause.

Du coin de l’œil, elle remarqua l’étrange danse de Niedesh, ses ailes translucides à moitié ouvertes en une invitation incertaine. Le temps d’une pensée, elle partagea l’embarras de sa Liée – tiraillée entre l’aversion et cette forme de pitié trop profonde pour être correctement comprise, qui lui déchirait le cœur. Tout contre son âme, l’esprit du Brun – ou ce qu’il en restait – avait entonné un chant particulier. Lourd et collant comme de la poix, il s’incrustait sous ses écailles et la brûlait de part en part. Il parlait un langage qu’elle comprenait mais qu’elle refusait d’entendre. Elle aurait préféré s’envoler, fuir, quitte à laisser sa Liée s’évanouir avec eux dans les méandres de vestiges et de brumes dont ils avaient fait leur demeure. La Dragonne sentait le désir naissant de son Âme Sœur, aussi tordu et embarrassant qu’il savait l’être ; elle sentait celui, diffus et multiple, impersonnel, que charriait la mélodie de son improbable prétendant. Elle ne pouvait aspirer à les comprendre ni à s’y abandonner ; les passions de l’Airain demeuraient secrètes même aux yeux de sa Liée. Dans le secret de sa mémoire, ses regrets et sa honte partageaient la même couleur de vieux bronze.

Elle accrocha fugitivement le regard d’acier d’Amaélis – si belle, si salement corrompue. Cette petite garce n’avait probablement jamais couru après sa renaissance que pour mieux savourer le plaisir d’être détruite à nouveau.

° Laisse faire. On a besoin d’eux. ° lui intima-t-elle en esprit, et vue d’ici, il sembla à la Dragonne que son Âme Sœur s’était muée en incendie.
° Tu le regretteras. °
° Il ne me connait pas. Il est comme tous les autres. Il ne voit que ce qu’il veut bien voir. °

De cela, la Neishaane était certaine. Elle laissa ainsi l’Elfe s’approcher sans esquisser le moindre mouvement de recul, puis son regard d’émeraude sombre plonger dans le sien. Une fièvre inquiétante léchait sa nuque, faisait scintiller sa peau pâle sous son haleine ardente. Comme subjuguée, la Chevalière Errante se pendait sans remords aux lèvres du faux seigneur, ignorant les anneaux potentiellement mortels qui se refermaient autour de sa silhouette délicate. Elle ne disait rien, mais ses yeux criaient ouvertement son envie d’en savoir plus. Quand l’air autour d’eux se peupla de vagues échos de rires et de conversations, de vieilles notes de musique déformées par le temps, Amaélis ne put retenir un soupir émerveillé. Elle savait, pourtant, que ces souvenirs n’avaient pas leur place ici. Lorsqu’elle avait arpenté les jardins de ses ancêtres durant son voyage dans l’Ambre-Âme, le monde s’était révélé à elle en nuances de bleu, de vert et de gris ; infiniment solitaire. Il n’avait pas cette atmosphère tiède et chaleureuse, dorée. Elle leva les mains comme pour mieux sentir la consistance de l’air, les paupières mi-closes.

Abattue, un vent de défaite semant dans ses larges iris des traînées de cendre austères, Ithildin inclina son cou jusqu’à reposer sa tête sur ses antérieures. La riche lumière fauve des souvenirs ruisselait le long de ses écailles, se déversait en trombes dans l’air figé comme au travers de vitraux colorés, dissipant les brouillards et les fumées. Parmi les rayons fantomatiques, Amaélis se tenait sans faire cas des Spectres paradant autour d’elle, une fine poussière ambrée, chaude, incrustée dans les pores de sa peau, tandis qu’elle avait de nouveau croisé les bras sous sa poitrine, suivant du regard les déplacements de l’Elfe. Contempler sa Neishaane ainsi nimbée d’or évoquait chez la Dragonne des visions pas si lointaines, dans lesquelles sa Liée était seule, dévorée par des flammes avides – mais elle était plus insatiable encore, et elle ne brûlait jamais totalement. Cette image était imprimée dans sa mémoire, comme un phosphène sur sa rétine pour avoir osé regarder un astre à l’œil nu.

Ithildin, lorsqu’elle la voyait de la sorte, songeait que peut-être, Amaélis n’avait jamais véritablement eu besoin d’elle. Que tout, depuis le début de leur histoire, depuis le début de cette lutte insensée entre elles – que tous leurs choix, tous leurs enfers – n’avaient fait que les mener à cet instant précis, où l’Airain devait finalement s’avouer vaincue, incapable de contenir plus longtemps la tempête qu’elle avait participé à provoquer mais dont elle n’avait jamais été la créatrice, dont elle n’avait jamais été le maître. Et ensuite, que se passerait-il ? Dans un coin de son esprit, l’ineffable et implacable mélopée que lui chantait l’âme perdue du Brun s’amplifiait, la poussant un peu plus loin dans ses retranchements, et elle se blottissait contre elle-même pour ne pas perdre de vue la dureté – réelle – de sa propre existence. Elle refusait ne serait-ce que de lever les yeux vers l’autre Dragon, de peur de céder aux sortilèges des Maudits, ou de voir se refléter dans ses grandes opales vitreuses une promesse trop séduisante à laquelle elle n'aurait pas su résister. Celle d'un ciel où il n'y aurait eu qu'elle. Le dégoût viscéral qu’elle ressentait se mêlait aux effluves feutrées des modestes mais néanmoins vénéneuses inclinations d’Amaélis.

Je suis désolée. J’ai été aveugle, trop pressée. Tellement naïve. J’aurais pas dû jouer avec les puissances endormies sous la terre. Mais je vais me racheter. Cette fois… Je vais me racheter, promettait la Neishaane d’une voix frémissante, le regard perdu dans celui de Métherkan sans pour autant sembler s’adresser à lui.

Aucun rôle ne lui seyait mieux que celui de la proie innocente, si faussement vulnérable en apparence. Cela, même les Spectres avaient dû le remarquer, car trois demoiselles éthérées rompirent les rangs pour venir l’entourer. L’une déposa sur les épaules de la Neishaane une ébauche de voile où l’on devinait le tracé irisé de vieilles constellations ; les doigts de l’autre s’affairaient dans sa nuque pour attacher le fermoir d’un ras de cou en perles noires ; la dernière faisait mine de l’attraper par les poignets afin de l’entraîner dans leur danse. Avec un sourire aussi clair que l’aube, Amaélis se laissa séduire, guidant sa compagne vaporeuse par les hanches, s’effaçant doucement dans un tourbillon de tissu et de poussière au milieu du ballet des Maudits. Le contact frais et illusoire de ces bras chimériques autour de son cou lui rappela les misérables, déchirantes caresses de Lam’ et le désespoir lui tordit les entrailles. D’un mouvement nerveux, la Neishaane repoussa sa cavalière assez violemment pour en disloquer la forme, s’attirant l’attention haineuse des témoins. Elle s’avança à travers les lambeaux de brume qu’elle chassait d’un revers de la main, et le vernis du beau tableau des temps anciens parut s’écailler autour d’elle, révélant par bribes un présent monochrome et pourrissant.

Vous me proposez votre aide, vous me proposez votre savoir mais vous ne voulez rien de moi ? Le précieux voile éphémère glissa de ses épaules en même temps que les perles fondaient contre sa peau. À l’ombre de ses cils, elle observait avec candeur le visage de l’Elfe, fouillait son regard à la recherche d’une faille. Il avait été menaçant, puis de nouveau flagorneur – si ses jeux de mots et artifices pouvaient bien fonctionner à la cour, Amaélis n’y voyait qu’une forme discrète d’humiliation. Elle s’approcha un peu plus, juste assez pour toucher du bout des doigts la lourde aura de haine que Métherkan dissimulait à peine derrière son attitude conviviale. Quelque chose en elle, qui ne lui appartenait pas encore totalement, s’agitait et se débattait, lui commandait de provoquer son adversaire afin qu’il puisse goûter à son pouvoir – car c’était bien cela qu’il devait désirer, non ? Cette perspective était d’autant plus grisante qu’elle était tout à fait déplacée, mais la Neishaane avait pour habitude de se satisfaire de son imagination, aussi recula-t-elle d’un pas.

Croyez-le ou non, ça me gênerait de vous demander quoi que ce soit si je peux rien faire pour vous en échange. J’aurais l’impression d’avoir une dette envers vous – et franchement, je connais pas de sentiment plus détestable.
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MessageSujet: Re: [RP] Ritournelle pour les Damnés   [RP] Ritournelle pour les Damnés Icon_minitimeVen 21 Fév 2020 - 16:11



Mensonges, mensonges, mensonges…

Les voix chuchotaient furieusement aux oreilles effilées du seul vrai héritier du Garald. Il ne pouvait ni les fuir ni leur opposer ses arguments. Elles n’écoutaient pas. Jamais. Elles n’étaient que les échos d’une danse depuis longtemps oubliée et qui se faisait le miroir du réel. Dans les murmures du Kaerl des Astres, celui qui avait rêvé depuis toute éternité à ériger un pont entre le ciel et la terre, il croyait percevoir une vérité perdue. Il entendait ce qu’il lui manquait. Il écoutait ce qu’il ne savait pas encore. Toutes les voix lui susurraient depuis si longtemps leurs pensées qu’il les avait faites siennes. Il s’était immergé si profondément dans la magie et les souvenirs de ce rêve éveillé qu’il en devenait capable de suivre les fils et d’y discerner le vrai du faux sans l’ombre d’un doute.

Niedesh, le fils de la sage Argentée Nyptiseh, aurait su lui objecter que les spectres pouvaient eux-mêmes mentir, ou croire si bien à leurs propres menteries qu’ils auraient pu persuader un dieu en personne de leur bon droit. Hélas, ce dragon était mort. Des cendres de sa raison s’élevait à présent Niedesh le Silencieux, celui qu’on ne pouvait briser pas plus qu’on ne pouvait lui mentir, puisqu’il n’y avait plus rien en lui à corrompre.

Pour un peu, Métherkan se laissé prendre à son jeu. La petite silhouette éthérée lui semblait une pâle copie d’être vivant. Elle s’agitait, riait, mordait, gémissait comme le ferait n’importe quelle jouvencelle à l’esprit trop fragile pour appréhender la grandeur. Elle pleurait sur sa faute et il se délecta de son repentir. Il y avait bien eu ses paroles sur le Vide, pour le laisser troublé et faire accélérer de manière détestable son rythme cardiaque. Il avait osé jeter un coup d’œil au maléfice, à ce trou béant ouvert dans la réalité et qui paraissait aspirer toute lumière, toute vie aux alentours. Un regain de jalousie dévorante lui brûla le palais. La péronnelle affirmait avoir vu ce que personne n’avait vu ; c’en était trop pour lui. Son regard fuit l’abîme. Il craignait de s’y perdre ou pire : d’y voir son reflet. Il redoutait l’attraction qu’exerçait ce trou noir sur son esprit car, peut-être par fragments, il lui ressemblait.

Il la regarda danser parmi les souvenirs, parmi ses alliés de toujours, tel un pantin dont on se disputerait les fils et il sourit. Il dirigea son regard vers l’Airain. Sa satisfaction de voir la dragonne acculée dans ses derniers retranchements, tant son attitude évoquait un animal blessé, lava ce qu’il restait de son envie. Au sein de son Màr natal, il demeurait tout-puissant. Il était ici chez lui.

Cependant, Amaélis avait fini de jouer. Revenue de son bain parmi les fantômes, elle brisa le rythme languide de la valse et revint vers l’elfe sombre. Les présents s’effaçaient déjà. Les demoiselles sans nom chuchotèrent son nom, essayèrent de la retenir mais chaque mouvement de main de la neishaane ouvrait une plaie dans ce paysage chatoyant. Les spectres reculaient, fixaient les vivants de leurs yeux inquisiteurs et se mirent à deviser tout bas sur le ton des comploteurs. Métherkan ne s’avouait pas vaincu pour autant. Ce n’était là qu’une démonstration de tout son pouvoir.

- Vous avez raison, les dettes sont des chaînes extrêmement désagréables.

Il leva sa main gauche, révélant trois anneaux disparates, si serrés autour de ses doigts qu’ils paraissaient incrustés dans sa chair et en choisit un. Celui de l’index, celui du commandement. Il le tourna autour de son doigt, ignorant une douleur familière et déjà oubliée, tandis que le bijou pleurait du sang et crissait sur l’os. Il agita sa main vers un recoin obscur de l’ancienne terrasse, avisant deux sièges de pierres, à haut dossier et les appela d’une pensée. Les lourds fauteuils sculptés glissèrent sur les dalles, tirés par des mains invisibles autant que par des spectres rieurs et alanguis qui s’en faisaient l’escorte. Métherkan prit place dans le premier siège, désigna le second à la Chevalière. Ainsi juché sur l’inconfortable trône au coussin tombé en poussière, il s’accorda un maigre répit pour ordonner ses pensées.

Lui-même refusait toute dette. Il préférait tuer ses créanciers plutôt que de devoir honorer une dette dont il ne se sentait absolument pas redevable. S’il comprenait ce système basé sur l’équilibre et l’échange, assez pour l’exploiter à son profit, il le jugeait déshonorant. Dégradant et pas du tout amusant. Ce que le roi désirait, il le prenait. Il regrettait qu’Amaélis ait déjoué une partie de son plan. Derrière le givre se muait l’acier. La petite était plus intelligente qu’elle n’en donnait l’impression. Il aurait souhaité conserver la possibilité de lui demander à rembourser sa dette plus tard, quand bon lui semblerait… Il était d’ordinaire facile de duper les impudents qui osaient braver les maléfices du Kaerl. Ils voulaient tous la même chose et finissaient tous par mourir quand leur roi se laissait d’eux. Métherkan était un enfant n’aimant pas partager mais qui savait attendre le bon moment pour tout récupérer.

- Nous sommes des gens civilisés. Parlons-nous franchement. Nous voulons la même chose : corriger cette béance instable et que tout redevienne comme avant. Mais enfin…

Il hésita, dévisagea son interlocutrice d’un regard prudent, feignit de ne pas vouloir l’offenser en adoptant un ton faussement peiné quoique réellement curieux. Il jouait la carte du fou. Il voulait qu’elle se trahisse. S’il ne pouvait pas en faire son alliée, il la ferait plier.

- Que pourriez-vous m’offrir que je ne possède déjà ?

Choisissant cet instant pour libérer le plein potentiel de la magie à l’œuvre, le magnifique Niedesh ouvrit sa voilure et étira gracieusement son corps sur un rugissement inaudible pour les esprits mortels. Ainsi paré de couleurs et de charmes comme jamais il n’en avait possédé dans sa précédente incarnation, il adoptait la posture et l’illusion d’un grand mâle dominant à l’aspect indéfinissable. Plus colossal, plus délié, plus rutilant qu’aucun dragon vivant en ce bas monde, il dardait sur sa cible tous les feux de son regard et de son pouvoir, cherchant à la captiver, l’hypnotiser jusqu’à l’ivresse. Son chant promettait mille délices, mille périls et le dragon exprimait son désir de la manière à la fois la plus brute et la plus douce. Les vibrations de son âme sublimaient celles de l’Airain. Les notes de sa mélopée mentale noyaient les souvenirs ravivés par Métherkan pour n’offrir qu’une vision, unique et splendide : celle de la dragonne, brillant dans un ciel de fin du monde, pour un vol qui durerait l’éternité à ses côtés.

Plus beau et plus effrayant que jamais, Niedesh se laissait emporter par son pouvoir, tout en parvenant de justesse à contraindre son instinct à ne pas fondre sur sa proie. L’équilibre s’inversait subtilement. Le dragon glissait vers les abysses quand son Lié représentait son ancre dans leur rêve commun. S’il ne mêlait pas son vol avec la mirifique Ithildin, il la dévorerait.


Dernière édition par Persée Garaldhorf le Dim 26 Avr 2020 - 17:19, édité 2 fois
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Amaélis Eleicúran
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MessageSujet: Re: [RP] Ritournelle pour les Damnés   [RP] Ritournelle pour les Damnés Icon_minitimeSam 22 Fév 2020 - 22:32

… des astres errants, auxquels l'obscurité des ténèbres est réservée pour l'éternité.
(Jude – 1:13)


Docile, elle s’était installée sur le fauteuil de pierre qu’il lui avait désignée, dont la haute taille, solennelle et sombre, la faisait paraître insignifiante et faible tandis que lui siégeait avec la prestance nonchalante d’un roi. Au-dessus d’eux, large comme un deuxième soleil, le maléfice envoyait ses rayons fumeux à l’assaut des nuages et des brumes, laissant dans l’air immobile de longues balafres où bouillonnait le vide. Si l’obscurité se comportait comme la lumière, alors les héritiers esseulés devaient tous deux être parés de bien étranges ombres pour qui savait la percevoir. Amaélis se recula jusqu’à ce que le haut de son corps heurte enfin le vaste dossier, et elle était sûre que la pierre avait pour dessein de l’engloutir. Une pointe de curiosité la poussa à fixer intensément, une deuxième fois, les trois bagues ornant les doigts décharnés de l’Elfe.

L’usage qu’il en avait fait, juste à l’instant, avait éveillé son intérêt. L’Errante se fichait du pouvoir ; elle n’avait sincèrement aucune ambition. Cette réalité qu’ils se partageaient avait perdu toute sa saveur lorsqu’elle avait vu au-delà. Son seul désir, désormais, était de retrouver ce qu’elle avait su et appris, durant son voyage à travers l’infini des possibles, de découvrir par quel moyen l’invisible laissait sa marque dans la matière et en révéler le sens. Elle voulait parler son langage.

« Comme avant… quoi, exactement ? » murmura-t-elle, plus pour elle-même que pour le Chevalier Errant, un imperceptible frémissement au bord des lèvres, entortillant une mèche d’albâtre ou deux autour de son index, encore et encore, les yeux dans le vague. À travers la distante parade des Spectres et l’illusion dorée qui continuait de fluctuer entre passé et présent, elle contemplait les vestiges – le froid, la solitude et le silence. Le monde dans lequel Métherkan s’était enfermé ne ressemblait en rien au Màr de ses ancêtres, et, un instant, sans comprendre pourquoi, elle ressentit le besoin de lui dire. On ne pouvait pas déjouer les lois de la vie et de la mort, ce qui avait disparu ne pouvait pas être ramené. Cela ne signifiait pas pour autant qu’on ne pouvait rien construire de nouveau. La Neishaane n’était pas si sûre, cependant, que c’était là ce qu’il poursuivait réellement.

Et puis son regard glissa à nouveau le long des contours acérés de l’Elfe, jusqu’à s’écorcher. Elle détourna rapidement le visage, sentant une chaleur toujours aussi étrangère étendre ses racines pourpres sous la chair de ses joues. Elle détestait cela. Sa peau était trop pâle, honteusement révélatrice ; elle ne pouvait rien masquer. La rosée de son embarras, le bleu violacé des hématomes ou le rouge du sang. Le trajet labyrinthique de ses veines offrirait-il le secret de son existence ou la formule de sa mort à qui parviendrait à en déchiffrer la graphie ? Quelle indigne faiblesse. Elle n’était qu’une toile sur laquelle la vie jetait ses couleurs les plus violentes – sur laquelle n’importe qui, en vérité, aurait pu peindre le reflet de ses obsessions et de ses plus intimes tourments.

Du coin de l’œil, elle voyait des reflets d’un autre monde couler sur les écailles du Brun, envelopper sa silhouette comme une onde, diffracter la lumière et peut-être même le cours du temps. Il n’avait pas fini sa parade, et Ithildin se débattait dans la toile de rêves qu’il tissait autour d’elle avec l’application d’un grand orfèvre, ignorant ou refusant d’admettre qu’il était déjà trop tard. La détresse de la Dragonne lui déchirait les entrailles, pourtant, elle n’esquissa pas un seul mouvement dans sa direction. Comme l’Airain avant elle, des années auparavant, elle se tenait seule sur son trône d’épines après l’en avoir jetée à bas, profitant du spectacle vain de sa révolte, de sa débâcle. Justice, pensait la Neishaane tandis que son Âme Sœur se courbait un peu plus, levait et ramenait ses ailes devant elle comme pour s’y cacher – mais Niedesh avait envahi son esprit. Il était l’air nocif qui pénétrait ses poumons, le sol sous ses griffes infatigables et le ciel vers lequel elle aurait souhaité s’enfuir.

La seule chose qui l’empêchait de montrer les crocs, de rugir et de noyer l’autre Dragon dans ses flammes infernales était la pensée que, peut-être, sa Liée n’attendait que cela.

Distraitement, Amaélis mordit l’intérieur de sa joue. Que pensait posséder Métherkan – ou plutôt, que pouvait-il désirer en-dehors de ce qui était évident ? Un seigneur en guenilles régnant sur un empire de cendres et une cour de fantômes avait forcément quelque vœu fantastique, une faim prodigieuse secrètement tapie au fond de son ventre, rendue féroce par d’interminables années de privation. Cela n’avait aucune importance. Elle n’avait pas besoin de se perdre en suppositions. Elle n’avait pas besoin d’offrir quoi que ce soit ; il prendrait tout ce qu’il souhaiterait, indépendamment de son choix ou de ce qu’il consentirait peut-être à lui révéler, si tant est qu’il ne s’agisse pas alors d’un mensonge. Cela ne voulait pas dire qu’elle ne pouvait pas prétendre se montrer dure en affaires.  

« Ce n’est pas comme ça que je fonctionne. » lui opposa-t-elle d’un air passablement irrité, reportant enfin son attention sur l’Elfe, les sourcils à peine froncés. « Je n’vous connais pas, comment je pourrais savoir ce dont vous avez besoin ? »

« Si je vous faisais simplement la liste de tout ce que je pourrais vous offrir, vous n’auriez plus qu’à vous en saisir et ce serait fini. » déclara-t-elle, et son ton étrangement chantant, en désaccord avec l’implacable obscurité de ses iris, fut aspiré par l’austérité des pierres. Elle faisait uniquement mine de se trouver intelligente. « Je refuse de croire que vous recevez tant de visites ; et l’ennui est une plaie. Tout cela… » Elle leva le poignet, désignant d’un geste vague aussi bien leur conversation, le souffle glacial des ruines, que le long chant silencieux des Dragons dans son dos. « …vaut bien qu’on s’y attarde un peu, sans doute. »

S’il partageait les inclinations de son Brun, alors elle le laisserait soigneusement poser ses pièges. Elle le laisserait la détruire, pièce par pièce, la reconstruire et la balayer à nouveau, la tordre à sa guise. Si elle était aussi douée qu’elle le pensait, il lui faudrait du temps avant de réaliser qu’elle ne ressentait rien, que certaines peurs la dévoraient encore mais que la douleur ne l’excitait plus. Suffisamment de temps pour qu’elle puisse prendre ce qu’elle était venue chercher avant de disparaître comme elle était apparue.

« Quoique votre Lié semble clairement manquer de compagnie. » ajouta moqueusement la Neishaane, percevant avec un sourire triste le fracas de son propre cœur contre les maigres barreaux de sa cage d’os et de chair.

Elle ne pouvait pas contrôler son trouble, n’avait même pas pris la peine d’essayer de résister. À quoi bon ? Elle n’était pas comme Ithildin. Ses doigts fins se crispèrent et agrippèrent le tissu de sa robe, là où ses mains reposaient doucement sur ses cuisses. Depuis combien de Lunes n’avait-elle pas été en présence d’un autre être humain ? Même cet Elfe inquiétant, qui se fondait dans l’air de la Lande, indistinct et peut-être déjà mort depuis une éternité, lui semblait tellement brûlant, tellement vivant, au point qu’elle ne savait plus comment le supporter. En tendant l’oreille, elle aurait pu entendre la clameur de son sang ; en tendant la main, elle aurait pu le sentir, le faire perler sous ses ongles, et l’idée qu’une telle chose était encore possible la laissait comme fiévreuse, hagarde et transie. Les baisers des flocons, les caresses des Spectres et l’étreinte du vide – il n’y avait eu que le froid depuis si longtemps. Elle aurait aimé écarter l’espace entre ses omoplates et s’y glisser, s’y blottir. Son souffle commençait à lui échapper mais elle n’avait pas fini sa scène.

De l’autre côté de la terrasse, l’Airain avait pris sa décision. Sa queue vint cingler l’air poisseux en même temps qu’elle balança son cou vers le ciel, et puis, elle poussa un rugissement dont la violence et le désespoir firent frémir d’envie les Spectres. Ses yeux, brillant d’un éclat rouge terne, semblaient deux vieilles étoiles mourantes quand ils croisèrent enfin le regard du Brun. Elle poussa sur ses postérieures, révéla toute l’ampleur de son envergure tandis qu’elle jetait ses ailes à la face du soleil noir. Son sang serait répandu sur la Lande et il en pousserait arbres et fleurs avant qu’elle n’accepte de céder à sa Liée.

« Du thé. » dit alors celle-ci, coinçant une mèche derrière son oreille, se redressant légèrement. Elle avait prononcé ces mots avec tout le sérieux du monde, s’autorisant à affronter sans ciller le regard d’émeraude de Métherkan, laissant ses lèvres dessiner une ligne malicieuse à travers ses joues, indifférente à la bourrasque que le départ de sa Liée avait provoqué. « Voilà ce que je peux vous offrir que vous n’avez pas. Je pense pas que vous le trouverez à votre goût, cependant. »
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Persée Garaldhorf
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MessageSujet: Re: [RP] Ritournelle pour les Damnés   [RP] Ritournelle pour les Damnés Icon_minitimeMar 7 Juil 2020 - 14:54

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Métherkan Garaldhorf & Niedesh


Les longs doigts pâles caressaient distraitement, avec une forme de vénération, les anneaux décolorés qui enserraient sa chair. Sous l’arrête aiguë des sourcils, le regard émeraude suivait les lignes vaporeuses et blanches de la jouvencelle pérorant avec tout l’aplomb de la jeunesse. Il avait surpris l’œillade intriguée de la damoiselle sur ses artéfacts. Il s’en serait amusé, si ses paroles ne l’avaient pas irrité. Il comprenait soudain qu’Amaélis et lui ne vouaient pas le même amour au Màr Ilmarë ni n’en possédaient la même vision. Pour l’un, l’avenir du Kaerl s’auréolait de sa propre gloire, tandis qu’il se redressait sur ses fondations et restaurait son pouvoir. Pour l’autre… Il ne voulait pas présumé de ses tortueuses pensées mais l’idée qu’elle pût préférer voir cette splendeur rester à l’état de ruines et de friches lui tordait les entrailles. Une vague de répugnance lui souleva le cœur. Pauvre créature faible d’esprit…

Métherkan balaya d’un revers de main les objections de la jeune femme. Croisant ses jambes dans un mouvement félin, il scruta son invitée, l’œil aux aguets, semblable à un joueur de tarot prêt pour de nouveaux cabotinages.

- Touché ! Voyons, ma dame, minauda l’elfe en se passant la langue sur ses lèvres gercées. Modérez vos propos. Je ne faisais qu’énoncer une problématique à voix haute ! Je ne chercherai jamais à soutirer les secrets de mon aimable voisine.

Un éclat trouble et froid habitait ses prunelles d’un vert venimeux, que son joyeux sourire ne suffisait pas à adoucir.

- Laissons ces vétilles de côté. Nous sommes des enfants du Màr. Pourquoi perdre du temps et de l’énergie à chercher à évincer l’autre, alors que nous pouvons nous… (Une brève hésitation.) Nous entraider ?

Le mot sembla le réjouir, comme si le prononcer avait un goût inédit et incomparable. Comme s’il avait oublié depuis longtemps la signification de ce verbe et le sentiment qu’il engendrait. Son âme se tordit de plus belle à s’entendre proférer ce mot infâme. L’entraide était une faiblesse, un poison insidieux distillé par de viles rotures dans les cœurs les plus purs en y répandant sa pestilence de bons sentiments. Les jeux du mensonge et de la duperie lui seyaient davantage quand il n’était pas obligé de considérer son adversaire comme un égal. La traîtrise couvait derrière chaque alliance, il le savait for bien. Cachant un rire aigre et sa grimace de dégoût par une assise plus nerveuse, tandis qu’il essayait de reprendre sa position princière sur l’inconfortable siège, il coula un regard plus solennel vers la neishaane.

- Oh ! Je n’en rougirai pas. Il est mon Lié, après tout… Et les voies de Flarmya sont impénétrables. Il faut bien que jeunesse se fasse… Et vous, avez-vous peur ?

La remarque sur son Lié étira davantage son sourire puant le charme bon marché. Derrière ses traits légèrement plus tendus qu’à l’accoutumée, il s’était crispé. Mille et un commentaires acerbes lui traversèrent l’esprit en une fraction de seconde. Aucun ne franchit le rempart de ses lèvres. Le sortilège qui nimbait le dragon canalisait déjà assez de pouvoir pour provoquer le coma d’un novice en magie. Il sentait le lien avec Niedesh absorber sa force et sa raison, tandis que le Brun prenait son envol à la suite de l’Airain furieuse. Il avait un plan et celui-ci se déroulait comme prévu – d’autant plus que son Lié semblait apprécier de faire partie du spectacle. Il n’allait pas gâcher sa salive à expliquer son génie à cette stupide donzelle.

Il profita du brusque et bruyant départ des dragons pour dresser mentalement la liste de toutes ses possessions. Il avait découvert tant de joyaux dans ce berceau de la vérité… A son cou tintait délicatement la prosodie de clefs attachées en pendentifs, sous sa chemise, reposant sur sa poitrine creuse : elles permettaient d’ouvrir des salles oubliées dont les portes, enduites de sorts, résistaient encore aux assauts du temps. Sa main gauche gratta distraitement sa cuisse, là où flétrissait la cicatrice marquant le morceau de chair manquant, obligeamment offert à une noble famille en échange de quelques savoirs. Dans sa mémoire s’égaillaient parfois de vagues souvenirs, fades et incolores, porteurs d’émotions émoussées, dépeignant des épisodes heureux de son passé, souvent de son enfance ; ils avaient perdu toute substance depuis qu’ils avaient été légués à cet ancien nécrophore rôdant dans certains souterrains très nauséabonds… Tant de secrets, tant de savoirs si précieusement recueillis, tant de merveilles si chèrement conquises sur l’abîme !

Les coudes appuyés sur les accoudoirs du trône improvisé, les mains jointes sous son menton, Métherkan dévisageait avec une fixité dérangeante la curieuse Amaélis qui lui proposait du thé. Il eut envie d’en rire. Il s’aperçut qu’il avait perdu son aisance à traiter avec les vivants, habitué qu’il était depuis longtemps à user de diplomatie avec de puissants esprits morts depuis près de quatre cent ans. Songeur, il dévisageait la jeune fille, laissant peser un silence inconfortable.
Il pourrait offrir cette effrontée au Dévoreur pour mieux lui extirper ses secrets. Le monstre sévissait encore dans les entrailles souterraines du Màr et, bien qu’étroitement surveillé par la Gardienne elle-même, l’elfe était prêt à parier que l’entité ne froncerait pas le nez face à un met aussi exotique que cette neishaane au sang pâle. Jadis, la bête mettait les membres du Kaerl à l’épreuve. Cette petite femelle ne serait qu’une broutille face aux mages et à la soldatesque qu’il avait réduits en cendres en son époque…
Il pourrait également se servir d’elle comme appât pour approcher l’antique Demeure des Garaldhorf et espérer déjouer la vigilance de la Matriarche. Ce n’était qu’un pis-aller mais il avait l’avantage de ne faire prendre aucun risque à l’héritier du Roi de Fer. Cette inconnue trop tangible, qui faisait irruption dans son quotidien comme dans un moulin, n’était rien à ses yeux.

- J’approuve le thé ! se réjouit Métherkan en en se penchant vivement en avant, comme pris d’un éclat d’euphorie. Il est si rare de trouver des denrées aussi anodines et de qualité dans les environs depuis quelques temps…

A ses yeux, le temps n’avait pas plus de substance que les rêves. Les marées de souvenirs pénétraient tant et si bien son âme que son enveloppe charnelle si imparfaite pouvait seule attester de sa réalité dans ce présent. Dans un tourbillon de fines particules - poussières d’astres ou d’ossements -, il bondit sur ses pieds et fit la faveur à Amaélis d’un bref applaudissement.

- Affaire conclue !

Rajustant sa mise d’une main légèrement fébrile, il écarta de son visage une longue mèche noire tel l’ébène pour mieux se fendre d’un sourire à l’adresse de sa voisine. Il ne doutait plus. Il ne lui donnerait rien qu’il ne défendrait au péril de sa vie. Il lui prendrait tout, de gré ou de force, comme naguère il l’avait fait des impudents laissés exsangues sur le seuil des mystères. D’une main dissimulée le long de son flanc, il signa un geste de conjuration, pour se garder des tentations futiles des vivants. Il faisait confiance à son propre sang, distillé de poison, pour surmonter la colique que lui donnerait certainement ce thé. Tout comme il se fiait à l’âme jumelle qui voguait parmi les cieux à la poursuite de l’Airain. Un regard au trou béant dans le tissu de la réalité suffit à lui rappeler l’enjeu d’une telle partie. Ils n’échoueraient pas.

- Refermons ce maléfice, ma chère, voulez-vous ?

Elle ne pouvait pas être dupe à ce point. Cette Eleicúran devait soupçonner quelque piège dans une victoire trop aisée mais il n’en avait cure. Au-delà des nuées délétères d’un ciel encombré de miasmes, un impossible dragon-roi pourfendait les vapeurs de souffre, pourfendait le temps, pour espérer atteindre la plus belle et la plus dangereuse des comètes. Ivre de lucre et de sang, environné de puissance, au risque de se brûler les ailes.
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Amaélis Eleicúran
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MessageSujet: Re: [RP] Ritournelle pour les Damnés   [RP] Ritournelle pour les Damnés Icon_minitimeMer 15 Juil 2020 - 22:05

… Et vous, avez-vous peur ?

La question tournoyait dans le silence souverain de ses pensées. Elle n’avait rien répondu, avait pudiquement baissé la tête pour observer les dalles irrégulières de la terrasse, ses joues trop pâles teintées d’une rougeur résiduelle. Elle ne le craignait pas mais se méfiait de tout et de tous. Quel espoir restait-il aux Damnés ? Où que portait le regard, blottie dans le coin de ses yeux là où elle ne pouvait jamais vraiment la voir, la Mort paradait vêtue de ses plus légers atours, sirène dont la voix ne menait nulle part et chuchotait des serments trompeurs. Pour enfin la faire sienne, Amaélis aurait marché pieds nus sur des braises, aurait traversé mille déserts. Peu lui importaient les sévices et les ruses que lui réservait Métherkan ; elle préférait qu’il s’en amuse, qu’il se croie meilleur, qu’il en jouisse secrètement – ou ouvertement. La Neishaane ne reculerait devant rien pour atteindre son but. Ne laisserait aucune éventualité, de la plus déplaisante à la plus dramatique, la détourner de son chemin vers la Vérité.  

Assis sur son trône de grès et de désillusions, couronné d’ombres étranges, l’Elfe la dévisageait avec l’immobilité d’un prédateur. Elle aurait pu prétendre s’en trouver dérangée ou continuer à jouer les ingénues mais elle ne souhaitait pas trop en faire au risque d’éveiller ses soupçons ; elle se contenta donc d’attendre qu’il la lâche des yeux pour enfin libérer le souffle qui était resté prisonnier de sa poitrine étroite. Et quand il quitta son fauteuil de pierre, tapant dans ses mains avec enthousiasme, comme si tout cela n’était rien de plus qu’un jeu aux perspectives particulièrement charmantes, toujours avec ce même sourire lourd de faux semblants qui faisait se courber ses lèvres, l’Errante battit une fois des cils avant de se lever à son tour et de constater que ses jambes ne la portaient plus aussi bien qu’auparavant. D’être restée trop longtemps assise ? À quand remontait son dernier repas ?

Lentement, le pas mal assuré et sans prendre la peine d’inviter Métherkan à la suivre, la Neishaane prit la direction d’une entrée qu’elle savait délaissée par les fantômes de Valharin et d’Eir – le frère et la sœur Eleicúran n’étaient pas particulièrement friands de visiteurs.

« Chercher à me soutirer mes secrets aurait été la première idée qui me serait venue à l’esprit, à votre place. » songea-t-elle à haute voix, interrompant sa marche le temps d’accorder à l’Elfe un bref regard par-dessus son épaule. Longeant les allées aussi familières qu’un rêve à moitié effacé, Amaélis tendait le bras pour effleurer sur son passage les souvenirs d’un feuillage épais et de fleurs si lourdes que les tiges se tordaient et se brisaient sous leur poids. « Je devrais vous prévenir : ma Liée ne partage son ciel avec personne. »

La paume plaquée contre un lourd battant d’orichalque sillonné de gravures que les ans n’avaient pas épargné, elle ajouta finalement : « Mais je ne suis pas elle. »

D’une pression, la porte s’ouvrit sur un corridor obscur dans lequel elle entraîna l’ancien Englouti et se referma sur l’écho lointain de rugissements. À l’intérieur, l’air sentait la moisissure, la poussière et la roche humide. Par un haut couloir bordé de statue aux visages voilés ou noircis par les flammes, aux pavés parfois disloqués, parfois souillés par quelque mare de sang séché, vestige des blancs cerfs sacrificiels qu’elle avait égorgé de sa main, elle mena Métherkan jusqu’à une pièce qu’elle avait modestement aménagée lors de son précédent séjour. Il s’y trouvait juste de quoi vivre, vraiment. Dans un renfoncement près de l’âtre, fourrures et couvertures s’entassaient pour former une couche de fortune. Deux tabourets entouraient une table jonchée de bols, de mortiers, d’herbes coupées et de parchemins en pagaille. En face, un large brûle-parfum reposait sur un trépied en bronze ouvragé. Tout était resté comme à son départ, huit lunes plus tôt.

« Zajar. » murmura-t-elle à la pénombre, presque inconsciemment, et sa voix embrasa d’un même souffle les chandelles et les charbons disposés sous le vase, révélant les contours de sa folie. Elle se défit de son épaisse cape, de ses bottes encore trempées de neige fondue, puis de son sac de voyage duquel elle avait d’abord tiré une gourde, remplie ce matin même à une source de la Vinddalen – un luxe qu’il était important de noter, considérant l’état des ressources qu’on trouvait d’ordinaire dans la Lande. La Maîtresse Déchue n’attendit pas pour débuter la préparation du thé, comme convenu, laissant à Métherkan tout loisir d’explorer la pièce s’il en éprouvait l’envie ou le besoin. Elle n’avait que peu de réserves ; la majeure partie de la demeure était condamnée par Magie et n’acceptait aucun étranger entre ses murs.

° Tu ne devrais pas sous-estimer la puissance des désirs d’une Dragonne. ° gronda son Âme Sœur tandis qu’elle attrapait une poignée de gousses de pavot séchées et une fine lame d’acier.

° Et tu devrais commencer à respecter la puissance des désirs de la partie de moi que tu as rendu Dragonne. ° Elle glissa la pointe du couteau dans une première capsule, fit tomber les graines et jeta la tête dans l’eau. Elle observa ses doigts, le liquide noirâtre et visqueux collé à sa chair, puis recommença le procédé. ° Et à craindre la faiblesse de la partie de toi qui est devenue comme moi. °

° Tu regretteras chacun des choix que je n’ai pas fait pour toi. Non pas parce que c’est ma volonté, mais parce qu’on n’échappe pas à sa nature. °

La menace de l’Airain glissa sur elle comme les murmures de la rosée. Là-haut, dans un ciel qui leur était autrement inaccessible, la Dragonne avait entamé la plus cruelle des danses mais refusait toujours de mêler son chant à celui de Niedesh, ne lui accordait pas même la grâce d’un regard. Son vol furieux crevait les nuages et les fumées délétères, chaque timide rayon de lumière ayant l’audace d’éclabousser ses écailles était bien vite effacé par les ombres pleuvant de toute part. L’idée de laisser le Brun la rattraper lui donnait envie d’arracher ses propres ailes ; ainsi séparée de son Âme Sœur, s’il lui prenait l’envie d’attaquer son prétendant, elle ne pourrait pas la défendre contre Métherkan. Elle n’avait aucune alternative. Né du fond de ses entrailles, la dernière Dragonne Airain poussa un rugissement à même de faire pleurer les pierres et s’élança encore plus haut, perçant le brouillard pour retrouver un horizon à l’éclat du saphir.  

« Au final, vous n’avez pas donné votre prix. » commenta la Neishaane sans se retourner. Il était probablement trop tard, maintenant, pour continuer à s’en soucier, mais elle n’avait rien d’autre à quoi se raccrocher. Elle sentait la rage et le désespoir de sa Liée croître sous son front comme la fièvre, déposer sur sa langue un goût d’extase doux et poisseux. Ses propres mouvements lui paraissaient distants, sa respiration laborieuse et profonde, son corps suspendu entre la pesanteur et la grâce. Avec un sourire absent, elle abandonna sa décoction et prit place à la table, observant le visage de l’Elfe au travers d’un voile de cristal. Si fin qu’un soupir, en apparence, aurait pu tout briser. Elle savait pourtant qu’il n’existait pas de matière plus solide que les fils de soie dont étaient tissés ses fantasmes. « Je vous ai fait entrer dans la demeure des mes Ancêtres… ne vous aventurez pas à penser que c’était gratuit. » Elle se mordit la lèvre, faussement embarrassée par sa hardiesse et sincèrement curieuse de découvrir jusqu’où il lui était possible d’aller.

La colère de son Âme Sœur grandissait, devenait le miroir où se reflétait, difforme, son désir. Cette sensation… Elle en voulait plus, tellement plus… Si elle s’abandonnait entièrement à cet inconnu, se noierait-elle dans les flammes de la jalousie de l’Airain ? Et elle, comprendrait-elle enfin que son amour n’était qu’une gueule dévorante et insatiable, un abîme infernal dont l’haleine faisait se flétrir les immortelles, pourrir les eaux et fondre les neiges éternelles de son cœur ? Qu’elle la haïssait pour cela, pour lui avoir ôté tout espoir de se satisfaire de la tendresse et de l’apaisement d’un sommeil honni par les cauchemars ? Que la douleur dans son âme était devenue un nectar essentiel, une lente et troublante asphyxie au parfum de miel, une graine de mauvaise herbe enracinée dans le chaos et qu’elle ne pouvait plus s’en passer, ne voulait plus, voulait…

Brusquement, la Neishaane se leva et marcha, chancelante, en direction de la jarre où flottaient les capsules fanées et grises. Le poignet tremblant, elle servit deux tasses, renversa une partie du liquide à ses pieds mais elle n’en avait cure. Elle voulait, elle voulait…
Elle glissa une main le long de son cou délicat, le geste une étrange réminiscence de sa paume se perdant dans un pelage immaculé, juste avant qu’il ne soit souillé, profané, sillonné de rivières pourpres et bouillonnantes. Elle voulait…

Élégamment, l’Airain se tourna pour faire face à son poursuivant, ses iris brûlant d’un rouge indomptable et ses ailes ouvertes en corolle funeste autour de son corps à l’armure fondue dans un alliage impossible. Le Dragon la percuta de plein fouet et elle plongea ses crocs dans sa nuque, pas assez profondément pour le menacer, juste assez fort pour que le sang bourgeonne sous sa langue et vienne piqueter d’étoiles éphémères la toile du ciel.
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Persée Garaldhorf
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MessageSujet: Re: [RP] Ritournelle pour les Damnés   [RP] Ritournelle pour les Damnés Icon_minitimeMar 13 Oct 2020 - 17:16

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Métherkan Garaldhorf & Niedesh

Disenchantment - Ignea


Il la suivit. Il lui emboîta le pas sitôt qu’elle eut le dos tourné, avec une brève hésitation qui lui fit honte, celle d’un enfançon qui redoute l’obscurité. Mais ce temps-là était révolu. Il avait embrassé les ténèbres, sans peurs et il avait fait d’elles sa seule source de lumière pour le guider. Il vivait dans un monde aux couleurs inversées, aux valeurs tordues, pour mieux gravir le fond de l’abîme. Pourquoi hésiter au bord d’un énième gouffre ?
Il craignait par-dessus tout d’être déçu. Cela faisait si longtemps qu’il n’avait pas permis à des êtres vivants d’arpenter son domaine ou de converser avec lui… Il en avait presque oublié le goût amer des espoirs perdus. Il était plus aisé de cesser d’espérer en quoique ce soit. Cependant, même cette pensée-là s’avérait être un mensonge. Métherkan Garaldhorf n’avait jamais cessé d’espérer en la renaissance d’un Kaerl qu’il avait juré de faire sien dès l’enfance.

Qui ne dit rien consent ou donne son assentiment. Le cadet Garaldhorf aurait voulu arracher la langue de celui qui avait osé inventer ce proverbe. Tandis qu’il marchait en silence sur les traces de la paria, il laissa son regard errer sur les souvenirs qui naissaient sous la main caressante. Il n’avait pas voulu répondre à l’insinuation d’Amaélis et pas seulement parce que cela aurait ruiné ses précédents mensonges. Ni lui ni elle n’étaient dupes. Il lui en coûtait de le reconnaître mais ils possédaient tous deux assez de liqueur d’étoiles dans le sang pour ne pas s’offusquer de quelque manipulation l’un envers l’autre. Peut-être même l’appréciaient-ils.

- Rassurez-vous. Je doute qu’il s’agisse d’un simple partage, renchérit un Métherkan aux yeux froids, ses dents brillant dans l’obscurité comme un sourire de dragon affamé.

Il ne s’agissait pas d’une banale danse entre créatures célestes. Il n’y avait aucune beauté dans ce ballet improbable, de chimères et d’astres, rien que la menace d’un péril plus grand encore. Dans les yeux fous du Brun transfiguré ne se reflétaient aucune émotion tangible. Si son allure princière et magnifique n’était qu’une machination issue de magie interdite, son âme ne se réclamait d’aucun encombrant sentiment et, de cela, la magie n’avait rien à y voir. Son chant propageait de lourds nuages noirs d’orage dans son sillage. Sous ses ailes naissait la foudre. L’illusion était parfaite au point d’en être presque réelle. Empreinte d’une douloureuse et délicieuse réalité. La figure du dragon-roi pourchassait sans relâche, avec la ténacité mécanique et inéluctable d’une machine, cette étrange créature de bronze pâle qui crevait le ciel.

Pour la première fois en de longues années, Métherkan Garaldhorf pénétrait dans le Manoir Eleicúran. Ce qu’il y découvrit, à la faveur de la pénombre, lui plissa le nez de dégoût et lui plut tout à la fois. L’évidence lui sautait aux yeux. Il avait fait le bon choix en liant ses pas à ceux de cette jouvencelle liée à l’Airain, même s’il lui en coûtait de le reconnaître. Admettre la valeur de son adversaire, c’était déjà lui donner du pouvoir sur soi. Néanmoins, ce qu’il entrevoyait de la demeure et de la sorcellerie de la jeune femme le faisait exulter intérieurement. Ce n’était que des ébauches, des travaux inachevés et imparfaits mais déjà tellement plus intéressants que les derniers borborygmes d’un démon agonisant sur les dalles froides à l’entrée du Màr.

Parfaitement stoïque tandis qu’il inspectait les lieux d’un œil méfiant, les mains croisées dans le dos, il s’empêchait vaille que vaille de songer à la course des astres au-dessus d’eux. Il se tenait les mains si serrées qu’il parvenait à en masquer le tremblement, alors qu’un filet de sueur fiévreuse dévalait son échine à toute allure. A une vitesse aussi folle qu’un vol de dragon. Ce qu’il restait de son fragment d’âme se trouvait tiraillé par des sentiments contradictoires. Cela tirait sur des chaînes invisibles le clouant au sol, le retenant aux bas-fonds du Kaerl comme à ses promesses. Car jurer au nom de certaines déités ne se faisait pas sans risques. S’il connaissait pour sûr ces sensations, il ne les avait pourtant jamais vécues. La puissance du sortilège s’en trouvait à la fois renforcée et mise à mal, face à la déferlante qui noyait ses sens, qui brouillait la frontière entre homme et bête. De quoi lui rappeler soudainement, désagréablement, qu’il n’était qu’un mortel lié à un dragon. Non pas seulement une extension de sa propre chair et de son âme mais bel et bien un être distinct au départ. Ceci n’était pas un Vol Nuptial. Il s'agissait de bien pire.

- Aucun prix ne sera assez élevé pour laver nos dettes, très chère.

Ce n’était qu’une piètre rebuffade, un moyen d’éluder temporairement la question. Métherkan se savait au pied du mur. Il ne pouvait plus reculer en espérant briser la neishaane à temps pour n’avoir rien à payer en contrepartie. Ils s’étaient talentueusement joués l’un de l’autre. Maintenant, il fallait payer, pour tous les deux. Ce qui croissait dans son corps et rendait ses mouvements plus lourds l’empêchait de badiner avec son aplomb coutumier. Le temps jouait contre lui. A voir le visage brillant de la parjure, celle-ci devait être dans le même cas. Leur dragon respectif soufflait un vent de chaos. La proie était mûre à cueillir.

- Bien sûr, trouva-t-il la force de rétorquer avec une gravité de circonstances. Rien  n’est gratuit, ni dans cette vie ni dans l’autre. Refermons ce maléfice comme convenu. Je pourrai alors vous demander mon prix… Rien qui ne saurait mettre en péril vos jours. Il s’agirait seulement encore une fois… D’entraide !

Un gloussement de fausset lui échappa sur ce dernier mot. Rien à faire : ce verbe lui écorchait toujours autant la gorge et, cependant, il se plaisait beaucoup à l’employer aujourd’hui. Un peu trop, même.

Ce fut en sentant ses écailles crisser contre les crocs d’Ithildin, en goûtant à son propre sang tandis que mille aiguillons blancs perforaient sa cuirasse, qu’il sut qu’il était vivant. Niedesh existait toujours, quelque part au firmament de l’impossible, alors que se détachait peu à peu de lui des filaments de magie obscure. Une série de rugissements fit écho à sa douleur.

Très loin en contrebas, parmi les ruines tortueuses de son foyer, Métherkan battit des cils, légèrement hébété. Quelque chose de chaud et de poisseux coulait sur son visage. Il porta une main hésitante à son nez, la retira couverte de sang. Un sang noir et épais comme de la poix. Leurs moitiés d’âmes semblaient au bord de la rupture et pourtant plus fusionnées que jamais. Excitation ? Faiblesse ? Il sourit pour lui-seul, retira un mouchoir d’un immaculé douteux de sa manche et s’essuya, sans un regard pour Amaélis.

- Je gage que votre thé est d’excellente qualité. Comment saurait-il en être autrement, de la part d’une si charmante voisine ? J’aimerais partager un peu de mon hospitalité avec vous, la prochaine fois. La Demeure ancestrale des Garaldhorf est d’une beauté époustouflante pour qui sait voir par d’autres sens que ceux des mortels. Je suis certain qu’elle vous plairait beaucoup. Il nous suffira d’y aller, ensemble, présenter nos hommages, après avoir réparé votre erreur.

Il acheva de nettoyer le sang et remit le mouchoir à son emplacement initial comme si rien ne s’était passé. Il releva les yeux sur sa partenaire du jour pour tenter de la clouer d’un regard scrutateur, où n’étincelait plus aucune fanfaronnade.

- … Comme convenu.

Comme l’azur resplendissait sur le cuir des dragons, par-delà les nuages délétères flottant en permanence au-dessus de la Lande, Niedesh se métamorphosa en un élégant oiseau de feu. Le soleil nappa de lueurs d’incendie ses ailes alors qu’il entamait une montée en entrelaçant son corps avec celui de l’Airain. Son cri perçant ébranla le sort qui le nimbait tout en le sublimant. L’image se craquela pour mieux le transcender en créature hybride, monstrueuse. Ses canines raclèrent l’armure d’argent en feu de la dragonne, alors qu’il poussait sur ses muscles pour gagner de la hauteur. Toujours plus de hauteur. Il désirait plus. Il voulait détruire, il voulait aimer, il voulait exister. Toujours plus.

Le cœur battant à rompre ses côtes, Métherkan se pencha légèrement en avant, l’éclat d’un vert vipérin de son regard filtré par ses paupières à demi-baissées, tel un fauve alangui, tandis qu’il adoptait l’attitude de l’érudit s’apprêtant à mener une opération de grande envergure avec tout le sérieux du monde. Après tout, il ne s’agissait que de reboucher un trou dans la réalité.

- Commençons, voulez-vous ?

Niedesh chantait de sa véritable voix, celle qu’il faisait rarement entendre et ses vocalises rauques, éraillées par les ans, vibraient dans l’air. Ivre de fureur. Dans sa course folle, accroché à la comète solitaire qui enflammait son univers, il peignait des paysages impossibles aux couleurs de son sang. Qui ruisselait parmi l’éther. Qui éclaboussait les écailles de sa partenaire.
Un peu plus haut.
Toujours plus.
Jusqu’à l’oubli.


Dernière édition par Persée Garaldhorf le Ven 24 Sep 2021 - 14:46, édité 1 fois
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Amaélis Eleicúran
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MessageSujet: Re: [RP] Ritournelle pour les Damnés   [RP] Ritournelle pour les Damnés Icon_minitimeJeu 12 Nov 2020 - 19:11

Sous sa poitrine fragile battaient quatre siècles de peurs et de rêves. D’espoirs et de perversions. À cet instant, lui semblait-il, elle n’avait jamais été aussi éloignée d’elle-même. Pour la première fois, pourtant, elle prenait pleinement conscience de son existence. Du fabuleux pouvoir prisonnier de ses chairs. De tout ce qu’il lui restait à accomplir. Dans son dos, le long de ses épaules tremblantes, derrière ses cuisses, les frissons bourgeonnaient en écailles d’acier, transperçaient son épiderme pâle comme les plus téméraires perce-neiges. Elle déploya ces ailes nouvelles, encore poisseuses et sanguinolentes, et leur ombre engloutit la faible lueur des bougies. Au creux de l’étreinte confortable de ses illusions, la Neishaane révéla ses crocs faits de ténèbres et de malédictions. L’abîme en elle s’éveillait doucement. Taraudé par la faim, il ouvrait sa gueule avide tandis que le regard d’Amaélis glissait sur l’âme mêlée, étendue devant elle, d’un Dragon et de son roi en guenilles.

Malheureusement pour les entités millénaires arpentant désœuvrées les corridors de son esprit et qui auraient vu là la perspective d’une offrande à même de satisfaire leur appétit, elle n’était guère partageuse.  

Longtemps, Ithildin n’avait vu dans le ciel qu’une cage de plus. Alors, elle avait cru pouvoir le briser, comme elle avait un jour brisé son œuf, certaine que sa véritable vie l’attendait de l’autre côté et qu’il en aurait été fini de ce cauchemar incessant où elle baignait, aveugle et seule, uniquement pour découvrir qu’un nouvel enfer s’y trouvait en vérité. Qu’aurait-elle entrevu, si seulement ses griffes avaient été capables de déchirer l’azur ? Mais l’air lui manquait et le zénith s’éloignait à chaque seconde, indifférent à l’ascension désespérée, erratique des deux Enfants de Flarmya pour l’atteindre. Niedesh la suivait comme son ombre, pesait le poids des plus terribles secrets. Chaque note de son chant formait le maillon d’une chaine absolue. Désormais, elle n’était plus Dragonne. Son armure familière partait en fumée, fondait sous la chaleur de la foudre et des flammes. L’humiliation de n’être qu’une simple spectatrice mordait sa peau et elle se recroquevilla doucement, nue, à vif, au cœur de l’orage.

La tourmente emportait au loin l’écho confus de ses cris d’angoisse et de révolte, jusqu’à ce qu’ils ne soient plus qu’un brouillard gênant accroché aux cils d’Amaélis. Elle balaya les larmes de l’Airain d’un geste agacé non sans en avoir d’abord, par curiosité, apprécié la saveur du bout de la langue. Oui, cette fois, cette fois… Elle serait victorieuse. Les paroles de Métherkan ne lui apparaissaient présentement que bien peu dignes d’intérêt car le chemin s’étalait clairement sous ses yeux. Le nom des Garaldhorf effleura à nouveau sa mémoire – l’autre mémoire – et de vagues souvenirs peignirent sur sa rétine une fresque aux couleurs délavées. Quelqu’un avait dû les connaître. Sa main lâcha enfin son cou pour retomber mollement le long de son flanc et la perte de contact fit se contracter ses doigts. L’odeur de sang qui s’attardait autour de l’Elfe ne lui évoquait rien de connu et elle dut se faire violence pour ne pas que tourne à l’obsession la bizarre envie qui la traversa soudain de griffer ses joues blafardes.

Les flammes d’émeraude dansant au milieu du visage exsangue de Métherkan captivaient l’attention de la Neishaane plus sûrement que le son étouffé de ses mots. Là-haut, pour Ithildin, l’univers s’était inversé et elle chutait, sans plus lutter, accrochée à son ombre ailée. Et comme le maléfice s’effondrait autour des Dragons enlacés, révélant la véritable forme du monstre d’écailles qui avait dérobé aux cieux leur astre le plus rétif, Amaélis profitait du couvert des ténèbres pour retirer ses derniers oripeaux de prétention. Un instant, elle toisa le seigneur sans royaume, écoutant les voix discrètes qui, aux dernières lueurs de sa conscience, tentaient de lui rappeler l’absurdité de ce qu’elle s’apprêtait à commettre. Trop tard. Derrière ses paupières closes, dans un langage oublié des Dieux, la comète Airain avait inscrit un vœu féroce et en un mouvement hésitant, pourtant aussi inéluctable que celui d’un pendule ou des corps célestes, la Neishaane avait rejoint Métherkan.

Deux couleuvres d’albâtre se faufilèrent autour du cou de l’Elfe pour l’attirer dans le réconfort trompeur de l’Hiver – mais sous la blancheur virginale du derme Neishaan bouillonnaient, au fond de l’abysse, des marées de cauchemars et de maléfices.

Une respiration après l’autre, alors qu’elle détaillait avec une froide précision la souffrance muette que seul le corps – meurtri, profané, pourri, sacrifié – pouvait encore trahir lorsque l’âme était morte, une émotion étrange lui souleva le cœur. Était-ce par compassion, ou par complaisance ? Quand sa voix s’éleva enfin, brisant en éclats le silence sacré des Maudits, celle-ci tissa autour d’eux un firmament immémorial, et le frémissement lointain d’étoiles sans nom vint déposer sur leurs peaux mêlées un nectar aux fragrances d’éternité.


Aranrhiod’ku 919. Dernier Quartier.

D’un geste souple, elle paracheva la boucle de la dernière rune rituelle et leva le pinceau, observant l’encre sombre s’enrouler amoureusement autour des veines visibles à l’intérieur de son poignet. Avec précaution, elle posa l’instrument à sa gauche et relâcha le bras de Métherkan, qu’elle tenait jusque-là étendu face à elle, pour mieux examiner le résultat de ce long et minutieux travail. Les vapeurs florales échappées du bain encore fumant qui peuplaient la pièce troublaient sa vision ; leurs courbes se dérobaient sous un souffle qu’elle tentait de maintenir régulier, venaient inexorablement tordre le tracé pourtant parfait des symboles recouvrant le buste décharné de l’Elfe. S’étendant de l’aine au sternum. Déroulant leurs lianes sibyllines du haut de ses épaules jusqu’au creux de ses paumes. Dessinant dans son dos les colonnes sacrées qui soutenaient le temple de son existence. Et, dissimulées au regard, grouillant le long de ses cuisses en innombrables racines, encerclant ses chevilles.

Satisfaite sans pour autant que ses traits ne trahissent autre chose qu’une intense concentration, Amaélis se leva, drapée dans sa chevelure humide et les lèvres finement plissées. À chacun de ses mouvements, les glyphes antiques ondoyaient contre sa peau pâle, changeaient de forme à la lueur vacillante des bougies mais leur sens, lui, demeurait pour toujours immuable. Mue par une pudeur incertaine, la Neishaane enfila une aube dénuée de tout ornement avant de revenir vers Métherkan, lui présentant un chandelier et une courte dague d’obsidienne.

« Allons-y. » déclara-t-elle simplement et le chemin vers le sanctuaire Eleicúran ne lui avait jamais paru plus silencieux. Les statues de chaque côté du corridor refusaient toujours de la voir, gardant leurs mains de pierre levées devant des yeux aveugles avec une obstination grotesque. Cette fois, aucune allégresse ne soulevait sa poitrine. Cette fois, l’ombre accrochée à ses pas avait un tout autre visage et c’était son haleine féroce, plus que les soupirs muets du marbre et des ténèbres, qui faisait trembler ses cils et monter la fièvre.

Durant les quelques Lunes dédiées à la préparation du rituel qui devait faire se fermer l’œil maléfique contemplant les ruines, la Maîtresse Déchue avait continué d’accueillir Métherkan en sa demeure. Par nécessité, d’abord, parce qu’il fallait bien qu’ils s’échangent les résultats de leurs recherches, qu’ils discutent de la marche à suivre et du rôle que chacun aurait à tenir, qu’elle lui offre par bribes quelques morceaux choisis de ce savoir qui cinglait sans répit sa mémoire. Et puis, ensuite, ensuite… La Neishaane s’était découverte de nouveaux besoins, qu’elle s’entêtait à juger utiles malgré le vide qui trouait son ventre et les flammes qui léchaient sa gorge lorsque ses bras étreignaient vainement la solitude partageant sa couche de grès. Elle n’avait pas eu besoin d’habiles stratagèmes pour tromper celle-là. Quelqu’un avait dû dire, un jour, qu’il n’était pas chose plus aisée pour une femme que de faire danser la volonté d’un homme au bout du fil de ses désirs. Amaélis n’en croyait rien, et pourtant…

Et pourtant, elle revêtait pour Métherkan son plus bel habit de candeur, et de ses lèvres s’écoulaient sans effort une litanie de mots trompeurs. « Mon Roi », l’appelait-elle dans cette langue ou dans celle bannie de leurs Ancêtres, et elle renouvelait ses serments d’amour et de soumission, les scandait au rythme de ses hanches, sans tout à fait savoir si faire un tel usage du Verbe ne l’affligerait pas d’une nouvelle malédiction.

Elle ne l’aimait pas. Elle ne le respectait pas. Il n’avait plus d’un homme que ses fonctions purement vitales, mais au milieu des ruines, sous les caresses incessantes des Spectres, le son de son cœur battant aurait pu lui faire perdre la raison. Alors, presque toujours, ses errances la menaient à lui et elle s’enivrait de sa chaleur, de l’odeur de sa chair, guère plus digne qu’un animal sauvage que la faim aurait rendu fou. Elle lacérait son dos pâle, allongée à même le sol, et dans le silence sacré du Màr dont on taisait le nom, ses cris retentissaient pour créer le plus outrageux blasphème. Sur son épiderme avaient éclos de bien étranges fleurs, cobalt et violine, et quand Ithildin la condamnait d’un regard froid et lourd, Amaélis arguait que c’était ainsi, et pas autrement, que la Dragonne lui avait appris à aimer.

Quant à l’Airain, sa trajectoire s’était une fois encore trouvée déviée par les doigts capricieux de celle qui tissait la toile de son destin bien plus qu’aucun de ces Dieux qu’il était vain de prier car ils n’avaient jamais voulu d’elle. Elle qui aurait fait du monde entier son royaume, qui aurait courbé la course du temps pour s’y créer la place qu’on lui avait refusée, ne se sentait désormais rien de plus qu’une étrangère dans son propre corps. Ses ailes étaient si lourdes que voler était maintenant une cruelle épreuve, et elles brassaient dans leur sillage désolé un vent d’amertume qui faisait frissonner les fantômes. Le brasier de sa haine s’était cristallisé en lames de givre sous le souffle glacé, désespéré qui s’était mis à hurler dans son cœur. C’était pourtant là une douleur bien familière, une compagne autrefois discrète qui acceptait enfin de montrer son visage. Si elle avait pu la nommer…

Aujourd’hui, Ithildin n’accompagnait pas Amaélis. À vrai dire, la Dragonne fuyait dorénavant les vestiges du Quatrième Ordre par peur d’y croiser ce qu’elle refusait de devenir. La Neishaane s’en fichait. Elle n’avait plus besoin d’elle.

Comme des Lunes auparavant, elle poussa les portes de la grande salle souterraine et y pénétra, Métherkan à sa suite. Là, juste au-dessus d’eux, visible par la brèche causée par l’Airain lors du précédent rituel, si large qu’il masquait presque le morne crépuscule, l’œil noir observait leur venue. « Viin. » ordonna-t-elle en posant brièvement la main contre la paroi et le Verbe leur révéla la carte d’un ciel inconnu, incrustée dans la roche, sous leurs pieds, sillonnant les blocs de pierre écroulés, reliant entre eux les vastes symboles gravés au sol. Partout autour des deux enfants des Maudits, étoiles et constellations minérales luisaient faiblement sous un dépôt de suie, de ténèbres et de lambeaux éthérés venus de ce monde ou du suivant. Amaélis fit quelques pas vers le centre de la pièce et se pencha pour toucher du bout des doigts l’endroit où elle était morte une première fois.  Si elle fermait les yeux, elle songeait qu’elle pouvait voir la partie de son âme qui resterait à jamais prisonnière du granit ; un halo blême qui se retirait à l’approche de sa paume mais refusait de rejoindre les rivières d’écume moirée roulant sous la pierre.

Retenant un soupir, la Neishaane se redressa, leva un instant la tête vers l’abîme avant de croiser le regard scrutateur de Métherkan. « On attend la nuit. Ça devrait plus être long. » Disant cela, munie de son chandelier, elle fit le tour de l’autel pour allumer un à un les hauts cierges puis, quand ce fut fait, disposa sans ordre précis une timbale d’argent remplie d’un liquide couleur de mûre, deux gobelets forgé dans le même métal, son propre poignard et une seule écaille de Dragon.  « On pourrait répéter une dernière fois les incantations, pour être sûrs. » Distraitement, elle agrippa les pans de son vêtement et les serra entre ses mains moites tandis qu’elle se tournait pour faire face à l’Elfe. Elle haussa une épaule. « Si tu le souhaites. »
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MessageSujet: Re: [RP] Ritournelle pour les Damnés   [RP] Ritournelle pour les Damnés Icon_minitimeMer 6 Jan 2021 - 15:10



Métherkan renifla d’un air passablement écœuré les restes de son repas. Assis seul à la terrasse d’une ancienne échoppe, il tournait mollement sa fourchette dans le gibier bouilli qu’un fantôme lui avait appris à cuisiner. Il n’avait pas la bêtise de croire qu’il ne pouvait que se nourrir de souvenirs et de magie mais il avait espéré être bientôt débarrassé des soucis triviaux qui consistaient à garder son corps en vie. Il n’escomptait pas transcender le statut de simple mortel – pas encore – mais il n’avait jamais été très doué dans un domaine aussi banal que la cuisine. Les proies que rapportait son Lié devaient être accommodées pour satisfaire son palais, aussi plat fut celui-ci. Il enviait le dragon sur ce point, lequel ne s’embarrassait pas de politesse ou de discrétion quand il s’agissait de déchiqueter et d’engloutir son sanglant repas.

Sous de somptueux habits rapiécés, alangui sur son siège, l’elfe faisait grise mine. Chaque jour lui rappelait – et plus encore ces temps-ci – tout ce qu’il n’avait pas accompli. Eternel insatisfait, chaque merveille qu’il avait exhumé des ruines le poussait à exiger davantage, de lui-même comme des morts. Il avait récemment fait un cauchemar et ce fait, plus que les images qu’il recelait, le taraudait méchamment. Au cours des dernières années, il s’était plongé si profondément dans les flux du Kaerl Maudit qu’il en avait perdu la raison, pour mieux approcher une autre nature du bout des doigts, jusqu’à effleurer les étoiles du chaos et de la destruction. Jusqu’à appeler la mort de ses vœux en espérant qu’elle veuille bien passer un marché avec lui. Dans son esprit ouvert aux quatre vents, l’impossible devenait possible et même souhaitable. Il ne faisait plus partie des vivants, plus vraiment. Son corps s’accrochait à une existence terrestre et douloureuse : chaque battement de cœur résonnait sourdement et le sang circulant dans ses veines perçait sa carcasse de mille aiguilles. C’était le prix à payer pour jouir du plus grand des privilèges : arpenter les voies de deux mondes distincts. Certains jours, il pouvait palper cette frontière et s’imaginait la déchirer d’un coup de griffes. Ses mains maigres transformées en serres ne se refermaient hélas que sur le vide.

Il était un roi moribond dans un royaume en perdition. Et chaque jour qui s’écoulait entre ces murs millénaires le rapprochait de la finitude. Mais la mort n’était qu’un commencement, il le savait. Métherkan avait trop visité les sentiers interdits pour ne pas ignorer l’appel de l’immortalité. Il s’était trop assujetti, dénaturé et brûlé à la clarté du savoir perdu pour n’être qu’un elfe enchaîné à un dragon. L’âme avait touché la perfection. Il suffisait maintenant d’attendre le moment opportun pour définitivement s’en saisir.

Elle était revenue. A de nombreuses reprises. La parvenue Eleicúran. Un long frémissement secoua l’échine de Métherkan alors que ses sens émoussés se souvenaient de tout. Le contact tiède de sa peau, la froideur abyssale de ses prunelles, les courbes pâles de son corps et sa chevelure aveuglante qui les nimbait tous deux dans l’extase. Dans ces instants irréels, il réapprenait à user de son corps comme le ferait n’importe quel être vivant. Il s’enivrait de l’impression futile de puissance que l’étreinte lui procurait. Il se perdait, encore et encore, en espérant faire sombrer cette nymphe infernale avec lui. L’illusion ne lui était que plus chère sachant comme il s’y abreuvait jusqu’à la lie. Ils avaient l’un et l’autre cédé, toujours prisonniers de ce jeu de dupe, sans penser aux conséquences. Comme si soudainement, leurs besoins primaires d’êtres vivants les avaient rattrapés. Il n’y avait ni amour ni respect dans ces parodies malsaines. Aucun tendre sentiment ne venait étreindre le cœur racorni de l’un ou le palpitant de givre de l’autre, tant les racines de leur obscurité respective étouffaient la moindre étincelle. Qui remporterait la palme d’or du trompeur parfait ? Certainement pas eux. Le Grand Tricheur, maître de la discorde, pouvait y prétendre bien plus qu’eux deux.

Elle était revenue à maintes reprises car leur entreprise, aussi laborieuse et longue soit-elle, nécessitait invariablement de coordonner leurs actions. Il s’agissait non pas de produire un maléfice mais de le guérir. C’était quelque chose que l’enfant perverti du Garald comprenait difficilement. Les Engloutis jadis avaient brouillé ses repères en matière de bien et de mal. Et à en juger par les agissements de la neishaane, il était prêt à parier avec Osmaël lui-même que sa propre éducation au Màr Luimë n’avait pas dû arranger ses penchants non plus. Les années passées au Màr Silencieux n’avaient fait qu’exacerber chez l'elfe la piètre perception des frontières entre ce qui est le résultat de la Raison et la progéniture de la Folie. Maléfice n’était qu’un mot utilisé pour masquer une glorieuse entreprise. Mais toute expérience n’avait pas vocation à réussir et perdurer… Un regard vers le gouffre béant sur le néant suffisait à l’en convaincre.

La préparation du rituel demandait du temps, des moyens, des ingrédients spécifiques et des recherches assidues. Si la jeune femme avait quitté plusieurs fois l’enceinte de sa demeure ancestrale, il n’en avait pas été de même de Métherkan. Il avait accès à des recoins ignorés et l’aide de certains spectres pour parachever sa quête. Et ce qu’il ne pouvait accomplir, il envoyait Niedesh le faire à sa place. Le dragon n’endossait jamais de forme humanoïde, peut-être même n’avait-il jamais appris cette technique pourtant commune mais, toujours, il revenait avec ce dont avait besoin l’elfe. Celui-ci avait cessé depuis longtemps de poser des questions à ce sujet. Aussi grotesque qu’impressionnant, le Brun accomplissait diligemment un travail de titan et c’était tout ce qui lui importait.

Le temps était venu. Presque nu à l’exception d’un peignoir défraichi en soie de Qahra, Métherkan attrapa le chandelier et la dague, puis emboîta le pas à sa partenaire du crime. Il connaissait dorénavant le parcours qui les menait à la Demeure Eleicúran. Il aurait pu en retrouver le tracé les yeux fermés mais suivre cette étrange lampade comme un aveugle avait un goût de plaisanterie douce-amère. Marcher quelques pas derrière elle autorisa son regard à s’égarer sur les runes antiques qui coloraient son corps. Elles lui en rappelèrent brièvement d’autres, sur la peau d’une bâtarde et il chassa cette image de son esprit avec autant de force qu’un crocodile malmène sa proie dans sa gueule avant de l’avaler.

Il acquiesça aux paroles d’Amaélis sans plus poser de questions. Ils connaissaient chacun des secrets auquel nul autre sur cette terre ne pouvait prétendre. La nuit noierait la voûte de la chambre dans d’opaques ténèbres jusqu’à faire resplendir ses constellations. Dans ce ballet figé d’étoiles qui ne mourraient jamais se cachait le rite qui allait refermer le trou dans le monde. Métherkan levait les yeux vers ce plafond avec une avidité mêlée de fascination craintive. Il n’oubliait pas que cette péronnelle gracile, surgie de nulle part, avait réussi un coup de maître du premier coup, quand lui-même se montrait trop timoré depuis des années pour oser un rituel de cette envergure sans une préparation acharnée. Aussi désastreuse soit l’œuvre, elle témoignait d’une puissance sauvage qu’il rêvait de dompter.

- Si cela peut vous rassurer, ma mie, minauda l’elfe aux cheveux de jais, inclinant son visage en lame de couteau vers sa diaphane compagne. Ce sera avec plaisir.

Son sourire se voulait de miel mais, immanquablement, ses yeux glacés ne pouvaient mentir. Il éprouvait autant l’envie d’encourager Amaélis qu’il voulait se faire curer les dents par un ogre. Il ignorait si la jouvencelle souhaitait se moquer de lui ou se rassurer elle-même et, à vrai dire, cela ne revêtait pas une extrême importance. L’incertitude vicieuse qui baignait leurs interactions avait le mérite de davantage ressembler à ses échanges coutumiers avec les non-morts. La discussion avec des vivants bien réels, en revanche, le plongeait dans la plus grande perplexité. Si la Chevalière se comportait en être vivant, il craignait d’être dépassé par la situation.

- Mon Lié nous informera dès l’instant où le soleil sera couché.

Il ne dirait pas que lui-même était soulagé qu’elle aborde le sujet. Il n’avouerait pas qu’il ressentait une terreur atavique à l’idée d’échouer ou de faire une erreur dans le rituel. Une terreur proche de l’euphorie qu’il s’évertuait à dissimuler sous le masque de l’intrigant intrigué comme il savait si bien le faire.

Il n’admettrait pas non plus à quel point il se réjouissait de savoir l’Airain éloignée de son précieux Màr. Cette créature était aussi aberrante que sa moitié d’âme sans écailles mais il s’en méfiait davantage. Sous les ordres de son maître, Niedesh recherchait parfois sa trace dans la lande mais il n’interagissait plus avec la dragonne. Elle s’était perdue, au sens propre comme au sens littéral, à la plus grande joie de Métherkan. Il haïssait l’Airain et son statut de princesse du chaos, mais pas assez pour nier que même morte, elle pourrait faire des ravages en son foyer.

L’héritier désavoué des Garaldhorf entonna la litanie des incantations d’une voix basse et sourde. Sans les bons ingrédients et certaines étapes, ces mots en langue sacrée des Valherus ne possédaient pas plus de sens qu’un chapelet d’injures enfantines. La prière montait vers la voûte, venait caresser la pierre et faire vibrer la poussière. Métherkan marqua une pause, attendit que sa complice joigne sa voix à la sienne puis vérifia que les glyphes sur ses propres membres n’avaient pas été effacés par le frottement avec le vêtement. Sur un bout de parchemin où étaient notées les étapes du rituel, son regard s’égara dans l’espoir de n’y reconnaître aucune faille. Il n’aimerait pas qu’Amaélis le trahisse avant que lui-même n’en ai eu l’occasion ou qu'il n'en retire quelque bénéfice. Il y avait bien trop à perdre dans cet hommage au néant.
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Amaélis Eleicúran
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MessageSujet: Re: [RP] Ritournelle pour les Damnés   [RP] Ritournelle pour les Damnés Icon_minitimeMer 28 Juil 2021 - 10:56

Comme un miroir trompeur, le visage d’Amaélis reflétait celui de Métherkan à l’inverse. Sa bouche resta immobile face à ce sourire trop affable, mais dans ses yeux si vastes que nulle lumière ne semblait pouvoir en traverser l’espace, qui n’étaient que deux fenêtres éteintes par lesquelles son âme ne regardait plus, scintilla un bref et terne éclat d’amusement. La Neishaane, en dépit de ses sempiternels mensonges, n’était pas plus partageuse que sa Liée. Sa solitude était un choix conscient, mais cela ne voulait pas dire qu’elle ne la subissait pas. Du haut de son trône, taillé dans la pierre dont serait sûrement faite sa tombe, elle aurait aimé posséder la prestance d’Ithildin, son aisance à peupler le silence par la seule présence de son esprit, son assurance à dénigrer quiconque, qu’il fût homme, Dragon ou Dieu.

Et, bien qu’elle se plût à piétiner le bon sens sous les pas effrénés d’une danse connue d’elle seule, celui-là même qui lui soufflait de ne pas se familiariser avec la compagnie d’un collègue, elle ne parvenait pas à étouffer l’excitation enfantine qui l’avait envahie dès lors que la voix de Métherkan avait résonné sous la voûte éclatée.
Quelque chose sous sa langue, tandis qu’elle récitait les prières Valherues avec concentration, calant son rythme sur celui de l’Elfe, lui rappelait indistinctement le jour où elle avait lu à Pilien les premiers paragraphes d’un livre poussiéreux. Les battements de son cœur fier, les mots qui s’entrechoquaient et se pressaient au bord de ses lèvres. Elle ignorait avoir conservé ce souvenir, à la saveur fade, totalement dénué d’intérêt. Le Kaerl vibrait d’un millier de mémoires uniques pour toujours entremêlées dans un oubli commun. Il aimait décidément jouer avec les fils de sa vérité, remodelait son existence pour mieux servir ses propres desseins.

Ensuite, Amaélis patienta en silence, grattant du bout de l’ongle la peau fine à l’intérieur de son poignet, la silhouette de Métherkan comme du brouillard dans le coin de son œil. Elle ne lui répéta pas les règles, parce qu’elle le jugeait assez intelligent. Elle ne lui faisait certes pas confiance, mais elle savait qu’il ne se condamnerait pas lui-même à un sort pire que la mort – pas tant qu’il n’aurait pas satisfait ses impossibles désirs. Cela signifiait-il qu’il ne mourrait jamais, alors ? Était-il si simple, le secret qui menait à l’immortalité ? Près des larges portes de bronze scellant l’entrée du laboratoire, elle aperçut la silhouette évanescente de Valharin Eleicúran qui s’effaça comme un mauvais rêve. Même les Spectres n’étaient pas assez fous pour s’attarder sous l’œil noir d’un outre-monde.

Métherkan l’informa que la nuit était tombée et elle hocha la tête, muette, avant de se diriger vers l’autel d’un pas mesuré. Ses pieds nus ne faisaient aucun bruit en glissant sur la pierre impatiente. Elle versa le contenu de la timbale dans l’une des coupes en argent, marcha jusqu’au cercle central où l’Elfe attendait, et lui tendit le verre après y avoir bu une maigre gorgée. La mixture, censée offrir l’accès à des plans insoupçonnés de la conscience, avait un goût poisseux de ténèbres interdites et floues qui troublait les sens. La Neishaane en lécha les résidus âpres sur ses lèvres, fermant un instant les paupières pour mieux apprécier le frisson qui remonta le long de son dos – mais elle savait qu’elle ne devait pas s’y attarder.

D’un mouvement ample, elle leva ensuite la dague dissimulée au creux de son autre main et la fit glisser contre sa paume. La coupure, quoique superficielle, lui arracha un discret hoquet de douleur. Son sang se mêla au reste de la potion dans un tourbillon aux teintes maussades. Elle laissa à Métherkan le soin de l’imiter, lui passant la lame et la coupe sans croiser son regard. Sur le sol, elle traça à la craie des runes Valherues, liées pour former un nouveau symbole. C’était le nom du portail, dont les ténèbres ondulaient au-dessus d’eux, épiant leurs faits et gestes. Un enchevêtrement de lignes inédit ; un mot qui ne se prononçait pas.

Sous terre, là où les plus anciennes étoiles demeuraient endormies, les puissances à l’œuvre dépassaient ce que la seule imagination était capable de concevoir. Les volontés et les ambitions personnelles flétrissaient sous le souffle infini de la nuit des temps, se fanaient comme les pétales blanchâtres d’une fleur n’ayant jamais connu le soleil. Par naïveté ou par indifférence, la Neishaane s’était convaincue que Métherkan partageait ce savoir et, pour cette raison, elle n’envisageait pas qu’il puisse la trahir. Elle ignorait, de toute manière, ce qu’il aurait eu à y gagner en-dehors du plaisir, éphémère et vain, d’avoir dupé.

Lorsqu’elle se redressa, elle essuya machinalement ses genoux et récupéra la coupe. Enfin, elle accepta de rencontrer le regard de l’Elfe, comptant dans sa tête le temps nécessaire à une respiration. Puis, ses lèvres s’ouvrirent. Son bras leva la coupe entre eux, au milieu de l’espace qui les séparait, au milieu des cercles gravés, au milieu de la pièce – et en cet instant, il leur était permis de le croire, peut-être au milieu de l’univers tout entier –, et en renversa le contenu qui vint éclabousser leurs chevilles. Le liquide coula dans les sillons, une écume moussante couleur de mûre. Cette fois, elle n’eut pas besoin de recourir à de quelconques artifices ; sa voix seule fut l’étincelle qui vint embraser la mixture. Les flammes s’élevèrent le long des cercles labyrinthiques, suivant un ordre qui n’avait rien d’un hasard, barrant toute possibilité de retraite, éveillant sur la peau des mortels les runes qui se mirent à danser.

Les mains de la Neishaane flottaient dans l’air. Ses longs doigts de musicienne, décharnés par la famine, asséchés par les poisons, cherchaient aveuglément les fils éthérés qui avaient été arrachés lors de son précédent rituel. Son corps se balançait dans le vide avec l’obstination d’un pendule, suspendu par la maigre chaine qu’avaient formé ses songes, ses désirs, ses racines. Par-delà le voile nébuleux que la clameur des ancêtres agitait, transformé en océan houleux où planait l’ombre d’une tempête à venir, un cri résonnait parfois, un rire, un soupir. Les âmes prisonnières de la pierre étaient de celles que même les Maudits avaient tenté d’enchaîner, et c’était la férocité vaniteuse de leurs rêves, aujourd’hui, qui hurlait sous la caresse brûlante de ses paumes et qui lui crevait le cœur.  

Métherkan avait la charge du poignard, dont la lame subtile tranchait aussi bien les chairs que les ombres. S’il était capable de les distinguer, alors il remarquerait que celles-ci s’écoulaient des interstices entre les pierres, le long des parois suintantes, tentaient de noyer les lueurs sanglantes des flammes dans leur étreinte. Certaines avaient des griffes, des crocs, des gueules désespérément ouvertes quand d’autres n’étaient que des traces de charbon à moitié effacées, tapies au coin de l’œil. Aucune ne représentait de réelle menace ; tout au plus un inconvénient. Attirées par les résidus de magie comme des charognards par des entrailles pourrissantes, ces entités misérables, inachevées, abondaient toujours dans les recoins obscurs, s’accrochaient aux poignets et aux lèvres des puissants avec l’insistance puérile des espoirs déçus.

Son sang mélangé à celui du fils du Garald peuplait la pièce d’une terrible violence et Amaélis se sentit emportée par la marée montante. Tout cela les dépassait, elle le savait. Il existait bien, entre cet abîme et le suivant, un démon qui viendrait récupérer ce que les anciens autrefois lui volèrent. Il était déjà en route, sûrement. Il déroulait ses anneaux infinis dans un fracas qui faisait trembler le cœur de Rhaëg. Aucun sacrifice ne viendrait à bout de son appétit. Le sang pouvait dévaler les marches des temples, tomber en pluie sur les champs ou bouillonner dans les rivières ; cela ne serait jamais qu’une simple goutte dans l’océan rouge de son œil. Ils ne seraient jamais assez, elle le savait. Ni lui, ni elle, ni ceux qui les précédèrent sur le pavé des villes antiques, ni les égarés qui viendraient après eux poursuivre le chemin des tombes.

Ce qu’ils semaient dans l’éther n’étaient que des graines déjà à moitié rongées par la corruption de leurs êtres. Il ne s’en élèverait rien, elle le savait aussi. Sa vie et sa mort demeuraient enlacées. Le fluide qui coulait dans ses veines était le poison qui causerait sa fin tout autant que l’essence indispensable qui maintenait entre eux les éléments de son corps. Qu’aurait-elle donné pour être enfin débarrassée de cette encombrante machine, si fragile, si faillible, si complexe, qui révélait au monde tout ce qu’elle ne voulait pas qu’il sache. Ses obsessions, ses erreurs, ses peurs.

Un par un, entre ses ongles, elle renouait les fils. À mesure qu’elle avançait, avec lenteur et méthode, ses pieds traçaient sur le sol le contrepoint des balafres étoilées ornant le plafond.

« Métherkan. »

Elle distinguait entre les syllabes de son nom les sonorités rugueuses, bancales d’une existence malmenée par le destin – mais elle n’y croyait pas. Amaélis était persuadée que toute chose arrivait pour une raison, aussi injuste, aussi terrible fût-elle, mais jugeait également que rien n’était immuable. C’étaient les choix de l’Elfe qui l’avaient mené ici, en ce jour ou plutôt en cette nuit, et aussi les choix de ceux qui avaient croisé sa route – de la même manière que la souffrance et le désespoir avaient guidé les pas de la Neishaane jusqu’à l’entrée maudite de ces ruines. Personne ne l’entendrait pourtant souffler de telles paroles ; dans le grand cycle de la vie, il lui fallait un bourreau si elle souhaitait rester victime. Que cherchait-elle, en maudissant les cieux, sinon à s’attirer un châtiment capable de la laver de ses fautes ?

« C’est à toi. »

Les bras à peine levés, Amaélis semblait tenir dans ses mains un ruban coupé dans la plus inestimable étoffe. Des Lunes de recherches et d’études leur avaient appris que le portail n’avait pu être maintenu ouvert qu’en s’attachant à une source d’énergie dans laquelle puiser. Puisqu’elle l’avait créé, qu’elle l’avait traversé, dans un sens puis dans l’autre, la Neishaane avait supposé qu’elle était ce foyer et qu’il leur suffirait alors de couper le lien qui l’unissait à l’outre-monde pour refermer le maléfice. Elle ne s’en était pas sentie capable, pas avec l’effort que lui demandait déjà son chant charmant les ombres et ses sens engourdis d’évoluer dans cet étrange entre-deux qui n’était ni là ni absent, ni vrai ni faux. Alors, c’était Métherkan qui portait le poignard et qui s’approchait désormais.

« Tu sais ce que tu dois faire. »

Aucune crainte ne soulevait sa poitrine. Rien de ce que reflétait ses yeux ne lui appartenait vraiment. Le froid éclat de l’acier s’était mué en pierre. Dans le ciel brumeux de l’Hiver, quelques rares astres s’étaient allumés, sentinelles ancestrales veillant sur l’infini de son héritage.
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Persée Garaldhorf
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MessageSujet: Re: [RP] Ritournelle pour les Damnés   [RP] Ritournelle pour les Damnés Icon_minitimeJeu 23 Sep 2021 - 20:40

[RP] Ritournelle pour les Damnés Mether10-56d7ee4 [RP] Ritournelle pour les Damnés Shivan10
Métherkan Garaldhorf & Niedesh

Bene Gesserit – Hans Zimmer (Dune OST)


Ombres et poussières.

Ils dansaient dans un néant vivace, sous une voûte de pierre qui ne parvenait pas à masquer la clarté réelle, funeste et délétère, d’astres viciés. Dans le ciel aux vapeurs de souffre s’écoulaient les longs tentacules poisseux de la nuit. Telles des aiguilles perçant la peau fragile du monde, les étoiles brillaient d’un éclat blafard, acide, moqueur jusque dans leur couleur qui s’étiolait dans le vide en d’impossibles nuances causées par les nuées toxiques. La lande exhalait son souffle sous la voie lactée, pareille à une fumeuse d’opiacée, et son pouls, lent et sourd, vibrait dans la terre. La pulsation ravivait des échos dissonants. Des souvenirs et des rêves lacérés par des mains fantômes, parfois par des serres pétrifiées dans leur ultime désespoir. Figée dans l’abomination et le silence, la Lande d’Eru n’avait pourtant jamais parue aussi vivante, ni aussi réelle, que cette nuit-là.

Sous ces lumières d’outre-monde, deux êtres dansaient. Ils suivaient un rythme millénaire, dont aucune mémoire d’être vivant ne pouvait se rappeler. Une mélodie des abîmes qui aurait dû être oubliée depuis des siècles résonnait dans les vastes chambres vides, et les couloirs désertés, de la citadelle préférée des Valherus. La mort ne rôdait pas ici. On avait privé les âmes de ce lieu de ce droit au réconfort, de l’étreinte douce-amère d’Isashani, pour mieux piéger les forces obscures qui y régnaient. Si les dieux n’avaient pu détruire entièrement le Kaerl, son héritage et tout ce qu’il représentait, il restait alors un espoir, même ténu, de voir d’anciennes puissances se réveiller. Les astres, les divinités, les chimères de l’espace et du temps : tous observaient ce ballet, retenant leur souffle.

Sous l’œil noir du trou entre les mondes, la danse de non-mort prenait pas à pas corps dans la réalité. Une coupe, une lame, des glyphes, du sang. Des héritages qui auraient dû rester dans l’ombre pour l’éternité, et surtout ne jamais se mêler, se rencontraient aujourd’hui. Les magies de jadis, celles d’Eleicúran et du Garald, vibraient à l’unisson pour la première fois. La lente prosodie du sang s’écoulant s’élevait pour modeler les ténèbres. Au son des battements de cœur du Màr déchu chantaient les voix des non-morts. Aux marges de la folie se révélait la trame du monde. La frontière, entre ce qui était réel et ce qui ne l’était, s’effrita.

Un œil toujours prêt à scruter avec vigilance la béance d’entre les mondes, Métherkan Garaldhorf s’avança vers sa comparse. Ils avaient suivi le rituel à la lettre, ensemble, complémentaires jusque dans l’absurde où la réalité se fondait. Il n’y avait plus ni neishaane, ni elfe, ni dragons. Ils étaient les derniers héritiers conscients de ce legs inestimable. Ils représentaient l’avenir. Et ce futur, pour l’heure, méritait qu’on refermât le puits obscur qui dévorait le ciel de la lande.

Métherkan fut témoin du pouvoir déployé par cette lignée rivale, incarnée dans la pâle nymphe du crépuscule. Il avait beau enrager qu’une telle abomination, de surcroît liée à une aberration de la nature de Flarmya, puisse exister, il jalousa cette puissance inconnue avec une force inégalée. Son appétit, vorace et inextinguible, s’aviva. Il contempla avidement sa compagne, la fièvre au fond de ses yeux caves, l’envie chevillée au corps. Quel effet cela faisait-il, de posséder ce pouvoir ? Quel effet cela aurait-il sur lui, qui combinait déjà plusieurs maléfices, charmes et autres pactes ? Il se demanda quel goût pouvait avoir la chair de la neishaane, si son sang possédait la même saveur sucrée et mielleuse que le péché, si ses os feraient de beaux instruments pour ses créations. Il songea comme la dragonne ferait une merveilleuse parure d’écailles. Son squelette soigneusement nettoyé ornerait superbement l’entrée de la Demeure Garaldhorf, lorsqu’il aurait enfin les clefs du sanctuaire de ses ancêtres. Niedesh ne refusait jamais un festin, et cela faisait longtemps que ses crocs n’avaient pas eu le plaisir de déchirer les chairs d’un de ses congénères. Dragon et homme en salivaient par avance.

Cependant, il y avait ce trou dans le ciel. Un regard, et Métherkan se sentait happé par l’obscurité, pleine et sans nuances, qui s’ouvrait dans les airs. Tout son être se tendait vers cet inconnu insondable, qui ranimait une terreur atavique dans son petit cœur racorni. Il haïssait la peur qu’il ressentait face à ce mirage. Et il haïssait plus que tout de savoir que quelqu’un d’autre, ou quelque chose d’autre, pouvait lui voler son héritage. Il était le seul être digne de régner en ces lieux. Il n’avait que trop sacrifier pour faire demi-tour. Ce Kaerl était le sien, et jamais il ne le partagerait, ni avec les dieux ni avec des entités venues du fond des âges. Pas même une femme-enfant gracile et diaphane, dont la puissance ruisselait en feu jusque dans son sang, et qui osait se prétendre son égale.

L’elfe s’avança, la lame en mains. Il avait repoussé les nuées de spectres attirés par la magie, les avait balayés sans états d’âmes, sans un regard pour leur détresse ou leur fureur. Il avançait maintenant vers la Chevalière Airain, englobant son corps frissonnant et marqué par le sort d’un regard peu amène, tandis qu’un rictus difficilement identifiable relevait ses babines. A la lisière de leur âme, le Brun - qui n’en avait plus que le nom – frissonnait tout autant. Impatience ? Excitation ? Peur ? Métherkan refusait de s’appesantir là-dessus. Il avait soumis le dragon pour en faire un être proche de la perfection. Si des émotions parasites filtraient de leur symbiose, il s’agissait malheureusement des leurs, à tous deux. Il n’y avait plus besoin de frontières.

Le fil du sortilège gisait, palpitant et radieux, entre les mains maigres de la neishaane. A présent, il y avait une frontière qui valait la peine d’être reconstruite. La lame étincela à la lueur des flambeaux. Bientôt, chuchotaient les flammes. Bientôt.

La poussière suspendit sa ronde dans les airs. Le temps parut se dilater. Les ombres se pétrifièrent sur un cri muet.

Tue-là et le portail se refermera.
Tue-là et nous serons libres.


Métherkan cligna des yeux, éprouva un infime moment de confusion. La lame hésita, puis se leva avec une fermeté renouvelée. Il n’avait pas le droit d’échouer. Il devait songer à l’avenir. Un futur magnifique, où l’attendaient gloire et souffrance. Son chemin n’était pas encore achevé. Il devait se souvenir, continuer à y croire, garder en mémoire que ce n’était pas la fin. L’accomplissement viendrait plus tard, il le savait. Il devait conserver cela à l’esprit.

Tue !

La mort n’avait pas été invitée cette nuit. La lame s’abaissa brusquement. Elle trancha net le cordon qui reliait la neishaane au portail des profondeurs. Brisa la trame qui s’effilocha en rubans affolés, avant de s’effacer sur un murmure plaintif. Le temps se suspendit. Un grondement caverneux, surgi des entrailles de la réalité, vibra tout autour d’eux. Un bref cri rauque de dragon sonna comme une alarme. Le Kaerl tremblait sur ses fondations. Un silence palpable, qui écrasait les masses et avalait l’oxygène, s’abattit. Quelque chose résistait, refusait qu’on refermât la porte.

Métherkan leva les yeux au plafond, le souffle court. Il lui semblait que l’œil noir le contemplait, lui, et sondait son âme sans la moindre pitié. Il se mordit violemment la joue pour ne pas hurler. La terreur atteignit son paroxysme, au point qu’il ne parvenait plus à respirer et croyait sentir ses os être broyés. Son esprit vola en éclats. Un déluge de mots et d’étoiles explosèrent en un cosmos incontrôlable, et sa psyché manqua se rompre sous l’impact. Mais parce qu’il avait déjà été autrefois aux limites de la folie, et qu’il les avait délibérément embrassées, il ne fut pas détruit. Car il était bien peu de choses, finalement. Métherkan Lysandre Garaldhorf se tenait debout au milieu du chaos, petite chose futile dans le grand tout, telle une phalène volant insouciamment dans la nuit.

La puissance reflua lentement, avant de propager une onde de choc. Métherkan tomba à genoux. Le poignard glissa sur les dalles. Les larmes aux yeux, il vit, bien que sans le voir vraiment, l’œil noir se rétracter, s’effondrer sur lui-même, pour finir par s’effacer. Les feux célestes, enfin libérés, parurent enflammer le ciel. La réalité avait été restaurée. Le roi des Maudits étira un sourire de plénitude. Le mendiant des Renaissants soupira de bonheur.

- C’est si beau…

Dans la citadelle de la morte plaine régnait un silence sépulcral. L’univers s'était empressé de réajuster sa domination sur ces lieux.


Dernière édition par Persée Garaldhorf le Ven 1 Oct 2021 - 17:16, édité 1 fois
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Amaélis Eleicúran
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MessageSujet: Re: [RP] Ritournelle pour les Damnés   [RP] Ritournelle pour les Damnés Icon_minitimeDim 26 Sep 2021 - 18:17

J’ai rêvé de tempêtes, et d’un œil si noir que la lumière s’y reflétait captive.

L’abîme frissonnait du chant d’un millier d’étoiles avortées. En elle résonnait la vibration irréelle du vide. Son regard restait accroché au trou entre les mondes. Sous cet angle, il s’agissait moins d’un trou que d’une boursouflure. Une goutte de sang cosmique suintant d’une impossible déchirure dans la matière. Plus elle le regardait et plus il semblait grossir. Il n’y avait aucune langue capable d’assembler la complexe graphie que formaient ces éclats d’infini tandis qu’ils s’effondraient sur eux-mêmes, encore et encore, en une monstrueuse fractale. La Vérité attendait, tapie au creux de la plus infime singularité, pour toujours inaccessible, et le Monde ouvrait sa gueule sur un rire qui modelait l’espace et le temps.

La lame d’obsidienne trancha le fil qui enchaînait la Neishaane au néant.

Les yeux exorbités, elle vacilla en arrière, agrippant la chair de son ventre entre ses mains tremblantes comme pour tenter d’endiguer une hémorragie. Aucun liquide ne tachait pourtant ses doigts ou le tissu immaculé de sa robe, mais elle sentait que quelque chose s’enfuyait par une crevasse invisible taillée dans ses entrailles par les griffes du maléfice. Elle ne pouvait pas hurler ; son cri avait déchiré sa gorge avant de pouvoir s’échapper. Il remonta jusqu’à ses pupilles étrécies et dévala ses joues ardentes et blêmes. Dans son âme, dans son cœur, partout sous le caveau de la nuit se fit entendre un profond rugissement. Ithildin partageait la souffrance de son Âme Sœur et lui offrait la sienne, car elle aussi avait traversé la frontière, en ce jour maudit, bien des Lunes plus tôt. Elle aussi, avait nourri le portail.

La Dragonne était une créature issue du sein du Chaos. Amaélis rien de plus qu’une mortelle, un réceptacle au corps et à l’esprit trop fragiles pour résister à la puissance insensée des vents stellaires.

Pourtant, toutes deux brûleraient comme un feu de paille.

L’abîme tremblait sous la clameur d’un millier d’étoiles déjà mortes. Sous cet angle, il s’agissait moins d’une grotesque tumeur que d’une fenêtre ouverte sur les abysses. Plus elle le regardait et plus il semblait décroître. Sur un sursaut, Amaélis prit une inspiration qui la transperça de part en part. Un soupir fit frémir ses paupières. Ses doigts s’enfoncèrent sans pitié dans sa peau.

« Oblaan. » souffla la Neishaane du bout des lèvres – à peine un ordre, plutôt une provocation – les yeux plongés dans les méandres obscurs. Le poids du verbe creusa la faille qui séparait cette seconde de la suivante ; leur vibration insidieuse pénétra l’étrange substance de l’outre-monde qui se rétracta avec un sifflement d’animal blessé.

Puis, tout se brisa.

La blessure dans la chair de leur réalité se referma en même temps que celle dans l’âme d’Amaélis éclata en mille morceaux. Soufflée par la déflagration, l’Errante fut projetée hors des cercles rituels dans un chaos de poussière, de cendres et de débris de pierre. Les flammes furent englouties, le glyphe tracé à la craie balayé. Sur la peau des deux enfants des Maudits, les runes Valherues entamèrent leur dernière danse puis se tordirent, s’entremêlèrent, pour former de nouveaux symboles, énigmatiques et inquiétants, avant de se dissiper dans les airs en une poudre de ténèbres.

Le dos plaqué contre les dalles glacées, les joues chatouillées par une pluie sale et grisâtre, Amaélis leva les yeux vers le ciel.
Un par un, les astres s’étaient rallumés, retrouvant leur place originelle dans l’immensité des nues. Indistinctement, il lui sembla que leur lueur s’était faite plus violente, comme pour dissuader quiconque de douter à nouveau de leur légitimité. Le soulagement d’avoir réussi n’était pas assez fort pour masquer l’arrière-goût de déception et de haine qui s’attardait sous sa langue, et ce fut sans sourire qu’elle accueillit le retour des constellations, les nommant chacune dans le silence de son esprit pour les saluer, jusqu’à se donner la nausée. Elle roula sur le côté, crachant une bile aigre et sanglante, sa pitoyable carcasse secouée par une affreuse quinte de toux.

Non loin, elle entendit la voix de Métherkan mais ne parvint pas à distinguer le sens de ses mots. Elle se tourna pour le découvrir, à genoux, une expression béate sur le visage, comme en adoration sous la voûte étoilée et elle se retrouva totalement désemparée, incapable de concevoir quel sentiment une telle vision aurait dû provoquer en elle. Son regard glissa sur le poignard d’obsidienne, abandonné entre eux. Elle ne voulait pas partager le souvenir de ce moment avec quiconque. Elle ne voulait pas s’embarrasser de fausse gratitude envers celui qui l’avait aidée. À cause de lui, elle devait vivre encore.

Avait-elle tiré tout ce qu’elle pouvait de lui, ou bien y avait-il plus ? Comment pouvait-elle savoir ?

Sous ses paumes, la pierre vibrait toujours d’une soif inextinguible. Elle ne se souciait guère des évènements ayant eu lieu ici. Pendant des siècles, elle avait attendu. Elle avait goûté au sang du Garald et maintenant, elle en voulait plus. Hagarde, le front luisant de fièvre, la fille Eleicúran poussa un gémissement plaintif qui se perdit dans la rumeur montante de vieux sortilèges enfouis sous la terre.

Mais avant qu’Amaélis ait pu esquisser le moindre mouvement, une forme brillante se détacha du firmament. Les écailles ruisselantes de cuivre et de mercure sous les feux retrouvés du ciel, Ithildin apparut parmi les ruines dans un tourbillon de fumées et la lame fut définitivement égarée sous les gravats. La Dragonna attrapa l’Elfe et la Neishaane entre ses serres pour les emmener, loin des vestiges fumants et des fondations incertaines, de leurs malédictions insatiables. Elle les lâcha sur l’un des toits de la demeure Eleicúran avec un grondement menaçant, laissant planer sur sa Liée l’ombre écarlate de ses iris, parant sa silhouette pâle de reflets d’incendie.

Lentement, Amaélis déroula son corps meurtri et se redressa, chancelante. La morsure de l’automne sur ses bras nus ne l’émouvait pas. Au creux de ses courbes, la brise nocturne dissimulait une odeur de métal et de soufre. Les sœurs Lunes promenaient sur la citadelle endormie un regard affectueux tandis que sonnait de plus belle la berceuse carillonnante des étoiles. Rien n’avait changé – rien ne changeait jamais, en ces terres oubliées des Dieux. Ils n’étaient que le produit des songes de cette rêveuse au sommeil éternel, pensa la Neishaane en s’approchant du bord.

« J’ai fait ce pour quoi je suis revenue. » déclara-t-elle, plus à l’adresse du Kaerl qu’à celle de Métherkan. Lorsqu’elle fit face à ce dernier, elle retroussa ses lèvres en un rictus dédaigneux, amer, comme après avoir mordu un fruit encore vert. « Merci. » lui lança-t-elle, et elle aurait tout aussi bien pu lui cracher au visage. « Nous sommes toujours voisins. Tu sais où me trouver, quand tu auras décidé de ton prix. »

En quelques pas hésitants, elle franchit la distance qui la séparait de l’Elfe, pas plus assurée qu’un frêle esquif sur une mer de tempête. Sous la lueur diffuse de la nuit et de ses sombres matériaux, la Neishaane avait la densité d’une statue de verre. Délicatement, elle prit la main de Métherkan entre les siennes et, tandis qu’elle traçait de la pointe de l’ongle la coupure encore à vif qui ornait sa paume, elle se hissa sur la pointe des pieds jusqu’à pouvoir effleurer ses lèvres, y imprimant la brûlure de son souffle fébrile.

« Je ne bougerai pas d’ici. »

À bout de forces, Amaélis déposa ces mots près de son oreille, ni menace ni promesse, avant de se reculer, laissant la nuit effacer ses contours vaporeux.
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