L’histoire d’un Miracle.
Le Soleil se levait doucement, étendant ses doux rayons sur l’île encore endormie. En cette période hivernale, Ivrin et ses travailleurs attendaient des heures un peu plus chaudes pour réellement se réveiller. Aujourd’hui, pourtant, ne promettait pas d’être une journée très productive. Notamment parce que la neige avait tout recouvert en une nuit, du sommet de la montagne jusqu’aux quelques rochers pointant hors de l’océan, mais aussi car c’était un jour particulier pour les habitants.
Aujourd’hui avait lieu la grande Cérémonie de l’Empreinte Royale.
Il ne suffit que de quelques heures de plus pour que l’agitation et l’excitation ne gagne l’entièreté de la cité sous la montagne. Pour autant, Sloänn traînait les pieds. Ce Neishaan, de près d’une trentaine d’années, n’avait jamais été très friand de ce genre d’évènements et, depuis qu’il était arrivé par hasard sur cette île, cela n’avait fait qu’empirer. A cause de sa condition d’homme, notamment. Malgré ça, il ne pouvait pas y échapper. Tout le monde devait s’y rendre et ne pas assister à la cérémonie était un blasphème en soi …
Terminant sa toilette journalière, le pêcheur se rendit dans la chambre de son fils aîné. Hindrik dormait paisiblement, tout innocent qu’il était du haut de ses quatre ans. Il caressa doucement sa joue et esquissa un sourire tendre en observant le garçon froncer sourcils et nez dans une expression contrariée, avant de soulever ses paupières, révélant deux yeux d‘un bleu profond, tout embués de sommeil.
- Il est l’heure de se lever, mon bonhomme …- Hmmm … Veux encore dormir, Papa …, gémit l’enfant.
- Ah non, pas aujourd’hui …, répondit le père en question avec douceur.
C’est un jour important, tu te souviens ? Alors il faut se lever et s’habiller, d’accord ?- Hmm … D’accord …Sloänn se pencha pour poser un baiser affectueux sur le front de son fils avant de se redresser, allant ôter la cloche en métal recouvrant le petit quartz luminescent de la chambre, qui fut immédiatement illuminé d’une lumière blanche et diffuse.
Le Neishaan quitta ensuite la modeste pièce pour se rendre dans celle, un peu plus grande, de son deuxième enfant. La fierté de la famille, selon les dires de Lydia, sa femme, mais lui ne faisait aucune différence.
Au contraire de son frère, Nínim ne dormait déjà plus. Assise dans son lit, serrant une petite poupée de chiffon contre elle, la petite fille de tout juste un an attendait en silence que l’on vienne la chercher. Un petit sourire étira ses lèvres enfantine lorsque, malgré la pénombre de sa chambre, elle reconnut son père. Un sourire que le pêcheur lui rendit avant de s’occuper d’elle, la lavant, l’habillant pour ensuite l’emmener dans la salle commune où tous les trois déjeunèrent ensemble.
Malgré qu’il ne pouvait que rarement approcher sa petite sœur, parce que leur mère le lui interdisait en sa présence, Hindrik prenait son rôle de grand-frère déjà très au sérieux malgré son jeune âge. Il manquait rarement une occasion pour s’occuper de la fillette et, tandis qu’il l’aidait à manger son petit-déjeuner, Sloänn les observait avec un regard paternel et un sourire attendrit.
Une fois le repas engloutit, la petite famille prit le chemin du Temple où se déroulerait la cérémonie tant attendue, se mêlant à la longue et silencieuse procession en route pour le lieu sacré. Serrant la main d’Hindrik, portant la petite Nínim de son autre bras, le pêcheur avançait, la mine soucieuse. Ses enfants étaient tout pour lui et le futur que leur offrait cette île était loin de celui qu’il souhaitait pour eux … Bien que tous les deux trop jeune pour cette cérémonie-ci, la possibilité qu’ils puissent être choisit dans le futur, si les nouveaux dirigeants n’étaient pas désignés aujourd’hui, ne pouvait pas être écartée.
Sa fille, au vu de la politique d’Ivrin, serait certainement endoctrinée comme les sœurs et les haut-gradées de la cité savent le faire tandis que son fils … Les possibilités qu’il vive longtemps étaient beaucoup plus restreintes. Leur avenir était sombre, à tous les deux. A tous les trois, possiblement … Mais c’était moins important.
Hindrik sortit son père de ses pensées en trébuchant et ne dût son salut qu’à la poigne ferme du Neishaan, qui remit le petit sur ses pieds. Les escaliers qu’ils étaient en train de gravir étaient un peu haut pour le garçon, qui faisait cependant de son mieux en s’aidant beaucoup de la présence paternelle. Bien installée contre Sloänn, Nínim, quant à elle, observait la foule et les alentours de ses grands yeux océan brillant de curiosité, se blottissant un peu parfois quand quelque chose ou quelqu’un l’inquiétait.
Son regard fut finalement attiré par une silhouette familière vers laquelle elle tendit ses petits bras en souriant. Un sourire que lui rendit Lydia en récupérant la fillette des bras de son mari.
- Bonjour, ma Nínim. Que tu es belle …Elle observa attentivement la petite Neishaane, plus particulièrement son front orné d’un petit triangle à l‘image de celui de sa mère et des autres femmes de l‘île. Le rituel s’était déroulé une petite semaine auparavant mais son tatouage avait déjà presque entièrement cicatrisée. Elle esquissa un sourire satisfait avant de se tourner vers les deux autres membres de la famille, qu’elle considéra avec une affection un peu plus froide, un peu plus distante.
Sloänn prit à son tour son fils dans ses bras, le petit garçon fixant Lydia et sa sœur avec insistance et curiosité, comme s’il essayait de comprendre pourquoi est-ce que sa mère semblait l’aimer plus que lui …
Sans un mot de plus, à peine quelques échanges de regards, la petite famille rejoignit le reste de la procession pour enfin atteindre la grande salle où se tenait la Cérémonie de l’Empreinte Royale. Tout le monde se serrait et s’entassait dans les gradins avec un silence presque religieux, pour ne pas déranger la Dragonne-Reine qui, couchée sur les sables blancs, enroulée autour de ses œufs, somnolait tranquillement. Il s’agissait d’une dragonne bleue mais ses écailles étaient ternes, ses ailes maigrelettes pour la masse grasse qu’était le reste de son corps. Il était évident qu’elle n’avait jamais dû sortir, ni même voler de toute sa vie. Tout en cette dragonne respirait la tristesse et pourtant, ses colères étaient réputées pour être redoutables et dangereuses. Le dragon brun, assit non loin d’elle, pouvait en témoigner. La multitude de cicatrices barrant son corps, l’absence d’écailles à certains endroits … Il lui manquait même le bout de la queue. Aussi gras que sa sœur, tous les deux étaient de bien pathétiques descendants de la Reine Argentée Elentàri.
Lorsqu’il fut évident que l’intégralité de la population d’Ivrin était enfin dans le temple, s’entassant vaille que vaille dans les gradins, la Cérémonie put enfin débuter. Tandis que la Matriarche et son époux se tenaient aux côtés de leur dragon respectif en attendant leur moment, la Grande Prêtresse s’avança vers le public et entonna une longue prière, bientôt reprise en cœur par les sœurs du temple puis par les autres citoyens.
Tandis que Hindrik tentait, tant bien que mal, de chanter avec ses parents, sans connaître les paroles avec exactitude, Nínim observait le monde autour d’elle avec une curiosité palpable. Son regard océan croisa, l’espace d’un court instant, celui rougeoyant de la dragonne bleue, qui semblait être passablement agacée par le bruit.
La prière prit fin et ce fut d’une voix aussi solennelle que la Grande Prêtresse continua sur sa lancée.
- Cher citoyen d’Ivrin ! Nous sommes réunis, en ce jour, pour célébrer l’avènement d’une nouvelle génération d’enfants de Fael-Lùlë et de sa Liée, Elentàri.L’une des nombreuses croyances de la cité voulait que les filles et garçons se liant à des dragons soient de purs descendants de la Valherue et de sa dragonne. Sloänn ne savait pas exactement quel crédit accorder à ces récits un peu farfelus … Mais l’existence des Dragons en eux-même était une anomalie à laquelle le Neishaan avait eu beaucoup de mal à se faire lors de son arrivée.
Alors que la Grande Prêtresse continuait son discours, rappelant à l’assemblée la grandeur de la guerrière et de sa compagne saurienne avec une ferveur sans cesse renouvelée, le regard de la dragonne bleue vira brusquement en un rouge profond alors qu’elle arquait son cou puissant en un rugissement de colère. Un vent de panique souffla parmi le public, plusieurs enfants, dont Nínim, se mirent à pleurer alors que la gueule de la petite Reine brillait d’une lueur incandescente. La Matriarche se planta alors fermement devant sa Liée qu’elle tenta de calmer de son mieux, de la même façon que son mari apaisait le peuple de paroles rassurantes.
Mais Nínim ne voulait pas se calmer, réellement effrayée, plongeant ses parents dans le désarroi alors que les regards mi-désolé, mi-réprobateur de l’assemblée commençaient à converger vers la petite famille. De tous, elle était peut-être la plus jeune et, habituellement, tout le monde aurait été tolérant mais, pour que la dragonne bleue ne retrouve un semblant de tranquilité, il lui fallait un environnement calme.
- Je sors avec elle, je vais tenter de la calmer dehors, chuchota Lydia à son mari, qui approuva d’un simple signe de tête, la regardant partir avec la petite fille, Hindrik séchant ses larmes contre la tunique de son père, encore un peu inquiet.
Quitter la cérémonie en cours de route était un grave blasphème mais la jeune femme espérait que les circonstances atténuantes accompagnant son départ plaideraient en sa faveur auprès de la Grande Prêtresse. Sa petite fille dans les bras, toujours secouée de sanglots, elle murmurait des mots doux tout en la berçant et en déambulant sur la place du temple, tournant autour de la grande statue de Elentàri enlaçant Fael-Lùlë, passant et repassant devant les derniers œufs de la célèbre dragonne.
Des huit alcôves crées spécialement pour les héberger, seuls trois étaient, désormais, encore occupées. Les autres avaient finit par éclore, les uns après les autres. Sans doute lors de l’un des précédents Hommages à la Valherue et à sa Liée, où il était coutume que tous les nouveau-nés de l’année soient présentés aux œufs, dans l’espoir de les voir se fendre. Encore aujourd’hui, la tradition perdurait mais il y avait peu d’espoir de voir, un jour, le museau d’un dragonneau crever ces coquilles-là. Trop de siècles étaient passés …
Alors qu’elle repassait une fois encore devant les trois œufs rescapés, Nínim s’agita doucement dans ses bras, tendant ses petites mains potelées d’enfant vers l’un d’eux. Celui du centre, très précisément. Devant l’insistance de la petite fille, Lydia s’arrêta et la rabroua doucement en lui disant qu’on ne devait pas les toucher, que cela était interdit mais la Neishaane n’en démordait pas et les larmes revinrent bien vite inonder ses yeux.
La jeune femme hésita. Nínim était, sans doute, ce qu’elle avait de plus cher au monde et la voir pleurer tourmentait son cœur de mère. D’un autre côté, sa sortie en pleine Cérémonie de l’Empreinte la mettait dans une posture délicate qu’elle n’arrangerait sûrement pas en laissant sa petite fille poser ses mains sur l’une des reliques les plus précieuses du temple.
Tout en lui expliquant, de nouveau, qu’il ne fallait pas toucher les œufs, Lydia se détourna et s’éloigna tranquillement, espérant que ne plus les avoir dans son champ de vision allait reporter l’attention de Nínim sur autre chose. Mais ce ne fut pas le cas, ses pleurs ne firent que redoubler, inondant de larmes ses joues rondes d’enfant, alors qu’elle se mettait à hurler son chagrin, à tel point que sa mère redoutait qu’on ne les entende depuis l’intérieur.
- D’accord, d’accord …, abdiqua-t-elle finalement en revenant sur ses pas.
Mais rapidement …Il n’y avait pas âme qui vive à l’extérieur, pas même un seul garde. Personne n’en saurait jamais rien … Du moins, l’espérait-elle de tout son cœur, consciente de la gravité de son acte et des problèmes que cela pourraient engendrer pour sa famille. Toute proche de l’œuf tant désiré par Nínim, elle s’avança un peu plus et la petite fille pût alors poser ses petites mains sur la surface lisse et minérale de la précieuse relique … Et elle sourit, alors que l’œuf se paraît subitement de runes et d’inscriptions Valherus, éclairant les deux Neishaanes d’une lumière bleue, vive, magique. Lydia en fut comme paralysée, incapable de réaliser ce qu‘il se passait. Sa fille, elle, était silencieuse, observant de ses grands yeux émerveillés le spectacle qui s‘offrait à elle, qui se déroulait pour elle. Le sortilège éveillé par l’enfant sembla soudain s’imprimer sur sa peau blanche en une multitude de motif, l’un d’entre eux se superposant étrangement bien à la récente marque triangulaire sur son front.
Puis tout revint à la normale, aussi brusquement que cela s’était déclenché, laissant Lydia quelque peu abasourdie par ce qu’elle venait de voir et Nínim enjouée, souriante et gazouillante malgré ses yeux rougis un peu plus tôt par les larmes. La Neishaane hésita sur la marche à suivre, craignant les répercussions que cela pourrait avoir sur sa famille si elle venait à révéler ce qui venait de se passer. D'un autre côté, un véritable miracle venait de se produire sous ses yeux. C'était un signe de Fael-Lùlë elle-même ! Tout le monde devait être au courant que sa très chère petite fille avait été choisit par la Valherue. Les doutes l'envahirent, elle ne savait que faire ... Dans un premier temps, elle préféra passer cet évènement sous silence et rejoignit les siens à l’intérieur du temple, afin d’assister au reste de la cérémonie.
L’empreinte se déroula sans autre incident et des quelques œufs de la Reine bleue naquirent les dragons espérés. Un petit brun se lia à un jeune garçon à la chevelure rousse, qui le serra tout contre lui avec un sourire qui en disait long sur son émotion, tandis qu’une frêle verte fila rejoindre la fille de la Matriarche actuelle, sans grande surprise. En effet, la famille royale était en place depuis de nombreuses générations consécutives et il se murmurait dans les rues que leurs membres seraient des descendantes directes de la grande Fael-Lùlë. Les femmes de ce clan avaient un statut presque divin pour le peuple de la cité.
Le troisième et dernier œuf fut brisé par la Reine à la fin de la cérémonie dans un nouvel accès de folle colère. Fort heureusement, celui-ci était vide …
Alors que tous regagnèrent leur domicile, personne ne vint faire de remontrances à Lydia, concernant son absence momentanée, et elle en fut bien soulagée. Nínim somnolant au creux de ses bras, elle réfléchissait encore à la façon dont elle allait gérer ce qu’il s’était passé avec l’œuf de la Dragonne Elentàri. Elle se devait de ne pas agir à la légère, l'avenir de sa fille en dépendait grandement …
Dans les jours qui suivirent la Cérémonie, elle garda le silence, n'en parla pas même à son mari, continuant à vaquer à ses occupations quotidiennes tout en tournant et retournant la situation dans son esprit.
Elle se décida finalement à aller consulter l'une des sœurs du Temple, la questionnant donc sur la possibilité, l'importance d'un tel miracle tout en insistant sur ce qu'il pouvait impliquer pour l'éventuel-le concerné-e.
- Hmm … Cela doit bien faire plusieurs siècles qu'un tel événement n'a pas eu lieu, commençant la religieuse avec une certaine hésitation dans la voix.
Mais cela occasionnerait un grand changement au niveau de la Famille Royale dominante … Attendez-moi ici quelques instants, je vais aller me renseigner.La demoiselle, à peine la vingtaine, s'en alla en trottinant pour aller fureter dans la bibliothèque du Temple, d'où elle en tira un livre épais à la couverture serti de filigranes dorés. Elle revint ensuite vers la Neishaane, déposant le précieux ouvrage sur une table de pierre non loin d'elles avant de l'ouvrir, une forte odeur de poussières et de vieux papier enveloppant alors les deux femmes. Tandis que l'une tournait les pages avec soin, tout en marmonnant pour elle-même, l'autre observait avec attention par dessus son épaule …
- Ah, voilà ! Finit par annoncer la sœur en se redressant, un sourire victorieux illuminant son visage.
Alors … Il est écrit ici que, dans le cas où c'est un garçon qui se lie à l'un des enfants de la Dragonne Elentàri, il deviendra l'époux de l'actuelle Matriarche. Si celle-ci est au terme de son règne, il sera donc l'époux de la future Matriarche.- Et dans le cas où c'est une fille … ? Demanda Lydia, feintant une curiosité innocente.
- Hmm … Oh ! La Matriarche en place est immédiatement destituée … L'enfant élue devient alors la nouvelle Matriarche et est placé sous la tutelle de la Grande Prêtresse, qui devient sa Régente, jusqu'à ce qu'elle atteigne l'âge de pouvoir régner seule.- J-Je vois, répondit la jeune mère, dont la voix trahissait son excitation grandissante.
Merci beaucoup, ma sœur.Après une rapide courbette pour appuyer ses remerciements, la Neishaane repartit d'un pas pressé vers son domicile. Dans son élan euphorique, elle finit par tout révéler à son mari qui, s'il était aussi surpris qu'elle, se montra beaucoup plus inquiet quant aux conséquences que cela pourrait avoir sur leur famille. Sloänn craignait, par dessus tout, la réaction de la Matriarche, qui n'était pas vraiment connue ni pour sa patience, à la manière de sa redoutable Bleue, ni pour son amour du partage du pouvoir, comme en témoignaient les nombreuses rumeurs concernant ses relations tumultueuses avec la Grande Prêtresse.
Pour autant, Lydia n'en démordait pas et décida, sans vraiment tenir compte de l'avis et de l'inquiétude de son mari, d'emmener Nínim voir la Grande Prêtresse afin de lui révéler, à elle comme au reste de la cité, que sa précieuse petite fille était la nouvelle élue de Fael-Lùlë.
Le jour fatidique arriva donc très rapidement. Lydia avait apprêté toute sa petite famille pour cet évènement on ne peut plus spécial et afficha un sourire radieux tout le temps que dura la traversée de la ville. Sloänn, lui, n'espérait qu'une seule chose : Que tout se passe bien. Et plus ses pas le rapprochait du Temple, plus le mauvais présentiment qui ne le quittait pas depuis ce matin s'intensifiait. Hindrik, qui trottinait à ses côtés en lui tenant la main, ne comprenait pas vraiment ce qu'il se passait mais était bien content de ce moment en famille.
Une fois dans le grand hall, la jeune mère demanda à l'une des soeurs de pouvoir rencontrer la Grande-Prêtresse, laquelle ne tarda pas à venir à leur rencontre. Lydia put donc, après des jours à se tourmenter à ce propos, relater dans les moindres détails l'étrange évènement qui survenut ce jour-là, lors de la Cérémonie de l'Empreinte Royale. Si la Grande Prêtresse ne l'écoutait, tout d'abord, que d'une oreille distraite, persuadée d'avoir encore affaire à l'une de ces bonnes femmes persuadées que leur fille est un miracle pour une raison généralement farfeulue, son intérêt s'éveilla brusquement lorsque la Neishaane évoqua des “signes étranges et brillants” apparaissant sur la surface de l'oeuf et, par la suite, sur la peau de son enfant. Elle se souvenait parfaitement avoir lu quelque chose de semblable, dans l'un de ses livres d'Histoire …
Il n'y avait qu'une seule façon de vérifier ces dires.
Après avoir convoqué un messager qu'elle envoya prévenir la Matriarche, la Grande Prêtresse fit entièrement vider le Grand Hall, congédiant même toutes les soeurs du Temple dans leurs appartements respectifs. Ne restait qu'elle-même et la petite famille de Neishaans …
- Bien. Approchez Nínim de l'oeuf, que je vois de quoi il en retourne exactement …Lydia s'exécuta sans un mot et s'avança donc vers la précieuse relique, sa petite fille dans les bras. L'enfant remua en gazouillant joyeusement contre sa mère avant de se tendre doucement vers l'avant et de poser ses petites mains sur l'oeuf. De nouveau, ce dernier s'illumina de mystérieuses runes bleutés mais cette fois-ci, point d'inscription magique sur la peau de la fillette et le sceau se dissipa bien plus rapidement que la première fois.
- Je … Je ne comprend pas, commença Lydia avec inquiétude.
C'était différent …- Ne vous en faites pas, c'est bien suffisant pour confirmer ce à quoi je pensais. Votre enfant a été choisi par cette oeuf … Elle est bel et bien une Elue de Fael-Lùlë.Néanmoins, la Grande Prêtresse était préoccupée. L'oeuf n'éclosait pas et cela n'était pas normal … Peut-être que l'enfant était trop jeune ? Peut-être manquait-il simplement quelque chose …? Elle n'eut pas tellement le loisir de s'abandonner d'avantage à ses réflexions car, tandis que Lydia et sa famille paraissait se réjouir de la nouvelle, la Matriarche, suivit de près par la Capitaine de la Garde et une bonne dizaine de soldats, pénétrait dans le Grand Hall d'un pas qui n'augurait rien de bon.
- Qu'est-ce que tout cela signifie, Prêtresse ?! Vociféra-t-elle, rouge de colère.
- Je ne fais que suivre mon devoir, Matriarche, répondit l'interpelée avec plus de calme.
Cette enfant est l'Elue de Fael-Lùlë, je viens d'en avoir la confirmation …La Matriarche foudroya la famille de Neishaans avec une telle hargne que Sloänn prit son fils contre lui avant d'enlacer sa femme de son bras libre, comme s'il cherchait à les protéger instinctivement de la fureur de leur dirigeante. Finalement, cette dernière sembla retrouver un semblant de calme en avisant les reliques d'Elentàri.
- Pourtant, tous les oeufs sont intacts … J'ai du mal à croire à vos histoires, ma chère, déclara-t-elle avec ce petit ton arrogant.
Si elle est bien cette “Elue” que vous prétendez, pourquoi n'y a-t-il point d'oeuf brisé et de dragonneau plein de vie ?Le regard de la Grande Prêtresse, d'ordinaire si serein et bienveillant, s'alluma à son tour. Elle s'avança d'un pas, comme semblant défier la vieille femme.
- Puisque vous semblez douter de mes propos, permettez-moi de vous prouver que je vous dis la vérité.Son regard croisa celui de Lydia, qui acquiesça sans un mot avant de s'avancer de nouveau vers les oeufs.
D'un signe de tête de la Matriarche à sa Capitaine, cette dernière ordonna à ses gardes de se saisir de tout le monde. Sloänn serra un peu plus son fils contre lui mais préféra ne pas protester, de même que Lydia, même si elle renacla un peu plus. La Grande Prêtresse ne se laissa pas empoigner, repoussant les mains armurées avec toute la force dont elle était capable.
- Enfermez celle-là, commanda-t-elle avec un calme effrayant, désignant la religieuse.
Quant aux autres … Tuez-les et jetez les corps à la mer, discrètement. Je ne veux pas que cette histoire insensée s'ébruite.- Avez-vous donc perdue la tête, ma Dame ?! Cria la Grande Prêtresse, essayant une nouvelle fois d'échapper à la poigne des soldats.
- Ne croyez pas que je vais vous laisser m'embobiner avec vos sornettes ! Cette gamine des bas-fonds, une Elue de notre grande Fael-Lùlë ?! C'est une insulte faite à sa mémoire ! Je sais que vous complottez pour prendre mon trône et je ne vous laisserai pas faire ! Gardes, exécutez mes ordres !La Capitaine ne fit que renchérir par dessus les mots de la Matriarche mais, alors que tout le monde allait se mettre en mouvement, certains contre leur volonté, un puissant rugissement, sourd et furieux envahit tout le Grand Hall, faisant autant trembler ses occupants que les murs entre lesquels ils se tenaient.
Une voix caverneuse, profonde, ancienne s'éleva alors, raisonnant dans leur esprit.
° Je ne vous laisserai pas assassiner la future Liée de ma dernière et précieuse fille … °Sans que quiconque n'ait pu comprendre ce qui était en train de se passer, la petite Nínim se retrouva envelopper d'une lueur bleue iréelle … Puis disparut.
L'instant suivant, la petite Neishaane, de tout juste 1 an, se retrouvait confortablement installée entre les racines d'un chêne centenaire, à l'abri de la neige qui tombait drue en cette fin de journée d'hiver. Une large route passait devant elle et au loin, à quelques centaines de mètres d'elle seulement, la silhouette d'une troupe itinérante se dessinait sur l'horizon.
° Le temps viendra où tu t'en retourneras chez toi pour accomplir ta destinée, petite fille … En attendant ce jour, survis pour ta soeur d'âme. Nous t'attendrons … °Et la voix millénaire mourrut dans l'esprit de Nínim, bien trop jeune pour retenir quoi que ce soit de cette mystérieuse prophétie.
Ce qu'il advint par la suite …? Ma foi, c'est l’histoire d’une jeune fille appelée Alrüne mais je crois bien que vous la connaissez déjà …