[RP] Le recueil de nos souvenirs

Yarvin marchait le regard vif courant tout autour de lui hanté par une peine hurlante, arpentant les longs couloirs qui jouxtaient les impressionnantes et précieuses archives du Kaerl le cœur serré. S'il s'était au début émerveillé de la richesse des gravures, de la finesse des sculptures ou de la générosité des tableaux reposant sur les murs sans fin de cet édifice, à présent il n'en n'avait que cure.
Ce n'était pas la première fois pour cet apprenti fraîchement accueilli aux sein du Kaerl Lumine de s'aventurer ainsi dans les longues artères de ce temple dédié à la culture et au savoir. Depuis plus d'une semaine il appréciait venir en quête de question, venir s'y perdre pendant de si nombreuses heures trop courtes à son goût afin de compulser en toute quiétude, et finalement repartir l'esprit encore plus encombré de questions lui brûlant les lèvres d'envies.
Il était nullement nécessaire pour son mentor de s'inquiéter du sérieux de son apprenti quand au suivit de son cursus. Yarvin l'avait après tout suivit car celle-ci lui avait fait miroité -à juste titre- l'alléchante promesse d'un domaine gardien d'une infinité de connaissance. Et jusqu'à aujourd'hui il savourait la douce saveur de cette délicieuse vérité s'offrant à lui. Mais les choses ne pouvaient aller aussi simplement indéfiniment sans que l'erreur ne le guette, son attention complètement happée étant incapable alors le protéger de ses étourderies.

Ainsi Yarvin furetait sur ce chemin qu'il s empruntait quotidiennement, le nez rivé en direction du sol à la recherche de ce qu'il avait si négligemment égaré plus tôt -probablement- dans la matinée. Son livre de dessins, celui là même offert par Liode durant la dernière année qu'ils avaient tout deux partagés, n'était plus dans le baluchon dans lequel il l'avait rangé aux première lueurs du soleil.

Son cœur se voyait rongé de remords tandis qu'il errait  sans trop savoir où aller ni vers qui se tourner. Comment pouvait-il ainsi perdre un des derniers présents offert par l'amour de sa vie se demandait-il chagriné à l'idée de ne parvenir à remettre la main dessus. Il avait fouillé de fond en comble la pièce dans laquelle il étudiait jusqu'alors puis avait entreprit de remonter sa propre trace mais hélas, ses efforts se voyaient bien maigrement récompensés. Sous ses pieds s'étalait un sol froid et inerte sans vie et sans paroles. Il avait bien essayé de tendre l'oreille, d'écouter les mots de  vérité de l'outre sol mais étant aussi loin de Gaïa celui-ci se murait dans un morne silence qui ne laissait  que deviner l'écho des pas appartenant aux proches voisins. Lui qui avait si durement cru en son indépendance vis à vis de ce troisième œil découvrait en ce moment même qu'il reposait bien plus dessus qu'il ne voulait bien l'admettre. Yarvin constatait ainsi bien malgré lui la limite de ses yeux d'humain, ceci se heurtant impuissant sur la robuste peau de marbre donnant corps au somptueux édifice dans lequel il errait.

Ses mains se serraient de colère, celle-ci nourrit aux braise de son inconscience. Puis les passa sur son front tout en inspirant profondément cherchant à noyer le feu ardent qui rugissait dans son épaisse poitrine. L'effort ne fut pas simple, ses pensées persistant à voltiger telles des esprits frappeurs furieux, Yarvin dut fournir un effort certain pour apaiser ses démons. Finalement le calme revint en lui, une courte minute de silence les yeux clos apporta à ce garçon tourmenté un œil nouveau, la vision profonde d'un plan d'eau limpide au reflet puissant rejetant au garçon sa propre image. Enfin il se reconnaissait de nouveau. Ses yeux s'ouvrirent de nouveau dévoilant un nouvel éclat, étincelle de cette nouvelle flamme qui venait de s'allumer en lui.
Brièvement il l'avait vu dans la brume de ses songes,  se dessiner le sourire malicieux qu'arborait l'ange de sa vie au travers de ce grand miroir. Il l'avait vu se moquer de ce vulgaire tas de papier relier alors qu'il se voyait noyé par tant d'autres.

Il allait le retrouver qu'importe le temps que cela lui prendrait. Il y avait encore tant de lieux que Yarvin souhaitait graver entre ses pages et tant qu'il n'osait envisager. Il le savait, un jour il regarderai de nouveau cet ouvrage, recueil de son long voyage et il l'espérait en serait fier. Puis il était dommage que Liode ait encore une fois le dernier mot.

Il repartit de nouveau dans son inspection.

Tout intimidé qu'il était de se retrouver ainsi en tête à tête avec ce jeune saurien, Yarvin sursauta surpris lorsque son compagnon manqua de culbuter sur lui-même, risquant de peu d'étaler par terre la modeste étagère trônant juste derrière lui. Si la cabriole lui donna momentanément un côté très touchant, parfaitement à l'image d'un enfant un brin maladroit tel qu'il en avait connu jadis, il fut rassuré de le voir se rattraper sans se faire mal. Il fallait reconnaître que les impressionnantes pattes griffues de son camarade n'étaient pas les plus adaptées pour se mouvoir sur les larges dalles marbrées du bâtiment. On pouvait souligner aussi que peu de représentants de son espèce venaient probablement comme lui profiter d'une petite sieste entre les innombrables ouvrages soigneusement entreposés aux archives du Kaerl. Yarvin pouvait alors lire dans le regard profond du dragonneau toute la gêne éprouvée, contrarié de se montrer ainsi ridicule.

Soucis qui n'avait pas lieu d'être, le jeune herboriste étant non seulement rassuré qu'il ne se soit pas blessé, mais également étonné de constater une même diversité d'esprit chez les dragons que chez les siens. Il n'avait pas de raison spécifique d'en douter, juste que depuis que son chemin avait croisé celui de ces créatures fantastiques, pas une seule ne s'était révélée similaire à une autre. Si l'une avait un caractère explosif et fier, la seconde avait la douceur qu'il devinait propre à une mère, tandis que lui faisait montre d'une rafraîchissante innocence d'un enfant aux yeux débordant de curiosité. Yarvin avait bien entendu observé de loin d'autres spécimens, certains  arborant un joli éclat cuivré, d'autres affichant une stupéfiante robe lapis lazulite, mais n'avait eu le courage de s'en approcher ou de les interpeller par l'esprit. Le contact spirituel, très peu pour lui.

En vérité, l'unique pensée qui frappa l'apprenti fut la possibilité pour Haagenti d'être un très jeune représentant de son espèce, à plus forte raison lorsqu'il se présenta à lui comme le fils d'une autre dragonne. De mémoire, il pouvait affirmer qu'à l'accoutumée, les liés des humains se nommaient en tant que tel et non en faisant référence à leur parenté. Il pouvait tout aussi bien ignorer une telle coutume, les rencontres avec les chevaliers n'étant pas véritablement sa tasse de thé. Enfant ou pas, ce dragon d'onyx le toisait quand même d'une bonne tête une fois celle-ci relevée.
Très calmement et soucieux de ne brusquer l'étudiant, le jeune saurien s'appliqua à répondre lui aussi par une révérence pour finalement se présenter. Yarvin était stupéfait ainsi que ravi d'une telle rencontre, pour une fois qu'il pouvait se laisser aller au plaisir et à la fascination d’interagir avec pareille créature. Un léger inconfort tenta malgré tout de se faire ressentir, le garçon n'étant pas accoutumé à telles considérations. °°Haagenti°° prononça-t-il intérieurement, étonné par la sonorité exotique de ce patronyme draconique.

Une fois son nom révélé à son interlocuteur, le curieux reptile s'exclama, plein d’entrain à propos du livre égaré. Il ne lui fallut gère plus pour réitérer sa proposition, certain qu'il était de parfaitement connaître le domaine et de l'aide qu'il pouvait offrir. Il allait sans dire que sans sa vision de l'outre sol, Yarvin n'était pas sorti de l'auberge et que les multiples couloirs ne lui menaient pas la vie facile pour retrouver son chemin depuis son arrivé au Kaerl. Il était évident que le dragonneau transpirait d'envie d'apporter son soutien à l'apprenti, la question étant finalement s'il ne trépignait pas plus par jeu ou par sens du devoir. Son cou redressé, le museau pointé en sa direction dardant sur lui ses prunelles pétillantes d'impatience ainsi que ses pattes avant faisant résonner le tintement de ses griffes sur le dallage, la satisfaction de Haagenti n'était nullement dissimulée.  Il jubilait de partir à l'aventure avec un nouveau compagnon, cela crevait les yeux.

Au fond, Yarvin s'en fichait pas mal. Il préférait même cela à l'expression pleine de jugement d'un adulte, ennuyé d'avoir à perdre son temps au profit d'un irresponsable. Puis il trouvait attendrissant de pouvoir observer une telle bête, à silhouette imposante et lugubre rayonner de la sorte à la simple idée de s'amuser.  Cela lui ferait pour lui un sérieux coup de pouce et par la même occasion en ferait profiter son camarade.  

« Ce serait avec plaisir. Merci beaucoup » Il inclina de nouveau la tête. « C'est un petit cahier de voyage, à la couverture de cuir marron. Il est plutôt modeste, avec une fermeture à boucle et un étui à fusain sur la reliure. Je crois l'avoir égaré sur le chemin en venant aux archives. Sauf que je ne sais absolument pas à quel niveau je l'ai perdu. » Il se frotta pensivement le menton avant de préciser : « Il y a un peu de marche jusqu'à la demeure Chantevent. Je sens que ça va être compliqué.»

Très curieux, Haagenti s'intéressa au goût de Yarvin pour le dessin. Ce dernier ne put réprimer un modeste sourire face à tant de spontanéité.

«Non pas tant que ça. Enfin pas récemment en tout cas. Et je ne dessine pas si bien. Ce sont surtout des croquis des endroits que j'ai parcourus ou dans lesquels j'ai habité. Une façon pour moi de garder une trace des expériences ce que j'ai traversé. »

°°Ainsi que pour ne pas oublier d'où je viens°° Se souffla-t-il intérieurement.

« Je propose que l'on termine d'inspecter ce couloir avant de remonter la route que j'ai empruntée plus tôt. En espérant ne pas l'avoir fait tomber en pleine rue... Si cela vous ennuie, ne vous privez pas pour me le dire. Je saurais me débrouiller. »
Yarvin dépassa son jeune camarade puis entreprit de reprendre les recherches avec l'espoir que celles-ci ne seraient pas vaines.

Définitivement, ce saurien débordait d'une franche énergie, à vouloir par-dessus tout entretenir la conversation. Yarvin, lui revanche, n'avait guère pour habitude de s'adonner à de tels discours, préférant garder ses forces pour d'autres taches qu'il jugeait plus constructives. La jeunesse de son compagnon ne faisait alors plus aucun doute pour lui, l'écoutant tandis qu'il marchait d'un bon pas en direction de la sortie. Alors que Haagenti s'en faisait la remarque, Yarvin aussi commençait à comprendre qu'il ne servait plus à grand-chose d'inspecter dans les environs. Qu'il était temps pour eux d'aller explorer plus loin sur les propres traces de l'apprenti.

Par égard de l'aide qu'il lui était apporté, Yarvin se sentait quelque peu obligé de se plier au jeu du jeune dragon même s'il devait se l'avouer, cela ne le dérangeait pas tant que cela. Il ne s'était pas adonné à tel loisir depuis qu'il avait quitté son foyer, parler de la sorte, de manière aussi libérer sur des sujets triviaux. Il faut dire qu'ils n'étaient guère nombreux ceux pouvant — ou juste voulant — faire ainsi durant son ancienne vie, celle-ci lui paraissant au passage anormalement si lointaine.  Yarvin se refusa cependant d'y repenser plus longuement. Il avait des problèmes bien présents, requérants toute son attention et n'avait pas alors de souhaits à se laisser partir dans d'obscures réflexions sentimentales. Il retourna plutôt celle-ci sur les sujets soulevés par son camarade, son enthousiasme faisant malgré tout plaisir à voir.

« Peut être » avoua-t-il à voix haute, sur un ton trahissant son ignorance. « De là où je viens, très peu de gens s'adonnaient à ce genre de pratique. La lecture et l'écriture n'étaient pas si considérées par chez moi. Enfin, c'est surtout qu'aux yeux des personnes, elles ne servaient à rien pour ce qui était de survivre. Le climat sur Undòmë est éprouvant pour ceux qui y vivent, et la nourriture est difficile à se procurer si l'on ne s'y investit pas pleinement. La chasse est risquée et les cultures limitées. Les habitants du village devaient y consacrer énormément de leur temps et de leur énergie pour des résultats pas toujours à la hauteur des espérances. Donc pas de temps à perdre pour apprendre des mots qui ne sauront mettre dans leur assiette de quoi manger. » Yarvin revoyait les gens du hameau, par des nuits obscures et froides, se regrouper tout autour de feu brûlant sous les timides constellations scintillantes au-dessus de leur tête. Il se remémorait le petit enfant qu'il était, caché dans l'ombre dansante des arbres à d'observer ces gens. Effrayé qu'il était par ces curieux attroupements bruyants, cherchant malgré tout leurs raisons d'être ainsi qu'à comprendre la teneur de ce qu'il pouvait s'y dire.

°Non pas de temps pour ça Yarvin!° Se hurla-t-il intérieurement. °Oublie cette époque révolue. Ce n'est pas comme si tu avais un attachement quelconque pour ces individus ou ce lieu perdu.°

« Je n'ai vu personne prendre le temps, d'écrire ou dessiner hormis mon maître et son apprenti. Je pense que les personnes là-bas se contre fichent de laisser une trace à la postérité. Je crois que certains étaient déjà bien contents de profiter de leur instant présent. Donc de là à leur demander de réfléchir aux symboles qu'ils légueront… trop abstrait pour eux. »

Il marchait d'un bon pas. Yarvin ne cessait de sonder du regard le sentier qu'il avait emprunté plus tôt dans la mâtine, de plus en plus agacé de ne pouvoir se reposer sur la vision de l'outre sol. À chaque mouvement d'yeux, il espérait voir le cuir sombre de son précieux livre, mais aux lieux de cela, il devait composer avec la déception de ne rien déceler de plus de larges dalles proprement taillées. Finalement, il appréciait le fait de causer de tout et de rien, au moins pour éviter de nourrir cette boule logée dans sa poitrine.

« Mais oui, si l'envie s'en fait sentir. Pourquoi ne pas essayer. » Yarvin n'était pas lui-même vraiment convaincu. Ce n'est pas avec ses serres qu'il allait tenir un fusain ou autres ustensiles prévus pour des humanoïdes. Il envisagea bien pendant quelques secondes l'idée de lui attacher un pinceau sur le museau, mais renonça aussitôt de lui suggérer une pareille idiotie.

Ce fut sur cette idée saugrenue qu'ils atteignirent l'imposante sortie de l'édifice désigné par une grande arche en pierre finement décorée comme bien des aspects dudit bâtiment. Une fois celle-ci dépassée, ils furent accueillis par une bourrasque d'air bien frais ainsi que l'éclatant lumière de Solyae. Ils étaient enfin dehors mais hélas, toujours sans le moindre signe de l'objet désiré. Dépité, mais encore déterminé, Yarvin maintint le pas, tandis que son ami entretenait avec autant d'ardeur l'échange.

« Hm… Je n'ai croisé que deux d'entre eux jusqu'à aujourd'hui et ce ne sont que des vertes... » Yarvin releva alors un curieux détail à ce sujet.
°Mon maître m'a parlé de nombreuse variante de dragons, mais je n'ai presque rencontré que des vertes… Y'a que ça dans cette cité volante ou j'ai juste une chance pas incroyable ? ° Pensa-t-il, légèrement sarcastique. Avant de se rendre compte de l'énormité proférée. Un air dépité se glissa momentanément sur son épais visage, désolé d'avoir omis pareille rencontre qui il l'espérait, était à mettre sur le compte sur le tourment provoqué par la perte de son livre. "Je dis absolument n'importe quoi  décidément. J'ai faillit oublier la dorée rencontrée lors de mon arrivé, campée aux cotés de la Dame Amlug. On dit bien "une" pour ceux de ton espèce avec cette apparence n'est ce pas ?" Il repensa aux début de la semaine, cherchant à se remémorer l'état de panique dans lequel il fut plongé une fois débarqué sur ce nouveau domaine. Il était bien loin de prétendre que tout cela était de l'histoire ancienne, mais il parvenait déjà plus facilement à ordonner ses idées sans avoir à plonger dans une triste démence de panique.

« Celle liée à mon maître se nomme Ihintza, et l'autre, Eithne. Concernant celle-ci, je ne l'ai pas encore vue. Si ça te parle… Donc oui, à ce jour je n'ai presque croisé que des vertes. À ce propos, tu es le premier noir dont je croise la route. »

Ils poursuivirent ainsi leur avancée pendant un long moment, inspectant du regard pour l'un, du nez pour l'autre le sentier suspecté de receler le précieux objet désiré. Pour autant, ils échangèrent sans discontinuer tout du long de leur enquête, cette curieuse interaction du point de vue du jeune garçon, apaisant l'angoisse de ce dernier.  Il fallait bien ça pour dissiper l'agacement naissant qui manquait à tout instant de le posséder. Il fut un moment pourtant ou l'apprenti marqua un arrêt, visiblement ennuyé par tant d'égarement sans obtenir résultats probants.

« Ce n'est pas possible ! Mais où est ce qu'il a bien pu tomber ? » Yarvin poussa un profond soupir d'exaspération avant de lancer un regard désolé au jeune dragon qui se tenait à ses côtés. « Je suis sincèrement navré de te faire autant marcher à cause de mon étourderie. Si j'avais toutes mes capacités, cela aurait été plié en un rien de temps. Si tu le souhaites… Tu peux me laisser me débrouiller. Je comprendrais et je te suis déjà grandement reconnaissant de m'avoir aidé ainsi. »

Il se sentait d'autant plus ridicule, de les avoir amené jusqu'ici pour finalement ne rien retrouver. Non seulement il égarait un de ses biens les plus précieux, mais en plus il importunait inutilement un pauvre dragon. Tout du moins, c'est ce qu'il essayait de se persuader, seulement, il était clair en observant les yeux scintillants du saurien qu'il ne regrettait nullement le déplacement, au contraire.

« À ce rythme, on va être bon pour retourner de là d'où je suis parti. » Yarvin se passa nerveusement la main dans les cheveux avant de jurer dans sa barbe.»

Orobas Shiôn & le Noir Haagenti
Chevalier sans emploi, Maison Amberle

Yarvin appréciait le débordement d'enthousiasme dont pouvait faire preuve son camarade. Il paraissait si innocent malgré son large gabarit et ses longues griffes raclant les pavés du sentier. Le cœur de l'apprenti se voyait charmé par cette douce voix guillerette qui claironnait dans son esprit tandis qu'il observait les deux prunelles d'azurs scintiller de joie. Il s'étonnait lui-même de se relâcher autant en la présence du dragonneau. Dans sa mémoire les jeunes enfants ne lui avaient jamais inspiré de bonnes choses. Bruyant, fatiguant et souvent avec un goût trop prononcé pour toucher à tout ce qu'ils ne devaient pas, surtout si cela était fragile. Il se souvenait des quelques fois où ceux-ci avaient profité de son absence ainsi que celle du maître pour venir jouer dans ce qu'ils appelaient l'antre du druide, afin de lui voler sa prétendue « potion de merveille ». Ça ne l'avait jamais amusé et à plus forte raison lorsqu'il devait passer derrière eux pour tout ranger, histoire que son mentor ne remarque rien de ce qui avait bien pu se passer. Yarvin n'allait pas se risquer à faire une bête comparaison entre les marmots à écailles et ceux la peau molle, mais il se plaisait malgré cela à noter les différences et à souligner qu'il préférait les premiers.

Soudainement, Haagenti marqua une pause dans son élan de gaieté comme absorbé par une nouvelle source de distraction. De prime abord, Yarvin ne releva pas la chose, le regard encore perdu entre les buissons à la recherche de la précieuse couverture de cuir. Jusqu'à ce que résonnent les bruits de pas d'un individu s'approchant d'eux. L'écho de ces derniers se faisait léger et Yarvin ne releva pas de suite l'irruption de ce nouveau personnage, lui qui habituellement reposait sur sa vision d'outre-sol pour l'avertir des mauvaises surprises. Quel fut donc son étonnement lorsque retentit la discrète voix du jeune homme qui se tenait alors non loin, au milieu du chemin ? Les cheveux aussi blancs que le plumage d'une colombe et le regard du bleu d'un ciel d'été sans nuages, le garçon l'observait avec la même méfiance qu'une mère chat prenant sur le fait un étranger avec sa progéniture. Une belle manière de dire que la tendresse ne dégoulinait pas de ses prunelles et qu'il était évident pour Yarvin de ne pas s'essayer à un geste trop cavalier envers le dragon. Ce n'était pas de la colère que l'apprenti voyait sur ce visage nouveau, mais plutôt une certaine suspicion qui, il le reconnaissait, pouvait être totalement justifiée lorsque Haagenti le présenta comme son lié.

Ce dernier salua finalement Yarvin à la demande de son frère d'âme, ce à quoi le concerné s'empressa de répondre sur le même ton timide comme il savait si bien le faire. L'échange résonna d'une étrange harmonie, les deux garçons affichant tout deux une pareille réserve à contrario du jeune dragon qui encore faisait montre d'une joie spontanée et ainsi que contagieuse.

« Bonjour.»

Une situation qui s'offrait à Yarvin comme une source d'ennuis potentiels. Il ne savait, ou n'avait pas vraiment envie d'engager la conversation avec cet inconnu, surtout lorsque le saurien le présenta tel un « magicien ». Son maître avait détaillé le sujet plus tôt dans la semaine. Cela ne l'aidait pas vraiment à se sentir plus rassuré, voyant depuis lors ces personnes comme des individus capables de provoquer l'impossible. Une information qui restait à ses yeux un peu trop nébuleuse pour avoir une réelle pertinence. Il pouvait finalement aussi bien lui retourner l'esprit que le posséder. Cependant et malgré sa réticence, il allait devoir faire un pas en avant s'il souhaitait en apprendre plus sur cette supposée "magie", qui pouvait soi-disant lui apporter la solution à son problème.

« Je suis désolé, c'est moi qui lui ai demandé de l'aide. Je comptais remonter le chemin emprunté plus tôt dans la journée, espérant tomber sur mon livre... Je ne pensais pas l'avoir égaré aussi loin.» Il marqua une pause, gêner sans vraiment savoir pourquoi. "Je croyais également pouvoir faire de la magie pour m'en sortir par moi-même, sauf que de toute évidence je ne suis pas assez doué pour ça." Dit-il en songeant à sa double vue tellurique. Il se sentait terriblement ridicule d'avoir présenté ainsi les choses. C'était la stricte vérité certes, pour autant celle-ci n'avait pas très fière allure.

« Si ça vous dérange, je peux me débrouiller tout seul. Je ne veux pas vous indisposer.» ajouta-t-il en observant le dragon ainsi que son lié.

D'un autre côté, il s'en voulait de fuir le contact prestement. Pas tant parce qu'il aimait les interactions sociales (du tout), mais plus parce que pour une fois, au travers de ce nouveau venu, Yarvin était certain de lire un malaise que lui aussi partageait au quotidien. Cette même maladie qui le poussait à éviter le regard des gens et qui faisait de la plus innocente remarque un jugement difficile à soutenir. Il n'osait trop y croire, redoutant d'ouvrir une porte à la déception.

Orobas Shiôn & le Noir Haagenti
Chevalier sans emploi, Maison Amberle

Yarvin s'attendait — comme à son habitude — à se faire éconduire par ce nouveau venu, comprenant parfaitement que celui-ci avait mieux à faire de sa journée, que de rattraper les étourderies des autres. En lieu de cela, le dénommé Orobas préféra plutôt s'enquérir sur l'apparence du bien recherché. Sur le coup, il étonna l'apprenti. Peut-être ne faisait-il que céder aux caprices de son jeune et turbulent lié. Celui-ci était très investi dans cette quête, car ainsi il avait aperçu une belle occasion de s'amuser, ce qui ne semblait pas être alors le genre du garçon, à l'air quelque peu taciturne. Et pourtant.

En vérité, ce qui secoua le cœur de l'herboriste fut lorsqu'il se vit interroger au sujet d'une fille. Autant, il s'attendait à devoir le décrire d'apparence, ce que lui demanda justement Haagenti. Comment pouvait-il savoir à propos de Liode ? Était-ce une simple et fortuite coïncidence ? Il ne pouvait se résoudre à croire à cette folle possibilité, sa question allant s'égarer jusqu'à la nature des souvenirs y étant rattachés. Moult étaient ceux liés à ce modeste livre. Nombreux étaient ceux capables d'apaiser l'esprit du jeune Undòmëen. Mais depuis un an, presque tous se voyaient noyés par la peine d'une blessure encore mal cicatrisée, probablement vouée à rester un stigmate indélébile.

Yarvin préféra ne pas afficher trop ouvertement son étonnement, il ne souhaitait pas donner plus mauvaise impression. Passer pour une personne peu soigneuse avec son matériel lui suffisait déjà bien assez, il n'avait aucune envie d'ajouter à cela l'image d'un individu irrespectueux. Le trouble était malgré tout bien réel, et des réponses allaient être désirées, Yarvin y comptait bien.

« Heu… Oui, je vais essayer. » Lâcha-t-il à Haagenti, avant de fermer ses yeux, afin de se concentrer au mieux.

Il visualisa l'objet qu'il connaissait jusqu'au moindre bout de papier. Si intime et si important à son cœur, qu'en plus d'en détailler les plus infimes aspects physiques, Yarvin pouvait également en imaginer le touché, le bruit ainsi l'odeur du cuir vieillissant. Son souvenir était complet, le parfais miroir de ce qu'il était dans la réalité. L'information une fois donnée, l'erreur ne pouvait être envisagée. Même confondu dans une mer d'autres ouvrages, il se voyait capable de le retrouver. Les sourcils froncés par l'effort, la main caressant sa tempe droite, il essaya alors de sentir l'esprit du dragon. Puis de dresser le pont mental nécessaire à l'envoi de cette pensée, qui, sans qu'il ne le sache, cachait bien plus de vérité qu'il ne l'aurait souhaité. Yarvin était un tout jeune novice dans l'art d'utiliser sciemment les facultés du don. Jusqu'alors, il s'était laissé aller, usant de ce pouvoir inné comme un bébé respirant ses premières bouffées d'air frais, en s'aidant du précédent contact établi par d'autres. Forger celui-ci de sa propre initiative demandait alors au garçon bien plus de concentration et laissait place à de possibles écarts.


Son esprit sonda le vide éthéré dans lequel résonnait comme un bruit de fond diffus. Rapidement, il la sentit, cette étoile qui brillait non loin de lui, appartenant au lié concerné. Puis d'une impulsion mentale, il lui projeta le fruit de sa mémoire, avant de rouvrir les yeux à la recherche d'une réaction de la part de Haagenti. Il le détailla fugacement du regard lorsqu'il se rappela soudainement d'un détail qui lui sauta alors au visage. Il n'y connaissait strictement rien au langage corporel des dragons. Et que ses sombres écailles d'ébènes n'allaient clairement pas lui faciliter la tache. Finalement, il reporta son attention sur l'autre humain, à l'expression placide.

Timidement, il se décida à poser cette question qui lui brûlait alors les lèvres depuis la dernière intervention du chevalier.

« Comment sais-tu pour cette fille ? »

Pouvait-il avoir mis la main sur son bien ? Yarvin écarta prestement cette possibilité car rien dans son livre ne pouvait trahir quoi que ce soit sur son passé en rapport avec Liode. Seul lui avait eu le plaisir de pouvoir salir la blancheur usée des pages de ce précieux cadeau. Alors comment ? Yarvin redoutait un peu la réponse qu'il allait obtenir en retour, sa nature anxieuse ressortant comme à son habitude face à l'inattendue.

Orobas Shiôn & le Noir Haagenti
Chevalier sans emploi, Maison Amberle

Les choses semblaient si curieuses pour Yarvin. Bien sûr qu'à la simple vue de cette couverture si familière, un éclair flamboyant de réconfort tonna au plus profond de son être. Son regard s'en retrouva aussitôt égayé, sans même qu'il ne s'en aperçoive. Il s'élança prestement, impatient d'apprécier de nouveau le contact rugueux du cuir usé contre la paume de sa main.

Mais alors qu'il se saisissait de l'objet, il le vit ou plutôt, il le sentit. Ce langage qu'il ne connaissait que trop bien, celui dont il abusait face aux « autres ». D'abord peu à son aise au premier coup d’œil échangé, il s'étonnait maintenant de trouver chez ce jeune garçon un air familier. Même dans son esprit Yarvin avait du mal à formuler correctement la chose. Jamais il n'avait côtoyé d'individus avec pareille apparence, comme si ses cheveux étaient taillés dans la neige. Les gens qui peuplaient son monde d'autrefois paraissaient tous faits dans un moule similaire, alors qu'aujourd'hui, rien ne semblait relier les personnes de cette terre volante. Cette similitude qui l'avait interpellé, il s'en doutait, il le sentait, allait au-delà d'un simple physique inhabituel.

Il en comprit le sens lorsque, comme s'il brûlait tel un puissant feu d'hiver, Orobas lâchât le livre. Yarvin se retrouva alors de nouveau en possession de son précieux bien, le serrant fort dans ses épaisses mains, mais le regard égaré. La joie et le malaise dansèrent toutes deux sans sa poitrine, tandis qu'en face de lui se repliait ce garçon qui lui était pourtant venu en aide. Yarvin se désola de la bien triste scène qui était en train de se jouer devant le dragon noir, mettant en lumière leur profonde nullité à tous les deux. Il semblait aujourd'hui presque plus irréaliste pour l'herboriste de croiser une personne affligée du même sort que lui, que de discuter en toute tranquillité avec un saurien de  plus de deux mètres de long.

De fait, Yarvin pouvait deviner les intentions du garçon. Et il n'était pas question pour lui que les choses restent ainsi plus longtemps.

«Je vous crois.» Il se fit violence et chercha de ses yeux bleus, ceux de son interlocuteur. «Merci beaucoup. J'avais si peur à l'idée de l'avoir définitivement égaré. J'ai si honte de mon manque de soin.» Il était difficile pour l'apprenti de choisir les bons mots. Il s’humecta les lèvres machinalement comme pour se donner de l'élan. Je suis vraiment tout nouveau par ici. «Ça fait à peine plus d'une semaine, ou sans doute tout juste plus que je suis arrivé. Certaines choses sont encore parfois compliquées à assimiler, je n'y pense pas de suite. La magie et tout ce qui s'y apparente en général.»

Yarvin ouvrit avec douceur et plaisir son cahier de dessin.

«J'imagine que ce n'est pas si fou de se dire qu'il puisse exister un tel don. Je trouve presque que ce n'est pas si incroyable, à côté du fait de pouvoir parler avec un dragon.» Avoua-t-il d'un ton qu'il voulait plus léger.

Ses doigts passèrent rapidement d'un page à l'autre, fouillant en même temps sa mémoire. Puis, lorsqu'il arriva à la dernière, il referma le tout, rassuré. Il remarqua cependant de nouveau la mine déconfite d’Orobas, qui ne semblait pas prendre au sérieux ses remerciements.

«J'admets que dans d'autres circonstances, je ne vous aurais sans doute pas cru. Mais ainsi le doute n'est pas vraiment permis. Car voyez-vous dans ce carnet, il n'y a aucun dessin ni aucune allusion à une quelconque fille. Ce ne sont que des illustrations de mon ancien chez moi.»

Pour preuve, il rouvrit son livre et présenta une page prise au hasard. Non pas qu'il était particulièrement fier de son travail, au contraire, seulement il tenait à rassurer son interlocuteur quant à sa sincérité. Au même moment, une pensée curieuse lui traversa l'esprit. Une idée qui lui brûla rapidement les lèvres et qu'il articula non sans une hésitation suintant au travers d'un ton plus timoré.

«La fille dont vous avez parlé, est ce que vous pourriez me dire comment vous l'avez aperçue ?»