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 [RP] Dernier sang

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Persée Garaldhorf
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Persée Garaldhorf


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MessageSujet: [RP] Dernier sang   [RP] Dernier sang Icon_minitimeMar 1 Sep 2020 - 17:14



Toutes les nuits, dans mes rêves, je réécris l’histoire.

Je tends la main à l’instant fatidique. Je vois le geste qui sera fatal, le meurtrier s’approcher, la foule paniquer. Je déjoue le piège et, sous la stupeur et les ovations, je le vois bien vivant, devant moi. Je me jette dans ses bras, faisant fi des regards posés sur nous. Tout est fini. Il est sain et sauf. Nous avons gagné.

Quelques-fois, je tue l’assassin. Je le poignarde en plein cœur, je lui jette mon poing au visage, je fracasse les os de ma main à frapper sa figure jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’une bouillie sanglante. Je distingue mal le visage de ce traître veule. La nuit lui donne des yeux rougeoyants, un sourire de démon et la silhouette menaçante d’une bête à faciès vaguement humain. Il m’est arrivé d’y reconnaître les traits de quelqu’un d’autre. Quelques-fois, c’est moi que je vois.

J’ai d’abord refusé de dormir. Passés les premiers signes de faiblesse, Vraël ne m’a guère laissé le choix. Elle m’a menacée de me donner des opiacées pour me forcer à dormir. Elle ne comprend pas. Je fuis le sommeil pour me souvenir. Je veux me remémorer chaque détail de la scène, chaque seconde de cette réalité horrifiante. Je veux savoir pourquoi je me bats, pourquoi j’ose encore respirer quand tant d’autres ont été injustement emportés par Isashani. Je ne veux pas de ces chimères inventées par mon esprit affaibli. J’ai besoin de me souvenir de tout. Je dois savoir pourquoi je souffre. Je ne veux rien oublier.

Pendant des mois, nous avons cherché. Le monde est trop vaste pour une quête aussi insensée et, pourtant, nous n’avons cessé de chercher la moindre piste qui pourrait attester de leur survie. Zackheim de Galastden et le Brun Sarevok n’étaient pas morts. C’était impossible. Ils avaient bravé les interdits, les manigances de leur famille, les machinations d’un mage noir, les tentatives d’assassinats… Ce n’était pas un banal coup de couteau qui allait les faire passer de vie à trépas. Je me souviens du hurlement de la foule, de mes propres cris sans fin, des mouvements de panique où les dragons se métamorphosaient au milieu des bipèdes, ajoutant à la confusion de l’instant. Je n’avais pas vu Zackheim et son Lié disparaître dans l’Interstice. J’étais trop éloignée. Lorsque je rattrapai la distance qui nous séparait, ils avaient déjà disparu. Je fus saisie par les gardes et entraînée à l’écart. Muette de douleur aussi subitement que mes hurlements avaient débutés, je ne m’étais pas débattue. Mes yeux néanmoins avaient eu le temps de voir le sang, le poignard… Et l’assassin.

Je suis la seule à avoir vu son visage. Je suis la seule à avoir compris. Et j’ai préféré fuir.

Je ne voulais pas me venger. Pas tout de suite. Le plus importait était de retrouver Zackheim et Sarevok. Le regard de Dame Amlug m’avait davantage brûlé que ne le ferait n’importe quelle accusation. J’en portais encore la marque. J’avais préféré l’exil, plutôt que de demeurer dans un Kaerl qui ne croyait plus en rien et où je serai l’équivalent d’un ladre rejeté par tous, sans possibilité de me défendre. Personne ne me croirait. J’ai accepté la sentence, la dégradation, les remontrances… Mais je n’accepte pas la reddition. Qu’ils croient tous à la mort  de l’Usurpateur me répugnait. Personne n’entamerait de recherches sérieuses pour les retrouver, lui et son dragon. C’était à moi de le faire. C’était tout ce qu’il me restait. Je n’avais plus ma place ici.

Après des lunes d’errances, je commençai à douter. Vraël et moi n’avions aucune piste intéressante. Il restait encore tant de lieux que nous n’avions pas visités. Nous n’avions aucun secours. Nous perdions espoir.

J’en vins à haïr mon ancienne vie. Mon ancien moi. Tous ces choix que j’avais faits m’avaient conduit à ce désastre. C’était ma faute. J’avais été aveuglée par mon idéal, alors que le Màr Menel ressemblait finalement à n’importe quelle oligarchie se reposant trop sur ses acquis, dirigée par une élite bouffie d’orgueil et affamée de pouvoir. Je l’avais servie du mieux que je pouvais, avec la docilité du chien attendant la main venue le nourrir ou le frapper. J’avais tué pour ce Kaerl. S’il n’y avait eu Vraël et son attachement profond à sa terre natale, peut-être aurais-je quitté la cité bien plus tôt. Mais Vraël aimait le Màr. Je ne saurais lui en vouloir pour cela. Son cœur vibrait de la même lumière que celle que j’avais entraperçue durant des années et à laquelle je m’étais raccrochée tout ce temps. Sa mère, ses frères et sœurs, ses enfants vivaient là-bas. Elle était née au Màr et sans doute voudrait-elle y mourir un jour.

Vraël, ma tendre amie, ma sœur d’âme, je suis tellement désolée… C’est ma faute si tu ne peux pas regagner ton foyer. Je t’ai enchaînée à mes malheurs. Avec moi, tu vis mais tu as aussi connu des atrocités. A mes côtés, tu es devenue une paria, une errante. Tu as tué pour moi. Et je sais que tu es prête à recommencer. Tu es ma Liée et je me demande jusqu’où nous partageons nos âmes. Tu sembles avoir adopté certaines caractéristiques des Garaldhorf. Tu t’obstines dans une voie sans issue, tout comme moi. Nous ne rentrerons jamais chez nous. Pas comme avant, en tout cas. Il nous faudra auparavant reprendre ce qui nous fut enlevé.

Chasseuse de prime, mercenaire, exécutrice des basses œuvres… Nous avons ensemble testé la lie de la société. Nous avons voyagé là où ne pensions jamais poser nos pieds et nos griffes. Quand l’espoir nous a délaissé, nous avons plongé dans le désespoir jusqu’à le voir se refléter sur tes belles écailles ternies. Nous avons peu à peu abandonné l’idée, folle et ténue, de retrouver mon amour et ton frère en vie. Nous avons même oublié l’idée de retrouver leurs corps pour faire notre deuil proprement. Nous avons alors erré, à la tête d’une bande de ruffians, dans le seul but de purger notre peine en faisant payer les autres pour nos fautes. Nous avons dissous la compagnie de route lorsque nous avons compris que la perte ne devenait pas moins douloureuse en s’immergeant dans la violence. La souffrance ne s’éteignait pas. Nous avions perdu jusqu’au sens de notre existence en ce monde. Nous avions oublié qui nous étions.

Finalement, il avait fallu la rencontre avec des inconnus, venus tout droit de ce Kaerl honni, pour faire pencher la balance. Si les limbes ne voulaient pas nous rendre ce que nous avions perdu – notre capacité à aimer, nos espoirs, nos idéaux, notre honneur,  notre maison… Il faudrait chercher à rétablir l’équilibre. Nous avions vengé la mauvaise personne. Ce n’était pas nous qui avions besoin d’être abjurées de nos fautes. Il restait quelqu’un à faire payer. Justice, vengeance, peu importait : tant qu’il brûlerait dans les feux de l’enfer.

Nous n’avons pas oublié. Nos ennemis nous reconnaîtront quand nous viendrons réclamer nos dettes de sang, car c'est la mort qui arme mon bras. Il est temps que cette fuite éperdue en avant s'achève. Je ne suis pas morte. Ni Vraël ni moi n'avons su trouver la paix. Alors nous allons la prendre à ceux qui nous ont brisées.


***


Ouvrant douloureusement les yeux, une quinte de toux sèche secouant sa malingre carcasse, la sang-mêlée porta une main à ses lèvres gercées, puis à ses paupières, en espérant se réveiller de ce mauvais rêve. Quelqu’un lui caressait les cheveux en fredonnant tout bas. Un poids sur sa poitrine ronronnait de concert.

- Persée, chuchotait une présence réconfortante à ses côtés. Tu m’entends ? Tu me reconnais ?

Elle planta son regard dans ces étranges yeux d’eau aux tourbillonnements inquiets. Elle réfléchit un instant. Dans son esprit résonnait un vide abyssal, calme, comme la mer avant la tempête. De ce chaos silencieux émergeaient des bribes de souvenirs. Ce n’était pas une ondine qui la dévisageait avec tant de ferveur. A son image se superposait celle d’une grande créature à l’émail brillant et aux ailes de saphir.

° Vraël… °

- Oui, souffla la Bleue en souriant à travers ses larmes. Ne force pas, prends ton temps. Tu es restée si longtemps dans l’inconscience cette fois que j’ai cru que tu ne te réveillerais pas…

Au-dessus d’elles flottait la dense canopée de la jungle, percée çà et là par le soleil. Il faisait lourd et moite. Son corps emperlé de sueur trahissait mille hématomes. Qahra. Elles se trouvaient près du Pic aux Tigres quand… Sa main retomba sur son buste et vint caresser la lézarde rouge qui y somnolait. Elle avait l’impression de contempler sa propre vie d’un regard externe, neutre, voire indifférent. Elle ne ressentait rien, sinon une vague contrariété.

- Je… Vraël, je suis…

… Désolée.

- Persée, réussit-elle à articuler avec davantage de conviction, comme si elle essayait de s’en convaincre. Je suis Persée.

Elle chercha l’assentiment dans les yeux de la dragonne. Celle-ci lui caressait la joue d’une main fraîche, son sourire irradiant de soulagement, lorsqu’elle se tourna brusquement vers la végétation épaisse qui bruissait d’agitation. Tendue comme prête à bondir toutes griffes dehors, un grondement montant de sa gorge, Vraël montrait les dents, des crocs trop effilés pour une ondine, tant l’illusion de son enveloppe corporelle était mise à rude épreuve. Une voix surgit sourdement de la futaie, tandis que se faufilait dans la clairière une grande créature aux yeux opalins.

° Paix, petite sœur. °

La bête pencha la tête vers la métisse restée à terre. Dans ses orbes se mouvait la brume des âges et Persée crut y voir un reflet des limbes. Son rythme cardiaque s’emballa. Elle se souvint enfin des sensations que l’on éprouvait lorsqu’on ressentait ses propres émotions. Le brusque afflux de terreur manqua la faire tourner de l’œil.

° Salutations, dernier sang du Garald. Nous étions impatientes d’assister à ton éveil. Tu es attendue. °
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Persée Garaldhorf
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MessageSujet: Re: [RP] Dernier sang   [RP] Dernier sang Icon_minitimeSam 22 Mai 2021 - 15:57

II. Perdition

Isashaniku 919

[RP] Dernier sang 201029115536266912 [RP] Dernier sang 201029115706455181
Sàga & la Bleue Ashura
Chamane de Nar’Lid


L’obscurité nappait la grotte d’un manteau frais et humide. Les sons semblaient sourdre de toutes les parois, renvoyés en échos jusqu’à assourdir les sens, sans que l’on sache d’où venait le bruit en premier lieu. La mince lueur du jour éclatait dans les flaques d’eau stagnante, depuis l’entrée de la grotte jusqu’au seuil des ténèbres épaisses qui en occupaient les profondeurs. Un souffle lent rythmait le temps qui s’écoulait dans cet endroit loin de tout. De temps à autres, un bruissement de cuir et de soie, un crissement de serres et d’écailles contre la pierre, venaient lacérer le silence, prouvant une fois de plus que l’abysse au fond de la caverne était vivant.

- Bonjour ! lança une voix guillerette qui rebondit en échos cristallins. Sàga apporte de quoi se restaurer ! La petite sœur doit manger !

Une silhouette aussi fine et gracile qu’un roseau apparut bientôt à contre-jour. Elle paraissait davantage danser que réellement marcher. Elle sautillait, telle une pie couverte de breloques tintinnabulantes, un large plateau dans les mains qui, malgré ses mouvements erratiques, ne semblait pas prêt à se renverser. La lumière diffuse de Solyae révéla un beau visage tatoué, encadré d’une chevelure désordonnée aux reflets dorés et l’éclat d’un unique œil droit, au regard beaucoup trop acéré et froid pour quelqu’un d’apparence aussi juvénile.

La chamane plissa le nez en reniflant les relents moites et rances qui imprégnaient la grotte. Elle avança encore de quelques pas prudents, jusqu’à ce qu'un grondement fasse vibrer la pierre et l’arrêt net.

- Il fait trop humide ici. Ce n’est pas bon pour les écailles et le cœur de petite sœur. Et petite sœur ne se nourrit pas. Sàga s’inquiète.

Deux yeux de braises éclairèrent subitement les ténèbres de pois face à la femme-enfant. Celle-ci soutint le regard de la créature sans ciller, le visage grave. Un silence pesant s’installa. Au bout de quelques instants, les opales de feu prirent la teinte des cendres froides étouffant quelques étincelles. Il y eut un grand raclement, qui résonna comme une avalanche. Le soleil capta les infimes reflets d’une masse caparaçonnée d’azur. Le silence retomba sur la grotte comme une chape de plomb.

La chamane hésitait à faire un pas de plus. Elle n’en eut pas l’occasion. Un grand souffle d’air balaya la scène tandis qu’un pan de brouillard envahissait peu à peu les lieux. L’air se réchauffa tandis que la brume prenait peu à peu les allures d’une immense créature ailée aux yeux de feu. Elle occupait presque tout l’espace. La femme-enfant paraissait minuscule, insignifiante, à ses côtés. Un faux mouvement suffirait pour que Sàga soit engloutie par la gigantesque bête. Celle-ci n’en fit pourtant rien. Sentant la petite main de la femme dorée effleurer son émail fantôme, pareille à une invitation, la dragonne se matérialisa dans un scintillement de poussière d’astres. Force tranquille et immuable incarnée dans un corps disgracieux, l’Enfant de Flarmya contemplait les ténèbres et la forme qui y restait prostrée depuis des jours. Aux yeux jaunes d’anxiété de cette dernière, celle qui la surveillait évoquait une créature ancienne, qui aurait dû disparaître depuis longtemps dans les limbes et qui s’accrochait pourtant, inexorablement à la vie, aussi insaisissable et mortelle que la course du temps. Était-elle seulement vivante, ou réelle ? N’en déplaisent à ses écailles qui avaient la prétention de faire croire qu’elle n’était qu’une Bleue ordinaire de Tol Orëa, il y avait aussi ces reflets maudits, d’une couleur déliquescente, qui les moiraient et ne pouvaient duper personne. Surtout pas une rescapée comme Vraël, fille de la Dorée Kiruna, qui avait lié ses pas comme son âme à une survivante du plus grand gâchis des dieux.

Cette créature et elle étaient des filles de la tragédie. Là s’arrêtait néanmoins la comparaison. L’autre Bleue était un miroir effrayant d’une réalité parallèle, où le chaos régnait en maître et où la folie revêtait le plus doux des supplices. Alors que Vraël peinait encore à comprendre et accepter sa propre réalité.

° Vole avec moi, petite sœur. °

La voix était douce, empreinte d’une distance respectueuse qui frôlait l’indifférence. Comme si la créature qui formulait ces pensées vivait à des lieues d’ici. Vraël hésita. Elle se rappelait le Màr Menel, sa nature et sa morale, grâce en soient rendues à Sable et Asra car aujourd’hui, elle se souvenait de tout. Dans un soubresaut hérissé d’épines, elle arqua le dos, voulant paraître plus impressionnante et gronda en montrant les crocs.

° Jamais. Ce ciel n’est pas le mien. Il ne le sera jamais. °

L’autre dragonne dodelina un instant de la tête. Après un instant qui sembla durer une éternité, elle reprit :

° Le ciel est partout le même, petite sœur. Vole avec moi. °

Le regard flamboyant de la Céleste dévisagea la femme-enfant. D’un coup de mâchoires, elle pouvait faire disparaître tous ses problèmes. Elle emporterait ses remords et ce qu’il restait de son âme hors de ce lieu dont elle ignorait tout. Elle pourrait retourner au Màr Menel… Sans sa Liée.

Elle ne pouvait pas se résoudre partir. La chamane affirmait qu’elle n’était pas prisonnière : ce n’était pourtant cette impression que donnait la cité. Persée avait disparu peu de temps après leur arrivée. Sitôt éveillée, sa Liée lui avait été enlevée, sous prétexte qu’elle devait être mise en quarantaine pour un meilleur rétablissement – pour éviter qu’elle ne blesse autrui ou elle-même. Ensuite, elle devrait passer devant un tribunal pour vérifier qu’elle était bien qui elle prétendait être. Vraël ne comprenait pas. Mais elle n’acceptait pas la reddition. Qu’à cela ne tienne : si elle devait encore moisir ici plusieurs mois, elle se devait de connaître le territoire que sa Liée prétendait dompter. Persée semblait intimement persuadée que des réponses l’attendaient dans cet endroit perdu. Dans le secret de son cœur, Vraël n’avait pas oublié pour autant sa mission : elle ferait tout pour rappeler à la sang-mêlée que leur place se trouvait au Màr Menel.

Sa silhouette malingre et terne émergea des ombres. Elle déploya mollement ses ailes, sentit la raideur de ses muscles faire obstacle à sa raison. Elle atteignit le rebord de la grotte et attendit que sa vision s’acclimate douloureusement au paysage en pleine lumière qui lui faisait face. Au-delà de la cascade qui marquait l’entrée, son guide s’était déjà volatilisée. Devant elle ne restait que Sàga. Dans l’œil ambré de la femme-enfant, Vraël surprit une lueur triste, une rémanence d’un souvenir enfoui. Avec un frisson, elle y reconnut l’expression égarée que sa propre Liée arborait si souvent depuis le début de leur exil. Dans la lumière spectrale qui s’infiltrait dans la grotte, les contours de la femme-enfant s’effaçaient en une poussière lumineuse qui rappelait la cendre. Était-elle réelle, elle aussi ou tout ceci n’était-il qu’un mirage ? Horrifiée par les réponses qu’elle entrevoyait, la Bleue s’empressa de gagner le ciel.

¤¤¤

[RP] Dernier sang Emerya-kelsoreh
Emérya Kels’Orëh
Membre du Conseil des Sept de Nar'Lid


L’air sentait le bois, le goudron et la résine séchée. La poussière en suspension dansait telles de minuscule étoiles dans les rais de lumière qui filtraient depuis la fenêtre. La pénombre était alimentée par cette unique ouverture, hélas soigneusement calfeutrée. La pièce, exiguë et au confort spartiate, comportait peu de mobilier : un lit, une table et une chaise. Aucun objet de quelque sorte que ce soit n’apparaissait au premier abord. L’étrange calme qui régnait ici ne correspondait pas à la vision qu’offraient la table renversée, la chaise à moitié brisée, ou le lit aux draps déchirés. Des restes de nourriture, de vomissures ou d’excréments jonchaient les recoins de l’endroit. Bientôt, l’atmosphère empesterait autant qu’un cachot, même s’il n’en avait guère l’apparence.

Recroquevillée dans les ombres, aussi loin que possible de la porte, une forme vaguement humanoïde respirait avec lenteur, des yeux hantés de bête farouche et brillant sous des mèches sales. Des traces de lutte, hématomes ou lacérations, parsemaient ses bras nus. Des marques d’anciens liens assombrissaient la peau de ses poignets. Sous ses ongles abimés s’égaraient des traces de sang séché. Grise et gracile était la silhouette agenouillée dans la poussière, à même le sol et plus silencieuse qu’un tombeau.

Un déclic résonna, lui faisant dresser l’oreille. Les feux noirs de ses yeux se portèrent aussitôt sur la porte. Le verrou extérieur avait été ôté. La poignée frémit et la porte s’entrebâilla doucement. Une ombre se profila sur le plancher. Un vent frais et chargé d’iode s’engouffra dans la chambre à sa suite. Le cœur battant à s’en rompre les côtes, incapable de détacher son regard de la porte, la prisonnière banda ses muscles.

Dès que l’ombre devant tangible et prit corps dans la pièce, elle bondit. Avec une rage sauvage, elle se jeta sur l’intrus, les doigts recourbés tels des serres, un cri bestial logé au fond de la gorge. L’adrénaline circulait en un feu liquide dans ses veines, alimentant sa fureur jusqu’à lui faire mal. L’inconnu ne parut pas surpris par son attaque. Il la repoussa sans efforts, l’envoyant valser à travers la pièce comme on se débarrasserait d’un fétu de paille. Elle glissa sur le plancher et tenta derechef de se relever mais son corps la trahit. Ses membres tremblaient, ses muscles atrophiés ne la portaient plus que grâce à l’énergie du désespoir – ou de la folie. Elle retomba sur le sol avec un bruit sourd, grondant de plus belle, et darda des yeux brûlants de haine sur son tortionnaire.

Un profil acéré se sculpta sous la lumière extérieure, révélant une femme d’âge mûr, dont la longue chevelure noire, retenue par un bandeau coloré, se clairsemait de délicats reflets gris. Elle dévisagea la forme prostrée de la sauvageonne à ses pieds avec des yeux clairs, intransigeants, où nulle peur ne se reflétait. Un mur glacé avait été érigé entre les deux protagonistes et la rage aveugle de la captive s’écrasait sur celui-ci sans que rien ne parut l’ébranler.

- Quand apprendras-tu que mordre la main qui te nourrit ne t’apportera que de la souffrance ? souligna la voix froide, teintée d’un accent indéfinissable, de l’inconnue.

D’abord hésitante, la sauvageonne répondit par un feulement hostile. Elle se préparait à réattaquer mais la visiteuse ne lui laissa pas le temps d’agir. D’une gifle en plein visage, elle chuta de nouveau, sonnée. Un goût de sang s’attardait dans sa bouche. Haletante, le corps perclus de douleurs, elle n’osa pas bouger pendant quelques secondes. Lorsqu’elle releva enfin les yeux, ce ne fut que pour voir la porte se refermer sur sa geôlière. Le verrou s’enclencha et elle se retrouva de nouveau seule.

So regard tomba sur un plateau garni de pain, de fruits et de viande, avec une cruche d’eau posée à côté, le tout à même le sol. Elle se replia contre le lit, les yeux fixés sur le plateau. Au bout d’une heure, elle ne résista plus et fondit sur la nourriture.

¤¤¤

Iolyaku 919


- Je pense qu’elle est prête, déclara à contre-cœur Emerya à l’assemblée de ses pairs.

Sur l’île principale des Îles Perdues d’Ys, dans la cité de Nad’Lid, le Conseil des Sept s’était réuni autour de la table des négociations. La vaste pièce évoquait le décor ordinaire de la ville, unique fondation de pierres et d’architecture valherue, dans l’hétéroclite petit archipel où chacun faisait ce que bon lui semblait pour s’assurer une vie. Les magistrats de la Confrérie du Havre des Tempêtes, qui avaient fait de ce lieu leur repaire suite à la chute de l’ancien royaume, siégeaient autour d’une table ovale, sur des fauteuils à haut dossier – pour éviter des coups de poignards malheureux -, chacun jaugeant ses pairs du regard, arborant tous fièrement la marque de leur charge de dirigeants des Îles Perdues : un numéro tatoué dans la paume droite.

- Elle a recouvré ses esprits depuis un mois maintenant. Ses pouvoirs sont encore instables mais rien que nous ne puissions contrôler si jamais elle nous causait des ennuis. Il est temps pour elle de sortir de sa retraite et d’être mise à l’épreuve. Nous n’avons que trop attendus.
- Je ne pense pas qu’il soit sage de la confronter au monde extérieur pour l’instant, rétorqua le Conseiller à l’autre bout de la table, disparaissant sous de multiples voiles. C’est une empathe très puissante. Elle pourrait découvrir nos secrets…
- Jusqu’à il y a peu, elle savait à peine dire son nom ! C’est une ignorante. Je ne vois pas ce que nous risquerions à la confronter dès maintenant.

Celui qui avait parlé, Demetrius l’Alchimiste, jouant de son poignard sur la table, servait un sourire insolent à son comparse, Llorkell le Sans-Nom. Tous deux entretenaient une rivalité de longue date qui rythmait les débats autant qu’elle les ralentissait. Ils prenaient rarement partis, si ce n’était pour leur propre cause et n’aimaient rien tant que de contredire l’autre.

Emerya se retint de soupirer. Cela n’aurait fait qu’alimenter leur harangue. Ce ne fut hélas pas suffisant pour reprendre le débat. La vieille Faranghìs avait profité de l’occasion pour décrier une fois de plus ses confrères et en appeler à la faveur divine. Cette fois, la capitaine Kels’Orëh ne put s’empêcher de lever les yeux au ciel et de s’affaisser dans son siège.

Lorsque la chamane et sa dragonne avaient ramené les deux inconnues, l’une paraissait plus morte que vive. Le bref éclair de lucidité, lorsqu’elle était revenue à elle dans la jungle, n’avait pas suffi à recoller les lambeaux de son esprit. Le Conseil des Sept avait été réuni en urgence et tous avaient alors senti la puissante brute d’émotions qui n’étaient pas les leurs. La sang-mêlée à demi sauvage qu’on leur avait apporté ne se maîtrisait plus. Il avait fallu l’isoler, et même l’attacher, pour éviter qu’elle ne se blesse ou ne fasse du mal à autrui. A peine consciente de sa propre existence, elle avait hurlé, griffé, mordu, balbutier des propos incohérents et envoyé ses émotions à tort et à travers tel un ouragan. Enfermée dans une chambre des quartiers privés de l’ancien palais, à Nar’Lid, il avait ensuite été question de savoir quoi faire de sa dragonne.

Car la sauvageonne n’était pas venue seule. La présence de la créature s’était avérée finalement bien moins problématique que celle de sa Liée. Les habitants des Îles Perdues connaissaient l’existence des dragons et n’en faisaient pas tout un pataquès : il s’agissait de monstres comme les autres. D’autres dragons étaient venus par le passé. Sans compter Ashura, la propre Liée de la chamane. Les dragons étaient aussi réels que les serpents de mer et le scorbut ici. Mais leur rareté les auréolait de vénération autant que de crainte. Emerya connaissait bien ce sentiment et ne pouvait en blâmer la population.

Elle avait été choisie pour accompagner la chamane dans sa démarche de réhabilitation des deux étrangères. Elle devait les surveiller, les éduquer à propos de Nar’Lid et sa gouvernance, tenter de prévoir leurs futurs agissements, tout en les empêchant de trop se mêler au peuple pour les garder sous contrôle. Emerya n’était pourtant ni la plus sage ni la plus savante : elle ne connaissait rien à la magie qui animait la sang-mêlée et ne savait pas non plus communiquer avec les dragons. Cependant, elle avait connu un autre chevaucheur de dragon dans le passé, lui aussi issu de la lignée du fondateur de Nar’Lid. Elle l’avait même fréquenté bien avant qu’il ne se lie à un rejeton de Flarmya. Elle n’avait appris que tardivement sa filiation mais le Conseil des Sept se souvenait encore parfaitement du jour où un héritier du Garald, mythique démiurge des Îles Perdues, était revenu en ces terres. Il avait eu beau refuser officiellement le trône, il n’avait parlé qu’en son nom et non en celui de toute sa lignée. Il n’avait jamais parlé d’une descendance. Et pourtant, aujourd’hui, le Conseil des Sept faisait de nouveau face à un grave dilemme : céder la gouvernance à l’héritier légitime ou proclamer son indépendance. Le poids de la tradition, cette promesse faite au passé glorieux d’une cité oubliée dans les eaux empoisonnées d’Ys, pesait encore sur les consciences collectives. Le Conseil des Sept n’était finalement qu’un substitut à la monarchie, comme le stipulait les anciennes lois de Nar’Lid.

Mais la dernière héritière méritait-elle de gouverner un royaume qu’elle ne connaissait pas ? Les lois n’étaient-elles pas faites pour évoluer avec leur époque ? Le Roi de Fer était mort depuis longtemps et aucun de ses enfants, jusqu’à présent, n’avait prêter suffisamment attention à ce petit bout d’archipel, survivant principalement grâce à la pêche et aux rapines, pour revendiquer le trône. Le royaume n’avait jamais été restauré en plusieurs siècles. Qui était plus légitime, finalement, que la Confrérie pour diriger cet endroit ?

Hélas, la question restait en suspens. On ne pouvait enterrer si facilement la loi fondatrice de l’archipel. Le Conseil des Sept devait se résoudre à proposer le trône au dernier héritier en vie du Garald et se plier à sa décision, quoiqu’il advienne. Ce qui n’empêchait nullement les magistrats de discuter secrètement de son sort.

- Elle est consciente, rappela Emerya d’une voix ferme, interrompant la querelle de ses pairs. Elle commence à poser des questions. On ne peut plus la garder enfermée indéfiniment.

Son regard balaya l’assemblée. Tehei, colossale torhille qui n’acceptait que des femmes dans son équipage, leva une main aussi sombre que le bois de la table pour prendre la parole.

- Ses pouvoirs sont-ils muselés ?
- Sàga s’occupe de cette partie-là. C’est à elle qu’il faut poser la question, pas moi.

Emery serrait les dents. Elle sentait qu’elle était mise en porte-à-faux. De l’avoir désignée pour cette mission faisait d’elle l’unique responsable de sa réussite ou de son échec. Ainsi, les Sept éviteraient de se salir les mains et se contenteraient de couper la branche pourrie, si l’opération échouait. Il était bien plus aisé de se débarrasser d’une pirate que d’une chevaucheuse et son dragon.

- Nous avons toute confiance en notre chamane, commença Sahar, l’aîné des jumeaux.
- Et il serait imprudent de donner des raisons à notre invitée de nous haïr, acheva le cadet, Salim. Nous devons connaître le fond de ses pensées pour assurer la pérennité de l’archipel. Si elle nous déteste, elle peut vouloir revendiquer le trône uniquement par vengeance.
- Et nous serions dans de beaux draps ! renchérit l’autre en levant les bras au ciel.
- Donc, vous voulez la relâcher.
- Ma volonté n’a rien à voir avec ça, grinça Emerya face à l’insistance de Tehei. Je vous fais part de mes observations, rien de plus. C’est aux Sept de décider.

Le silence retomba sur la salle. Tous s’interrogeaient du regard, sans qu’aucun n’ose élever la voix. Le dernier des Conseillers, jusque-là resté muet, se leva lentement. L’attention convergea vers l’homme de haute stature, sans race déterminée, qui contemplait ses pairs avec des yeux céruléens plus froids et lumineux que des étoiles. Emerya se tendit, attendit le jugement du premier d’entre eux. Celui que l’on nommait Shigeru fit entendre sa voix de stentor :

- Procédons au vote. Qui est favorable à la libération de l’exilée ?

Durant d’interminables secondes, aucune main ne se leva.

¤¤¤


Le verrou sauta dans un léger cliquetis. La porte gémit. Ces sons, Persée les connaissait bien. Elle les avait entendus tous les jours depuis son arrivée ici. En dépit de son état semi-conscient, elle avait mémorisé les moindres détails qui accompagnaient ses visites quotidiennes. Lorsqu’elle était seule, ce qui était le cas la majeure partie de ses journées, elle prenait le temps d’analyser les paroles et les gestes de ses visiteurs. Elle comptait les heures, les jours, et tenait mentalement un journal de bord de sa réclusion.

Elle comprenait qu’on l’ait isolée dès son arrivée. En se massant les poignets, ses doigts glissaient sur les marques qu’elle s’était infligées, alors qu’elle errait au bord de la folie. Elle s’était souvenue de la douleur omniprésente, du désespoir vorace qui dévorait ses entrailles jour et nuit. Elle avait prié, supplié, pour qu’on la tue plutôt qu’on la laisse se souvenir de tout. Car après des semaines de sevrage, où seules ses propres émotions lui restaient accessibles, elle avait eu envie de rejeter celles-ci. Elle avait réappris, avec horreur, à ressentir. La douleur était revenue, et avec elle les reliquats fragmentés de son identité. La terreur avait été longtemps la plus forte des émotions dont elle était certaine qu’elle lui appartenait.

La femme qui entra était sa visiteuse la plus régulière. Elle venait tous les jours, lui apporter eau et nourriture, nettoyer la chambre, lui parler. Elle avait essuyé l’agressivité de la sang-mêlée, ses misérables tentatives d’évasion, ses violents sursauts d’empathie qui avaient ravagé l’esprit du dernier homme assez fou pour vouloir ausculter ses blessures. A chaque fois, elle était revenue, plus calme que l’eau avant la tempête. Peu à peu, parce que l’instinct de l’ancienne Céleste le lui murmurait, les élans meurtriers s’étaient tus. Le flegme de l’inconnue avait étouffé le brasier qui se débattait dans son corps. Persée avait alors commencé à émerger des cendres.

Il s’agissait sans doute d’une humaine mais la sang-mêlée n’aurait pu en jurer. Elle possédait le même regard froid et sévère que les statues antiques entraperçues au Pic aux Tigres. Persée l’attendait, assise au bord du lit. Bien que la chambre ait été remise en état depuis quelques temps, elle préféra demeurer debout. Malgré elle et son tout nouvel entraînement, Persée sentit sa méfiance l’atteindre tels les relents nauséabonds d’un marais, teintée d’une hostilité latente. Elle serra les mains sur le rebord du lit jusqu’à faire blanchir ses phalanges. Elle leva le menton en un geste de défi.

Tu ne m’aimes pas. Parfait, c’est réciproque.

L’empreinte chaleureuse de son lien avec Vraël pulsait dans son corps, amaigri et affaibli depuis des lunes, lui donnant la force de se maîtriser. Elle savait qu’avec pareille interlocutrice il ne servait à rien de provoquer l’ire et le désordre. La visiteuse ne daignait lui parler que lorsqu’elle-même se montrait patiente et docile. Tout le contraire du babillage incessant, sans queue ni tête, que lui servait son autre geôlière, celle qui n’avait qu’un œil.

- J’ai des questions, gronda la jeune femme. Allez-vous enfin y répondre ?
- Suis-moi.

Surprise de la tournure que prenait la situation, s’attendant à être rabrouée à tout instant, Persée mit du temps à réaliser la portée des paroles de sa visiteuse. Elle se leva maladroitement de la couchette et lui emboîta le pas. Un brusque afflux de lumière l’éblouit. Lorsqu’elle parvint à rouvrir les yeux, elle manqua chanceler. Toutes deux se trouvaient sur un pont de bois flotté, accroché à flanc de falaise. Une mer sans nom, aux eaux turquoise et saphir, s’étendait au-delà de la baie dans laquelle mouillaient des dizaines de navires de toutes tailles. La vie fourmillait sur les quais, dans les baraques sur la plage, dans les bicoques perdues dans la végétation luxuriante, sur les hauteurs sculptées à même la roche en d’improbables palais.

Un cri guttural perça l’air. Dans un sursaut, Persée releva les yeux. Dansant dans le ciel, deux dragonnes bleues saluaient en chantant l’aube naissante qui scintillait comme autant de diamants sur la mer.
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