[RP] Belles plantes

L'hiver avait étendu ses ailes au dessus du continent. Le lac, bas, devait être gelé et les plaines recouvertes d'une neige immaculée, où s'enfonçaient les pattes d'une faune timide et affamée. Au coeur de la tempête, dans l'oeil qu'était le Kaerl, la température était magiquement supportable et Céleste pouvait passer des heures à regarder l'azur immense qui la surplombaient comme le sol cotonneux sous le rocher. Nini et elle s'amusaient souvent à jouer avec les nuages, sculptant de leur vol des formes d'humidité solide.

Secouant sa cape décorée de flocons alors qu'elle sortait de l'interstice sur le glyphe de sa nouvelle maison, la jeune femme descendit de son âme soeur, la délivra de son harnais et la regarda s'envoler à nouveau, probablement pour se poser sur le Valarëa, pour regarder ses pairs aller et venir, faire le plein de ragots et battre des cils à des mâles de passage. Sans songer à l'imité, Céleste l'envia un peu. Elle avait à faire, de son côté, Selcot lui ayant demandé, si elle descendait, de voir ce qu'elle pouvait trouver en simples pour l'infirmerie. Et malgré le malaise que lui inspirait toujours son sauveur, elle n'avait pas trouvé de raison de refuser.

Elle passa rapidement par son weyr, déposant son manteau et son écharpe, triant les pelotes qu'elle avait acheté, les bracelets qu'elle n'avait pas vendus. Puis, elle tira sur son pull blanc de laine qui lui descendait à mi-cuisse. Selcot lui avait donné une heure où elle pouvait passer sans le déranger et celle-ci approchait. Elle resserra sa large ceinture de cuir, rattacha correctement ses cheveux et, attrapant le sac de plante, se dirigea vers l'infirmerie.

Elle aimait et n'aimait pas cet endroit. Comme elle aimait et n'aimait pas le guérisseur. Elle y voyait de la souffrance qui la renvoyait à son inutilité crasse. Qui avait besoin de mouchoirs brodés et de bracelets de pierres quand il avait mal ? Elle y voyait aussi de la paix, du calme, du mieux-être et des gens qui pouvaient apprécier une visite calme. Peut-être prendrait-elle le temps de raconter ce qu'elle avait vu, en bas, à un blessé ou deux pour adoucir sa convalescence. C'était quelque chose qu'elle pouvait faire et être utile lui faisait du bien.

*Qui sait, y en a un qui pourrait te plaire.*

Pourquoi Nini voulait-elle absolument la caser restait un mystère pour la jeune femme qui ignora la remarque. Elle frappa avec douceur, entrant sans se faire remarquer, surprise de voir le Prêtre d'Osmael déjà en train d'attendre. Aussitôt, elle rougit, baissant les yeux sur ses bottes de cuir détrempées.

"Pardon. Je...peux repasser."

*Je ne quitte pas les thermes tant que tu n'as pas vu de guérisseur. Si tu tentes de t'y soustraire, je le saurai!*

Criodan avait perdu la plupart des mauvaises habitudes de sa jeunesse, grâce à Osmaël, à toutes les personnes qu'il avait mises sur son chemin, mais aussi grâce à Keeva qui continuait de veiller à ce qu'il prenne soin de sa propre santé. La liée du chevalier dragon savait mieux que personne que, nichée profondément dans son esprit, subsistait une créature ancienne, un monstre installé ici par les Cuana de Tramaghel et leurs subordonnés. Ce monstre s'infiltrait dans les pensées de Criodan et lui soufflait de sa voix enjôleuse: tu n'es pas important, n'encombre pas les guérisseurs avec tes soucis de petite personne fragile

Heureusement, la bleue avait décidé que tant qu'elle vivrait ce monstre, s'il ne voulait pas partir pour de bon, devrait se taire. Criodan avait besoin de visiter régulièrement l'infirmerie car son corps avait subi de nombreux dommages quand l'ondin était encore jeune. Ses articulations souffraient d'avoir été trop malmenées par trop de travail et une croissance trop rapide, son métabolisme se remettait encore d'avoir été trop surmené par de l'alcool et d'autres substances nocives. Il fallait qu'il prenne soin de lui et les guérisseurs étaient là pour cela! De plus, cela lui donnait une occasion de revoir Selcot, et son supérieur était certainement heureux aussi de s'occuper d'un cas médical aussi particulier que Criodan. Pour toutes ces raisons, Keeva se prélassait dans les thermes, réchauffant ses écailles à la lumière du jour et goûtant aux joies des eaux réparatrices des thermes tout en gardant un oeil sur l'infirmerie.

*Tu dis ça, mais tu fais surtout ça pour prendre un bon bain*
*J'ai effectivement saisi l'opportunité de me relaxer! N'est-ce pas toi qui dis toujours que la chance doit être reconnue et les opportunités saisies lorsqu'elles se présentent?*
Criodan sourit et soupira. Il attendait seul dans l'infirmerie, pendant que Selcot bavardait certainement avec quelqu'un quelque part. A moins qu'il ne soit occupé par de vrais malades ou des blessés graves?
*Je t'ai entendu! Et quand bien même, si c'était le cas tu attendras simplement ton tour ou tu verras un autre guérisseur*
*Je pourrais être en train de faire des choses utiles, tu sais! Au lieu de simplement attendre ici avec toi qui me surveilles*
*T'occuper de ta santé est ce que tu as de plus utile à faire. D'ailleurs, on vient!*

Criodan replaça sa longue tresse derrière son dos et lissa les pans de ses vêtements amples typiques des ondins. Avec des habits aussi simples, il passerait pour un provincial à Tramaghel. Tant mieux! Tramaghel, c'était Kaziel. Osmaël valait mieux que ses parents.

Il fut surpris de voir arriver une jeune femme qu'il ne connaissait pas encore entrer dans l'infirmerie si discrètement qu'elle le fit presque sursauter. Elle portait un sac de plantes, sans doutes destinées à fabriquer des remèdes dont faisait peut être partie celui qui lui était destiné.
Oh, non! Vous pouvez entrer, j'attends simplement que l'on vienne s'occuper de moi. Et j'ai de plus l'impression que vous amenez de quoi préparer de quoi soulager mes douleurs aux articulations!

*C'est la liée de Ninlil* informa Keeva. *La verte Ninlil. C'est une dragonne que j'apprécie. Ne fais pas peur à sa liée, elle est craintive*
*Oh, je viens de lui dire que mes articulations étaient douloureuses, les chances que je l'effraie doivent être presque nulles*

Je n'ai pas encore vu de guérisseur ici. Je crois que Selcot Denali était de service, mais je n'en suis pas certain. Le connaissez-vous?

Les douleurs aux articulations pouvaient vraiment faire souffrir. Céleste avait entendu plus d'une vieille personne pester contre le mauvais temps et l'humidité du lac mais le Prêtre d'Osmaël ne paraissait pas vieux. Peut-être était-ce autre chose. Si les plantes qu'elle avait rapporté pouvaient aider, alors elle serait soulagée. Elle se glissa sur le côté, posant son fardeau - bien grand mot pour une charge plus volumineuse que lourde - sur la table. Le transport avait mélangé quelques bottes et elle prit le temps de démêler en douceur les feuilles et séparer les paquets, tout en écoutant le patient.

"Oui." Elle connaissait Selcot, elle le connaissait même trop bien. Qui ne le connaissait pas.
*Allez, il fait la conversation, parle !*
*Mais, ce n'est pas très intéressant...*
*Tu crois que ses douleurs aux plis sont intéressantes ?*
*Mais oui ! Il souffre !*
*Parle je te dis, moi je vais me baigner avec Keeva. Faut que je rattrape des ragots. De toute façon tu ne vais pas sortir sans avoir vu le chevalier vert n'est ce pas ?*
*Non, mais*
*Alors parle. T'as une langue, elle sert à ça. Entre autres mais on en discutera plus tard.*

Une belle teinte rosée vint empourprer les joues de la jeune femme qui saisissait sans trop savoir comment ou pourquoi les sous entendus de sa liée.

"Le Seigneur Selcot est très connu ici. C'est un excellent soignant. Si quelqu'un peut vous soulager, il le peut." Elle était sincère. Selcot était bruyant, bavard, extraverti et effrayant. Mais c'était aussi le meilleur guérisseur qu'elle connaissait.
*Parfait, ajoute quelque chose de personnel maintenant.*
*Mais*
*Sinon je le fais moi.*

"... C'est lui qui m'a trouvée...en quête je veux dire. Vous ne l'avez jamais vu, dans des auberges ou autre ? Il sort souvent. Oh, je m'excuse, je... je m'appelle Céleste. Dame de Ninlil, la verte."

"Je peux te rejoindre ?" fit de son côté Nini à sa collègue bleue, laissant sa liée se débrouiller avec les affres de sa timidité. "Je crois qu'ils vont en avoir pour un moment, j'ai pas l'impression d'entendre Beith."

*Je t'en prie, il y a un peu de place. Mais je garde ce rayon de lumière. Je l'ai vue la première*

Pour Keeva, la lumière était un trésor à part entière. Elle faisait scintiller les objets les plus ternes, transformait les couleurs tristes en reflets de joyaux. Et il en existait de tant de sortes! La lumière aveuglante de mi-journée, les rayons chauds du soir, les pinceaux lumineux froids de l'hiver qui perçaient les nuages, les flammes prisonnières de leurs lanternes, les feux de joie... Mais contrairement aux joyaux, on ne pouvait posséder la lumière. On ne pouvait que profiter temporairement de ses bienfaits, et Keeva comptait bien rester encore un peu dans la chaleur de Solyae. Elle se déplaça juste assez pour rester dans la lumière et faire de la place pour Ninlil.

*Si mon lié sort de là sans avoir vu un guérisseur* dit Keeva à l'attention de Ninlil assez fort pour que Criodan l'entende, *je t'autorise à le jeter tout habillé dans l'eau*

Criodan haussa les sourcils. Selcot avait découvert quelqu'un qui possédait le Don lors d'un voyage hors du Kaerl? Il ne lui en avait jamais parlé. A force de collecter les ragots, l'elfe paraissait parfois oublier les sujets importants. L'ondin sourit et tendit sa main aux doigts trop longs en direction de la maîtresse verte.

Criodan Cuana, disciple d'Osmaël qui a l'incroyable chance d'être lié à la bleue Keeva

*La flatterie ne me fera pas baisser ma vigilance!* lui répondit la dragonne. Criodan ressentit que, malgré ce qu'elle lui communiquait, Keeva avait apprécié le compliment.  

Selcot a omis de me parler de vous! plaisanta Criodan. Cependant, Keeva m'a déjà parlé de Ninlil que je n'ai cependant jamais rencontrée. Je....

Il baissa les yeux, gêné. Comment expliquer à cette maîtresse dragon qu'il ne pouvait pas quitter l'infirmerie car sa liée l'en empêchait? Elle lui demanderait sans doute pourquoi la dragonne agissait ainsi, et il devrait donner des détails au sujet de son passé pour expliquer la situation. S'il était de notoriété publique dans le Mar Menel que Criodan Cuana avait gâché ses années d'aspirant ainsi que sa santé en abusant de beaucoup de choses, il n'aimait pas pour autant en parler. Lorsqu'il le faisait, il avait l'impression de redevenir, le temps d'une conversation, l'adolescent à l'allure étrange qui ne semblait pas bon à grand chose.

...je peux peut être vous aider à ranger ces simples? proposa-t-il. Si je dois attendre, autant que je puisse être utile. 

"T'en fait pas, j'ai pas besoin de lumière pour briller !" l'amusement et la bonne humeur de la dragonne s'entendait dans son ton mental alors qu'elle adoucissait sa vanne d'un clin d'oeil. Le plaisir de jouer sur les mots lui faisait souvent oublier la possible susceptibilité de ses interlocuteurs mais, de toute façon, s'ils voulaient se fâcher, elle savait aussi répondre sur d'autres registres et était totalement indifférente à ce que l'on pouvait penser d'elle. Céleste l'aimait tellement entièrement et profondément qu'elle n'avait besoin de rien d'autre et aucune peur de perdre cet amour qu'elle savait inconditionnel. La seule chose qui l'attristait un peu, c'était de savoir que sa liée, elle, n'avait pas cette connaissance profonde. Et que du coup, elle doutait d'elle. Ce qui était idiot. Céleste était très bien.

"Bonne idée, comme ça la mienne sera obligée de se jeter à sa rescousse et comme elle ne peut pas nager habillée..."
"Vas-tu cesser tes enfantillages ?"

Pivoine, Céleste regardait ses pieds mais son ton était plein de l'autorité des mères et des grandes soeurs pour les petits tapageurs. Le rire de Ninlil, tout draconique qu'il était, fit échos sur l'eau.

Heureusement, le maître de la bleue était plus posé et commença à se présenter. Elle failli dire qu'elle savait qui il était. Elle avait apprit a respecter le clergé. Ils pouvaient faire bien des soucis si on ne les traitait pas comme il le fallait. Surtout qu'Osmael n'était pas un dieu qu'on voulait avoir contre soi. Par contre, que Selcot ai oublié de parler d'elle n'était pas surprenant. Même un bavard invétéré n'avait surement rien à dire d'intéressant sur quelqu'un comme elle. Et puis, d'un coup, il regarda ses pieds. Surpris, la jeune femme leva ses yeux à elle, observant ses cheveux tombant autour de ses joues.

Il changea de sujet. Elle ne fit aucune remarque, se décalant simplement.

"Si vous voulez ?" Elle pouvait le faire seule. Ce n'était pas bien compliqué. Mais le dire aurait été agressif et puis il proposait, peut-être pour ne pas s'ennuyer. "Vous...vous y connaissez ? En plantes ?"

Ca aurait été bizarre de ne pas relancer la conversation. Elle-même n'était pas forcément très douée, elle en savait assez pour aider, mais pas autant qu'un guérisseur averti. Son truc, si truc il y avait, c'était plutôt les pierres...

Keeva ne releva pas la pique amicale de la verte. Tant qu'elle gardait son coin de chaleur, cela n'avait aucune importance.

*Pourquoi diable voudrais tu que ta liée sauve le mien sans qu'elle ne porte de...oh!*

Etait-ce la chaleur qui avait ainsi émoussé la répartie de Keeva? La bleue n'était d'habitude pas de celles à qui les sous-entendus échappent facilement. Elle avait été prise par surprise, sa vigilance baissée par la quiétude des thermes. Heureusement, son lié aurait bien plus de mal à essayer de lui fausser compagnie.

*Ta liée me semble être quelqu'un de bien. Il y a donc peu de chances que l'énergumène avec qui j'ai la malchance de m'être liée s'intéresse à elle. Il est perpétuellement attiré par les personnes qui lui font du mal*


La dragonne avait dirigé ces paroles de manière à y inclure Criodan, qui ne répondit pas. Ce n'était pas la première fois que Keeva lui faisait ce reproche. Et il devait bien admettre qu'il contenait une part de vérité. Il fallait admettre que sa condition avait tendance à faner bien des romances. Criodan avait appris à accepter cela, et pensait que la personne qui le quittait pour cette raison n'était de toute façon pas quelqu'un de bien pour lui. Cependant, cette situation le laissant avec peu d'opportunités, ainsi qu'avec une fâcheuse tendance à choisir les mauvaises...

Eh bien...je dois avouer que je n'y connais pas grand chose!

Il prit place devant la table, près de Céleste, et commença à séparer quelques feuillages enchevêtrés à l'aide de ses longs et fins doigts qui se révélaient très utiles pour ce genre de tâches. C'était pour cette raison qu'on lui avait souvent confié des filets et des cordages à démêler lorsqu'il avait été mis à l'épreuve sur ce maudit bateau. Du moins, c'était le cas avant que son supérieur ne le prenne en grippe et ne se mette à l'affecter aux tâches les plus épuisantes du navire.

J'ai tout juste appris à reconnaître certaines parmi celles qui sont utilisée ici. J'ai passé tant de temps dans l'infirmerie lorsque j'étais aspirant! Par exemple celle-ci...

Il désigna une feuille dont la forme rappelait un peu celle d'une fougère, reliée à une tige dont certains brins s'enroulaient à leur extrémité.

...je crois que c'est l'anti-douleur dont j'aurais besoin! A moins qu'il ne s'agisse de celle qui nettoie les plaies superficielles? Comme je vous disais, je n'y connais pas grand chose. Mais peut-être pourrez vous m'apprendre? Je pourrai ainsi ramener de quoi fabriquer d'autres remèdes lors de mes prochaines visites, et me sentir moins coupable de ceux que je consomme au détriment des autres

Il sentit le soupir exaspéré que Keeva n'avait pas formulé. Cependant, son idée lui semblait tout de même pertinente. Une opportunité de rendre service ne devait jamais être négligée. La malchance que représentait le retard de Selcot se transformait peut être en chance de pouvoir apprendre de dame Céleste. Mais l'humaine aux cheveux blonds semblait ne pas oser le regarder dans les yeux. Keeva avait dit vrai: la liée de Ninlil semblait "craintive"...

C'était le principal défaut qu'on trouvait à Céleste. Elle était une fille bien alors on ne voulait pas d'elle. Les hommes voulaient du piquant, ou de la répartie ou de la flamboyance ou elle ne savait quoi. Parfois, Ninlil se disait que personne d'autre qu'elle n'était capable de voir à quel point sa liée était formidable. Elle le cachait si bien. Enfin, lui ou un autre hein. Elle avait saisi la balle au bond et la renvoyait avec la même facilité, sans plus d'attachement.

*A part toi, donc.* remarqua-t-elle avec un sourire, sans jugement, juste pour clore le sujet. S'il voulait vraiment des mauvais, le Kaerl ardent était le lieu pour faire des rencontres. Ce n'était pas dur, ils étaient tous hostiles là bas. Se glissant dans l'eau, la dragonne commença tranquillement à barbotter.

Du côté humain, Céleste n'avait rien remarqué des pensées de sa dragonne. Elle était concentrée sur ses plantes et essayait toujours de ne pas écouter les conversations privées. C'était très impoli.

Criodan avait de belles mains. Longues comme celles d'un musicien, blanches et souples. Abiles. Elles n'étaient pas abîmés par les travaux de force ou dangereux.

"Je...ne suis pas très savante..." avoua-t-elle doucement. "J'ai un herbier." elle sorti le carnet de cuir où Selcot avait collé des feuilles séchées et noté leur noms afin qu'elle puisse faire les collectes de façon plus autonome. Elle le posa sur la table, doucement, ouvrit les pages et chercha la plante en question.

"C'est de la Comnille. Je crois. Il n'a pas écrit à quoi cela servait. Mais il parle beaucoup. Il en fait des teintures pour les plaies. Et si on le boit et qu'on a une infection des dents, c'est bon aussi...je crois. Je ne suis pas guérisseuse..."

Elle n'était qu'une petite fabricante de bijoux. Presque rien dans le monde. elle ne priait pas les dieux, elle ne guérissait pas les corps, elle ne produisait ni nourriture ni connaissance. Juste des petits bijoux de pierre ou de broderie. Qui se vendaient un peu sur les marchés, surtout grâce à Nini qui était très bonne commerciale.

"Pour vos douleur, peut-être veut-il vous donner du Piaume ? Je crois qu'il le met dans la crème ?" Elle montra une autre plante, plus anguleuse dont la feuille verte semblait piquetée de points gris totalement naturels. Elle rougit.

"Vous pouvez recopier l'herbier. Si vous voulez. Ou faire celui pour vos...besoin ? Si vous n'osez pas je peux demander à Selcot. Il est gentil. Il parle beaucoup. Moi aussi. Pardon." Et elle se tû.

Tandis que Keeva se prélassait en silence dans l'eau des thermes, Criodan écoutait Céleste qui cherchait les plantes dans son herbier. Quelle idée astucieuse! Etait-elle répandue chez les guérisseurs et leurs aides? 

Vous n'êtes peut être pas guérisseuse, mais vous en savez déjà bien plus que de nombreuses personnes! commenta Criodan tout en comparant une fleur qu'il avait démêlée des plantes fraîchement cueillies avec la comnille dans l'herbier. Je ne parviens jamais à retenir les noms des fleurs. Keeva m'aide parfois, mais elle ne s'intéresse pas aux plantes médicinales. Juste aux jolies fleurs. Alors si une plante est laide mais utile, je ne peux pas compter sur elle.

La bleue était avant tout une esthète. Criodan lui avait expliqué l'utilité de reconnaître les plantes bénignes des plantes empoisonnées, mais la bleue lui avait rétorqué que tout irait mieux pour les bipèdes s'ils cessaient de manger des plantes.

*et je le pense toujours! Vous mangez et buvez n'importe quoi. Vous êtes pire que des rats*

Du piaume? répéta Criodan. Il avait souvent entendu prononcer ce mot dans l'infirmerie, par Selcot mais aussi par le maître guérisseur qui l'avait souvent examiné. Un "cas" aussi inhabituel que le sien mobilisait les attentions de tout le personnel!

Il sourit en entendant Céleste employer l'euphémisme "beaucoup" pour décrire les bavardages de Selcot. Mais son visage se figea alors que Céleste s'excusait d'avoir...parlé beaucoup? 

Pourquoi vous excusez-vous donc? Ai-je dit quelque chose qu'il ne fallait pas?

Il entendit Keeva s'esclaffer dans sa tête. 
*Tu recommences à te prendre pour un fardeau pour autrui!*
*C'est un vieux réflexe...*
*Et le moment est venu pour toi de t'en occuper. Allez! Je sais que tu l'as déjà fait. Tu peux donc le refaire*

Je veux dire, balbutia Criodan, vous ne parlez pas trop! Bien au contraire. Et de toute façon, je suis capable de supporter Selcot. J'ai donc une très grande tolérance!

Il pouffa doucement, baissant les yeux et secouant la tête pour replacer sa tresse sur son épaule. 

De toute façon, s'il ne m'a pas parlé de vous, c'est qu'il ne parle pas assez

A moins qu'il n'ait employé un de ses surnoms idiots pour désigner Céleste? Criodan connaissait celui qui lui était attribué, et espérait qu'il ne fasse pas trop d'émules ...

Mais ces personnes savaient de tas d'autres choses sûrement plus utiles que des plantes disparates. Elle, elle retenait toujours des choses inutiles. Elle soupira, la tête basse.

"La beauté est subjective." La preuve, Selcot l'appelait Celébelle - probablement pour se moquer cela dit - alors qu'elle n'avait rien de beau. A peine était-elle jolie. Les gouts se trouvaient partout et sous toutes leurs formes. Il était d'ailleurs étonnant de se dire que ceux d'un être aussi différent et sage qu'un dragon puisse entrer en résonnance avec ceux d'un humain.

"On dit que certains animaux aiment naturellement ce qui est bon pour eux. En herbe. A manger. Enfin je l'ai entendu dire ? Si c'est vrai, alors le bon l'est par sa nature, dans le sens où la nature de l'aliment est bonne pour la santé et donc bonne au gout. Peut-être que le beau c'est ça ? C'est pour ça qu'on associe des traits à des caractères ? Peut-être que ce que votre dragonne trouve beau est toujours bon et donc qu'elle ne trouve pas laide les plantes utiles ?"

Elle se traita mentalement d'idiote. Elle s'était mélangée et avait murmuré une loghorrée stupide au lieu d'aller droit au point qu'elle voulait aborder, à savoir que la définition du beau était variable. Vraiment, il allait falloir qu'elle apprenne à se taire. Elle baissa à nouveau la tête, prête à s'excuser à nouveau quand la surprise du Prêtre la fit rougir. Par réflexe elle posa sa main sur la sienne pour le rassurer.

"Non ! Non, pas du tout, vous n'avez rien dit, rien fait, vous êtes.." par chance il ne la laissa pas continuer et elle retira sa main, reprenant son tri.

"Il n'y a rien de spécial à dire sur moi." Ce qui expliquait que même Selcot n'ai rien trouvé à raconter. "Je suis certaine qu'il trouve souvent des personnes pour se lier avec des dragons. Après tout, il y a des éclosions régulières." Une hésitation. "Keeva a une fleur préférée ?"

*Ninlil?* maugréa Keeva sans bouger de son rayon de lumière. *Je crois que ta liée vient de me comparer indirectement à un herbivore*

*C'est faux!* intervint Criodan. *Et ce qu'elle dit n'est pas sans fondement. Peut être que tu es attirée par les fleurs des plantes qui peuvent soigner les dragons*

Le souffle méprisant qui jaillit des naseaux de Keeva provoqua un une éruption de bulles dans l'eau des thermes. La dragonne étira ses ailes et tourna sur elle-même afin de trouver une position plus confortable.
*Comme si mon intérêt était du à un quelconque instinct! Et je pensais que tu le savais, puisque je me souviens t'avoir montré toutes les fleurs mentionnées dans mes poèmes favoris. Et que dire de celles qui sont banales mais deviennent magnifique sous la lumière adéquate? Selon cette logique, elles seraient bonnes pour moi à certains moments de la journée et non à d'autres*

Criodan sourit. Comme souvent, il décida que la vérité se trouvait certainement quelque part entre les deux points de vue. La beauté était complexe, relative et subjective, mais l'intérêt qu'elle suscitait permettait certainement de découvrir les propriétés de son hôte.

L'espace d'une seconde, Criodan envia Céleste. Rien de spécial à dire à son sujet? Voilà qui la mettait à l'abri des ragots et autres rumeurs. S'il n'y avait rien à dire à son sujet, sa vie aurait été bien plus paisible. Mais elle ne lui aurait certainement jamais permis de croiser la route du Mar Menel, et encore moins celle de Keeva. Il s'agissait là d'un des principes qu'il avait appris grâce à Osmaël: chaque évènement ouvre et ferme une multitude de portes. Si l'on regrette un mauvais moment de son passé, alors on regrette indirectement les bons moments qui l'ont suivi et pour lequel il a très certainement joué un rôle. Alors il se garda de répondre à cette affirmation. Cependant, ce que dit Céleste ensuite l'intrigua davantage. Selcot était donc celui qui l'avait amenée au Mar Menel? Cela signifiait-il que Céleste était en réalité....

Célébelle! fit-il en se retournant brusquement vers la maîtresse dragon. Suis-je bête! Selcot vous appelle Célébelle, et je n'avais pas fait le rapprochement pourtant facile. Je me sens idiot! Il m'avait bien parlé de vous en fait. Il a également du vous parler de moi, mais je refuse de révéler le surnom qu'il me donne!

Il souriait, mais rougit un peu en entendant la voix de Keeva:
*Si elle est moins distraite que toi, elle a déjà fait le rapprochement, Crio-chou!*

Une fleur préférée? réfléchit Criodan. Je sais qu'elle aime beaucoup les buissons de lilas, mais j'ignore si elles sont ses favorites. Si je devais en citer une, cela serait celle-ci.

Keeva ne répondit pas à cette affirmation. Mais Criodan ressentit son sourire satisfait.