[RP] Des réponses et des doutes

Llefelysku 920

Cela faisait désormais deux jours qu’Ewen était de retour au kaerl. Son absence n’a pas vraiment été relevée, mis à part quelques questions de personnes qui le connaissaient, mais sans aller plus loin. Son ‘’ami’’ n’était toujours pas venu le voir et plus tard, il serait au courant de son retour, mieux ce serait. L’elfe avait tout sauf envie de croiser celui qu’il qualifiait de vrai pot de colle, bien qu’il ait été d’un certain soutien lorsqu’il était au plus mal. Ces deux derniers jours, le jeune chevalier se reposait, profitant de pouvoir à nouveau rester bien au chaud dans sa chambre, dans un vrai lit, Faolan blotti contre lui comme toujours.

Pendant ce temps, Akhorys en profitait pour rattraper le temps perdu avec ses frères et sœurs. Le Brun avait quitté le kaerl avec son lié peu de temps après l’Empreinte et avait donc grandit à l’extérieur durant les 6 mois de sa courte vie. Ayant de grandes facilités pour communiquer, contrairement à son âme-sœur, le saurien pu rapidement s’intégrer aux autres dragons du kaerl, racontant ses aventures dans la sylve à qui voulait l’entendre, sans mentionner pourquoi ils étaient partis si longtemps. Bien évidemment, il ne lui fallut pas bien longtemps avant d’entendre parler d’un certain Asaleith et de son lié, Marek d’Ardiénor, lors d’une de ses conversations avec un Bronze bien plus âgé. Il lui apprit qu’il s’agissait d’ardents ayant fui leur volcan pour se réfugier ici, au kaerl englouti. C’était exactement ceux-là dont Ewen avait entendu parler. Dommage qu’il ait décidé de partir, peut-être aurait-il pu l’apprendre bien plus tôt s’ils étaient restés. Lorsque le jeune brun trouva le fameux Asaleith, il resta en retrait, l’observant longuement. Peut-être un peu trop longuement. Impossible d’aller à sa rencontre sans en avoir discuté avec son âme-sœur. Akhorys préféra donc ne pas engager de discussion pour le moment, attendant patiemment que la tête de mule rebelle avec qui il avait passé l’Empreinte se manifeste et voir s'il n’y avait d’autres choses intéressantes à savoir.

Pendant ce même moment, Ewen divaguait seul dans les couloirs, repensant au jour où il était allé voir l’Oracle. Le jour de sa fugue, il avait réussi à trouver un chevalier du kaerl ardent pour l’emmener dans un lieu pas trop loin du mont Gerikor, prétextant devoir aller chercher quelque chose pour quelqu’un. Encore aujourd’hui, il ignore comment un tel prétexte a pu passer, mais il était désormais libre et heureux d’être parti de cet ignoble endroit pour de bons. L’elfe avait souvent rêvé des visions qu’il avait eues durant son ascension, relativement difficile, mais il y avait quelque chose qui le tracassait depuis son réveil. Deux phrases prononcées par l’Oracle qui avaient refait surface dans le flot chaotique de ses pensées.

*Quant à ton père, il est parti avant ton arrivée. Cet elfe en exil ne reconnaît pas la chair de sa chair.*

De par son Don, il savait qu’il était très probable que son paternel venait de Tol Orea. Seulement, à en croire ces paroles, il était déjà parti lors de son arrivée chez les ardents. Marchant toujours dans les couloirs, perdu dans le fil de ses réflexions, il finit par percuter quelqu’un.

« M’enfin !! Regarde où tu vas ! Non seulement, tu ne viens même pas dire bonjour après tes six mois d’absence, mais en plus te me rentre dedans comme si j’existait pas. »

Interrompu, Ewen leva les yeux vers celui qu’il venait de percuter et vit qu’il s’agissait de son fameux ‘’ami’’. A peine venait-il de le reconnaître qu’un bras passa derrière sa nuque et se retrouva bien vite dans les bras du Chevalier bronze. Ewen, mal à l’aise, essaya de s’en extirper, en vain.

« Tu peux me lâcher, Ordias. Je déteste quand tu fais ça et tu le sais. »

Le chevalier le sera encore plus fort, jusqu’à ce que l’elfe grogne, puis desserra sa prise, satisfait.

« Aaaaah mon elfe grognon préféré. Tu m’avais manqué. Tu viens boire un verre avec moi ? »

Enfin libre, Ewen mis un certain temps à répondre, pesant le pour et le contre. Ordias n’était pas mauvais, mais il a son caractère bien à lui, totalement à l’opposé du sien. Peut-être un jour réussira-t-il à s’y habituer. Il répondit donc d’une petite voix, pas très sûr de lui.

« On ira un autre jour, aujourd’hui, je suis…. Hum… Occupé. »

Ordias, contrarié, ne fit rien pour lui cacher sa déception et s’en alla comme il était venu, essayant quand même une nouvelle fois de convaincre l’elfe.

« Si c’est pas maintenant, ce s’ra plus tard. T’es sûr de pas vouloir venir ? C’est pas en restant enfermé dans ta coquille avec les fantômes de ton passé que t’arrivera à avancer, j’dis ça comme ça, hein. En tout cas, ton lié et le mien on l’air de bien s’entendre ! »

Le chevalier brun n’eut même pas le temps d’en placer une que son cher ami avait disparu au détour d’un couloir. Si Akhorys s’entend bien avec son dragon, cela voudrait dire que le brun lui remplirait la tête et irait peut-être même jusqu’à le pousser pour l’obliger à aller le voir. Pourtant, une toute petite partie au fond de lui était tout de même ravie d’avoir pu revoir Ordias. La tête baissée, planter au milieu du couloir, il se surprit même à sourire. Peut-être que, finalement, la compagnie de cet ami ne lui était pas si insupportable que ça. Il ne s’était même pas rendu compte qu’il commençait à apprécier sa présence. Un jour, peut-être qu’il le lui avouera.




Le soir venu, Ewen alla voir Akhorys pour passer un peu de temps avec lui, Faolan à ses côtés. À peine eut-il le temps de l’apercevoir qu’un flot de paroles continu inonda ses pensées.

*Eweeeeeeeeeen ! Tu ne devineras jamais, j’ai discuté avec un bronze super sympa et il m’a parlé de ce Fameux Marek dont tu avais entendu parler à Lomeanor. J’ai même vu son lié, mais ne t’inquiète pas, je ne lui ai pas encore parlé, je préférais d’abord voir avec toi. Par contre, je pense qu’il a certainement remarqué que je le regardais. Du coup, je suis parti vite. Au moins, on est sûr qu’il est ici !*

Par réflexe, l’elfe se boucha les oreilles pour essayer d’atténuer la voix qui criait presque dans sa tête. Un geste totalement inutile, mais il ne put s’en empêcher.

*Je suis aussi content de te voir, mais parle moins fort la prochaine fois.*

*Désolé, j’étais vraiment pressé que tu viennes que je n’ai pas su me retenir.*

*Alors comme ça tu as fait la connaissance du lié d’Ordias ? Et il t’a dit quoi exactement ?*

*Oui, il s’appelle Ansur. Mis à part me dire qu’il est un réfugié, je n’en sais pas vraiment plus. Tu devrais voir où il est logé et lui rendre visite. Pourquoi pas avec un petit cadeau, histoire de montrer que tu cherches un contact amical*

Ewen manqua de s’étouffer avec sa propre salive lorsqu’il entendit cadeau et amical dans la même phrase.

*Mais je n’y vais pas pour faire ami-ami ! Et un cadeau, tu m’as vu faire des cadeaux ?*

Le brun afficha une mine amusée et rit à sa manière.

*Tu trouvera bien un truc, au moins que tu montres une bonne image de toi avec un petit geste.*

Le chevalier n’ajouta rien et se laissa aller contre le flanc de son âme-sœur, se demandant si un cadeau pouvait être vraiment une bonne idée. Peut-être que cela aiderait effectivement à instaurer une certaine confiance ou ne serait-ce que diminuer le malaise que sa demande pourrait laisser paraître.





Le lendemain matin, Ewen partit au marché pour essayer de trouver un cadeau à offrir, laissant Faolan seul encore une fois. C’était bien une première pour lui. Arrivé sur place, il parcourut les étals d’un œil attentif. Plusieurs fois, il serra les dents devant les prix de certaines babioles qui n’avaient aucun intérêt selon lui. Que pouvait-il bien prendre ? Certainement pas de bijoux ou autres fantaisies décoratives. Peut-être quelque chose d’utile ? Sans connaître la personne, difficile de savoir ce qu’il pourrait lui être utile. Son regard s’arrêta sur un étal rempli de plusieurs bonnes choses à manger. Un panier rempli de graines de courges attira son attention. Il y a vraiment des personnes qui mangent ça ? Un peu plus loin sur l’étal se trouvait des bouteilles de vins et d’hydromels. Voilà qui était intéressant. De par son expérience auprès de marchands du Vaendark, il avait eu le loisir de goûter à plusieurs sortes de boissons alcoolisées ou non. L’elfe détailla les bouteilles unes à unes jusqu’à s’arrêter sur une en particulier. Pourquoi ne pas y aller avec une bouteille d’Hypocras. Certes, ce n’est pas donné, mais si jamais il venait à la refuser, elle ne serait pas perdue. Loin de là.

Bouteille à la main, Ewen retourna aux tours joyaux, déterminé et presque sûr de lui. Vint le moment de demander où se situait la chambre de Marek. La personne à qui il posa la question le détailla, puis arrêta son regard sur la bouteille de vin, haussant un sourcil. L’elfe, mal à l’aise, senti sa détermination fondre comme neige au soleil. Enfin, vint la réponse et il partit avec un simple merci. Plus il avançait dans les couloirs, plus l’envie de faire demi-tour se faisait forte. Néanmoins, il devait continuer. Arrivé devant la porte, il inspira un bout coup et s’arrêta net dans son élan, toujours avec sa bouteille dans la main. Planté comme un piquet devant une porte fermée, son hésitation avait pris le dessus. Était-ce vraiment une bonne idée ? S'il le menait en bateau, faisait exprès de le mettre sur une fausse piste, que ferait-il ? Pire ! Peut-être même pourrait-il le piéger ou se servir de lui. Après tout, il reste un ancien ardent. L’elfe avait vu de ses propres yeux de quoi ils étaient capables. De longues minutes s’écoulaient sans qu’il ne bouge, en proie aux doutes et à ses douloureux souvenirs des quelques semaines passées au volcan. Il y avait aussi ce fameux Kidrash qui lui revint tout à coup en mémoire. Est-ce que Marek lui demanderait également une contrepartie sans dévoiler ce qu’il souhaite en échange de ses réponses ? Que faire ? Il était toujours temps de faire demi-tour, mais son corps refusait de bouger, restant toujours devant la porte fermée.

Soufflant délicatement sur son parchemin pour en faire sécher l’encre, Marek contemplait les mots qui y étaient inscrits, une ride soucieuse barrant son front. Une fois encore, le doute venait l’assaillir. Était-ce réellement la meilleure voie à suivre ?

Depuis bientôt près de six lunes qu’il avait rejoint le Màr Luimë, il avait pu se faire une idée plutôt claire du fonctionnement de la société ici. Si la jeunesse avait cette insouciance joyeuse qui ne laissait pas de le surprendre, Chevaliers parfois, Maîtres fréquemment et surtout, Sénateurs, semblaient avoir élevé la complaisance en véritable art de vivre. Une politesse de façade, froide, hypocrite et impersonnelle, simple vernis pour masquer leur appétit d’intrigues politiques en tout genre. Cela au moins, ne le dépaysait guère du Kaerl Ardent, et même si la nature profonde de leurs conspirations différait, l’objectif n’en restait pas moins le même. Le pouvoir.

« Prenez garde, mon garçon. Les sourires dissimulent des poignards ... »

L’Ondin soupira, reposant bien à plat sa missive. Il aurait pu se présenter à l’homme directement, ou le contacter par le biais d’Asaleith via sa Liée, mais puisque les convenances faisaient loi ici … Mieux valait en passer par là, ce qui lui assurerait également un surplus de discrétion considérant la réputation trouble de l’individu.

*Qui se ressemble s’assemble.* songea-t-il sombrement, percevant une pointe d’ironie diffuse suinter du côté de son Brun, à demi assoupi dans une tache de soleil au Cirban Telemna. Une partie de l’esprit du dragon était toujours attentive à ses faits et gestes, comme dans l’expectative que quelque chose de plus intéressant puisse se présenter.

Une fois ses marques prises au Kaerl Englouti, assuré que sa légitimité à se trouver en ces lieux ne serait plus remise en question, le Prêtre de Flarmya était sorti de sa prudente réserve pour entamer des recherches sur son passé. Les révélations qui lui avaient été faites au Màr Litsë concernant son père et ses liens avec l’Ordre Draconique Neutre … Quelque chose en lui ressentait le besoin d’en avoir le coeur net, celui de savoir la vérité, d’avoir le fin mot de l’histoire. Il aurait pu user de ses connexions avec Liâd Malkièl, la Torhille étant sa garante au sein au Kaerl … Mais une part de lui se refusait à impliquer la Grande Prêtresse. Il la respectait trop pour se servir de son nom.

Sa colère soigneusement étouffée, sa soif de justice inassouvie n’avait pu que s’accentuer au fil du temps.

Poliment, systématiquement, avec une fermeté qui ne trompait pas, un par un, les Sénateurs du Màr l’avaient éconduit, lui fermant leur porte, allant jusqu’à refuser de le recevoir parfois, feignant de ne rien savoir ou de ne pas comprendre le plus souvent.
Tous, sauf un, qui s’était présenté à lui de sa propre initiative, l’abordant par un sombre matin d’hiver. Serafîm Aréli, Maître du Blanc Eridan, officiellement Sénateur, officieusement en cheville avec le Marché Noir. Peu de choses qui se passaient au Kaerl Englouti lui échappaient. C’était à lui qu’il devait le nom de l’homme que même au pied du mur, il hésitait encore à contacter. Mais il n’avait guère d’autres choix à présent, n’est-ce pas ?

Quelques gouttes de cire vinrent cacheter la missive soigneusement repliée, tandis que de son écriture déliée, l’Ondin traçait les lettres désignant son destinataire. Athelstan Thrawnen, dont le patronyme le reliait à une noble et très ancienne famille du Màr. Sénateur, érudit, politicien, son association avec les mauvaises personnes durant la Révolution Manquée de l’été 919 avait jeté une ombre et une certaine opprobre sur son nom. Le Maitre Bleu s'était fait discret depuis, remarquablement absent de la scène politique du Kaerl Englouti.

« Il n’est pas très agréable à fréquenter, mais sa mémoire est tout bonnement exceptionnelle. Alors, si quelqu’un ici peut vous renseigner sur l’Histoire du Màr, il est parmi les mieux placés. Et qui sait, il pourrait bien vous surprendre ... »

Avec un sourire canaille, l’oeil malicieux, le Sénateur Aréli l’avait congédié, le laissant pantois et interdit devant la porte refermée, incertain de la conduite à tenir.

Secouant la tête au souvenir de cette bien étrange entrevue, Marek se redressa, raffermissant sa volonté. Si Flarmya l’avait mis sur la piste du Maître Bleu, ce n’était certainement pas sans raison. Il se rendrait à la poste de Lòmëanor pour expédier sa lettre via un lézard de feu, et quant à ce qui en découlerait ensuite, il ne pouvait que laisser cela entre les mains des Dieux et du destin.

Sa missive entre les mains, enveloppé dans un lourd manteau d’hiver pour se protéger du froid qui ne manquerait pas de la saisir à l’extérieur de la bulle, l’Ondin avait réveillé Asaleith d’une simple pensée. Un peu d’exercice leur ferait du bien à tous les deux.

Ses doigts s’attachèrent à la poignée de sa porte, en tirant le battant dans un réflexe distrait. Plongé dans ses réflexions, sa surprise fut de taille lorsque son regard tomba sur un jeune elfe planté devant lui, paraissant tout aussi confus que lui, agrippé à une bouteille de vin comme si sa vie en dépendait.

**Mmmh, de la visite ? Charmante attention.**

N’ayant pas entendu frapper, il était fort possible qu’il ait involontairement devancé le geste du garçon. Aspirant ? Chevalier ? Quelque chose dans son visage lui était vaguement familier, mais en dehors de ça, il était résolument convaincu de ne pas le connaître. Peut-être l’avait-il simplement déjà croisé ici ou là au Kaerl.

*Une idée de qui il peut être, Leith ?*
**Vois déjà ce qu’il te veut et tu en tireras les conclusions qui s’imposent.**

Avec la sensation que son Brun ne lui disait pas tout, Marek se fendit d’un sourire aimable, glissant discrètement la missive dans une poche de son manteau, le bleu outremer de ses yeux assombri par une certaine circonspection. De nature plutôt réservée, il n’en savait pas moins se montrer sociable lorsque l’occasion se présentait. Et s’il s’agissait d’une erreur comme il le pensait – toutes les portes se ressemblaient ici, il était aisé de se tromper ! – il le renseignerait dans la mesure du possible.

« Bonjour. En quoi puis-je te rendre service ? »

Il n’était pas dans ses intentions de lui manquer de respect, mais le jeune âge de son visiteur lui avait spontanément inspiré ce tutoiement, loin des formalités d’usage.

Toujours planté devant la porte tel un piquet dans la terre, Ewen était totalement perdu dans le flot de ses pensées. D’un coup, la porte s’ouvrit, laissant apparaître un Ondin enveloppé d’un manteau d’hiver. L’elfe le fixait avec de grands yeux, totalement pris au dépourvu. Il ne bougeait pas d’un pouce, toujours avec sa bouteille à la main, attendant presque que quelqu’un ou quelque chose vienne l’extirper de cette situation aussi inédite que gênante.

« Bonjour. En quoi puis-je te rendre service ? »

Cette simple phrase suffit à le ramener à la réalité, prenant conscience qu’il devait avoir l’air totalement ridicule à regarder l’inconnu devant lui sans mot et sans bouger, une bouteille de vin a la main. Une grimace commença à se dessiner sur son visage, ses joues et ses oreilles pointues ne tardant pas à virer au rose. Ewen essaya plusieurs fois de dire quelque chose, sans grand succès. Puis, après avoir soufflé un bon coup, il se lança avec une simple question sans détour.

« Bonjour, vous êtes bien Marek ? »

Le chevalier Brun essayait de paraître le plus naturel possible, cherchant ses prochains mots sans paraître aussi direct qu’il avait pu l’être un instant plus tôt. Par quoi devait-il commencer ? Peut-être déjà se présenter. Oui, c’était une bonne idée.

« Hum… Je m’appelle Ewen et je vous cherchais pour euh…. »

Pour quoi ? L’elfe réfléchissait à toute vitesse ne sachant vraiment quoi dire. Sentant que son lié peinait à engager la conversation, il décida de lui donner un petit coup de patte.

*Dis-lui que tu es là, car tu aimerais un renseignement a propos de quelque chose et que tu souhaites en parler en privé autour d’un petit vin que tu as ramené.*

Il remercia son lié puis se lança, toujours peu sûr de lui.

« Je crois que vous pouvez m’aider sur un certain sujet et hum… Ce serait possible d’en parler en privé ? J’ai ramené du vin, si vous voulez en cadeau. »

Comme toujours, Ewen se passa sa main libre dans ses cheveux derrière sa tête, manifestation d’une anxiété certaine. Les dés étaient jetés, plus qu’à attendre la réponse et la réaction de son interlocuteur.

Et ensuite ? S'il décide d'accepter de discuter avec lui, comment allait-il aborder le sujet ? Surtout, de quel sujet allait-il aborder en premier ? L'elfe avait mille questions en tête. Tout d'abord, est-ce que l'ondin connaissait son père ?

Si oui, allait-il lui répondre honnêtement ou bien le tromper ? Est-ce qu'il pourrait essayer d'en savoir plus sur l'assassinat de son frère ? Après tout Marek était un ancien ardent. Aussi pourrait-il en savoir plus sur ce Kidrash qui hantait ses pensées depuis sa rencontre à Loméanor. Mais comment aborder de tels sujets tout en s'assurant une réponse ? Comment faire sans trop s'exposer également ? Pouvait-il être sûr que les réponses seront justes ? Tant de questions qui se succédaient l'une derrière l'autre sans aucun répit. Il est certain que sans le soutien moral d'Akhorys, Ewen aurait sans doute perdu la raison depuis longtemps, se jetant corps et âme dans des recherches infructueuses sans même accorder de valeur au temps présent, vivant dans l'unique but d'atteindre son objectif. Le brun avait tout de la lumière qui guidait son âme perdue dans les ténèbres du long tunnel dans lequel il s'était perdu, l'Ondin détenant peut-être une partie de ce qui lui permettra d'en sortir définitivement.... Ou de s'y perdre encore plus profondément.

Planté droit comme un i devant lui, le garçon avait paru terriblement paniqué par sa question, déstabilisé comme s’il n’avait pas été naturel pour Marek d’interroger son impromptu visiteur. A moins qu’il n’ait effectivement fait erreur, et s’étant trompé de porte, ne sache maintenant comment s’excuser de sa méprise. Sans se départir de son expression avenante, l’Ondin patienta, le temps que l’autre parvienne à retrouver ses esprits. Ce qui s’avérait de toute évidence une affaire complexe, sa bouche s’ouvrant et se fermant sans qu’aucun son n’en sorte, et une rougeur embarrassée envahissant son visage pâle.

**Je ne te savais pas si intimidant, petit homme. Il faudra que tu me dises comment tu fais !**

Ignorant les commentaires sarcastiques qui résonnaient en sourdine dans le secret de son esprit, Marek envisagea d’offrir à l’inconnu quelques mots pour le rassurer ou l’encourager, quoi que ce soit qui puisse le sortir de son malaise.
Ses affaires à Lòmëanor pouvaient bien attendre un peu, et il était curieux de connaître les raisons de cette visite. Membre officiellement reconnu du Kaerl Englouti ou pas, il n’en restait pas moins un ancien Ardent, et ce simple fait suffisait à faire grincer des dents à beaucoup au Màr Luimë … Même si le garçon lui paraissait suffisamment jeune pour posséder encore un minimum d’ouverture d’esprit.

Grimaçant, l’Elfe devant lui relâcha une soudaine expiration qui sembla lui rendre finalement, au moins en partie, une certaine contenance.

« Bonjour, vous êtes bien Marek ? »

L’Ondin haussa un sourcil sans répondre immédiatement. Il n’y avait donc a priori pas méprise sur sa personne. Une obscure irritation, sans qu’il ne puisse y apporter de véritable explication, s’insinua en lui à ce constat, vite refoulée tandis qu’il hochait la tête en signe d’assentiment. Le garçon n’avait après tout rien fait qui mérite une telle réaction de sa part.

« C’est bien moi. »

« Hum… Je m’appelle Ewen et je vous cherchais pour euh…. »

Ah, voilà que le pauvre recommençait à bafouiller et hésiter ! Son nom ne lui disait toujours rien, et l’absence d’indication sur un quelconque Lié ne l’aidait pas à le resituer, en dépit de la très vague familiarité que son visage lui inspirait. Il se demanda de quoi la scène, commençant à s’éterniser dramatiquement, pouvait avoir l’air de l’extérieur ... L’un et l’autre se fixant à travers l’encadrement de la porte, l’Elfe visiblement très mal à l’aise, sa bouteille de vin à la main. Pas étonnant qu’Asaleith trouve la situation si distrayante.

Sentant les prémices d’une migraine – **Tu as trop forcé ces derniers temps !** – poindre au creux de ses tempes, Marek se força à laisser ses mains reposer calmement à ses côtés.

« Je crois que vous pouvez m’aider sur un certain sujet et hum… Ce serait possible d’en parler en privé ? J’ai ramené du vin, si vous voulez en cadeau. »

Un éclair de sincère pitié, difficilement réprimé, traversa ses iris d’outremer. Quel que soit le sujet en question, il était apparemment trop délicat – ou trop embarrassant – pour que son visiteur ne l’évoque avec désinvolture sur le pas d’une porte.

Marek envisagea un instant de refuser poliment, et de le rediriger vers l’oreille compatissante de Liâd Malkièl. Le Grande Prêtresse du Kaerl serait bien plus à même que lui de répondre aux besoins du jeune Elfe, et cela faisait partie de ses responsabilités que de s’assurer du bien-être moral de ses ouailles.

Depuis son arrivée au Màr Luimë, nul n’était venu chercher le conseil de l’Ondin, et lui-même n’avait pas particulièrement tenu à le proposer, préférant faire profil bas le temps d’être réellement intégré à la communauté. Et malgré tout … Le garçon, Ewen, était venu à lui en toute connaissance de cause pour lui demander personnellement son aide. Pouvait-il décemment, en son âme et conscience, lui tourner le dos ? Si Flarmya, ou un quelconque mortel par Son entremise, l’avait guidé vers lui ... Quand bien même ne se jugeait-il pas le mieux placé pour lui répondre, qui était-il pour refuser de l’écouter ?

**C’est maintenant que les choses vont devenir intéressantes.**
*Ne te réjouis pas trop vite, dragonnet.*

Comme toujours, son Brun ne s’amusait jamais tant que lorsqu’il avait connaissance de faits que son frère d'âme ignorait. Une vilaine habitude que Marek avait renoncé à corriger ; si c’était réellement important ou susceptible de le mettre en danger, Asaleith l’en informerait aussitôt.

« Très bien. Entre, je t’en prie. »

S’effaçant pour le laisser passer, le Prêtre balaya du regard ses appartements avec une soudaine nervosité. Il ne pouvait s’empêcher de ressentir comme une forme d’intrusion dans son intimité. On pouvait en apprendre beaucoup sur une personne en observant son environnement, et il était bien rare qu’il accepte de se dévoiler ainsi à quelqu’un. Si ces personnes s’étaient comptées sur les doigts d’une main au Kaerl Ardent, cela n’était encore jamais arrivé au Màr Luimë, pas même avec Efisio, lequel avait été le premier ici à lui offrir son amitié sans arrière-pensée.

Meublé avec simplicité et sans excès, à la limite de ce que certains qualifieraient d’une sensible austérité, son logement dénotait justement par l’absence d’une véritable âme ou personnalité dans sa décoration. Comme si la personne qui y habitait n’en était qu’un locataire temporaire et non à titre durable.

**Il serait temps que tu commences à considérer réellement ce Kaerl comme ta nouvelle maison ! C’est là qu’est ta place, je suis sûr que tu le sens aussi bien que moi ! C’est pour ça que tu t’es battu. Tu as gagné ce droit !**

Était-ce bel et bien le cas ? Gardait-il inconsciemment une certaine réserve, vivant ici en y refusant pourtant toute attache émotionnelle ? Mais dans quel but alors ? Il réprima un soupir las, le regard fixé sur le dos du jeune Elfe. L'heure n'était pas aux tergiversations.

*Tu as sans doute raison...*
**Évidemment ! J’ai toujours raison.**
*Si ça te fait plaisir. Mais tu ne vaux pas mieux que moi Leith, ‘‘prenez-garde-au-méchant-dragon-ardent’’.*
**Mon cas est différent du tien, petit homme, ne mélangeons pas tout.**

Se retenant de rouler des yeux, rompu à ne rien laisser paraître de sa tension intérieure, Marek déposa son manteau sur une chaise et se saisit de deux verres dans le buffet, indiquant d’un geste à son invité de prendre place à la table qui occupait le milieu de la pièce. La politesse était devenue comme une seconde nature pour lui au fil des années et le garçon était déjà bien assez mal à l’aise sans qu’il n’en rajoute.

Toujours silencieux, l’Ondin les servit tous deux – quoi qu’il n’ait pas l’intention de faire plus que de tremper ses lèvres dans le vin, n’ayant aucun goût pour l’alcool et une mauvaise expérience récente dans ce domaine – avant de s’installer enfin en face d’Ewen.

« Je suis curieux de savoir ce qui t’amène à l’humble Prêtre de Flarmya que je suis. De quelle façon puis-je donc t'aider ? »

Pas de fausse modestie ou d’orgueil cachés dans ses propos, ses iris d’outremer ne recelaient qu’une franchise bienveillante et peut-être une touche d’autodérision, non démenties par son expression attentive. Parler peu et écouter beaucoup, être au courant de tout et ne rien révéler, voilà ce qui lui avait permis de survivre aussi longtemps au poids écrasant de ses responsabilités passées au Màr Tàralöm.

Ce fut après ce qu’il semblait être une éternité pour Ewen que Marek l’invita à entrer. L’ondin avait donc accepté de l’écouter, lui, qui était sorti de nulle part et venait complètement à l’improviste. L’elfe s’avança lorsque son interlocuteur lui laissa la place pour entrer, non sans manifester une certaine nervosité qui ne lui échappa pas. Avait-il quelque chose a cacher ? Quoi que cela pouvait être, mieux valait faire comme s’il n’avait rien remarqué. A la place, il jeta un bref coup d’œil aux alentours, se rendant compte que les lieux étaient bien pauvres en décorations et autres meubles. Marek comptait repartir un jour ? Ou bien se complaisait-il dans la simplicité ? Le jeune chevalier brun n’était pas vraiment un grand décorateur, mais il se plaisait tout de même à exposer des petits objets à quelques endroits de son lieu de vie. Après tout, ça lui permettait de se sentir enfin vraiment chez lui et de presque oublier la rudesse de la vie dans les rues du Vaendark.

Une fois la porte refermée, l’ondin se délesta de son manteau pour ensuite saisir deux verres tout en invitant Ewen à s’asseoir. Il hésita un instant, se demandant si il avait vraiment bien fait de venir, puis s’assit en chassant ses doutes une énième fois. Marek posa les deux verres sur la table, servit le vin puis s’assit enfin.

« Je suis curieux de savoir ce qui t’amène à l’humble Prêtre de Flarmya que je suis. De quelle façon puis-je donc t'aider ? »

Le moment tant redouté était venu. Sous la table, ses poings étaient tellement serrés que les jointures de ses doigts avaient presque la blancheur de ses cheveux. Sa nervosité étant à son paroxysme, il sentait le picotement familier de sa magie dans le bout de ses doigts comme à chaque fois que ses émotions devenaient trop fortes.

*Ewen, ne panique pas, souffle un bon coup et lance toi*

Akhorys, toujours là quand son lié avait besoin de soutien, essaya de lui montrer tout son soutien au travers du lien qu’ils partageaient. Grâce à lui, le jeune chevalier se détendit un peu, inspira un bon coup et répondit de but en blanc à son interlocuteur.

« Je suis à la recherche de mon père et du meurtrier de mon frère »

*Mais non ! Pas comme ça !*

Si les dragons pouvaient se frapper le front comme le faisaient les bipèdes, il l’aurait probablement fait tellement fort que le bruit aurait retenti par-delà les eaux du kaerl. La voix du brun avait résonné si fort dans la tête de l’elfe, que celui-ci fixait Marek en se rendant compte qu’il avait refait la même erreur qu’avec le fameux Kidrash a Lomeanor.

*Bon, continue, maintenant que tout a tout balancer comme ça. Explique-toi donc.*

Akhoris n’en revenait toujours pas de la franchise dont son lié avait pu faire preuve, alors qu’il s’était montré plus qu’hésitant jusqu’à présent. Malgré tout, il l’encouragea à continuer, mais moins franchement cette fois-ci.

« J’ai entendu dire que vous veniez du kaerl ardent alors je me suis dit que vous savez peut-être quelque chose. Mon frère s’est fait assassiner avant de passer son Empreinte chez les ardents. Vous savez sûrement de quoi je parle. »

Il marqua une pause, puis reprit.

« Quant à mon père… J’ai l’impression qu’il a aussi un lien avec ce maudit kaerl… Il serait parti au Vaendark il y a des années, probablement en exil, de ce que j’en sais. »

Voilà, tout était dit. Ou presque tout. Ewen fixait le verre de vin, l’estomac noué et ses mains toujours sous la table. En temps normal il n’aurait pas hésité à boire un peu, mais l’angoisse l’en empêchait complètement cette fois-ci. De plus, qu’aurait-il fait s’il gelait le verre par inadvertance ? Il grimaça, trouvant cette instabilité de plus en plus handicapante au quotidien. Pourquoi avait-il fallu que le choc de la perte de son frère ait eu un impact sur sa magie ? Bien sûr, il entendait déjà son lié lui dire sur son ton le plus sérieux du monde de travailler sur ses émotions s’il voulait retrouver le contrôle de sa magie, mais ce n’était pas le sujet du moment.

*On travaillera ensemble quand tu auras la conscience plus tranquille, Ewen*

Le chevalier se retint d’esquisser un sourire. Le dragon surveillait toujours de près ses pensées. Autrefois cela lui aurait paru insupportable, mais aujourd’hui il est plus que reconnaissant de ne plus être seul avec ses sombres pensées.