[RP] Un maux, des mâles...et Daire.

*Ah. De la Compagnie."* La voix mentale de Kji avait cet accent indéfinissable qui signifiait que la compagnie en question était Gamaliel et sa maîtresse. Prudent, le brun s'écarta de l'espace d'atterrissage, laissant à l'immense empereur tout le loisir de l'écraser de sa superbe. Il était certes grand et massif mais c'était Daire qui avait besoin de Xhaziel et non l'inverse. Cela suffisait au brun pour son ego.

A l'intérieur de l'officine, cela sentait la menthe, la mélisse et le thym, les décoctions amères, les fleurs séchées, le sang, le pus. Debout derrière sa table, le guérisseur pilait dans un mortier plusieurs ingrédients. Trois coups secs. Un coup long faisant le tour du récipient pour broyer, lisser et créer une pommade. Il regarda le mélange d'un oeil dubitatif, réfléchit, se tourna vers une étagère non loin, attrapant l'une des demi-douzaine de fioles d'huiles différentes. Chacune avec son odeur, son utilité. Il porta le verre à ses lèvres. En huma les effluves. Hocha la tête. Devant lui, sur un tabouret, un jeune homme un peu effrayé se tenait le bras. L'os, cassé en plusieurs morceaux, avait entaillé la peau par endroit. Il était tombé de haut. Dans tous les sens du terme.

Quelle idée de voler sans harnais sur un dragon qui n'était pas le sien quand on avait parié avec le chevalier qu'on tiendrait plus longtemps que lui.

"Je vais perdre mon bras ?"
"Si tu ne fais pas ce que je te demande, certainement."
"Oh non, je vous ai promis."
"..." le bruit de mortier reprit mais la voix angoissée de l'adolescent le couvra à nouveau.
"Je pourrais toujours me lier ?"
"Mm ?"
"Je ne serais pas trop blessé pour aller sur les sables ? Il y a des dragons qui ne veulent pas se lier avec les infirmes. On dit qu'on peut en mourir." Les larmes montèrent aux yeux bruns du garçon dont toute la bravade ne cachait au final qu'une peur de décevoir.
"Tu verras bien."
"Mais ! On m'a dit que vous étiez le meilleur !"
*Pas le meilleur en babysitting ou alors on lui a menti.*
* ... *
"Maître !"
"Je ne suis pas Maître. Tais toi."
"Mais vous devez absolu..." l'arrivée de la haute silhouette de Daire lui fit rentrer ses jérémiades dans la gorge. Pour la première fois sans doute depuis qu'elle le connaissait, la soldate pouvait lire une once de soulagement dans le regard froid du guérisseur.
"Je suis à vous dans une minute, Maîtresse Orlaigh."

Il termina sa pommade en quelques secondes, en badigeonna le bras blessé et la blessure ouverte généreusement, banda le tout et, sans prévenir, remis l’os en place d’un claquement sonore qui se perdit dans le hurlement de douleur de l’enfant. Habitué à ce genre de réaction, le chevalier brun avait prévu son évanouissement et s’était placé de façon à le rattraper, l’allongeant sur un lit propre et proche, fixant fermement une attelle de bois traité à l’aide de lanière de cuir et de tissu au laçage savant. Ainsi, il ne pourrait pas l’enlever par lui-même. Malgré tout ce qu’on disait sur lui, il n’était pas du genre à risquer la mort d’un doué. Il ne voulait pas qu’un dragon se suicide par manque d’âme sœur.

Le Kaerl était un endroit merveilleux. Au sens propre. La magie des valherus qui l’avaient créé y régnait toujours en maître, partout, imprégnant ses racines, ses pierres, son atmosphère. Sans elle, il n’aurait jamais pu être bâti. Sans elle, il n’aurait jamais pu traverser les siècles et résister au temps… et au volcan au sein duquel il se lovait. Sans elle, il aurait depuis longtemps été soufflé par la force tellurique qui couvait sous ses pieds. Mais grâce à la magie, il était toujours là, hébergeant les enfants de Flarmya et leurs Liés depuis des siècles, leur offrant un havre où, à défaut de paix, ils pouvaient au moins trouver le confort. Ils y étaient à l’abri des éléments, dans un environnement à la température stable et maîtrisée.

Pourtant, à voir Daire s’agiter dans son sommeil et repousser ses couvertures, on aurait pu croire que le thermostat avait quelques ratés. Si seulement… Gamaliël, sur sa couche, le dos tourné à l’entrée du weyr, ne dormait pas : sous ses paupières mi-closes, son regard restait posé sur la tenture qui séparait sa couche de la chambre de sa Liée, mais il n’avait pas besoin de voir à travers. Des bribes du cauchemar de sa sienne lui parvenaient, suffisamment pour qu’il suive ce qui se passait dans son esprit. Le mépris voire la haine envers le Démon, le déchirement entre le devoir et la répugnance, l’excitation et l’adrénaline des combats, la douleur… et le noir. Ça n’avait rien de nouveau. Ça n’avait rien de plaisant non plus, mais l’Empereur savait ce qu’il avait à faire. Enfouir son inquiétude et ses propres réminiscences au fond de son esprit pour offrir un refuge calme et stable à celui de sa Liée qui se réveillait en sursaut. Et l’accueillir sans ciller quand, quelques instants plus tard, enroulée dans sa couverture, une petite fiole à la main, elle repoussa la tenture pour venir se blottir entre ses antérieurs, tout contre son poitrail.

La douleur pulsait sous le crâne de Daire, comme si le maître forgeron y travaillait quelque ouvrage sur son enclume. Ça n’avait rien à voir avec la migraine qui l’avait saisie plus tôt dans l’après-midi et qui l’avait obligée à laisser Gama prendre en main la fin de l’entraînement, mais elle était soulagée que son dragon ne dise rien. De toute façon, ils savaient l’un et l’autre qu’il n’y avait rien à dire. Le contact des écailles de son dragon et sa proximité tant physique que mentale lui permettaient d’apaiser les battements de son cœur et de repousser suffisamment l’angoisse générée par le cauchemar – et qu’elle n’avouerait jamais, pas même à elle-même – pour prendre une gorgée du remède contenu dans la fiole. Et de grimacer. Par Flarmya, que c’était mauvais ! Le liquide concocté par le chevalier Izotz était le seul traitement efficace contre ses migraines mais il était parfaitement infect. Et, à cet instant, il semblait moins efficace que d’habitude. Une seule prise suffisait en général à la débarrasser de son mal de crâne mais, cette fois, celui-ci persistait plusieurs heures plus tard. Il était bien plus endurable que plus tôt à la Fosse, mais il n’avait pas disparu. Ce n’était pas bon signe… Avec un soupir, la maîtresse noire ferma les yeux et appuya sa tête contre son âme soeur, dans l’espoir de s’endormir en attendant que la douleur s’estompe.

Quelques heures plus tard, alors que les rayons de Solyae effleuraient à peine l’entrée des weyrs les plus élevés, Daire terminait de se préparer sous le regard de son dragon. Les sourcils légèrement froncés, elle luttait à la fois contre la fatigue – elle avait plus somnolé que vraiment dormi pendant la fin de la nuit – et la pulsation qui tapait sous son crâne. Elle était toujours là, tolérable mais incessante, acceptable mais fatigante. Enfin. Après une nouvelle gorgée du remède, destinée à contenir la migraine dans les limites du supportable, la Décurion rangea la fiole dans la poche intérieure de son uniforme et rejoignit Gamaliël. Ils avaient un entraînement à assurer – et d’autant plus que celui de la veille avait été un peu écourté – et des missions à distribuer.

Une fois ses devoirs accomplis, toutefois, Daire se sentit soulagée de pouvoir rejoindre le calme de son weyr. Une tasse de thé serait la bienvenue pour l’aider à se concentrer sur ses rapports… Du moins si l’Empereur Noir daignait l’y déposer.

*Vraiment ?* ne put-elle s’empêcher de laisser échapper alors que le dragon se posait à proximité des Bassins Ignés là où Kshitij se trouvait quelques instants plus tôt.
*Vraiment.*

Elle retint un soupir en démontant, avant de saluer le dragon brun d’un signe de tête et de pénétrer dans le cabinet du guérisseur. Une petite voix plaintive, qui n’avait rien à voir avec celle du Chevalier Izotz, résonnait derrière la porte, mais il en fallait plus pour faire renoncer Daire. Elle avait passé l’âge de fuir les guérisseurs… même s’il fallait reconnaître qu’elle n’était pas ravie de devoir leur rendre visite. Elle hocha la tête, en silence, à l’accueil du chevalier brun et, si elle nota le soulagement dans le regard du neishaan, elle n’en montra rien et conserva une immobilité de statue le temps qu’il termine avec l’adolescent. La brutalité apparente du guérisseur ne la fit même pas sourciller ; elle avait déjà vu bien pire et, si le Chevalier Izotz manquait un peu d’empathie, son professionnalisme et ses compétences ne faisaient aucun doute.

Pendant qu’il s’occupait du gamin, elle sortit la fiole de sa poche et attendit que le guérisseur s’intéresse à elle.

L'enfant bordé, le chevalier se redressa, rangeant calmement ce qu'il avait sorti pour le soin de l'adolescent. Qu'on l'attende ou non ne le dérangeait jamais. Il prenait grand soin de laisser son officine toujours impeccablement rangé. Ainsi, si une urgence devait arriver. Une catastrophe, un cataclysme, il aurait tout ce qu'il faudrait à portée de main et les risques d'erreur avec des fioles déjà sorties minimes. Il passa rapidement ses mains sous l'eau, puis fit signe à Daire de la rejoindre.

"Que puis-je faire pour vous, Maîtresse Orlaigh." sa voix, neutre et calme était en parfait harmonie avec le regard froid et clinique qu'il braquait sur elle, notant les signes de fatigue. Cernes. Peau un peu plus grise que d'habitude. Mauvais sommeil. Il avait observé sa démarche, n'avait noté aucune boiterie, aucun changement dans l'axe du corps qui aurait pu faire présager d'une blessure. Elle ne semblait pas souffrir de douleurs musculaires. Elle n'était pas plus raide qu'à l'ordinaire.

*Rien à signaler* fit Kji qui, de son côté, avait jeté un coup d'oeil sur l'Empereur Gamaliel.

La Dame dragon avait un problème particulièrement épineux de migraines chroniques et très douloureuses qu'il soignait avec une plante des glaces difficile à obtenir et un mélange de sa composition. Cela avait semblé suffir jusqu'ici. Au cas où, il avait bien entendu travaillé à une amélioration de la recette. Quand on ne traite que le symptôme et non la cause, il y avait de forts risques d'accoutumance aux remèdes.

Il s'assit en face d'elle, sans bureau pour les séparer. Si elle le désirait, elle pouvait le mettre à terre d'un geste. Elle en avait l'allonge, la force et la technique. Mais elle avait besoin de lui. Et lui avait besoin de la voir. De sentir ce que son corps dégageait. Les odeurs de son souffle. Les couleurs des veines irrigant ses yeux. Il ne cillait pas. Enregistrant chaque détail, chaque micro-expression, son attention portée sur chaque ride du visage, chaque pincement de lèvre. Tout était un indice pour résoudre le puzzle. C'était ça, ce qu'il aimait par dessus tout dans son métier. Et Daire était une patiente assez parfaite en son genre.

Et puis elle payait bien.

Une fois que sa Liée eut pénétré dans le repaire du guérisseur, Gamaliël s’installa confortablement, sans accorder le moindre regard à son congénère brun. Ce qui ne l’empêchait pas d’avoir pleinement conscience de la présence de Kshitij et de ses réactions, notamment de l’examen auquel celui-ci le soumettait. Grand bien lui fasse. L’Empereur Noir ne ressentait pas plus d’animosité que d’amitié envers l’autre dragon, il ne le craignait pas, mais il ne relâchait pas pour autant son attention. Kshitij n’était pas un combattant, il était plus petit et moins bien entraîné que lui, mais il restait un enfant de Flarmya, sur le territoire duquel il se trouvait… tandis que Daire, elle, se trouvait dans l’antre de son Lié. Que le chevalier Izotz soit digne de respect et capable de soulager les maux de la maîtresse noire ne voulait pas dire qu’il fallait lui faire une confiance aveugle. Aucun être du Rhaëg ne méritait une confiance aveugle, surtout quand il s’agissait de la sécurité de sa Liée.

Ladite Liée attendait, imperturbable, que le guérisseur termine ses soins et son rangement. Si, contrairement à son dragon, elle accordait sa confiance à quelques (très) rares personnes, elle ne se relâchait vraiment qu’en privé et en la seule compagnie de son âme-sœur. Aussi se tenait-elle pour l’instant aussi droite et stoïque qu’à l’accoutumée, sans qu’aucune émotion ne transparaisse sur son visage. Ni la faible douleur qui pulsait sous son crâne à chaque battement de cœur, ni la légère contrariété qu’elle ressentait à l’idée de devoir à nouveau consulter le chevalier Izotz, ni les quelques minutes d’attente qu’elle devait endurer ne la dérangeaient suffisamment pour briser son masque impassible. Et puis, il était préférable que le guérisseur prenne son temps pour ranger et nettoyer entre deux patients plutôt que de laisser son cabinet sale et en désordre.

Elle ne quitta son immobilité de statue que lorsque le chevalier brun lui fit signe d’approcher.

« J’aurais besoin d’un nouveau remède contre les migraines, » déclara simplement la maîtresse noire d’un ton neutre lorsqu’il lui demanda ce qui l’amenait.

Elle s’assit sur la chaise indiquée, le dos droit, en posant sa fiole de remède sur ses genoux, et sans broncher sous l’examen du neishaan. Le regard froid et inexpressif du guérisseur, dont les yeux clairs ne cillaient pas, avait quelque chose de malaisant, mais ce n’était pas la première fois que Daire y faisait face. Ce n’était pas pire que le regard haineux d’un ennemi ou le regard méprisant d’un haut-placé qui se croyait meilleur que le reste du Rhaëg. Et le chevalier Izotz, lui, avait en plus le mérite de la soigner.

« La dernière crise a récidivé dans la nuit et ne s’est pas encore complètement estompée, malgré le traitement. »