[RP] Pour fourbir un harnais de vol

Le soleil quittait à peine la ligne d'horizon, pour aller se perdre dans quelques nuages bas, quand un dragon sortit de l'Interstice au dessus de la mer. L'eau était calme et assez bleutée, malgré le ciel un peu embrumé de ce début de matinée. Les vagues paresseuses s'écoulaient en un doux bruit marin, effleurant à peine la surface de la plage qui bordait la Baie. Le Dragon apparu dans les airs vint à se poser sur le sable, sur une surface totalement dégagé et large pour atterrir en prenant son temps. Il aurait pu se poser plus verticalement, mais pourquoi faire voler grains de sables et débris pour rien ? Même s'il n'y avait personne dans les environs, profiter de ce qui s'ouvrait sous ses griffes était gage d'un confort sans pareil et sans efforts. Puis, une fois posé, il émit un large bâillement, laissant l'air chaud de ses poumons se condenser légèrement avec l'air frais du matin.

°T'exagères quand même. On aurait pu venir plus tard, non ? Surtout si c'est pour faire l'instruction d'Arjuna plus tard dans la matinée ! Et on aurait pu l'emmener après une bonne grasse matinée ! °

Peddyr ne put s'empêcher de rire, pendant qu'il se détachait des sangles qu'il avait fixé sur Sveargith. Son Brun était grognon quand il n'avait pas le loisir de paresser comme il l'entendait.

°Ce n'est plus un enfant depuis longtemps, mon cher, et je sais qu'il sera là en temps et en heures. Il est assidu, il travaille bien. Il a bien le droit d'être amenée par Dakarai non ? Ou par sa liée en personne. °
°Et nous, et moi ? On ne travaille pas de manière intensive aussi ? °

Nouveau rire de la part du Maître Brun, qui se laissa glisser du dos de son dragon, s'étant baissé entre temps pour lui faciliter la descente. Déjà, l'humain s'attelait à défaire les sangles.

°Profite du bon air marin. Ca faisait un moment qu'on n'était pas venu ici pour profiter de la quiétude de la mer. Sens cette odeur marine. N'est ce pas revigorant ? °
°Ca sent les algues séchées...°
°Rabat-joie.... ah j'ai oublié de te dire. Un Maître Céleste qui aime la pêche depuis des années m'a signalé le passage ce matin d'un gros banc de thons....°
°Tu pouvais pas me dire plus tôt qu'il y aurait le petit-déjeuner tout frais servi ? °

Le Brun s'était déjà dirigé d'un pas pressé vers la mer, prêt à aller chercher son repas poissonneux.

°Goinfre sur pattes... Tout ce que je te demande est de revenir assez tôt pour te rincer dans l'eau douce et d'être sec. Je ne voudrai pas passer des heures à nettoyer le harnais... et surtout qu'il ne ripe pas sur tes écailles quand Arjuna viendra à le mettre tout seul. °

C'était là la séance du jour pour son Aspirant, pour évaluer sa maîtrise de la pose d'un harnais de vol. Il avait déjà quelques approches théoriques avec lui et nul doute que Dakarai avait du lui apprendre quelques bases. Mais ce matin, si le jeune forgeron venait à faire une totale maîtrise, alors ce serait définitivement acquis pour lui.

Sveargith pénétra dans l'eau, provoquant un sacré remous à son passage, avant de bondir en avant. des gerbes d'eau se muèrent en vagues plus grosses, manquant de se répandre bien plus loin que d'ordinaire sur la plage.

''Hé, tu vas mouiller mes bottes ! ''

Le dragon lâcha un léger grondement pour simuler un rire et plongea. Quelques mouettes survolaient déjà le passage du dragon, pour voir ce qui pouvait remonter à la surface. Un dragon qui passait remuait la vase et effrayait les petits bancs de poissons des environs. Un rien suffisait avec un grand saurien pour faire bombance au prix de peu d'efforts.

Peddyr hocha de la tête non sans un sourire et alla trouver un rocher un peu plus loin sur la plage où se poser et regarder le lointain maritime.

« La Baie d’Eau Claire ? répéta Dakarai, surprise. Tu es sûr ?
— C’est ce que le Maître Thelrand et Sveargith ont dit, » répondit tranquillement Aru sans cesser de brosser les écailles dorées.

Levé tôt, comme à l’accoutumée, le torhil avait accepté avec plaisir de se rendre aux Thermes de Naïra pour aider sa femme à s’occuper de sa Liée en attendant l’heure de rejoindre les deux autres membres de sa Triade. Les moments de détente comme celui-ci étaient relativement rares, à cause de leurs emplois du temps respectifs. L’intendance d’une cité comme le Kaerl n’était pas une mince affaire et, même si elle n’était qu’une des assistantes de Myrelle d’Alysanne, Dak n’avait pas le temps de s’ennuyer. Quant à Aru, il partageait son temps entre son aspiranat et la forge et son temps libre se réduisait à peau de chagrin. Mais il ne regrettait pas. Il faisait le travail qu’il aimait, il vivait avec sa Furie – et ils étaient même mariés ! – dans une cité magique et magnifique où le racisme était rare et où il pouvait espérer se Lier à un jour avec un dragon. Que pouvait-il demander de plus ?

Peut-être que les écailles dorées qu’il frottait cessent de bouger ?

*C’est sur le territoire du Màr Luimë,* émit Chishongo en se contorsionnant pour regarder les deux bipèdes.

« Tu as pu mal comprendre, reprit la fëalocë. Ce serait plus logique que vous vous retrouviez aux Chutes d’Astrenuit ou au bord du Cénédril…
— Je suis certain d’avoir bien entendu, sourit Arjuna en cessant de frotter pour croiser le regard bleu de la Reine, mais ça ne me gène pas de demander confirmation si tu veux, Chichi. »

*Je ne mets pas ta parole en doute !* s’exclama la dragonne.

« D’accord, mais une Reine Céleste qui débarque sans prévenir sur leur territoire, ça pourrait provoquer un incident diplomatique avec les Engloutis… »

Le torhil contourna la patte de la dragonne pour se rapprocher de sa sienne et la prendre dans ses bras.

« Tu t’inquiètes trop, chuchota-t-il à son oreille. Maître Thelrand a été Ambassadeur, il sait ce qu’il fait. »

Il sentit la rouquine se blottir contre lui et resserra un peu son étreinte, profitant du parfum de ses cheveux. Mais elle n’avait visiblement pas l’intention de se laisser convaincre si facilement s’il se fiait à son grommellement dubitatif. Arjuna retint un soupir et lui embrassa le haut du crâne. Malgré les multiples discussions qu’ils avaient eues sur le sujet, Dak prenait trop à cœur ce qu’elle considérait comme les responsabilités d’une Liée de Reine, et il ne savait pas comment la soulager de cette pression.

« Et Chishongo n’a pas l’air belliqueuse, » conclut-il en désespoir de cause.

*C’est vrai ! renchérit la dragonne. Et on va pouvoir explorer la Baie qu’on ne connait pas ! C’est chouette !*

La fëalocë se dégagea des bras de son mari pour faire face à sa Liée.

« N’y compte même pas ! gronda-t-elle. Il est hors de question qu’on interfère avec les leçons d’Aru et on a du travail qui nous attend ici. »

*Pfff. Tu n’es pas drôle.*

Aru retint un sourire pour ne pas vexer la Reine mais il était heureux de voir sa Furie reprendre du poil de la bête et se remettre à l’ouvrage avec vigueur. Dak était une battante et il n’aimait pas la voir abattue par la pression et les attentes dues à son statut. Rassuré, il reprit donc, lui aussi, le nettoyage des écailles brillantes et glissa une pensée vers la dragonne déçue.

*Ne dois-tu pas aller cueillir des herbes avec les guérisseurs, tout à l’heure ?*

Pour toute réponse, Chichi agita sa longue queue serpentine, l’aspergeant d’eau tiède, mais les yeux de la dragonne avaient pris la couleur verte du plaisir anticipé. Le cœur plus léger, le torhil sourit et accéléra la cadence. Maintenant que les deux Liées se sentaient mieux, il ne fallait pas qu’il soit en retard.

Le bain de la Reine se termina assez vite et les deux bipèdes retournèrent à leur appartement juste le temps nécessaire pour se changer. Il ne fallut ensuite que quelques instants à Dakarai pour installer le harnais de vol sur le dos de sa Liée et ils s’installèrent bientôt sur le dos de la dragonne qui s’arracha du balcon d’une violente poussée des postérieurs. Et, comme à chaque fois, Aru se fit la réflexion que les architectes du Kaerl avaient fait des miracles pour que les tours résistent à une telle force. Certes, certains dragons préféraient se laisser tomber et profiter des courants ascendants pour s’élever mais Chishongi trouvait que ça manquait d’élégance. Une fois à une altitude suffisante, la Reine disparut dans l’Interstice pour réapparaître, quelques respirations, plus tard, au-dessus d’une grande plage. Sur le sable se trouvait un dragon brun qu’ils n’eurent aucun mal à reconnaître.

*Bonjour !* clama Chishongo avant d’entamer sa descente.

Elle atterrit avec autant de grâce que possible pour une dragonne de sa taille sur un sol aussi meuble que la plage – c’est-à-dire quasiment aucune – et le forgeron détacha son harnais. Il embrassa sa Furie avant de se laisser glisser au sol.

« Merci, émit-il à l’intention des deux Liées. À plus tard. »

Il s’écarta de quelques pas pour laisser à la Reine la place de décoller – avec plus de difficulté que sur le balcon solide de leur appartement des Spires ¬ puis se tourna vers le brun et son Lié.

« Bonjour Sveargith, bonjour Maître. »

Il était vrai que la Baie n'était pas si libre d'accès que cela. Non pas qu'elle était la propriété des Neutres, elle se situait justement dans son environnement proche. Bien que la Guerre interkaerlique se soit passée il y a bien des années maintenant, elle restait très ancrée dans bien des esprits. Peddyr n'avait pas connu cette période, arrivé bien après, une fois que la Paix avait été instaurée. Mais que pouvait falloir quelques années passées après la signature du traité pour des chevaliers-dragons, quand leur espérance de vie s'étendait à presque deux siècles ? C'était infime, l'équivalence d'une goutte d'eau pour une longue existence...La méfiance serait donc très ancrée dans le coeur de bien des liés, dont les Engloutis. Mais Peddyr avait confiance en leur jugement. Cette Baie respirait la tranquillité et serait une parfaite zone ''neutre'' (même si elle ne l'était pas, contrairement à Loméanor), sans risque de croiser un Ardent. Si un membre du Màr Luimné venait à apparaître et exiger leur départ, le Maître Brun le ferait sans discuter, tout en s'excusant sincèrement de ce choix de lieu pour l'apprentissage de son Aspirant.

Une mouette profitait d'une brise légère pour sillonner le dessus de la plage sans le moindre effort. Peddyr la contemplait, pendant que Sveargith s'amusait à se frotter le dos contre des rochers caressés par chaque passage de vague. Soudain, l'oiseau des tempêtes battit des ailes pour se sauver. Quelque chose l'avait-il effrayé ? Le maître Brun n'eut qu'à lever la tête pour voir une puissante forme ailée se diriger vers la plage, par la voie des airs.

°C'est Chishongo°, fit-il par la voie télépathique, tout en claironnant joyeusement pour saluer la venue de la Reine Dorée.

Peddyr ne manqua pas de rire mentalement. Comme s'il n'avait pas reconnu la Dragonne de Dakarai, la Fëalocë avec qui vivait son Aspirant.

°On ne sait jamais... tu pourrais avoir la vue défaillante°
°Arjuna n'arrive pas trop tard, tu sais... C'est dommage ! Tu ne vas pas avoir le temps de te gaver de thons ! °

Le dragon s'était figé, les yeux roulant dans les couleurs d'incrédulité.

°Ah mais non ! J'ai faim, et je ne vais pas laisser passer ce repas providentiel ! Salutations Arjuna. Excuse-moi, je dois brièvement m'absenter ! °

Les arrivants avaient eu juste le temps de se poser, Arjuna de descendre du dos de Chishongo et de saluer son maître et son Brun que le saurien en question se mit à nager pour rejoindre le large en ondulant tel un crocodile géant et fit le gros dos pour sombrer sous la surface marine. Peddyr hocha de la tête en se permettant un petit rire. Quel estomac sur pattes son lié !

°J'ai entendu ! °

Laissant son brun partir en quête de son repas piscicole, l'humain prit le temps de saluer comme il se devait la jeune Reine et sa liée, avant de reporter toute son attention sur son Aspirant, une fois que Dakarai et Chishongo eurent pris leur envol.

''Bonjour Arjuna, es-tu prêt ce matin ? ''

Il ne voulait pas précipiter les choses. Bien que le Torhil était assidû et attentif aux leçons, Peddyr ne voulait pas précipiter ce moment. Ce n'était pas tous les jours qu'on apprenait ou perfectionnait quelque chose à la Baie d'Eau Claire. Peut être qu'il voudra visiter les lieux après la leçon....

''Comme tu as pu le voir en arrivant, j'ai apporté le harnais de Sveargith pour la leçon. Je ne doute pas que tu as appris bon nombre de notion quand au harnachement sur dragon, mais je vais t'évoluer sur ces acquis et t'apporter ce qui pourrait te faire défaut. Après, quand Sveargith sera revenu de sa pêche aux thons et qu'il sera bien sec, et totalement dépourvu de sel sur ses écailles, nous verrons comment tu arriveras à passer le harnais de vol sur Svear'. Je m'assurerai qu'il demeure sérieux.... En attendant qu'il revienne, peut être que tu veux faire quelque chose en particulier ? ''

Un peu surpris par l’accueil que lui réservait Sveargith, Aru haussa un sourcil alors que le dragon brun le saluait rapidement et se dirigeait vers la mer. Il n’était visiblement pas le seul étonné, puisque les iris de Chishongo virèrent au jaune, trahissant sa perplexité, avant que quelques étincelles orangées d’agacement ne viennent donner du relief au safran.

*C’est un peu cavalier, comme départ ! s’offusqua la Reine, de façon parfaitement audible pour tous les Doués alentour. Qu’y a-t-il de plus urgent que la leçon de son aspirant ?*

« Peut-être que c’est Maître Thelrand qui va m’instruire aujourd’hui, » répondit tranquillement le torhil pour apaiser la dragonne.

Il remarqua que, là-haut, sur le garrot de Chishongo, Dak se penchait un peu, sans doute pour caresser les écailles étincelantes qui formaient un collier à la base du cou de la Reine, juste à portée de main de sa Liée. Il était prêt à parier que la fëalocë communiquait aussi mentalement avec la Reine et, s’il n’entendait pas ses paroles, il avait une bonne idée de leur teneur. Qu’il ne fallait pas interférer avec l’instruction d’un Aspirant, que Peddyr savait ce qu’il faisait ou quelque chose du même acabit. Ledit Peddyr, d’ailleurs, saluait le couple correctement, et les yeux de la dragonne reprirent rapidement une teinte bleutée, avant qu’elle ne reprenne son envol et ne disparaisse dans l’Interstice pour rentrer au Kaerl.

Plus amusé qu’inquiet par l’incident – et la gourmandise de Sveargith – Arjuna revint alors à son maître et lui offrit un sourire un peu taquin quand celui-ci lui demanda s’il était prêt.

« Comme toujours, Maître, sinon je ne serais pas là. »

Depuis leur première rencontre, à chaque fois que Peddyr lui demandait s’il était prêt ou s’il était d’accord pour suivre la leçon prévue, le forgeron avait pris l’habitude, comme une plaisanterie, d’insister sur le titre du maître brun et de lui répéter qu’il était à sa disposition pour apprendre tout ce qu’il jugerait bon de lui enseigner. Aucun de ses professeurs n’avaient jamais fait preuve d’autant de compréhension que l’ex-Ambassadeur, et Aru savait qu’il pourrait lui en parler si quelque chose le gênait un jour dans ses leçons – ce qui ne voulait pas dire qu’il le ferait mais réaliser que c’était possible était déjà un grand pas. Comme les taquineries qu’il se permettait parfois.

Il écouta donc les explications de son maître sur les objectifs de la leçon du jour – et ne put réprimer un sourire en songeant que Sveargith avait donc effectivement délaissé l’enseignement pour la pêche. Aucune importance, il était tôt, ils avaient le temps. Et les plaisanteries du dragon brun n’étaient pas pour rien dans la détente qu’éprouvait à présent Aru au sein de sa Triade.

Avant de répondre à Peddyr, le torhil s’approcha du harnais pour y jeter un coup d’œil.

« J’ai l’impression qu’il est parfaitement propre, donc je suppose que vous n’avez pas l’intention de me le faire vérifier et récurer en attendant le retour de Sveargith, si ? »

Après, s’il se trompait et que c’était nécessaire, il n’avait aucune intention de rechigner à la tâche. Le harnais d’un dragon représentait la sécurité de son Lié et il n’était pas assez stupide pour négliger son entretien. Et le fait de savoir faire n’était pas une excuse pour éviter la corvée. D’autant que ladite corvée, s’il fallait s’y coller, n’empêchait pas de discuter. Et que, pour une fois qu’ils avaient un peu de temps libre, Aru avait un sujet de discussion tout trouvé.

« Si ça ne vous dérange pas, j’aimerais en apprendre plus sur les dragons-fées. J’ai eu la chance d’en rencontrer un, en compagnie d’un autre aspirant, dans le Jardin d’Hiver, il y a une quinzaine de jours, et j’avoue qu’il a piqué ma curiosité. Les Archives ne sont pas très bavardes sur le sujet. »

Tristan avait eu raison sur ce coup-là. Pas que le torhil ait douté de ses paroles, mais il avait quand même été rendre quelques visites aux vieux parchemins pour s’imprégner du savoir qu’ils renfermaient. Et, concernant les dragons-fées, ce savoir était très parcellaire, hélas.

Peddyr réussit à retenir le rire quand à l'offense ressentie par la Reine. C'était compréhensible, elle méritait plus d'égards et de politesse, même quand elle n'était que brièvement de passage, le temps de déposer Arjuna. Il se permit d'intercéder mentalement au nom de son lié, qui était déjà partie en quête de son repas.

°Je lui ferai la leçon, Chishongo. Je lui rappellerai qu'il ne doit pas omettre la politesse qui est dû à une Reine. Mais tu sais comme moi comment sont les mâles comme Sveargith quand ils ne pensent qu'avec leur estomac. C'est aussi de ma faute, je ne l'ai pas retenu....°

Si cela pouvait contribuer à l'apaisement de la Reine, car il remarqua lui aussi que sa liée s'était penchée vers elle, tout en la flattant de sa main, devait l'apaiser comme personne ne saurait le faire. Au moins, avait-il jouer le diplomate de manière simple ; comment ne pouvait-il faire autrement ? Fichu Sveargith, qui ne pensait qu'à son estomac et rien d'autres quand celui-ci clamait famine. D'ailleurs, son Brun devait être occupé à se repaître de ses proies pour ne pas l'entendre répliquer face à ses pensées. Fichu dragon....

Une fois Chishongo et Dakarai parties par l'interstice, il était temps de commencer cette journée. Peddyr ne manqua pas de faussement tiquer à l'appellation Maître que lui sortit Arjuna, pour le taquiner.

''Cesse donc de m'appeler Maître.''

C'était devenu comme un rituel de plaisanterie entre eux d'eux. Au moins, pour un regard extérieur, cela montrait de la bonne entente qu'il y avait entre les deux hommes. Peddyr tenait à cela, car cela permettait plus de sérénité dans l'apprentissage et donc, l'Aspirant prenait plus aisément confiance et comprenait mieux les leçons, qui parfois, pouvaient être difficiles à digérer.

Arjuna s'était approché du harnais de vol, tout en l'observant. A la question de le vérifier et de le récurer, Peddyr eut un petit sourire.

''Ce serait guère sympathique de ma part de t'imposer cette corvée, alors qu'il est effectivement déjà prêt à être posé sur Svear'. Tu serais à tes premiers jours de formation, je t'aurai demandé de le faire, mais tu n'es vraiment un novice et nettoyer le cuir dans le cadre de ton travail, je pense que tu maîtrises bien plus que moi la manière de faire. ''

Heureusement, le jeune forgeron sut lui offrir une manière d'attendre le retour de Sveargith pour la mise en place du harnais : Arjuna voulait en savoir un peu plus sur les dragons-fées.

''Ah, tu as eu la chance de croiser un dragon-fée. J'ai déjà vu quelques lézards de feu dans les Jardins d'hiver, quand ce n'était pas sur les épaules de quelques rares privilégiés. Je peux comprendre que les écrits des Archives relatent peut de choses sur eux....''

Il prit le temps nécessaire à la réflexion pour essayer de réunir tout ce que lui, avait pu apprendre sur les dragons-fées durant son aspiranat puis sur le reste de sa vie en tant que lié-dragon.
''Si les Archives ne les relatent pas plus que cela, c'est qu'ils sont de nature plus farouches que les lézards de feu. Et puis, je crois qu'on n'a pas eu encore de personnes véritablement patientes et passionnées pour documenter leur espèce dans leur intégralité. Quand je vois que j'apprends encore des choses sur les dragons, à travers Svear'....Pour les dragons fées donc, j'ai appris qu'ils étaient plus petits. Bien des créatures vivantes ne bénéficiant pas d'une grande taille se vouaient à se cacher, ou au camouflage. Pour les résidents de leurs espèces qui vivent au Jardin d'hiver. ''

Peddyr fit une pause, ayant porter une main à son visage pour se frotter discrètement les yeux... Il sentait un début de migraine venir l'enquiquiner. Cela ne paraissait pas être un début de crise migraineuse... Du moins il l'espérait. Il fut tenter de prendre son remède dans sa sacoche de ceinture, ces feuilles séchées au goût infect... mais il ne voulait pas inquiéter son aspirant. Il reprit donc :

''Le meilleur moment pour essayer d'en voir un est durant la saison des amours. Leurs couleurs d'écailles est plus vives à ce qu'il parait. Et puis, il faut avoir l'oreille tendue pour...

La migraine s'intensifiait dans une douceur insidieuse.

''...pour...''

Peddyr avait cru gérer la douleur lancinante de ce début de migraine qui d'un coup, décida de le frapper brutalement. La douleur fut intense, prenante, dévoreuse physiquement. Il grimaça, se sentant partir. Il s'effondra. Il tenta de contacter son Brun, mais il paraissait trop loin pour réussir à le toucher mentalement... Au moins, n'avait-il pas perdu conscience....

Le sourire d’Aru s’élargit imperceptiblement lorsque son maître réagit à sa taquinerie par sa protestation habituelle. Au fils des mois, c’était devenu un rituel, presqu’un jeu entre les deux hommes et, pour le forgeron qui n’était guère expansif, le signe qu’il appréciait et respectait beaucoup l’ex-Ambassadeur. Le torhil n’était pas aussi extraverti que sa fëalocëe de femme, bien au contraire, et il n’irait certainement jamais plus loin que ces petites plaisanteries pour signifier à son maître qu’il était en confiance. Peddyr n’était pas de sa famille et restait un maître dragon expérimenté, il ne se permettrait jamais autant de familiarité envers lui qu’avec son Oncle Rajeev. Il se contenta donc de secouer la tête de gauche à droite en signe de dénégation.

« Hors de question, répondit-il tranquillement. Sauf, peut-être, quand j’aurai conféré l’Empreinte. »

S’il la conférait un jour. Après tout, les desseins des dieux étaient impénétrables et rien n’obligeait Flarmya à le juger digne de se Lier à un de ses enfants. Ce serait bien évidemment formidable d’être Choisi par un dragon, mais il n’oubliait pas tout ce qu’il avait par ailleurs. Même s’il ne trouvait jamais sa moitié d’âme sur les Sables, il avait déjà sa moitié de cœur auprès de lui.

Et ce n’était de toute manière pas le moment de penser à l’Empreinte. Avant d’avoir le droit de se tenir sur les Sables d’Éclosion, il devait d’abord suivre les leçons de sa Triade et il reporta donc son attention sur le harnais de Sveargith qui attendait le retour de son propriétaire. Et, puisqu’il n’avait pas besoin de s’en occuper tant que le brun ne serait pas venu de son expédition de pêche, il finit par aborder un sujet qui lui trottait dans la tête depuis sa rencontre avec Tristan dans le Jardin d’Hiver. Hélas, Peddyr ne semblait pas en savoir beaucoup plus que lui sur la question. Le torhil écouta néanmoins attentivement ce qu’il avait à dire, avant de profiter d’une pause dans ses explications pour répondre.

« Celui que nous avons eu la chance de voir n’était pas grand en effet, et très doué pour se cacher parmi les feuillages. Il semble capable de provoquer des illusions aussi, déclara Arjuna, qui se rappelait clairement de l’impression de rêve éveillé qu’il avait connue. Mais l’aspirant qui était avec moi pourrait très bien être cette personne patiente et passionnée, comme vous dites, qui manquait jusque-là. »

Il s’interrompit une seconde, gêné par une sensation diffuse qu’il n’arrivait pas vraiment à définir. Il ne fit pas le lien avec le geste de son maître de se frotter les yeux. La luminosité et les embruns de la Baie d’Eau Claire pouvaient sans mal expliquer une gêne passagère.

« Je crois que vous le connaissez, d’ailleurs, reprit donc le forgeron. Il s’agit de Tristan Gwened. »

Il lui semblait bien que le rouquin avait dit avoir déjà rencontré son maître. En revanche, la réciproque n’était pas vraie et Aru n’était pas certain d’être capable de répéter le nom de la Triade de son camarade sans se tromper. Aussi s’abstint-il, se contentant d’écouter la suite des paroles de Peddyr.

Qui s’interrompirent soudain alors que le maître brun s’effondrait et que la douleur explosait sous le crâne d’Arjuna.

Grimaçant, le torhil n’eut pas le réflexe de rattraper son interlocuteur pour l’empêcher de s’étaler dans le sable. Par contre, il parvint à garder suffisamment d’empire sur lui-même pour ne pas suivre le même chemin. Ses années dans le Désert et ses combats contre les Rinkors en compagnie des guerriers de T’Shallah lui avaient permis d’apprendre à gérer la douleur d’autrui. Un peu. Dans une certaine limite. Son esprit était loin d’être imperméable mais il n’était pas aussi ouvert qu’il avait pu l’être lors de son enfance. Il sentait le sang battre à ses tempes, la douleur frapper contre son crâne, la lumière l’aveugler, mais il était encore capable de réaliser que la souffrance qu’il ressentait n’était pas la sienne. C’était celle de l’humain qui s’était écroulé devant lui.

*Sveargith !* hurla-t-il mentalement, dans l’espoir d’attendre l’esprit du brun mais sans se préoccuper de se focaliser sur lui.

Il était de toute façon incapable de concentrer ses pensées et son esprit sur celui du dragon. Si d’autres dragons se trouvaient dans les environs et l’entendait, tant pis. Ou tant mieux. Il espérait que quelqu’un l’avait entendu, parce qu’il était incapable de réitérer l’appel.

Se laissant tomber à genoux près de son maître, Arjuna chercha à tâtons à lui prendre la main, incapable de réfléchir vraiment mais espérant que l’humain n’était pas inconscient.

« Je suis là… Maître… » émit-il à mi-voix.

Si Arjuna n'arrivait pas à se focaliser sur le Brun pour essayer de le faire revenir au plus vite, Peddyr était, quand à lui, totalement incapable de tenter ne serait-ce qu'un appel. La douleur lui vrillait trop l'esprit. L'étau douloureux le tenait, le contraignant à ne pas pouvoir réfléchir ou encore décider de se mouvoir. La sensation nauséeuse de toujours tomber dans un abîme ténébreux était présente, et paraissait aller et venir par vague, dans un rythme percutant. Avec pareilles impressions, l'humain aurait presque souhaité perdre conscience, pour ne plus à subir cela. D'ordinaire, et depuis plusieurs mois, ses crises migraineuses étaient plus légères, plus faciles à prévenir... il y avait bien longtemps qu'il n'en avait pas eu une aussi violente. En plus, il avait négligé de prendre son remède avec lui. Pour les rares fois qu'il omettait de l'avoir avec lui. Il s'était trop reposé sur l'habitude d'avoir que de légères céphalées.

Essayant de respirer de telle sorte à rendre sa crise moins intense, il sentit quelque chose lui saisir sa main tout en percevant une voix familière, comme atténuée par une intense brume opaque. C'était Arjuna qui venait de lui serrer la paume et les doigts. Il grimaça en essayant de parler et en fut quitte pour un nouvel élan douloureux. Il réussit déanmoins à faire réagir ses doigts pour les faire sentir à son Aspirant. Celui-ci devait être plus qu'inquiet. Nul besoin d'entendre le ton de sa voix lointaine pour savoir qu'il était sans aucun doute dans ses états. Voir son propre Maître s'écrouler sans prévenir avait de quoi provoquer bien des craintes.

Sveargith apparut soudainement au dessus de la plage, se posant presque en trombe non loin des deux hommes. Un peu de givre le couvrait sur le bord fin de ses membranes alaires et par endroit sur sa cuirasse. Il avait franchi l'interstice à peine s'être retrouvé hors de l'eau quand il eut capté les pensées de son lié tout en sentant l'inquiétude de leur Aspirant.

°Peddyr, Arjuna ! Je suis désolé de m'être éloigné si loin ! Arjuna, est ce que cela va ? Je sens que tu as mal toi aussi.... °

Arjuna paraissait subir une migraine comme son lié. Ne s'interrogeant pas plus, Sveargith prit sa forme humaine, se rapprocha vivement des deux Célestes et prit son lié dans ses bras, comme si l'humain ne pesait rien pour lui. Il constata en même temps l'absence du remède de son lié.

°Je vais vous mettre sous le couvert des arbres. J'irai immédiatement chercher ce qu'il faut pour Peddyr. Je ne peux pas vous ramener par l'Interstice dans cet état. °

Après avoir installé son lié sous le couvert feuille d'un vieil arbre proche, en l'allongeant sur le côté, si jamais il venait à perdre conscience, il revient vers le Torhil pour l'aider à se relever et à rejoindre son Maître. Avant de partir, il jugea bon de rassénérer le jeune forgeron

°Peddyr souffre de temps à autre de crises migraineuses, suite à une très ancienne blessure. Et malheureusement, certaines sont plus intenses, comme aujourd'hui...Je reviens ! °

Le dragon courut vers la plage, prit sans attendre sa forme et décolla en trombe, avant de franchir l'interstice.

Peddyr se crispa sous un nouvel élan de douleur. Il fallait que cela se produise durant une leçon avec son Aspirant. Au moins, ne sombrait-il pas l'inconscience. Ou peut être qu'il aurait mieux fallu, pour ne plus subir la pression de souffrance qui lui envahissait le crâne. Il cessa de songer, pour essayer de chasser quelque peu la douleur... Il perçut le retour de Sveargith. Il sentit ensuite qu'on le redressait.

Le Brun était effectivement revenu. Se retrouvant à nouveau proche des deux bipèdes sous sa forme humaine. Après avoir tendu à Arjuna une petite fiole ovale en étain, il redressa doucement son lié.

°Peux-tu m'aider à lui faire boire quelques gorgées ? °

Alors qu’il avait réussi à prendre la main de son maître, une nouvelle vague de douleur traversa l’esprit d’Arjuna. S’il était à peu près certain qu’il s’agissait de la souffrance de Peddyr et non de la sienne, puisqu’il n’avait jamais rien ressenti de tel et que l’ex-Ambassadeur n’aurait pas eu de raison de s’écrouler autrement, ça ne l’aidait pas pour autant à réfléchir ou à la repousser. Comme dans le Désert, quand il assistait aux blessures de ses compagnons d’armes ou des Rinkors qu’ils combattaient, il ne pouvait que serrer les dents et tâcher de rationnaliser pour ignorer la douleur qui le transperçait. Ou, en l’occurrence, qui lui martelait le crâne. S’il avait été plus apte à réfléchir, il aurait pu se demander si c’était son contact qui augmentait la migraine du maître brun mais, en l’état, il se contenta de serrer son poing libre dans le sable, tandis qu’un embryon de pensée rassurante parvenait à s’exprimer. Certainement que Peddyr n’était pas inconscient, sans quoi il ne partagerait probablement pas sa douleur… et la sensation diffuse que les doigts qu’il tenait s’agitaient conforta Aru dans cette idée.

Essayant sans grand succès de lutter contre son empathie et la douleur qui lui vrillait le crâne, le torhil n’eut pas conscience de l’arrivée de Sveargith, avant que celui-ci ne lui parle. La voix du dragon explosa dans son esprit, lui arrachant un hoquet de surprise et de douleur mêlées, comme s’il venait de lui hurler dessus tout en tapant sur des ustensiles en métal. Sur le coup, il ferma un instant les yeux et lâcha la main de son maître, que le brun soulevait et transportait un peu plus loin. La souffrance parut s’estomper un peu – un tout petit peu – alors que Peddyr s’éloignait, suffisamment pour qu’Arjuna puisse répondre au dragon.

« Ce n’est rien… il faut soulager Peddyr… »

Il ne savait pas si Sveargith l’avait entendu mais il ne put s’empêcher de grimacer quand celui-ci s’exprima une nouvelle fois dans son esprit. Il se laissa toutefois conduire près de son maître, serrant à nouveau les dents alors qu’il ressentait d’autant plus la douleur de l’homme qu’il se rapprochait de lui. Mais il n’était pas en état de résister au dragon et il ne pouvait de toute façon pas laisser son mentor seul. Il n’était pas certain de lui être d’une grande utilité mais on ne savait jamais…

Le forgeron se laissa donc tomber dans le sable à proximité de Peddyr, se contentant de hocher la tête aux explications – douloureuses, il avait toujours l’impression que Sveargith hurlait ses pensées dans son esprit – du brun et d’essayer de se concentrer sur ce qui l’entourait pour repousser un peu la douleur. Ou, du moins, essayer de l’ignorer. Sous le couvert des arbres, la luminosité était un peu plus faible que sur le sable, ce qui semblait rendre la migraine plus facile à supporter. Un peu. Était-ce le ressenti de son maître ou le sien ? Et comment Peddyr faisait-il pour supporter une telle souffrance ? Surtout qu’elle n’était pas rare s’il en croyait les mots de son Lié. Quelles blessures avait-il pu recevoir pour avoir de telles séquelles ? Lui, avait de la chance de ne pas avoir récolté autre chose que quelques cicatrices lors de ses combats dans le Désert…

Les pensées brumeuses et hachées de l’aspirant s’interrompirent au retour de Sveargith qui s’approchait de Peddyr et le redressait. Fronçant les sourcils, Arjuna serra de nouveau les dents quand le dragon lui demanda de l’aide et dut se concentrer pour attraper la petite fiole qu’il lui tendait.

« Je vais essayer… »

Il ne dit rien de plus. Chaque mouvement lui demandait un sursaut de volonté et de concentration, il ne pouvait pas se disperser. Bouger et parler en même temps, c’était trop dur. Déjà, bouger, c’était difficile. Avec effort, il parvint tout de même à porter la fiole aux lèvres de son maître. Les dents serrées, il attendit que Peddyr avale pour verser le liquide dans sa bouche, en veillant à ne pas en renverser une goutte. Lorsque ce fut terminé, il se laissa tomber au sol, fermant les yeux une seconde dans l’espoir que l’obscurité dissiper un peu la douleur mais c’était évidemment peine perdue. Pour que la douleur diminue, il fallait que la migraine du maître brun s’estompe. Il rouvrit donc les yeux et porta son regard vers les deux membres de sa Triade.

« Combien de temps… Le remède met-il à agir ? »

Sveargith ne remarqua pas immédiatement la détresse douloureuse de son aspirant, préoccupé par l'Etat de son lié. C'est seulement en le regardant faire, pendant qu'il versait doucement le remède entre les lèvres de son maître qu'il vit la douleur lisible sur son visage. Quand la dernière goutte quitta la fiole, le jeune forgeron se laissa tomber sur le sol. Là, le Brun ne pouvait pas douter de ce que ressentait l'Aspirant. Il souffrait lui aussi, c'était certain, mais de quoi ? Il l'observa, retrouvant les mêmes tics de souffrance que Peddyr lors de ses fortes crises. Mais comment pouvait-il... A moins que lui-même ne subisse des migraines de manière régulières. Mais à ça, Arjuna l'en aurait informé ? Sauf si le Torhil possédait un pouvoir d'empathie. Le découvrait-il maintenant alors, se déclenchant suite à ce que subissait Peddyr ? Pourquoi ne l'avait-il pas remarqué la souffrance de son Aspirant entretemps ?

Arjuna demanda combien de temps mettait le remède à agir. Au vue de ce qu'apprenait le Brun, cette question était légitime, vu qu'il pâtissait lui aussi du mal de son maître.

''Il commence déjà à agir''confirma le Brun, usant de sa voix de bipède pour épargner la tête déjà malmenée du forgeron. ''Tu devrais commencer à sentir déjà un effet, toi aussi. Car, si je me trompe pas, tu partages la douleur de Peddyr, n'est ce pas ? ''

Le remède avait commencé à agir dès que l'humain avait pu avaler la première gorgée. Auparavant, il le prenait en mâchant les feuilles séchées d'une plante très efficace contre ces céphalées. Avec l'aide de quelques guérisseurs du Kaerl, une version liquide avait pu être mise au point. Et comme la partie active de ce végétal était plus concentrée, cela agissait beaucoup plus rapidement, mais il ne devait qu'en boire que le juste volume, pour éviter la surdose.

Peddyr sentait l'étau crânien se relâcher et commencer à se dissiper. Il ouvrit les yeux, constatant qu'il était dans les bras de son lié, à l'ombre des arbres et non plus sur la plage. Bien qu'il n'avait pas perdu conscience, il avait été en prise avec l'obscurité de sa crise pernicieuse ne sentant rien d'autres que les tenailles de la douleur lui broyer le crâne. Même si maintenant, cela se calmait, il était épuisé. Il passa une main tremblante sur son visage comme pour essayer de chasser les reliquats de sa migraine. Après chaque crise de cette intensité, il était vidé de toutes forces

''Toujours aussi atroce ce goût.... ''soupira-t-il à peine.

Sveargith l'aida à s'asseoir. Puis, quand le maître brun s'interrogea sur l'état d'Arjuna, en le voyant allongé à même le sol, le dragon lui résuma la situation. Un don d'empathie donc ? Cela ne pouvait être que cela.

''Est ce que cela va ? Je n'avais pas vraiment prévu cela au programme de la matinée...''

La journée d'instruction était terminée, au vue des circonstances. Pourtant, Peddyr s'interrogeait sur le pouvoir d'Arjuna

''Est ce la première fois que tu perçois la douleur chez une autre personne ? Ou avais-tu eu cela auparavant ? ''

Si Arjuna avait été en état de réfléchir plus loin que l’instant immédiat, il aurait sans aucun doute apprécié l’effort de Sveargith de ne pas communiquer par l’esprit. En l’occurrence, il ne le remarqua même pas vraiment et se contenta de prendre note de la réponse du dragon et de tâcher de comprendre la question qui suivait. La douleur commençait peut-être bien à s’estomper, effectivement, mais l’effet n’était pas si rapide que le torhil puisse raisonner sans difficulté. La migraine pulsait sous son crâne, à ses tempes, et ce qu’il faisait habituellement de façon instinctive, sans y penser, lui demandait soudain un effort de volonté et de concentration exceptionnel. Le remède commençait déjà à agir. Il devait en sentir les effets. Car il partageait la souffrance de Peddyr. Oh, mais c’était une question !

« Oui, » répondit simplement Aru, les poings serrés dans le sable.

Il n’avait pas le courage de réfléchir, d’essayer d’ordonner ses pensées et de chercher des explications pour détailler sa réponse, puis de trouver les mots pour les exprimer au dragon. Oui, la douleur qu’il ressentait était celle de son maître et là, tout de suite, il n’avait pas d’autre souhait que de la voir disparaître. Ou au moins diminuer suffisamment pour ne plus avoir l’impression que ses camarades de la forge avaient élu domicile sous son crâne et jouaient de leurs marteaux avec enthousiasme.

Par réflexe, le torhil déglutit pour faire passer le goût âpre du remède qu’il n’avait pas pris, tandis que la douleur s’estompait peu à peu, remplacée par la fatigue. Était-ce la sienne ou celle du maître brun ? Sans doute un peu des deux. La fatigue était une sensation plus insidieuse, bien moins violente et donc bien moins perceptible que d’autres. La peur, la colère et la douleur parvenaient sans mal à Arjuna qui avait d’ailleurs parfois du mal à passer outre, mais il pouvait tenter de repousser et d’ignorer la fatigue. D’esquisser un sourire à la remarque de Peddyr sur le goût infect du remède. De se redresser un minimum. De répondre de façon intelligible maintenant que son crâne semblait vouloir le laisser réfléchir.

« Je me doute, réussit à articuler le forgeron, avec même un léger sourire. il y a des manières plus agréables de passer le temps et plus efficaces pour enseigner. »

Il s’assit complètement dans le sable, pour faire face aux deux membres de sa Triade, et tâcha de rassembler ses forces pour se lever. Leçon terminée ou pas, ils n’allaient pas rester allongés sous les arbres pendant des heures… même s’il avait bien envie de rester encore un peu sans bouger. La question de Peddyr lui permit de rester à sa place le temps de répondre.

« Ce n’est pas la première fois, émit Aru, avec un sourire désabusé, loin de là. C’est le cas depuis toujours ou, du moins, d’aussi loin que je me souvienne. »

Il hésita une seconde. Il n’avait pas l’habitude de parler de son empathie Petit, ça lui semblait naturel, comme n’importe lequel ses autres sens et il ne faisait même pas la différence entre ses émotions et celle des autres. C’était son oncle qui lui avait appris à faire la part des choses. Et, à présent, sans compter Rajeev, seule Dakarai était au courant. Mais il n’avait aucune raison de s’en cacher ou de mentir à son maître.

« En réalité, je ne perçois pas que la douleur, mais toutes les émotions. Ça m’a déjà joué des tours, » ajouta-t-il avec un haussement d’épaule, en désignant son œil gauche qui portait les cicatrices de son premier combat contre les Rinkors au Ssyl’Shar.

Heureusement que le remède faisait effet rapidement, épargnant donc une douleur partagée à Arjuna. mais au vue de ce qu'il avait pu ressentir de la migraine soudaine et profonde de son maître, il était tout aussi affecté que lui par les effets secondaires, à savoir la fatigue physique que cela apportait à chaque crise de cette ampleur...et peut être une pointe à peine perceptible de lassitude ? Peut être n'était-ce qu'un fragment d'un murmure émotionnel qui passait sans lien véritable avec ce qui venait de se passer.... Après, avec de pareilles circonstances, il était parfois normal que bien des émotions viennent à s'entremêler. Mais tant que ces petits morceaux ne venaient pas à se rajouter à l'instant présent, tout ne pourrait aller

Après s'être assuré que son humain ne s'écroulerait pas à nouveau et demeurerait bien en posture assise, même si le contrecoup de sa migraine le rendait un peu avachi, les épaules basses, Sveargith s'était rapproché du jeune forgeron, pour voir si lui aussi avait besoin d'un peu d'assistance pour se redresser. Bien qu'il avait été touché par la souffrance de son maître, il avait l'air de bien mieux récupéré que Peddyr, le voyant déjà se redresser du mieux qu'il pouvait. Le Brun ne pouvait qu'en être soulagé. Déjà qu'il n'aimait pas sentir son lié mal en point à cause de ces céphalées qui frappaient quasi sans prévenir, mais quand cela perturbait quelqu'un de sa triade... Mais heureusement, les choses allaient que vers le mieux.

Le Maître Brun passa une main sur ses yeux, comme s'il cherchait à chasser l'épuisement. Au vue de l'ampleur de cette crise, il lui faudra se reposer jusqu'à demain pour pouvoir se sentir mieux... par les Cieux, avec celle là, il avait l'impression d'être qu'un vieillard, dévoré par trop de décennies de vie passé. Et sentant un reproche approchant, il chassa cette pensée. Ce n'était qu'une simple impression, qu'il ressentait par la fatigue du moment. Des décennies de vie.... comment pareille idée avait-pu lui traversé l'esprit...

Son Aspirant avait fini, de son côté, par répondre à la question, quand à l'interrogation de son maître vis à vis de son pouvoir empathique. A voir son visage, cela semblait lui coûter un peu d'en parler, jusqu'à ce qu'il lui montre l'origine des cicatrices qui balafraient son oeil gauche. Comme il venait de lui dire, cela lui avait déjà joué des tours. Et là, avec la violente crise de douleurs de Peddyr, il s'était retrouvé soudainement pris dans un carcan de souffrance, l'ayant fait choir comme Peddyr à terre. Qu'aurait-il pu se passer s'ils avaient tous deux dans une situation plus que délicate ? Voir en plein vol ? Ou... .

°Ou rien du tout. Il ne s'est rien passé. Nous sommes là, posés sur cette plage.°
°Je ne devrai plus prendre l'habitude de quitter le Kaerl pour faire mes leçons avec les Aspirants. Un jour prochain, une crise me frappera, tu seras absent..... Je n'ai pas envie de provoquer un drame °
°Si tu commences à raisonner de la sorte, tu finiras cloîtré dans notre weyr, tu ne prendras plus d'Aspirant.... en somme, tu t'imposerais quelque chose que tu ne pourrais supporter. Et moi non plus. Penses-tu que c'est une bonne idée ? °
°Oui, tu as raison... je pense encore mal°
°Bien sûr que j'ai raison et que je savais comment tu allais penser. Par contre, nous pourrions aider Arjuna avec sa capacité magique non ? Elle parait forte et pour lui, apprendre à la contrôler lui épargnerait de devenir aussi ronchon et déprimant ? °

Le Brun s'était essayé à une petite touche d'humour, qui fit réagit son lié dans le sens qu'il voulait. Effectivement, Arjuna avait besoin des conseils avisés d'un autre Céleste, qui avait aussi les mêmes capacités empathiques. Au début, il songea à Persée Garaldhorf. Mais elle était absente du Màr. La Dame Amlug aussi avait cette magie là dans le sang....

Essayant de reprendre une posture plus droite en redressant ses épaules, il porta son regard fatigué sur son Aspirant.

''Peut être qu'il y aurait une façon à ce que cela ne te joue plus des tours. La Dame Heryn Amlug a aussi le même genre de don que toi. Elle pourrait t'apprendre à mieux le comprendre et donc à maîtriser le tien''

Au fur et à mesure que la douleur refluait, le soulagement et la fatigue prenaient sa place. Mais ces deux sensations n’étaient pas des maîtresses aussi exigeantes que leur prédécesseuse : elles laissaient un peu de répit à l’esprit de l’aspirant, suffisamment pour que ses fonctions cognitives puissent se remettre en route, en particulier quelques bribes d’analyse et de réflexion. Lors de l’attaque migraineuse, Arjuna avait beau savoir que la douleur n’était pas la sienne, il ne pouvait pas passer outre. Ses barrières mentales lui avaient juste permis de garder suffisamment de lucidité pour accomplir les actions simples dictées par Sveargith. C’était déjà mieux que rien. Mieux que lors de sa première rencontre avec un rinkor dans le Désert. Tout imparfaits qu’ils soient, ses boucliers étaient plus efficaces qu’auparavant et lui permettraient encore – du moins, il l’espérait – de garder une partie de ses moyens en cas de besoin et de pas perdre la vie s’il se retrouvait à nouveau pris dans des combats comme à T’Shallah.

Tâchant d’ignorer la fatigue ou, plutôt, de l’accepter et de la mettre de côté pour ne pas la laisser l’influencer – comme il le faisait pour les émotions qu’il percevait perpétuellement tout en sachant qu’elles ne lui appartenaient pas – le torhil se concentra sur les questions de Peddyr. Et les réponses à lui apporter. La discussion le mettait un peu mal à l’aise sans qu’il ne sache vraiment expliquer pourquoi. Il n’avait pas honte de son empathie, avec laquelle il vivait depuis toujours, mais c’était tout de même un sujet assez intime. Et il se rappelait la réaction de Dakarai à son aveu lors de leurs retrouvailles. : elle avait semblé un peu gênée à l’idée qu’il soit capable de percevoir ses émotions. Ce qui lui avait semblé si naturel pendant des années ne l’était clairement pas pour elle, alors même qu’il s’agissait de sa Furie, qu’ils se connaissaient parfaitement et qu’ils n’avaient rien à se cacher. Comment les autres réagiraient-ils ?

Pourtant, même s’il faisait partie des « autres, » le maître brun, lui, ne semblait pas choqué. Peut-être la fatigue limitait-elle la virulence de ses réactions – même si, depuis cinq mois qu’il avait fait sa connaissance, Aru ne l’avait jamais vu s’emporter – mais il ne laissa échapper aucune remarque désobligeante et conserva son ton posé habituel pour rebondir sur ses réponses… et faire des propositions surprenantes.

« La Dame Heryn Amlug ? répéta Arjuna, incrédule. La Dame du Kaerl a sans doute bien trop de choses à faire pour s’encombrer d’un aspirant. »

L’idée lui paraissait terriblement incongrue. Le Màr Menel avait beau être une cité merveilleuse, ses habitants avaient beau être ouverts et accueillants, il était impensable d’aller déranger la plus haute autorité de la cité pour une question pareille. Comme si un jeune soldat d’Itzahuacán allait rendre visite à un Conseiller pour lui demander des leçons de combat.

« Mon oncle m’a appris ce qu’il savait, reprit le torhil, pour expliquer à son maître qu’il n’était pas complètement naïf. Je sais à présent prendre plus de recul que lors de mon premier combat, ajouta-t-il, avec un nouveau signe vers sa cicatrice, mais il m’a prévenu qu’on ne pouvait jamais se couper vraiment des émotions des autres. »

Comme on ne pouvait pas arrêter d’entendre, de sentir ou de goûter sur commande, avait ajouté Rajeev. Dans l’esprit d’Aru, l’empathie n’était qu’un sens comme les autres.

La pensée que Dak avait réussi à maîtriser son Don au Kaerl lui vint une seconde en tête, avant qu’il ne la repousse. Sa Furie émettait ses émotions, c’était différent. On pouvait s’empêcher de parler ou d’émettre du bruit. Lui ne faisait que recevoir.

Si Peddyr avait pu lire les doutes de son Aspirant, il se serait alors empressé de le rassurer. Bien que d'apparence, il paraissait être un Maître-Dragon ayant des années d'expériences, l'humain n'était pas si ancien que cela au sein du Kaerl Menel. Et pourtant, il était ouvert à bien des différences qu'il avait apprises et découvertes depuis qu'il était lié à son Brun.
Les circonstances de base l'ayant conduit à ce qu'il était aujourd'hui. Quand il avait rencontré le Céleste qui deviendra plus tard son maître, Peddyr était déjà un mortel d'un âge assez avancé par rapport à ce qu'on recherchait en terme de ''jeunesse'' chez un Aspirant. D'ordinaire, c'étaient des jeunes gens qui étaient invité à venir au Kaerl Céleste, après qu'on ait découvert leur Don. Chez le lié de Sveargith, ce don était apparu encore perceptible. Et une fois arrivé au Màr, le doute de le voir un jour se lier s'était confirmé par le fait que bon nombre de ses congénères le trouvait trop... vieux. Et pourtant, après s'être présenté sur les Sables, Sveargith était venu à lui. Et le saurien n'avait jamais regretté de s'être lié à lui. Un dragon ne regrettait pas d'ailleurs, comme le pourrait-il quand il sentait en un bipède qu'il était sa moitié pour tout le reste de son existence ?

En résumé, pourquoi serait-il gêné ou choqué de savoir son Aspirant capable de cerner ses émotions du moment ?

Mais revenons à la situation actuelle. Bien qu'épuisé par sa crise, le Maître-Brun arrivait encore à jouer son rôle de professeur. Il n'avait pu s'empêcher de sourire devant la réaction d'Arjuna quand au fait de devoir consulter la Dame Céleste en personne pour son pouvoir empathique.

''Ton oncle avait raison. On peut se couper des émotions des autres. On ne peut s'empêcher de percevoir les émotions quand elles s'expriment dans la voix d'une personne ou encore quand elles s'affichent dans l'éclat des yeux ou dans les traits d'un visage. Les émotions vont partie de chaque être vivant. Même les animaux les expriment, même si c'est à leur manière. C'est une forme.... de communication...Mais des fois, on a besoin d'un petit coup de main pour apprendre à mieux les saisir, les comprendre, pour que cela devienne plus naturel. ''

Il ne voudrait pas que son aspirant pense qu'il orientait son Aspiranat vers un autre maître-dragon, ou encore qu'il croit qu'il viendrait à déranger Dame Amlug quand à avoir des conseils de sa part.

''Bien qu'elle soit Dame Céleste et qu'elle occupe la plus haute position au sein de notre Màr, elle est aussi Maîtresse-Dragonne. Un de nos devoirs communs est d'enseigner nos connaissances à nos futurs chevaliers-dragons. Je ne cherche pas à te remettre entre ses mains, je souahite seulement que tu viennes à parler avec elle. Elle saura comprendre ton pouvoir et apporter les conseils qu'il te faudra pour perfectionner ce que tu sais déjà. Vois cela juste comme un petit coup de pouce... ''

Il ne doutait pas que le jeune Torhil redoutait de la déranger inutilement, car comme dit, elle était Dame Céleste, donc oeuvrait pour le Màr.

''En tant que Céleste, tu as le droit de demander une audience pour demander des conseils avisés auprès de notre Dame. et si besoin, je peux être présent, sais-tu.''

Sans un mot, Arjuna écouta les paroles de son maître. Non seulement, Peddyr ne semblait pas du tout surpris ou chagriné par le pouvoir de son aspirant mais, en plus, sa réponse laissait penser que la perception des émotions de ses interlocuteurs n’était qu’une forme de communication comme une autre. Pourtant, le torhil était persuadé que le maître brun ne les ressentait pas de la même façon que lui. Il avait appris, au cours des années, que son don n’était pas une faculté possédée par tout le monde, mais le Lié de Sveargith en parlait comme si c’était évident. Si l’empathie de l’humain n’était pas de même nature que la sienne, elle était toute aussi profonde. Voire plus, puisqu’elle résultait d’un choix délibéré. Mais ça n’avait rien de bien étonnant. Depuis quatre mois qu’Aru avait fait la connaissance de son maître, il savait que celui-ci faisait preuve d’une grande capacité d’écoute et d’une grande ouverture d’esprit. Et, excepté son oncle Rajeev, Arjuna n’avait pas croisé beaucoup de figures d’autorité dotées de ces qualités avant de rejoindre le Màr Menel.

Mais le Kaerl Céleste était vraiment une cité exceptionnelle. Même sans compter le bon cœur de ses habitants, même sans prendre en compte sa magie, ses dragons ou la présence de Dakaraï. Dans n’importe quelle autre ville, en n’importe quel autre lieu, il ne serait jamais venu à l’idée du forgeron de déranger une personne haut placée, qui plus est le Seigneur – ou, en l’occurrence, la Dame – pour une question d’ordre privée. Mais, dans la bouche du Maître Thelrand, cela semblait évident. Et les réticences de son aspirant paraissaient même l’amuser. La Dame du Kaerl était avant tout Maîtresse dragon, disait-il, et il était de son devoir d’enseigner son savoir aux aspirants qui en avaient besoin.

« Je suppose que je peux demander audience, » reconnut finalement Aru.

Comme il l’avait déjà dit, le torhil était prêt à suivre les leçons que son maître jugerait nécessaires à son aspiranat, quelles qu’elles soient. Si Peddyr décidait que la maîtrise de son don n’était pas suffisante et qu’il avait besoin des conseils de la Dame du Kaerl, ce n’était pas à lui de remettre en doute ses paroles. Ce qui ne l’empêchait pas de craindre que le jeu n’en vaille pas la chandelle. Il avait déjà reçu l’enseignement de son oncle et, même si la découverte de Tol Orëa, de ses habitants et de ses dragons lui avait révélé que sa connaissance du Rhaëg était plus que parcellaire, il avait du mal à croire que quelqu’un puisse l’aider à se couper complètement des émotions des autres. Déranger la plus haute figure du Kaerl pour un résultat plus qu’incertain le gênait, mais une audience rapide était sans doute le meilleur des compromis.

« Je ne connais pas les usages pour les audiences, avoua le torhil. Si vous jugez qu’il vaut mieux que vous m’accompagniez, c’est vous qui savez. Sinon, je peux y aller seul. »

Il n’avait pas peur de s’adresser seul à la Dame Amlug, l’étiquette du Màr était sans doute moins strict que celle en vigueur à Itzahuacán. Mais autant faire bien les choses.

Même si Aru avait le temps de se renseigner sur les usages, puisque l’audience – si audience il y avait – ne serait pas pour tout de suite. Ils devaient déjà évacuer cette fatigue et rentrer au Kaerl.