[RP] Graine de chaos

Adossé sous un arbre, croquant dans une pomme, Murdoch regardait les vergers et les jardins qui se déroulaient sous ses yeux. Il n'aimait rien autant que les paysages sous marins de son kaerl de naissance mais force était d'admettre que Lomeanor avait ses beaux moments. Un peu plus loin, son lié discutait avec la maîtresse des lieux. Des enfants de tous âges chahutaient ou travaillaient selon leurs affinités et le tout dégageait une ambiance de calme chaotique que le dragon noir appréciait tout particulièrement.

Lorsque quelque chose attira son attention. C'était un signal presque imperceptible, ces bribes de conversations que l'on croit entendre et que l'on espère deviner. Il recracha un pépin, d'abord perplexe puis une touche d'amusement perceptible dans son ton mental.

*Je l'ai trouvé.*
*Tu es sûr de toi ?*
*Certain, un des petits à le don.*
*Un des miens ?*
*Non, le blond, là bas.*
*Il y a quinze blonds, là bas.*
*Avec les tâches de rousseurs au milieu du rond de pâquerettes. Là.*

Ziem interrompit sa discussion pour fixer une masse de cheveux couleur blé mur qui tranchait avec l'herbe verte claire de l'hiver loemanorien.

"Caly a fait une bêtise ?" La voix de la matriache était devenu vaguement inquiète. Ziem lui sourit, tentant de la rassurer.
"Pas...vraiment. Murdoch dit qu'il a le Don. Je vais devoir aller lui parler. Il est possible que je te le prenne... tu ne m'en voudras pas ?"
"Embarque Terreur avec pendant que tu y es. C'est toi qui le lui a offert."
"Tu n'as pas l'air surprise. Tu le savais ?"
"Je sais surtout qu'avec lui, il ne faut s'étonner de rien. Tu vas t'en sortir ?"
"C'est un gentil petit, non ? Un peu taquin mais..."

La mère de famille eut une lueur dans les yeux qui n'était pas sans rappeler l'éclair mutin qui jouait si souvent dans les iris de son fils.

"CALY ! Viens voir s'il te plait !" appela finalement l'homme alors que son dragon sous forme humanoïde s'approchait nonchalamment.

Ce fut un signal imperceptible, une bribe de présentiment qu’un être plus attentif aurait pu deviner.
Calenadh, lui, rit plus fort et tourna plus vite. Au bout de ses bras, l’un de ses plus jeunes demi-frères hurla de rire et de plaisir comme seuls le font les jeunes enfants. Derrière eux, les pâquerettes fleurirent et tracèrent à même l’herbe vert-de-givre des arabesques irrégulières comme celles d’un spirographe déraillé.

L’appel de son nom faillit les faire tomber tous les deux. Cal tourna la tête, trébucha, se rattrapa par la grâce des chanceux et des téméraires – il était l’un et l’autre, après tout. Ses yeux sombres pétillèrent, joyeux :

"Voir quoi ? Je vois déjà, ici."

Il voyait oui : la colline verte avec ses moutons blancs, les nuages laineux dans le ciel bleu pâle, le sourire de sa mère et les points de couleur dans la serre comme des petites étoiles fleuries. Comme il lui plaisait, cependant, de céder, le jeune homme reposa Flisat sur le premier mouton à passer à portée et, la curiosité en guise d’éperon dans ses flancs blancs, se rapprocha à petites foulées souples.
Un bond par-dessus la clôture de la pâture plus tard, il se réceptionnait dans la cour, auréolé d’épis blonds comme des blés d’été, s’arrêtait à proximité du duo, la tête inclinée sur le côté dans une mimique entre observation et curiosité, un sourire étincelant comme un soleil en guise de question.

Ziem et Murdoch faisaient partie du paysage de la petite ferme familiale – une sorte de phase de la lune qui, régulièrement, descendait du ciel dans un claquement d’ailes pour apporter leurs lumières, leur présence, leur aide. Et, sans être des inconnus, ils n’étaient pas totalement connus non plus : ce n’est pas parce que la lune se lève toutes les nuits qu’on en voit la face cachée.

Cal se souvenait les avoir croisés, bien sûr, mais plus à titre collectif, en tant que membres d’une même très grande famille. Il devait y avoir quelque chose, cette fois ci. Pas forcément quelque chose de grand ou de bouleversant, non. Mais quelque chose de différent des fois précédentes.

Plus loin, Terreur émergea de toison de mouton dans laquelle elle faisait la sieste, réveillée par le calme soudain du départ de son lié. Arrachant de la laine ses petites pattes pleines de griffes et de morceaux de marrons chauds, elle se redressa et étira toute sa longueur de nuisance mineure, scrutant les environs.

"On ne te demande pas ce que tu vois, on te demande de venir être vu." fit calmement l'homme en réponse, sans l'exaspération que l'adolescent aurait pu espérer. Ziem était un être profondément calme et posé. Il voyait la rébellion dans la réplique. Mais également une intelligence vive et un don pour jouer avec les mots qui ravierait Murdoch. Le dragon aimant passionnément les joutes verbales, surtout quand elles ne menaient nulle part.

Voyant l'adolescent obtempérer, il n'insista pas plus, se refusant à toute remarque lorsqu'un cadet fut déposé sur un mouton, la clôture sautée - il était en bonne forme physique, cela n'était en aucun cas surprenant au vu de l'éducation qu'il avait reçue - et le dragon fée apparu, des bribes de laine se délitant de ses serres comme des nuages de brume au vent. Aibak apparu à son tour, tournant autour de sa fille avec des pépiement de jalousie. Elle aussi voulait des nuages.

Murdoch, lui aussi, avait rejoint le couple initial et dévisagea le gamin de haut en bas, son esprit ouvert au don frémissant qui commençait tout juste à éclore. Il y sentait déjà la vie et l'énérgie qui ne demandait qu'à s'épanouir d'un coup.

"Tu as le don, jeune homme" fit dans la tête du garçon la voix de baryton du dragon. Ziem reprit plus haut, sa basse naturelle s'harmonisant naturellement avec le ton mental de son lié.
"Tu voudrais venir avec nous ? Il y a une place pour toi au Mar Luime."
Don ou pas, la triade n'obligeait jamais personne. Un récalcitrant ne faisait pas un bon chevalier.

Absolument sourde à la jalousie maternelle, Terreur bondit dans les airs, piaillant une invitation à jouer et virevoltant follement autour d’Aibak et du mouton, qui, stoïque, la laissa slalomer entre ses pattes et se suspendre à son ventre, tête en bas et pattes en haut.

Du côté de son humain, la réplique de Ziem fut accueillie d’un haussement de sourcil contestataire et du pli amusé d’un sourire de canaille. Sur ses lèvres, le début d’un rebondissement s’esquissa. Il n’eut pas le temps de déclarer que c’était bien la façon la plus polie dont on lui ait jamais demandé de se faire voir : la voix de Murdoch résonna dans son esprit avant.

Le jeu dont Calenadh s’était auréolé s’envola alors que le jeune homme pivotait de toute sa spontanéité. Son vrac de cheveux blonds cendrés de terre, en suivant le mouvement, lui donna des airs de tournesol découvrant pour la première fois le soleil.

"Oh !"

Le Don. Il avait le Don. Une exaltation sauvage l’auréola. Son pouvoir indocile déborda comme un aveu végétal : à quelques pas de là, esseulé dans la cour retournée par les poules, le pépin de pomme abandonné par Murdoch germa à l’image des résolutions de Cal : une unique tige décidée, qui se morcela bientôt en petites pousses vert tendre. Par réflexe, le jeune homme tendit son esprit en direction de la voix du Noir – juste avant que regard et attention ne repartent vers Ziem, vibrant d’énergie dispersée.

Plus que les arguments enflammés des Ardents, que les promesses sincères des Célestes et les comparatifs rationnels des Engloutis, l’harmonique des voix du duo faisait déjà pencher la balance en un choix que Cal puisse faire, mais il posa quand même la question :

"Ça se passe comment, si je viens ?"

Et il trouva le moyen de prononcer « si » avec une nuance de « quand », rebondit déjà, les mains dans ses poches, le sourire intrigué et le regard concentré :

"Je peux continuer mon apprentissage en même temps ou il faut que je choisisse ?"

Jouer ?! C'était un manque total de dignité, décida soudain Aibak qui pourtant n'était en général pas la dernière pour les bêtises. Elle se laissa glisser dans un courant froid, descendant à la verticale pour arriver à hauteur de sa fille, ses écailles gonflées en une apparence de dignité...ou ce qui en tenait lieu dans l'esprit de la dragonne. Elle pépia alors d'un ton pédent des images de sommeil et de dragon noir et de repos entre les pattes et de baies qu'on lui donnait quand elle s'était bien comportée.

Oh. Faisait l'humain blond. Oui, oh, pensèrent en même temps humain et saurien, le second ayant eu le temps de surprendre la répartie manquée du garçon. Ils le laissèrent digérer la nouvelle, prendre le temps de s'abreuver de l'adrénaline qui ne devait pas manquer de faire palpiter son coeur.

Ils ne connaissaient pas, sur tout Tol Orea, d'enfant qui n'avait pas un jour rêvé qu'on vienne leur dire qu'ils avaient une destinée exceptionnelle. Que Caly connaisse déjà l'existence des dragons rendait la révélation plus facile mais pas moins intense.

"Si tu viens," répondit Murdoch en mettant sur le si une nuance d'incertitude, pour que le gamin comprenne que rien n'était encore décidé et qu'il devait bien se tenir, "tu vas découvrir le Mar Luime. Tu passeras l'année et peut-être les suivantes à suivre des cours avec un Maître et son dragon. On t'enseignera les bases des soins à donner à un dragon, comment voler, ce qu'il faut savoir pour se lier correctement, la politique et les histoires du Kaerl. Tu participeras à des éclosions où tu te liera, ou non."

"Une fois que tu seras lié à ton dragon, tu devras survenir à ses besoins; Un dragon ne vole pas dans l'Interstice les premiers mois et a besoin de beaucoup d'attention au moins jusqu'à ce que sa mémoire ancestrale lui revienne." Ziem s'arrêta, interrogeant du regard la matriarche. Il n'arrivait pas à se souvenir de l'apprentissage que pouvait bien suivre l'adolescent.

"Ensuite c'est lui qui prendra soin de toi. Jusqu'à ce qu'enfin, les rapports trouvent un équilibre qui n'appartiendra qu'à vous deux."

"En ce moment il étudie la magie."  Le couple hocha la tête. Attirée par le sérieux du moment, Aibak abandonna Terreur et vint faire son nid dans la tignasse blonde de l'enfant qui était le centre de l'attention.

"Tu pourras continuer à faire évoluer ton don. Tu auras d'autres personnes qui sont douées pour te donner des conseils et en fonction de ce que tu souhaite, nous pourrons te trouver un interlocuteur privilégié."

"Mais sache que tu seras très occupé les premières années. Tu es déjà en retard par rapport aux enfants nés dans le Kaerl et un jeune dragon demande beaucoup de soins."

"Une fois le duo formé, cependant, tu pourras totalement apprendre un métier et le pratiquer, que ce soit au Kaerl ou en vendant tes œuvres à l'extérieur."

"D'autres questions ?"  terminèrent-ils tous les deux dans un unisson parfait.

Caly prononça son « si » comme un « quand ». Murdoch lui renvoya un « si » comme un « si », remettant le point sur le i. La note resta suspendue dans l’esprit de l’adolescent, sur le fond de son cœur battant un tempo de galop.

Il avait su pour les dragons depuis toujours, bien sûr. Il avait aussi su depuis longtemps que, potentiellement, l’un des Kaerls l’appellerait. Il avait supposé que, si cela devait arriver, ce serait un changement, mais le changement ne lui avait jamais fait peur. La différence majeure entre les jeux d’enfant et la réalité de jeune adulte, tenait en bref en un point – un engagement. Calenadh faisait deux sortes de promesses : celles qui comptaient et les autres. Cet engagement-là, ce « si » comme une note vibrant à même son esprit, exigeait une promesse qui compte et qui dure. Il n’était pas sûr d’en avoir jamais fait une de cette ampleur.

Plus loin, Terreur piailla un défi aussi miniature qu’elle l’était et riposta à sa mère par sa propre série d’images – les courses folles à travers champs avec son lié, doré comme un soleil et rieur comme un été, juché sur une vache, une mule, un cheval ; les journées passées perchée dans les arbres, les griffes poisseuses de fruits et Caly lui aussi dans les branches ; les joies de mordre dans une feuille de chaque plante de la serre, en hiver, au chaud malgré la neige sur les vitres ; la satisfaction de gober des papillons au printemps et de dormir dans la lessive encore tiède de soleil – en bref, le bonheur à demi-sauvage de la vie.
Puis, outrée d’être coiffée au poteau par le départ d’Aibak, elle s’élança sur un trille et commença à lorgner sur la perspective de s’installer sur la tête de Murdoch pour égaliser le score de « je suis perchée sur ton bipède nanananananère ».

Caly attrapa l’idée au vol avant qu’elle ne puisse mettre son plan à exécution, relança en direction de la terreur ailée une pensée d’invitation. Pirouettant de bonne grâce, la dragonne-fée fila dans ses bras, où elle roula sur le dos pour se faire gratouiller, le ventre en l’air dans une position qui, si elle manquait de dignité, lui permettait de narguer sa comparse du regard.

Pensif, le jeune homme resta silencieux jusqu’à la fin. Il sentait vibrer de concert jusque dans ses os, opposées, l’envie irrésistible d’embarquer dans cette aventure dont chaque enfant avait rêvé et la circonspection des poulains n’ayant jamais connu la bride.
Une nouvelle fois, l’unisson des voix de Ziem et de Murdoch le frappa droit au cœur, de quelque chose de violent entre l’espoir et le besoin.

"Je travaillerai plus pour rattraper le retard."

Constat confiant : il commençait à avoir l’habitude de rattraper les retards de ses expériences, de ses changements d’orientation, des détours où la curiosité et l’indocilité le poussaient. Dans ses bras, toutefois, Terreur s’était figée, vigilante face à l’afflux d’émotions que le jeune homme dissimula d’un sourire : si ses joies étaient publiques, il avait toujours préféré que ses troubles, eux, restent privés, pour ne pas dire secrets. Quant à savoir s’il avait encore des questions :

"Toujours ! Mais surtout une : quand est-ce qu’on part, du coup ?"

Et dans ce « quand », il garda la nuance de « si ».

Aibak regardait de haut la petite forme se faire gratter le bedon. Elle n'admettrait pas que le linge qui sentait le soleil lui faisait bien envie. A la place, elle tourna sur elle-même à la manière d'un chiot pour que les mèches folles du garçon l'entourent de son propre soleil. Les impressions qu'elle renvoya à son bipède par contre était un "à charge de revanche" bien décidé à avoir des nids de soleil lui aussi. Et peu importait qu'on soit sous l'eau. Ziem lui renvoya une vague d'affection plus chaude que n'importe quel zénith et la dragonne fée se calma, contente de simplement pouvoir toiser sa fille.

"Je n'en doute pas." répondit tranquillement Ziem à la promesse tandis que Murdoch, lui, laissait ses yeux clairs pétiller d'un doute goguenard et plein de défi.

"Maintenant si tu es près.", fit alors le saurien en rendant une note de quand dans son si. Les années de repérage de jeunes doués leur avait appris à ne pas faire trainer les adieux. Tourner le dos à son monde, accepter de vivre on ne sait combien de temps sous une bulle, dans l'eau, sans pouvoir sortir à moins de trouver un camarade pour vous transporter, cela refroidissait souvent ceux qui avaient le temps de penser aux conséquences de ce choix radical.

*Il n'a pas l'air du genre à penser. Aux conséquences ou autre.*
*Il faudra travailler là dessus.*
*Ne t'en fait pas.*
*Je ne m'en fais pas.*

Reculant de quelques pas, Murdoch reprit sa forme originelle, rejoint rapidement par Aibak qui se percha entre ses oreilles, non sns avoir volé quelques cheveux clairs qui filaient entre ses serres à la manière des brins de laine de sa fille un peu plus tôt.

"Il faudra que tu m'indiques quel pouvoir tu cherches à travailler, que je puisse te pointer vers la personne la plus apte à t'aider dans tes recherches." Ziem avait rejoint son lié et modifiait le harnais afin qu'il puisse prendre deux personnes et un éventuel bagage.

Maintenant. La surprise eut tout juste le temps d’affleurer à la surface de l’esprit de Cal avant de devenir un élan sauvage – quelque chose entre l’exaltation et la résolution.

"J’attrape quelques affaires et j’arrive !"

La pensée suivante fusa vers les dragonnes-fées, porteuse d’une incitation à s’accrocher ou s’envoler. L’instant d’après, le jeune homme pivotait vers la maison au pas de course. Il s’engouffra dans la petite maison sur la colline comme un sirocco, crocheta le montant d’une porte pour tourner plus vite, se projeta dans la chambre qu’il partageait avec certains de ses demi-frères.

Alertée par l’agitation, Dimpa décolla son nez de la fenêtre de la cuisine, depuis laquelle elle avait tenté de suivre ce qui se passait et, poussée par l’irrésistible instinct des petites sœurs fouineuses, se planta dans la cour, mains sur ses petites hanches, pour observer la scène. Un éventail entier d’émotions traversa son visage, de la réalisation à l’envie pour finalement s’arrêter sur ce qu’elle estimait être une expression de sage dignité pour déclarer, après avoir salué le duo :

"C’est bien que ce soit avec vous que Caly parte. Sur un Noir, on ne verra pas les tâches qu’il fait partout. "

Faire un sac était facile : on prenait un sac, on prenait des affaires, on enlevait Terreur du sac pour y mettre lesdites affaires et, enfin, on enlevait une nouvelle fois Terreur du sac pour pouvoir le fermer. Il n’avait de toute façon pas grand-chose dont s’encombrer. Quelques tenues de travail finirent fourrées en vrac dans le contenant, suivies par une bourse d’économies, une autre plus fournie de graines, un carnet de notes, de quoi écrire et jardiner.
Puis Cal repartit dans l’autre sens au petit trot, semant quelques au-revoir à sa fratrie dans son sillage.

Il ne ralentit qu’une fois dans la cour, rattrapé par la sensation que le monde basculait sur son axe… et par la vue de l’arbrisseau, vert dans le froid, que son pouvoir avait fait germer. Claquant des doigts, il pointa le bébé pommier :

"Terreur, déterre !"

La dragonne fée plongea droit vers la plante, égaillant les poules qui commençaient à picorer ses feuilles tendres. Avec un enthousiasme de catastrophe naturelle, elle commença à creuser autour des jeunes racines, projetant de la terre sur le coq qui avait eu la mauvaise idée de trainer à côté. Son lié, lui, attrapa un pot vide dans lequel il transvasa l’arbrisseau avec une fluidité conférée par l’habitude. Puis, brossant ses mains sur son pantalon avec non moins d’habitude, il déposa un baiser sur la joue de Mariam, ébouriffa sa demi-sœur et pivota vers Ziem et Murdoch.

"Je fais pousser les plantes, alors l’idéal, ce serait de la magie végétale. Mais je peux probablement apprendre auprès de quelqu’un d’une spécialité voisine, à défaut, je pense."

Inclinant la tête, il considéra le harnais qui reprenait forme.

"Je peux aider ou j’arrive après la bataille ?"

Aibak s'accrocha. Elle n'allait pas s'envoler comme le premier pétale venu, elle n'était pas de ce cuir là. Ziem, de son côté, s'était agenouillé pour regarder la petite Dimpa, semblant vouloir tenter de cacher son émotion par des remarques maternelles probablement imitées de la matriarche.

"Et c'est la preuve que Flarmya sait ce qu'elle fait quand elle choisit les liés de ses enfants." répondit-il avec le plus grand sérieux. Ziem aimait les petits. Ils avaient une spontanéité que l'on apprenait à perdre avec les dictats de la société. Et autant il était important de se conformer aux us et coutumes autour de soi, autant l'on renonçait en même temps à une richesse que les enfants avaient encore. Il ébouriffa les cheveux de la gamine avec une tendresse non feinte et se remit à ajuster le harnais. Aibak, elle, décida qu'on ne pouvait décemment pas partir dans un ruban rose qu'elle vola dans une chambre voisine et ajouta dans le sac du garçon.

Malgré une patiente indifférence, le couple n'avait pas quitté l'adolescent des yeux, qu'ils soient sauriens, féériques ou humains. Le trio passait d'une vision à l'autre avec l'aisance de l'habitude et tous savaient exactement ce qu'il avait fait jusqu'au moment où il les rejoint.

"Je crois que je connais quelqu'un qui a également une connexion aux plantes. Je lui en parlerai." Il n'était pas nécessaire de nommer Dusan pour le moment. Le croc d'argent avait appris son pouvoir de façon non officielle, ce n'était pas pour le révéler à un garçon dont on ne connaissait pas encore la discrétion. Il tira sur une dernière sangle. Tout était prêt. Il n'y avait pas besoin d'aide. Serviable, Murdoch baissa une jambe pour servir de marchepied. Ziem fit signe au garçon de s'installer, attrapant le sac qu'il fixa à une boucle de cuir du côté droit.

"Tu auras d'autres occasions. Que veux-tu faire de cet arbre que tu as mis en pot. Veux-tu le prendre ou le laisser là ?"

La question était anodine, en apparence. Quel que soit le choix final du garçon, le duo le respecterait mais il révèlerait beaucoup de chose sur les façons de faire de l'adolescent. Son sens des responsabilités, sa rigueur, son intelligence pratique et émotionnelle. Des choses que même un dragon ne pouvait sentir ou deviner.

"Attache toi, je vérifierai que tu es en sécurité quand tu auras terminé. Et nous irons au Mar dans la foulée. Tu n'as pas le mal de l'air, j'espère."

C'était plutôt rare à Loméanor mais on ne savait jamais. Un vol à dos de dragon était une expérience grisante et effrayante à la fois.

Dimpa plissa ses petits sourcils et considéra tour à tour le dragon noir puis son frère couvert de terre, de taches d’herbe et de poussière.

"Hm. Il aura un dragon sombre. Ou déjà moucheté, au moins" décida-t-elle tout à fait unilatéralement. "Et moi une Reine."

Tout à fait au courant des plans de sa sœur pour son avenir – et tout aussi décidé à les ignorer sans méchanceté aucune – Calenadh pour sa part tourna son regard vers le pot où le tout jeune pommier attendait le verdict quant à son sort. Les poules avaient déjà picorées quelques-unes de ses rares feuilles d’un vert trop tendre pour l’hiver.

"Il ne survivrait pas à l’Interstice. Je vais le mettre dans la serre."

La jeune pousse tenait un peu de sa responsabilité : il l’avait fait naître dans un lieu hostile, peuplé de féroces prédateurs à plumes, et à une saison peu propice qui plus est. Il lui semblait juste de donner à cette promesse de pommier une chance de faire un départ correct dans la vie, sans aller jusqu’à le materner – d’autant plus que si le jeune homme aimait la vie des plantes, il appréciait également à leur juste valeur leur mort, qui à son tour nourrissait bêtes et végétaux en un cycle sans fin ni tristesse.

Le pot bien installé dans la serre, sous un rayon de soleil clair d’hiver, Cal s’empressa de revenir au petit trot, attrapa au passage sa sœur pour planter un baiser sur son front.

"Gouverne bien la ferme en mon absence !"
"Je le faisais déjà quand t’étais là !" s’outragea la petite.

Le blond lui répondit d’un clin d’œil, déjà occupé à embrasser sa mère sur la joue et faire coucou au reste de sa fratrie dispersée. Il mit dans ses adieux le peu de soin des gens qui savent qu’ils reviendront et qui ne s’intéressent pas assez aux durées pour se demander quand. Puis, auréolé d’épis blonds et d’une exaltation mâtinée de curiosité, il posa un pied léger sur la jambe que Murdoch avait abaissée pour l’aider.

"Merci."

L’habitude hautement douteuse de grimper sur tout ce qui semblait pouvoir se chevaucher l’aida à monter en selle. Les sangles du harnais, en revanche, étaient nouvelles. Le jeune homme les soupesa, les mesura du regard et, à l’aide de ses souvenirs un peu diffus, entreprit de se harnacher, jetant un coup d’œil du côté de Ziem pour pouvoir l’imiter – et, à la question sur le mal de l’air, lui adresser un sourire rayonnant de la bravoure que n’arborent que les adolescents :

"Je suppose qu’on va vite le découvrir !"