[RP] Bon sang ne saurait mentir

Les premiers rayons de soleil effleuraient à peine les plus hauts toits de la cité, les volets étaient fermés, les rues vides… Mais le port bruissait d’activité. Au sud d’Orën, comme dans tous les ports du Rhaëg, Solyae ne rythmait pas seul la vie des marins. Kainalu et ses marées avaient autant voire plus d’importance que la course de l’astre du jour. Et, parmi l’effervescence qui régnait sur les quais, parmi les marins qui se bousculaient pour apprêter les navires au départ, les deux femmes qui se faufilaient en direction du dernier ponton passaient presque inaperçu. Presque. Quelques regards se tournèrent bien vers la deuxième, celle aux cheveux bleus : le tissu fluide et chatoyant de sa robe, semblable à la soie du Ssyl’Shar, ne se voyait pas souvent sous ces latitudes et encore moins au lever du jour sur les quais du port. Néanmoins, le travail n’attendait pas et l’expression froide de la femme avait de quoi décourager les plus désoeuvrés.

*Je ne comprends toujours pas pourquoi tu t’obstines à voyager ainsi.*

La femme aux cheveux blonds, celle qui marchait en tête, leva les yeux au ciel.

*Pour la même raison qu’il y a dix ans et que tous les ans depuis. Je croyais que les enfants de Flarmya avaient une mémoire formidable et qu’ils n’oubliaient jamais rien.*

Un éclair orange passa brièvement dans le regard bleu de la femme à la robe de soie.

*Je persiste à penser que c’est inutile.*
*Mais tu n’as aucune autre solution à proposer.*
*Tu n’auras qu’à dire que tu as voyagé à pied.*

Tesni dut se mordre les lèvres pour retenir le rire moqueur qui y montait. On l’aurait regardé de travers si elle s’était mise à rire toute seule.

*Un marin ne voyage pas à pied.*

Les lèvres de Zornith se tordirent en une moue agacée. Sa Liée invoquait toujours la nécessité de garder le secret de l’existence des dragons, mais la bleue savait que ce n’était pas la seule raison à ce voyage absurde.

*Tu aimes ça,* finit-elle par émettre, accusatrice.
*Oui,* reconnut la demi-sang sans hésitation.
*C’est dangereux.*
*Oh, je t’en prie. On va longer la côte pendant une semaine. À ce compte-là, descendre les escaliers des Spires aussi, c’est dangereux.*
*Tu sais combien de ces coques de noix disparaissent tous les jours ? insista la dragonne. Et combien de marins ne rentrent jamais au port ?*
*J’en ai une petite idée, oui, merci.*

La sécheresse dans la voix mentale de la jeune femme fit comprendre à la bleue qu’elle avait été trop loin. Tesni pouvait essayer de donner le change, elle ne pouvait pas complètement cacher à sa dragonne la tristesse qui l’avait envahie à la mention des marins disparus. Un peu embêtée – même si elle restait persuadée d’avoir raison – Zornith se garda de reprendre son argumentation. Elle se contenta de suivre sa Liée en silence, sa désapprobation visible sur son visage tout autant que palpable par leur Lien.

Sur ce quai perdu quelque part au milieu de la Thálassie, la demi-sang n’avait plus grand-chose de commun avec la maîtresse dragon du Màr Menel. Vêtue d’un pantalon descendant jusqu’à mi-mollet et d’une tunique en algue ondine si simple qu’elle en devenait presque informe, son sac sur l’épaule et son manteau sur le bras, elle avait plus l’air d’une habituée de la mer que d’une guerrière de l’Escadrille Galastden. Seuls son port de tête droit et sa démarche assurée, tandis qu’elle louvoyait parmi les travailleurs, pouvaient trahir son véritable métier. Mais tous ses interlocuteurs depuis la veille n’y avaient vu que du feu et elle n’avait eu aucun mal à se faire recruter sur un navire qui prenait la direction de son village d’enfance.

Ce ne fut qu’à la vue dudit navire, amarré au dernier ponton, que Zornith rompit le silence.

*Tu vas perdre un temps fou.*
*Oui.*
*On pourrait arriver en quelques minutes.*
*Oui.*
*Tu pourrais passer les prochains jours avec ta famille au lieu de naviguer inutilement.*
*C’est le principe des vacances, de faire des trucs inutiles.*
*Des vacances ? À trimer sur un bateau pendant une semaine ?*
*Oui.*

Elles arrivaient au pied de la passerelle. Tesni salua le capitaine d’un signe de main puis se tourna vers sa Liée. Elle déposa son sac à ses pieds et enlaça la dragonne dans une brève étreinte.

« Ne t’en fais pas, on se reverra vite. »

Et sous le regard mécontent de la bleue, elle ramassa ses affaires et monta à bord. Un des marins lui jeta un regard méfiant.

« C’est qui, celle-là ?
*Je t’en pose des questions, moi ?* songea la sang-mêlé, agacée.
— Ma belle-sœur, répondit-elle toutefois, presque sans agressivité. Mon frère a disparu en mer il y a deux ans. »

C’eut au moins le mérite de faire taire le curieux qui ne l’arrêta pas quand elle alla poser ses affaires dans ses quartiers avant de remonter sur le pont. Il lui restait encore quelques minutes avant de devoir participer à la manœuvre et elle en profita pour aller se poster à la poupe. Seule face à l’océan, elle pouvait sentir la structure de bois vibrer sous ses pieds et ses mains, au gré du léger roulis. Elle prit une profonde inspiration, tandis qu’un sourire étirait lentement ses lèvres. Comme chaque année, elle était heureuse de pouvoir profiter de la permission qu’elle avait demandée. Trois semaines loin du Kaerl. La première pour l’aller, la seconde pour visiter sa famille, la troisième pour le retour. Zornith aurait pu la déposer en quelques respirations dans les bois en bordure du village mais, outre le fait que ça aurait soulevé des questions, ça l’aurait privée de retrouver la mer. Mieux valait rejoindre un port qui brassait des gens de tous horizons, c’était plus discret.

Le second brailla un ordre dans son dos et la sang-mêlé abandonna sa contemplation pour aller prendre son poste. Les vacances commençaient.



Solyae était déjà haut dans le ciel lorsque Tesni atteignit l’orée du bois. Pourtant, elle ne quitta pas tout de suite le couvert des arbres. Un bref coup d’œil aux alentours lui permit de repérer, un peu à l’écart du chemin mais toujours dans la pénombre des végétaux, une pierre assez grande pour servir de siège. Elle la rejoignit en quelques pas et s’y installa, tandis qu’une sorte de ronronnement résonnait dans son dos. Le chat qui se faisait entendre ainsi devait avoir un sacré coffre, mais la demi-sang sourit et s’appuya contre la tête écailleuse qui vint se poser près d’elle.

*C’était une belle Éclosion.*
*Oui.*

Les deux Liées se turent, savourant le moment et les souvenirs que la cérémonie matinale avait ravivé. Leur propre Empreinte.

Tesni avait atteint son village d’enfance l’avant-veille, après un voyage sans incident, malgré les craintes de sa dragonne. Son seul regret était de n’avoir pu profiter de Ler que quelques heures, puisqu’il avait dû reprendre la mer à l’aube du dernier matin de l’année. Enfin… ça lui avait au moins évité de devoir se rendre à la Fête des Fous. Les festivités du village n’étaient pas aussi exhubérantes que celles de Lòmëanor – du moins, ce qu’elle en avait entendu dire – mais la jeune femme ne les appréciaient guère. Elle pouvait porter tous les masques et les costumes qu’elle voulait, ses cheveux trop dorés trahissaient toujours son identité parmi les ondins du village et, Ler et Somhairle avaient beau l’y trainer tous les ans, elle ne s’y amusait jamais vraiment. Mais, cette année, son frère aîné avait fort à faire pour surveiller ses enfants et, comme son frère cadet n’était pas là, elle était restée tranquillement à la maison. Et bien lui en avait pris, puisque Zornith l’avait réveillée à l’aube.

Depuis dix ans, la routine de Tesni était immuable. Tous les jours qu’elle passait au village, qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il vente, elle commençait sa journée dans les bois. Sa famille ne s’en inquiétait pas, elle avait toujours eu besoin de ses moments de solitude. Petite, c’était sur la corniche, à présent, c’était dans la forêt. Mais ce qu’ils ne savaient pas, c’était qu’elle n’était pas seule. Elle allait retrouver sa Liée. Et elles ne restaient que rarement dans les bois. En quelques secondes, l’Interstice leur permettait de se rendre partout : un lac au creux des montagnes, une baie entourée de falaises… ou, comme ce matin-là, au Màr Menel où les enfants de Niallàn avaient décidé de naître.

Mais les minutes passaient et son absence avait déjà été plus longue que d’ordinaire. Si elle tardait encore, on risquerait de s’inquiéter. Et puis, elle avait encore des cadeaux à distribuer à ses cousins, puisqu’elle s’était contentée de sa belle-mère et de ses frères et sœurs le jour de son arrivée.

Avec un soupir de bien-être, elle caressait une dernière fois le tour de l’œil de sa Liée, quand celle-ci recula soudain sous le couvert des arbres.

*J’entends quelqu’un approcher.*

Un peu déçue de se voir rattraper si vite par le monde réel, Tesni croisa les bras mais ne bougea pas de sa pierre. Si l’intrus ne la voyait pas, elle comptait bien le laisser passer son chemin pour profiter de quelques minutes supplémentaires avec sa dragonne.

Le jeune homme était revenu par un matin ensoleillé, il avait atteint le port de son village avec une légère brume qui s’échappait de l’eau. Il était arrivé juste à temps pour la fête qui avait lieu chaque année au village. À peine quelques jours plus tard il apprit que Tesni était de retour, le cœur de Deghan tressauta de joie en entendant la nouvelle, suivi de peu par le départ de Ler. Lui-même avait déjà hâte de reparcourir le monde, voir de nouveaux camarades, de nouvelles terres et de nouvelles expériences. De plus, il s’était bien entendu avec son capitaine la dernière fois, et il avait déjà sa place à bord. Bien sûr, il était très heureux de revoir sa famille et ils lui avaient tous beaucoup manqué. Il avait aussi réellement attendu avec impatience la fête du village, toutes les personnes qu’il avait côtoyées depuis tant d’années.

Ce fut donc avec une réelle joie qu'il se déguisa pour la fête, il prit un costume plutôt classique du village, mais cela n'empêcha pas les habitués de le reconnaitre au premier coup d’œil. Beaucoup de gens l’arrêtèrent pour lui demander comment il allait, pour savoir si sa famille allait bien, s’il pouvait rendre visite, boire un verre. Il mit donc un long moment avant de se rendre compte qu’il manquait quelqu’un à la fête. Tesni n’était pas là, pourtant il savait qu’elle était bien arrivée à bon port. Elle était si voyante d’habitude, impossible de la louper, ses beaux cheveux blonds la trahissaient à coup sûr. Était-elle malade ? Avait-elle besoin de repos ? Deghan continua donc la soirée en s’inquiétant quand même un peu. Ce ne fut que le lendemain quand il ne revit pas Tesni qu’il commença à deviner quelque chose de louche. On lui dit que c’était normal, qu’elle aimait bien s’isoler. Deghan ne comprenait pas bien ce qui pouvait pousser sa cousine à faire cela. Cependant dans un premier temps il attendit, parce qu’on lui assura que c’était mieux ainsi qu’il fallait la laisser se reposer. Puis, le temps passa et la famille entière commença à s’inquiéter. Puis, l’heure du repas été proche. Ivanna ne put s’empêcher de commencer à parler mariage… Le mariage ? Hum. Il y avait l’air d’avoir un certain consensus sur le sujet, sur le fait qu’il devait trouver une bonne épouse. Le jeune ondin n’avait pas trop envie d’avoir beaucoup d’enfants qu’il n’élèverait pour ainsi dire pas. Il n’avait pas envie de faire ressentir à ses enfants ce qu’il avait ressenti. Deghan se proposa donc spontanément pour aller chercher sa cousine et fonça vers la forêt. On lui donna des indications pour qu’il puisse facilement la retrouver. Il chercha quelque temps, et pour tout dire il ne l’aurait pas forcément vu s’il n’avait pas entendu un bruit venant d’un très gros animal. Vraiment très gros. C’est là qu’il vit Tesni et qu’il entendit son chant. Son chant était vraiment différent d’habitude, ce qui n’était pas pour plaire au jeune homme. Il ressentait presque une hostilité, puis il y avait comme un deuxième chant dans les environs. Il y avait vraiment quelque chose de louche. Deghan avait peur. Il se sentait traquer par une force inconnue. Il commença néanmoins par affirmer la raison principale de sa présence.

— Tesni, le repas est bientôt prêt. Et la famille s’inquiète.

Dis Deghan qui regardait tout sauf Tesni. Avec un peu de recul, il s’aperçut que Tesni n’avait pas l’air si anxieuse que ça avec ses bras croisés et qu’elle avait l’air d’aller bien. Certes, cousine avait toujours l'air d'être contrarié, et le jeune ondin n'arrivait toujours pas à en comprendre les raisons. La curiosité l'emporta cependant, et il commença à poser beaucoup de questions.

— Tu as croisé un gros animal Tesni ? J’ai l’impression que les branches ont été secouées, regarde elles bougent encore!

Il ne s’approcha pourtant pas, s’attendant à voir l’animal surgir d’une seconde à l’autre.

— Il ne t’a pas fait mal ? C’était quoi ? Tu as eu le temps de le voir ?

Les questions s’enchainèrent plus vite que lui-même l’aurait voulu. La créature n’avait pas dû aller loin, les créatures s’arrêtaient souvent quand elles se sentaient cachées, sûrement pour éviter de faire du bruit. En même temps, le marin était curieux. Il n’avait jamais entendu parler d’une créature aussi grosse dans les bois. Les océans regorgeaient de créatures immenses, et c’était sans compter sur les histoires de marins qui parlaient de créatures dépassant toute cohérence. Malgré sa peur, son imagination commençait à prendre le dessus, et il se dit que si la créature n’avait pas blessé Tesni, ni lui, elle n’était pas si méchante que ça. Beaucoup d’animaux pouvaient faire mal, mais seulement quand eux même avaient peur. Il commença donc à regarder intensément vers l’endroit qui avait marqué un mouvement en espérant voir quelque chose. Il s’attendait presque à un bruit comme pour dire « je suis là, mais ne t’approche pas ».

— Tu crois qu’elle est toujours là ?

Un sourire apparu sur le visage de Deghan. Enfin quelque chose de nouveau ? si près du village ? C’était incroyable. Il pourrait raconter ça à tous les gens du village.

Malheureusement pour la tranquillité de Tesni, l’intrus ne passait pas son chemin sans la repérer. Pire, il la cherchait et s’arrêtait pour lui parler. Enfin, pire… En réalité, ce n’était pas si terrible, puisque l’intrus en question était un de ses cousins et même un de ceux qu’elle appréciait plutôt. À l’irritation première de voir son moment de tranquillité interrompu succéda le soulagement de reconnaître Deghan – et non un villageois quelconque – saupoudré d’un peu de honte pour avoir inquiété le reste de la famille. Un rapide coup d’œil au ciel lui apprit que le jeune homme n’exagérait pas et que Solyae avait effectivement bien avancé sa course dans le ciel. Plus encore que ce qu’elle imaginait. Nainsí et les autres devaient effectivement se demander où elle était passée.

Elle réprima un soupir et se leva de son siège, en époussetant machinalement ses vêtements, comme elle l’aurait fait pour son uniforme. Lorsqu’elle n’était pas en service, et plus encore lorsqu’elle était en vacances, elle ne prêtait pas une grande attention à sa tenue. Elle prenait soin de ses vêtements, comme de toutes ses affaires, mais les notions de mode ou d’élégance lui passaient bien au-dessus de la tête. En revanche, elle faisait toujours en sorte que son uniforme soit le plus impeccable possible. Il en allait de l’image de son Escadron et de son Kaerl…

Sauf qu’elle était en vacances, et ni son cousin ni sa famille ne savaient qu’elle n’était pas une simple navigatrice.

« C’est vrai qu’il est tard, je n’ai pas fait attention à l’heure, s’excusa Tesni. Allons-y, je ne voulais pas… »

... inquiéter la famille.

Elle n’eut toutefois pas le temps de terminer sa phrase ou de rejoindre son cousin sur le chemin que celui-ci lui posait des questions à propos… d’un gros animal ?

« Quoi ? »

La demi-sang leva à nouveau les yeux, mais vers les arbres ce coup-ci, pour constater qu’il avait encore une fois raison. Les branches bougeaient.

Et merde.

*Bravo pour la discrétion.*
*Tu peux parler, tu ne l’as pas entendu arriver non plus.*
*Mais c’est à moi de rattraper le coup maintenant.*

« Je vais bien, affirma donc la jeune femme. Et je n’ai rien remarqué d’anormal, ça doit être le vent. »

Ce n’était pas faut, techniquement. Zornith n’avait rien d’anormal pour quelqu’un qui connaissait son existence. Mais elle se doutait que ses paroles ne suffiraient pas à son cousin. Il était trop curieux – et avait un côté trop intuitif – pour se contenter de ça. Et elle ne voyait pas ce qu’elle allait bien pouvoir ajouter pour le convaincre d’en rester là.

*Rien. Il n’y a pas besoin d’excuse, il a le Don.*
*Quoi ?!*

Incrédule, Tesni dut faire appel à toute sa maîtrise d’elle-même pour ne pas de tourner vers les bois et jeter un regard noir à sa dragonne.

*C’est une blague ?*
*Non. Il a le Don.*
*N’importe quoi. Ça fait dix ans qu’on vient ici, tu l’aurais senti avant.*
*Je ne l’ai jamais vu de si près.*
*Ça ne t’a jamais gênée jusque-là.*
*Alors peut-être que son Don ne s’était pas révélé avant. Je ne sais pas. Mais là, il l’a.*

En tout cas, Don de Flarmya ou pas, il possédait celui de poser des questions gênantes et de ne pas lâcher le morceau quand il avait une idée en tête.

*Ça me rappelle quelqu’un.*
*Je me passe très bien de tes commentaires, tu sais.*

Agacée de se retrouver dans une situation qu’elle n’avait pas envisagée, prise entre les affirmations calmes et imperturbables de sa Liée et les questions curieuses de son cousin, Tesni ferma les yeux une seconde comme si ne plus la voir pouvait faire disparaître la scène.  Hélas, quand elle rouvrit les paupières, une fraction de seconde plus tard, non seulement rien n’avait changé, mais en plus elle ne put manquer le sourire de Deghan. Ô Kainalu et Flarmya ! Il paraissait à deux doigts de bondir dans la forêt à la recherche de la grosse bête qu’il imaginait s’y trouver. Avec raison, mais là n’était pas la question.

Avec un soupir, qu’elle ne chercha pas à réprimer cette fois, la demi-sang rendit les armes et se laissa retomber plus qu’elle ne se rassit sur la pierre qu’elle occupait quelques instants plus tôt.

« D’accord, tu as deviné juste. Il y a bien quelque chose, je l’ai vu, il ne m’a pas fait mal et il est toujours là. Mais avant que je t’explique quoi que ce soit, tu dois me promettre de garder le secret. »

Ses yeux bleus se posèrent sur son cousin, cherchant à capter son regard, histoire de s’assurer de la sincérité de son serment. Il y avait des choses avec lesquelles on ne transigeait pas. Le secret autour de l’existence des dragons en faisait évidemment partie, tout comme le respect de la parole donnée. Connaissant Deghan comme elle le connaissait, Tesni craignait qu’il n’aille raconter son aventure à tout le monde, et elle ne voyait qu’une promesse obtenue avant la révélation pour éviter ce désastre.

« Je suis sérieuse, insista donc la jeune femme. Tu ne dois répéter ce que je vais te dire à personne, ni ici, ni ailleurs. Pas même à la famille. »

La famille justement… Elle allait les attendre parce qu’ils n’étaient pas rentrés. Tant pis. Nainsí et ses frères et sœurs savaient bien qu’elle avait tendance à vadrouiller un peu. Ils ne s'inquièteraient pas trop. Du moins l’espérait-elle.

Tesni était vraiment très étrange, il avait vraiment l'impression de la gêner. Il ne comprenait pas très bien pourquoi, toutefois, elle se leva et commença à lui dire qu'elle n'avait pas fait attention à l'heure. Et lorsque, il lui parla de la créature, elle eut l'air surprise, leva les yeux et dit que ce n'était que le vent. C'était impossible, et cousine devaitbien le savoir, ça en était presque inquiétant, pourtant Tesni ne mentait jamais... Ne s'était elle vraiment rendu compte de rien? Qu'est-ce qui se passait? Puis, il sentait bien deux chants différents et celui de Tesni était vraiment étrange, il n'avait jamais ressenti ça chez elle. C'était le chant brutal des vagues qui s'écrasent sur les rochers avec une certaine violence. L'autre chant était plus calme et plus apaisez.

-Mais Tesni, ça ne se peut pas, regarde, il n’y a pas de vent.

Dis Deghan d'un ton un peu inquiet. Elle ne l'écoutait pas, quelque chose la troublait, de plus elle sembla perdue dans ses pensées. Puis elle regardait vers les branches, elle devait s'apercevoir qu'il avait raison. Avoir une énorme créature qui passe près de soi et qu'on ne ressent même pas devait choquer. Cela pouvait  aussi expliquer, en partie, le chant de Tesni. En effet, cette dernière se retrouvait à devoir faire avec des évènements qu'elle n'avait pas prévus. Son excitation en fut presque décuplée, il y avait bien quelque chose. Il savait qu'il y avait de fortes chances qu'il ne trouve rien, néanmoins sa curiosité était trop forte, il se devait d'essayer. Autant pour rassurer sa cousine que pour la sensation d'aventure, il se mit à sourire et celui-ci dut traverser tout son visage. Soudain, sa cousine soupira fort et s'effondra comme si elle était épuisée. Deghan eut un réflexe où il se projeta vers l'avant comme pour rattraper sa cousine, en espérant qu'elle n'avait rien. L'émotion qu'elle ressentait était donc si forte que ça?

Ce fut à ce moment-là qu'elle lui avoua qu'il avait bien une grosse bête, Tesni avait donc menti? Le visage de Deghan prit une marque de tristesse, et il sentit que son cœur se brisait, comme s'il avait été trahi. D'aussi loin qu'il s'en souvienne cela n'était jamais arrivé, à moins qu'il ne l'eût jamais remarqué? Maintenant, il doutait. Bien sûr, il avait déjà connu des petites trahisons dans le genre... mais là c'était Tesni...  Toutefois, vu l'état de sa cousine et sa demande de promesse, il comprit très rapidement que c'était important. Cela atténua sa peine, et puis il saurait bientôt de quoi il retournait, puis la jeune femme allait bien et c'était le principal. Toutefois, cette même jeune femme le regardait avec beaucoup d'intensité. Elle insista aussi sur le fait de ce que pouvait impliquer sa promesse. Cette situation lui rappela le maitre ébéniste qui l'avait formé à bord du navire, sévère, mais juste. Il y avait une forme de solennité comme lors des grands évènements, où on allait dire des informations qui risquaient d'influencer tout le navire. Il n'hésita donc pas longtemps. Il retrouva la confiance.

-Promit Tesni, ça sera notre secret.

Il prit le ton sérieux qui allait avec pour bien marqué qu'il avait compris que ce n'était pas un jeu. Cela lui serra le cœur qu'il devrait cacher ce qu'il apprendrait à ses amis et à sa famille. Il devrait sûrement mentir à son tour, et cela lui fit énormément de peine. Son regard dut refléter cette tristesse, mais aussi sa détermination. Toutefois, l'autorité de Tesni et sa confiance en elle prirent le dessus. Il savait que c'était important. Puis, il avait confiance. Si Tesni avait menti alors c'était qu'elle n'avait pas eu le choix. Elle avait fait ça pour protéger son navire.

Evidemment que ça ne pouvait pas être le vent puisqu’il n’y en avait pas. Deghan n’était pas idiot… et Tesni, elle, avait totalement conscience d’être particulièrement nulle pour ce qui était de mentir. C’était bien pour ça qu’elle se débrouillait pour ne pas avoir à raconter d’histoires : elle se contentait de taire ce qu’il ne fallait pas dire et, pour le reste, de coller le plus possible à la réalité. Ça marchait bien en général. La preuve : aucun membre de sa famille ne s’était jamais posé de questions sur son véritable métier. Mais là, elle n’avait pas d’excuse toute prête pour expliquer les remous causés par la présence de Zornith… et ladite Zornith ne l’aidait pas. Comment ça, son cousin avait le Don ? Aucun des habitants du village n’avait jamais été détecté par la dragonne depuis dix ans qu’elles venaient passer leurs vacances à proximité, et Tesni avait donc toujours cru que le Don de Flarmya lui venait de sa mère. Cette fëalocë inconnue qui, non contente de l’abandonner, avait fait d’elle une bâtarde et une sang-mêlé, lui aurait moins légué quelque chose… Mais non, même pas.

En tout cas, Don ou pas, les émotions de Deghan se lisaient toujours aussi facilement sur son visage, comme dans un livre ouvert. La maîtresse bleue ne put donc pas manquer sa déception. Elle se mordit la lèvre. Elle l’avait déçu. Forcément. Qui ne décevait-elle pas, hein ?

*Moi. Même si tu es un brin pénible parfois.*

Tesni ignora soigneusement la réponse de sa Liée, tout en tâchant de repousser son sentiment de culpabilité, pour se concentrer sur son cousin et insister sur l’importance du secret. La promesse qu’elle exigeait n’était pas facile, elle le savait, mais elle était essentielle. Ne pas pouvoir la vérité à ses amis et à sa famille risquait de peser à Deghan qui n’avait jamais fait preuve de duplicité – du moins, pas à sa connaissance – mais elle avait confiance en lui et dans sa capacité à respecter son serment. Aussi hocha-t-elle la tête quand il promit très sérieusement de garder le secret.

« Très bien. »

Elle prit une seconde pour ordonner ses pensées. Son cousin la regardait avec des yeux plein de détermination et elle savait qu’il brûlait de curiosité, mais elle ne pouvait pas lui annoncer de but en blanc que la grosse bestiole qui se cachait dans les bois était un dragon, qu’il devait venir avec elle s’il voulait avoir une chance de rencontrer son âme-sœur et… qu’elle lui avait donc menti depuis dix ans sur son mode de vie et son métier. Il n’était pas le premier Doué à qui elle devait révéler le secret des enfants de Flarmya, mais c’était bien la première fois que ça lui semblait si compliqué.

*Et si tu faisais comme s’il s’agissait d’un aspirant quelconque ?*
*Ce n’est pas le cas, tu le sais bien.*
*Essaie quand même.*

De toute façon, elle n’avait pas trop d’autre choix, hein ?

« Déjà, je te promets que tu ne risques rien, d’accord ? Quelle que soit la taille de la créature derrière moi, elle ne te fera pas de mal. »

*Tu tergiverses.*
*Fiche-moi la paix.*

« J’imagine que tu as entendu plein d’histoires et de légendes au cours de tes voyages, reprit donc la sang-mêlé. Est-ce que tu t’es déjà demandé si certaines d’entre elles avaient un fond de vérité ? »

*Tu tournes encore autour du pot.*
*Oh, c’est bon, laisse-moi deux minutes.*
*Je peux sortir du bois sinon, ça ira plus vite.*

Tesni réprima un soupir, agacée par l’insistance de sa Liée et un peu inquiète de la réaction de son cousin. Même si elle savait, au fond, que la dragonne avait raison. Elle ne faisait que reculer pour mieux sauter.

« Est-ce que tu as entendu parler des enfants de la déesse Flarmya ? finit-elle donc par demander. Les dragons ? »

Il ressentait toujours un grand tumulte dans Tesni. Si Deghan avait pu être tenté de lui en vouloir de devoir garder un secret au début, maintenant il ne l’était plus du tout. Visiblement ce secret, c’était du sérieux de chez sérieux. Pour peu, il aurait bien voulu la prendre dans ses bras et lui dire que ce qu’elle avait à dire n’était pas si terrible. Qu’il ne fallait pas s’en faire, que la famille était là. Pour un peu, il lui aurait bien proposé une réunion familiale pour qu’elle parle de son problème et que chacun apporte une solution au problème de Tesni, mais il avait promis… Zut. C’était embêtant les promesses, mais il n’avait aucune envie de revenir en arrière. Il eut donc un mélange de peur et d’excitation renouvelé. Cependant, il resta aussi calme que possible, pourtant ce n’était pas l’envie de sauter sur place qui lui manquait et de sortir un “aller Tesni’. Cependant, cela aurait juste perturbé encore plus cousine, il le savait. La situation avait déjà l’air assez délicate à gérer pour elle. Puis, elle avait déjà l'air d'être dans une grande discussion intérieure qui n'avait pas l'air si agréable que ça.

La question qu’elle lui posa fut assez décevante en vrai, mais il présuma que c’était pour le préparer pour la suite. En gros, comme si on lui disait “alors petit, la vie en mer ça te tente? Tu sais, c’est dangereux”. Il savait, et sa propre expérience n’avait pas démenti les faits, mais il n’empêchait pas qu’il était déterminé. C’était le destin de tous les marins d’affronter le danger, mais aussi de voyager.

-J’ai confiance en toi Tesni, dit Deghan quand il vit que sa cousine était inquiète quant à ce qu’il pouvait voir. Il lui prit aussi la main dans la foulée pour rassurer cousine. Puis la bête ne t’a pas fait de mal, elle ne doit donc pas être agressive.

Il écouta donc aussi attentivement que possible ce que lui disait cousine, visiblement elle était en grand trouble intérieur. Deghan ne doutait donc pas une seule seconde que cela était très important. Son chant était celui de la mer agitée désormais, si chaotique… Puis il y avait toujours le deuxième chant qui était beaucoup plus stable, mais plus fort. La suite des questions était plus étrange, bien sûr qu’il avait entendu beaucoup de légendes, et qu’il s’était beaucoup demandé si cela était vrai ou non. Cependant, il savait que tout n’était pas vrai, surtout quand les dit légendes parlaient du mode de vie des ondins… Cela jeter le doute sur un peu tout le reste. Cela dit, beaucoup avaient éveillé son intérêt. Il n’empêchait qu’il n’avait pas eu le temps de répondre que cousine précisa sa pensée. Il eut juste le temps de faire un petit “oui” de la tête. Elle lui parla des dragons… la créature qui se cachait était donc un dragon? Un mélange de peur et de joie se mélangea dans Deghan, il eut un petit mouvement de recul de réflexe en regardant tout autour de lui… Toujours rien. Il s’empressa donc de répondre à Tesni.

-Oui, on en parle souvent, mais souvent ce n’est jamais la même version suivant les villages voire suivant les gens. C’est ennuyeux. D’après ce que j’ai pu retenir, il y a les gentils dragons blancs et les méchants dragons noirs. Il y a aussi les dragons rouges qui vivent dans les volcans, on m’a parlé aussi des dragons verts et bleus, j’ai toujours pensé que c’était du coup les dragons des forêts et des mers. Il parait qu’ils existent toujours, mais qu’on ne les voit jamais et que ça remonterait d’une race très ancienne aujourd’hui disparut. Ça, tout le monde semble d’accord là-dessus, même si le nom de la race change suivant les endroits. Parait qu'ils étaient très méchants, et cruels et que les dieux les ont punis pour leur méchanceté. J'ai pas tout à fait compris le lien avec les dragons, mais ça avait l'air important.

Il sortit donc sa conclusion sans prévenir.

-Tu as vu un dragon des mers Tesni? Tu veux garder le secret parce que tu as peur qu’on lui fasse du mal?

Après tout, si on ne les voyait jamais, c'était parce qu'ils avaient peur, non? Tout un tas de sentiments contradictoires envahit Deghan et tout un tas de questions aussi.

-Où l’as-tu vu? Tu lui as donné un nom? Il aime le poisson ? Tu veux que je lui en apporte?

Ce fut à cette dernière idée qu'il pensa que sa famille devait les attendre, lui et Tesni. Deghan eut de nouveau le cœur qui se serra en comprenant que la situation exige qu'ils attendent.

Non, définitivement, Deghan n’était pas idiot. Sa réponse était logique, du moins en ce qui concernait la non agressivité de la « bête » – et nettement moins pour ce qui était de la confiance qu’il lui accordait ; pourquoi, par Flarmya, lui faisait-il confiance ainsi ? – *Parce que tu le mérites.* – et Tesni se sentit à nouveau un peu stupide. Son cousin soutenait son regard avec son air à la fois curieux et déterminé et attendait avec patience et calme qu’elle… et bien, qu’elle cesse de tourner autour du pot, comme disait Zornith. Ses hésitations étaient ridicules. Il allait bien falloir qu’elle finisse par lui dire la vérité et plus elle attendrait, plus ce serait compliqué.

*Qu’est-ce que je disais ?*

La demi-sang ignora la remarque un brin suffisante de sa Liée pour se concentrer sur sa conversation avec Deghan. Lui demander ce qu’il savait des dragons lui semblait un bon point de départ… et la réponse de son cousin la conforta dans son idée tout en la faisant soupirer intérieurement. Par Zakeriel, comment pouvait-il avoir entendu tant d'inepties ? Les prêtres de Flarmya n’étaient-ils pas censés veiller à ce que les légendes ne s’éloignent pas trop de la réalité ? À moins que le peu d’éléments presque corrects dans toutes ces histoires leur suffisent ? Comment était-elle censée rattraper le coup, maintenant ?

*En lui disant la vérité, comme à n’importe quel porteur du Don ?* suggéra Zornith, blasée.
*Ça m’aide beaucoup.* grinça Tesni.

Mais avant qu’elle ait pu ouvrir la bouche, Deghan posait à son tour une question. Puis une autre. Et encore une autre. Sa curiosité débordait soudain, visiblement alimentée par son esprit logique – après tout, c’était elle qui avait évoqué les dragons en premier – le peu qu’il croyait savoir et son imagination. Et, malgré elle, l’enthousiasme de son cousin fit naître un sourire sur les lèvres de la jeune femme. Les mots lui vinrent spontanément, comme si les interrogations du garçon lui faisait oublier ses appréhensions.

« Calme-toi, tu t’emballes, répondit-elle donc. Il n’y a pas de dragons des mers, pas plus que des forêts ou des volcans. Du moins, pas comme tu l’imagines. »

Parce que, techniquement, les Ardents vivaient bien dans un volcan avec des dragonnes rouges et les Engloutis venaient bien de la mer… même si leurs dragons n’étaient pas tous bleus.

« Mais les dragons existent bel et bien, et de différentes couleurs. Certains traits de caractère sont plus fréquents selon les couleurs mais on ne peut pas les classer en gentil et méchants… – quoique les Incarnates soient forcément mauvaises – et c’est du détail. »

Et on n’en était pas encore là. Avant de parler des couleurs et des Kaerls, il fallait commencer par le commencement. Tesni jeta un regard derrière elle, vers les arbres qui avaient attiré l’attention de Deghan et la dragonne qu’ils cachaient.

« Tu as deviné juste, il y a bien un dragon. Ou plutôt, une dragonne. Elle s’appelle Zornith. Et son existence et celle de ses semblables doit rester secrète. »

Mais ladite Zornith décida qu’elle en avait assez de toutes ces précautions oratoires. Elle fit quelques pas en avant de sorte que sa tête et le haut de son cou puissent sortir du couvert des arbres et s’offrir au regard de l’ondin.

*Bonjour Deghan.*

Comment ça il n'y avait pas de dragons des mers? Il espérait déjà qu'ils protégeaient en secret les navires des marins vertueux qui ont prié les bons Dieux et que c'était ça les formes étranges qu'on pouvait voir au fond de l'eau si on observait suffisamment longtemps. Cependant, Deghan comprit qu'il valait mieux éviter de continuer à faire part de ces théories à Tesni. Puis pourquoi elle lui avait dit "pas comme tu l'imagines" cela voulait donc dire qu'il existait bien des dragons de ces couleurs et vivants dans ses milieux? Le jeune ondin avait du mal à tenir en place tellement il était excité, mais il essayait quand même de faire bonne figure parce qu'il avait fait une promesse et que c'était un moment solennel et qu'il ne fallait pas tout gâcher. Cependant, même cousine souriait et c'était un joli sourire, cela lui mit du baume au cœur et lui donna envie de continuer à poser tout un tas de questions. Cependant, elle lui allait aussi qu'il ne fallait pas s'emballer, et Tesni allait tout lui dire. Il ne put s'empêcher de lâcher un:

-Ça veut dire qu'il y a bien plusieurs types de dragons, c'est lesquels? J'ai bon au niveau des couleurs?

Il n'y avait donc pas de gentils et de méchants dragons suivant les couleurs qu'ils avaient? Cela dépendait donc du caractère des dragons? Cela semblait cohérent en vrai, mais qui pouvait remettre en question l'histoire des colporteurs et des bardes qui racontaient leurs histoires dans les tavernes? Deghan avait toujours su que ces histoires n'étaient pas vraies parce qu'il y avait trop de versions différentes. Il était néanmoins triste qu'il n’existe pas des dragons des forêts et des mers, cela aurait été trop bien. Il imaginait déjà les dragons de mer suivre les bateaux de marins pour aider les naufragés et les apporter sur des plages où ils seraient en toute sureté. Il ne posa même pas la question à Tesni. Certainement, un subtil mélange de l'envie de garder espoir et de ne pas paraitre ridicule. Cependant, maintenant qu'il avait la certitude que les dragons existaient, il essayait de se souvenir de toutes les histoires qu'il avait entendues sur le sujet pour pouvoir poser des questions dessus. 

Puis cousine lui parla de sa dragonne, et Deghan écouta avec un vif intérêt et des yeux brillants. Cependant, il ne se doutait pas que cela allait signifier aussi que la dragonne allait apparaitre rapidement. Un vent de panique prit le marin qui eut soudain peur, mais il se ressaisit vite, puis le chant de la créature n'était pas menaçant. Elle lui dit même bonjour avec son prénom.

-Bonjour Zortnith!


Répondit simplement Deghan par réflexe comme si tout était normal. Toutefois, quelque chose était louche dans sa manière de parler, comme si, ça communiquer directement avec... Enfin sans passé par ses oreilles quoi.

-Pourquoi de si magnifiques créatures devraient-elles rester discrètes? Vous utilisez quel schéma pour communiquer c'est bizarre, comme si vos paroles ne passaient pas par mes oreilles.

Dit-il sous la forme d'innocentes interrogations, car cela faisait vraiment étrange de dire de tels propos. Peut-être avait-il envie de paraitre plaisant et de faire un peu de charme. Après tout, il était certain que peu de gens avaient eu la chance de rencontrer un dragon. D'ailleurs, il était peut-être inopportun de l'embêter avec de pareilles questions sans y avoir été invité. Puis il s'aperçut du statut que pouvait avoir pareil créature et commença à s'affoler et continua à poser des questions d'un ton plus rapide et plus stressé :

- Mais où ai-je la tête, vivre en foret ça doit être inconfortable, tu as surement besoin de quelque chose pour te sentir plus à l'aise. Tu veux que je fasse quoi pour rendre ton séjour plus confortable?

Deghan était malgré tout heureux à l'idée de pouvoir apporter un peu d'aide à un dragon. Il était juste dommage qu'il ne puisse pas en parler, et cela continuer à l'embêter un peu, quoique de moins en moins. Cela dit, il ne savait pas comment il allait pouvoir faire pour apporter autant de matériel tout en restant discret. Cela commençait à tourner trop vite dans sa tête, il n’avait pas l'habitude d'être discret.

L’excitation de Deghan était presque palpable et il semblait avoir oublié toute inquiétude ou déception. Sa curiosité et son enthousiasme avaient permis à Tesni de trouver les mots pour aborder vraiment le cœur du sujet et cesser de tourner autour du pot mais, malgré ses incitations à se calmer, il ne pouvait visiblement pas retenir de nouvelles questions. Mais si elle commençait à lui répondre, à détailler les trois Ordres Draconiques, les Kaerls qui les hébergeaient et les différentes couleurs de dragons ainsi que leurs principaux traits de caractère, ils n’en finiraient jamais et il ne ferait pas la connaissance de Zornith avant longtemps.

« Je t’expliquerai tout ça après, déclara donc la jeune femme, il y a plus urgent avant. »

Comme lui assurer que la grosse bestiole qui se cachait derrière les arbres était bien une dragonne, lui apprendre son nom, lui répéter que son existence devait rester secrète et… et le laisser faire connaissance avec la bleue qui en avait plus qu’assez d’attendre cachée derrière son rideau végétal.

Le premier mouvement de panique de l’ondin n’échappa ni à la dragonne ni à sa Liée mais Tesni nota avec une pointe de fierté qu’il se ressaisissait vite. Deghan était son cousin, de la famille de Cárthach Muír, il ne pouvait pas être couard. Et il répondait naturellement à Zornith, prouvant ainsi que la bleue avait raison et qu’il était bien Doué du Don d’entendre les enfants de Flarmya. Mais Doué ou pas, il n’en restait pas moins prêt à poser tout plein de nouvelles questions. La demi-sang s’apprêtait à lui raconter l’histoire des Valherus afin de lui expliquer la raison du secret autour de Tol Orëa et de ses habitants, mais la dragonne la devança en laissant échapper un petit rire mental – qui se traduisit par un léger grondement audible.

*Tu as raison, mes paroles ne passent pas par tes oreilles, comme tu dis ; je m’adresse directement à ton esprit. Mais tu n’es pas obligé de me vouvoyer, tu sais, tu peux me dire « tu ».*

Tesni, qui ouvrait déjà la bouche pour donner plus d’information à son cousin sur le Don et la manière dont il pouvait communiquer avec Zornith et les autres dragons, en resta bouche bée et jeta un regard incrédule à sa Liée.

*Tu veux qu’il te tutoie ?*

La bleue était en général plutôt à cheval sur les usages et les conventions, à commencer par la politesse. Certains l’auraient sans doute qualifiée d’hautaine mais ils ne la connaissaient pas. Elle cachait des réserves de tendresse derrière ses écailles sombres. Seulement, elle n’en faisait pas profiter n’importe qui. Seuls quelques privilégiés y avaient droit et certainement pas des inconnus.

*Ça te surprend ? Pourtant, c’est ton « cousin, » non ? Vous êtes de la même Lignée.*

La notion de famille était un peu abstraite pour la dragonne mais elle comprenait les liens du sang.

*Et puis ce n’est qu’un dragonneau encore.*
*Il a dix-huit ans, il est considéré comme un homme ici.*
*Il a l’esprit jeune et vif d’un dragonneau,* répéta Zornith d’un ton sans réplique.

Que pouvait-elle répondre à ça ? Rien, sans doute, et d’autant moins que Deghan reprenait la parole. Son aparté avec sa Liée avait fait perdre à Tesni le fil de ce qu’elle voulait dire à son cousin, mais elle n’eut pas de mal à reprendre pied dans la réalité à ses nouvelles questions. Qui s’enchaînaient à nouveau avec rapidité même si, cette fois, elles ne semblaient pas que le fruit de la curiosité. C’était elle ou il s’affolait pour rien, d’un coup ?

« Hey, calme-toi, émit la jeune femme, en se levant de sa pierre pour poser une main apaisante sur l’épaule du garçon. Tu n’as pas besoin de t’agiter comme ça. »

*Tout va très bien, ne t’en fais pas, appuya Zornith, apaisante. Je te remercie de ton inquiétude mais j’ai tout ce qu’il me faut.*

Ce n’était pas comme s’il lui suffisait de s’élever à la lisière de la canopée et d’un passage dans l’Interstice pour aller partout où elle le souhaitait sur le Rhaëg, qu’il s’agisse de son Kaerl, de n’importe quel terrain de chasse ou d’une baie tropicale pour se laver, mais un peu quand même. Sauf qu’il ne pouvait pas encore le savoir puisque Tesni ne lui avait pas parlé des capacités des enfants de Flarmya. Elle faisait tout dans le désordre aujourd’hui, songea la bleue, un peu désabusée. Pourtant, de sa Lignée ou pas, le petit restait un aspirant comme un autre.

*Je suis contente d’avoir fait ta connaissance, reprit donc la dragonne, tranquillement. Maintenant, Tesni va pouvoir t’expliquer tout ce que tu dois savoir. Mais ça risque de prendre du temps, c’est assez compliqué.*

*Merci,* grinça la sang-mêlé.
*De rien.*

Satisfaite d’avoir fait sa part et enclenché la partie intéressante de la conversation, Zornith se coucha entre les arbres, avançant ses antérieurs en-dehors de l’ombre de la forêt pour pouvoir poser son cou et sa tête dessus. Le reste ne dépendait plus d’elle, même si elle comptait bien garder un œil et une oreille – et une part d’esprit – sur la discussion, histoire de remettre sa Liée dans le droit chemin en cas de besoin. Liée qui tapota gentiment l’épaule de Deghan, dans un geste un peu embarrassé, tandis qu’elle essayait de remettre un peu d’ordre dans ses pensées. Entre les questions du garçon et les interventions de la dragonne, elle ne savait plus trop où elle en était. Une chose était sûre, en tout cas, il commençait à se faire tard et se rasseoir sur la pierre n’était plus à l’ordre du jour.

« Écoute, Deghan, reprit-elle finalement, comme dit Zornith, j’ai beaucoup de choses à te dire, et on est déjà en retard pour le déjeuner. Je te propose de commencer en rentrant et on reviendra ici cet après-midi pour continuer, d’accord ? »

Elle détailla une seconde son cousin.

« Tu te sens capable de garder le secret à la maison ? »

Pourquoi les réponses devaient-elles toujours venir après? Pourquoi devait il toujours patienter? Qu'est-ce qu'il y avait de si urgent? Tout ça participa à la frustration, et il faut bien le dire, à l'angoisse de Deghan. Toutefois, dans un premier temps, Zornith l’apaisa celle-ci lui donna même l'autorisation de la tutoyer, et Deghan en fut tout fier. Il avait le droit de tutoyer un dragon dont il doutait de l'existence il y a à peine quelques minutes.  Sans le minimum de retenue qu'exigeait la situation il aurait déjà couru dans tous les sens, cependant, il n'avait pas envie de faire mauvaise impression au premier dragon qu'il rencontrait. C'était un peu comme quand il voyait son chef sur le navire quoi. Puis, en plus ce dragon, lui parlait directement dans sa tête, ça c'était peut-être un peu flippant par contre, même si son chant ne semblait plutôt doux. Le même son que le vent qui gonflait les voiles les jours de bon vent.

Puis il y eut un flottement et le silence s’installa, comme s’il y avait un problème, quelque chose qu'il ne devait pas savoir. Puis la conversation repris et on lui dit que tout aller bien que la dragonne avait ce qu'il fallait, mais qu'il devait pas s’inquiéter. C'était facile à dire, mais Tesni était visiblement très perturbée et c'était la première fois qu'il la voyait bouche bée.  C'était dur de rester calme, il y avait trop d'émotions en lui, et tout un tas de questions encore à poser, en plus on ne lui répondait qu'à la moitié. Il avait donc envie de les reposer, mais on lui avait promis de tout lui expliquer plus tard. Il demanderait alors comment Zornith faisait pour être installé bien confortablement en foret et se nourrir. Toutefois, la dragonne conclu encore une fois qu'on lui raconterait ce qu'il avait envie de savoir mais elle disait aussi qu'elle était heureuse de l'avoir rencontré et ça, c'était cool. Tesni confirma la même chose.

On lui promettait de tout lui dire, mais il allait falloir attendre, et lui il voulait tout savoir maintenant et de suite. Toutefois, Deghan avait déjà appris maintes fois au cours de sa vie qu'il fallait être patient et qu'il devait donc prendre son mal en patience. De toute façon insisté ne changerait rien, car on lui redirait la même chose mais de manière moins cordiale. Il avait l'habitude, puis il entendit la voix d'Ivanna qui lui criait du village qu'il devait avant tout rendre la politesse au dragon.  Deghan se rendit compte alors compte que lui-même avait dû rester bouche bée sans vraiment dire de mots, et malgré le malström de questions qui commençait à poindre dans sa tête. Il prit le ton le plus respectueux et le plus calme qu'il pouvait, comme s'il parlait à son supérieur et prononça ainsi les mots suivant :

-Je suis content que tu n'ai besoin de rien, mais si quoi que ce soit te manque n'hésite pas à m'en faire part. Je suis aussi heureux de faire ta connaissance Zornith.

Il ne put s'empêcher néanmoins de poser sa question suivante qui fut tout naturellement:

-Tu peux lire dans mes pensées?

Pour le coup, il y avait une inquiétude dans sa voix, pas qu'il avait grand chose à cacher, mais il pouvait décider de ne pas parler quand il avait peur qu'on se moque de lui. Puis, s’il devait protéger un secret qu'on lui confiait... Il ferait comment face à un dragon qui voulait du mal à sa famille?

-Ça serait gênant, mais vous avez bien dû trouver un moyen contre ça, non?

La voix du petit ondin n’était pas si assurée et Deghan demandait très clairement a ce qu'on lui dise que tout allait bien. Il était probable que Tesni et Zornith parlaient entre elles, il n'en savait rien évidemment, mais cela paraissait tout d'un coup logique.

-Bien sûr, que je garderai le secret, je l'ai promis!

Dit Deghan un peu vexait, et qui comprenait toutefois toujours pas très bien pourquoi garder un tel secret. Cependant, il comprenait aussi que c'était très important, sinon cousine ne lui aurait pas répété. Le jeune ondin avait pourtant belle et bien envie de raconter sa découverte à tout le monde, alors dans un élan de lucidité il dit.

-Je te laisse expliquer pourquoi j'ai mis si longtemps à te trouver, je ne saurai pas quoi leur dire.

Ils risquaient aussi de lui demander ce qu'il n'allait pas, quand il était un peu silencieux et triste tout le monde commençait à s’inquiéter, il allait donc devoir trouver des sujets de conversations autre que le dragon... Et ça allait être très dure. Il marcha un moment avec Tesni en train de ruminer ses pensées puis soudain en s'approchant du village il dit :

-Je passe devant, et j'annonce ta venue.

Il couru en lançant des "Cousine est de retour", comme il l'aurait fait d'habitude.

Quelques flammèches vertes vinrent danser dans les yeux bleus de Zornith quand Deghan lui répondit avec calme et respect. Malgré son enthousiasme, le petit savait prendre sur lui et faire preuve de patience et de mesure. C’était bien. L’attrait pour la découverte et la volonté d’en apprendre plus sur les dragons étaient évidemment des qualités indispensables pour un futur aspirant, mais la dragonne attachait une grande importance au respect des bonnes manières. Elle était une fille de Flarmya, dépositaire de la mémoire de sa Lignée depuis des siècles, capable de prodiges que le petit ondin n’imaginait pas encore ; il était bien inspiré de la traiter avec déférence. Et, même si elle n’éprouvait aucun plaisir à intimider ses interlocuteurs, ses babines frémirent, dans une imitation de sourire, lorsque Deghan lui demanda si elle pouvait lire dans ses pensées.

*Non, ne t’en fais pas.*

« Zornith ne peut pas lire dans tes pensées comme dans un livre. Mais si tu formes tes pensées d’une certaine manière, elle pourra les entendre, comme si tu parlais, intervint Tesni. Tu pourras t’entraîner plus tard, si tu veux. »

Si tu veux.. Comme s’il avait le choix. S’il décidait de devenir aspirant et de rejoindre le Kaerl, il n’aurait pas trop la possibilité de ne pas vouloir. Mais encore fallait-il qu’il accepte de la suivre. Quand elle le lui aurait proposé. Plus tard. Ce n’était pas le moment. Ils devaient avoir une longue discussion et, comme la sang-mêlé en profita le rappeler à son cousin, on les attendait au village. Ils n’étaient plus à quelques heures près.

Elle hocha la tête quand il assura qu’il garderait le secret. Pour une fois, elle ne ressentait aucun remord à avoir posé la question, même si le jeune homme se sentait un peu vexé. Le secret autour de l’existence des dragons passait au-dessus de simples considérations d’égo personnel et, vu l’enthousiasme de son cousin, il ne lui paraissait pas inutile de lui rappeler qu’il devait garder le silence à propos de sa rencontre avec Zornith. Satisfaite, elle prit la direction du village sans plus d’hésitation. Et il n’y avait aucune hésitation non plus dans sa voix quand elle acquiesça aux paroles de Deghan.

« Aucun problème, je m’en occupe. »

Ce ne serait pas très difficile. Comme d’habitude, lorsqu’elle devait trouver une explication plausible, elle se contenterait du minimum. Moins elle s’écartait de la vérité, moins elle donnait de détails et moins elle risquait de voir ses mensonges éventés. Certains savaient raconter des histoires… Mais pas elle. Elle n’eut toutefois pas le temps de s’en inquiéter que Deghan déclara soudain qu’il passait devant et s’élança vers le village et la maison en criant.

*Tu vois ? Un dragonneau.*
*Je vois, soupira Tesni. J’espère qu’il va tenir sa promesse.*
*Au pire, j’arrangerai les choses.*
*Oui, enfin on parle d’une vingtaine de personnes, là. Au moins.*

L’inquiétude de la jeune femme n’était toutefois pas fondée. Quand elle atteignit la maison, elle put constater que le comportement des membres de sa famille n’avait rien d’inhabituel. Nainsí parut soulagée de la voir et l’invita à rejoindre la pièce principale où tout le monde se préparait à passer à table, Clíodhna l’accueillit d’un regard mi-exaspéré mi-blasé et Somhairle lui colla une bourrade dans l’épaule.

« On attendait plus que toi, Boucles d’Or.
— Oui, je sais, Deghan m’a dit. Désolée, ajouta-t-elle en jetant un regard d’excuse à sa belle-mère, je n’ai pas fait attention à l’heure, je suis allée plus loin que d’habitude.
— Ce n’est pas grave, répondit la maîtresse de maison. Tout le monde est là et c’est encore chaud. »

On aurait pu en rester là, mais Clío ne put s’empêcher de glisser un reproche à mi-voix à sa sœur.

« Tu aurais pu faire un effort. Maman s’inquiétait. Et ça ne donne pas un bon exemple aux enfants. »

Lesdits enfants rappelèrent son attention sur eux et Tesni put enfin se détendre. Elle était en terrain connu, au milieu de sa famille qui l’acceptait comme elle était, la cuisine de Nainsí et d’Ivanna était délicieuse – presqu’aussi bonne que celle de Meryll ou Kissare au Kaerl – et la conversation passait de l’un à l’autre des convives, émaillée de temps à autre d’un rappel à l’ordre pour un des enfants. Au bout d’un moment, toutefois, on commença à prendre des nouvelles des uns et des autres, à partager les derniers ragots du village ou à quémander des histoires de voyages aux marins revenus pour la nouvelle année. Comme tous les ans, la sang-mêlé ne se fit pas prier pour donner quelques anecdotes des contrées qu’elle avait visitées… même si elle les avait atteintes à dos de dragon plutôt que par voie de mer. Et, une fois le repas terminé, elle alla chercher les cadeaux qu’elle avait rapportés pour ses cousins. Qui une figurine de Bah’lir ou des plumes colorées de Qahra, qui un foulard en soie du Ssyl’Shar, etc.

Ce ne fut donc qu’au bout de plusieurs heures que les membres de la famille commencèrent à se séparer. Somhairle, sa femme et ses enfants retournèrent au moulin, Clíodhna reprit le chemin de chez elle avec sa petite famille et les autres en firent de même. Tesni en profita pour donner un coup de main à Nainsí, avant de s’excuser pour aller faire un tour. Rien d’étonnant quand on la connaissait. La seule différence avec ses habitudes, ce fut qu’elle jeta un regard entendu à son cousin avant de sortir. Et, une fois dehors, au lieu de prendre immédiatement la direction du bois, elle s’assit sur le muret devant la maison, le temps que Deghan la rejoigne.

*Tu vois ? Tout s’est bien passé.*
*Tu veux que je dise que tu avais raison, c’est ça ?*
*Tu t’inquiètes toujours pour rien.*

La jeune femme secoua la tête, avant d’accueillir son cousin avec un sourire.

« Alors, Bigorneau, tu es prêt ? Je suis sûr que tu as dix mille questions qui te sont venues pendant le repas. »

Elle prit la direction des bois – et de Zornith – mais attendit d’être hors de portée d’oreilles de la maison pour reprendre la parole.

« Tu as demandé tout à l’heure pourquoi les dragons devaient rester discrets et pourquoi leur existence était secrète. C’est parce que, sinon, les hommes ne voudraient pas se limiter à les côtoyer. Ils voudraient les utiliser, sans doute les chasser, acquérir toujours plus de pouvoir, avec eux ou contre eux. Il y a des centaines d’années, certains ont profité de leur Lien avec des dragons et de leur magie pour défier les dieux. Ils ont été anéantis. Et, depuis les dragons, sont cantonnés sur un seul continent, au sud-est : on l’appelle Tol Orëa ou la Terre de l’Aube. Ça te dit peut-être quelque chose ? »

Ça devrait. Tous les marins, tous les voyageurs avaient entendu parler du continent mythique. Certains croyaient à son existence, pour d’autres il n’était qu’une légende, mais une chose était sûre, il n’était pas facilement accessible. Entouré de courants marins dangereux, rares étaient les navires à oser s’en approcher, encore plus ceux qui en revenaient… et ceux-là n’en parlaient pas, jamais, puisqu’ils étaient tenus au secret s’ils souhaitaient pouvoir commercer avec la terre des dragons et ne pas subir de représailles. Mais, même ces marins privilégiés ne connaissaient qu’une infime partie de Tol Orëa. Ils n’avaient accès qu’à la Forteresse du Delta, à l’embouchure du Cenedril, et tous les mystères et les merveilles de la Terre de l’Aube leur étaient inconnus.

« Zornith est née là-bas, comme tous ses congénères. Et j’étais là à sa naissance, sans quoi elle n’aurait pas survécu. Les dragons, malgré leur puissance et leur magie, ont besoin de se Lier à un bipède quand ils cassent leur coquille. »

Ils arrivaient au bois mais, cette fois, Tesni ne se contenta pas de la pierre à la lisière de la forêt. Elle s’enfonça entre les arbres, histoire d’être certaine qu’ils ne seraient pas surpris. La bleue les attendait dans une clairière et, même si l’après-midi avançait, Solyae était encore suffisamment haut dans le ciel pour que sa lumière passe entre les feuilles et éclaire ses écailles bleu nuit. Deghan pouvait à présent la voir en entier, à moins qu’il ne se concentre sur sa tête qui s’abaissait vers la jeune femme. La sang-mêlé n’avait pas besoin de mot et, sans hésiter, tendit la main pour caresser le tour de l’œil de la dragonne dont les iris se teintèrent du vert du plaisir.

*C’est bien que tu sois revenu, Deghan.*

Il était rassuré, personne ne pouvait voir dans sa tête. Il était donc heureux de pas à avoir à contrôler ses pensées en plus de ses sentiments. Cela s’avérait possible, mais beaucoup plus compliqué. Après tout, lorsqu’il ressentait de l’inquiétude, il pensait différemment que quand il ressentait de la joie. Donc, si l’on pouvait maitriser ses émotions comme tout ondins aspirés alors on pouvait maitriser au moins un peu ses pensées. D’ailleurs, si l’on ressentait plus d’émotions, est-ce que l’on avait toujours des pensées ? Hum. Peut-être que les ondins étaient donc plus doués pour communiquer avec les dragons. Se dit Deghan non sans une pointe de fierté. C’était très pratique, et ça éviterait de donner l’impression qu’on parlait tout seul. Surtout si ça devait rester secret, ça éviterait donc de paraitre bizarre aux yeux des autres personnes. Les dragons ne connaissaient certainement pas d’autres moyens de communiquer ce qui rendait cette étape importante.

— Bien sûr que je veux apprendre comment faire. Heureusement qu’elle ne peut pas entendre tout, ça aurait été gênant, non

Dit Deghan avec une certaine fougue. Apprendre à faire vraiment des choses qu’il avait entendues seulement dans les histoires les plus folles et il ne voudrait pas ? Quelle drôle d’idée ! Puis, il était sûr que les dragons pourraient lui raconter tout plein d’histoires avec tout plein de points de vue différents. Quand le jeune ondin rejoignit sa famille, il dit juste qu’il l’avait dans les bois et qu’elle avait l’air d’aller bien. On le remercia et on l’invita à aller avec les jeunes ondins de son âge, souvent ses cousins frères ou sœurs. Super, il pouvait en raconter de nouvelles histoires maintenant, et puis aller au bord de la mer récolter d’autres coquillages. Puis il se souvint qu’il ne devait pas trop s’éloigner parce que Tesni risquait de l’attendre alors il se contenta de raconter ses histoires, et ses frères plus vieux que lui racontèrent les leurs. On lui donna beaucoup de conseils, et on lui posa beaucoup de questions sur son équipage. Il apprit aussi comment ça se passait chez les autres cousins et frères, et les histoires qu’ils avaient eux-mêmes entendu. Évidemment, le sujet que Deghan voulait absolument aborder c’était les dragons, mais… Un petit quelque chose l’en empêcha. Sûrement la promesse faite à Tesni. Quand cette dernière lui fit signe, il accourut.


— Oui, j’ai des questions ! Je peux choisir donc les pensées que Zornith peut entendre ? Puis, est-ce que je peux lui envoyer des chansons ? De la musique ? Des images ? Des odeurs ? Ça serait tellement chouette si l’on pouvait s’envoyer des images de ce que nous racontons !

Tesni lui demanda s’il était prêt, comme si quelque chose de vraiment important allait se produire, il prit un peu peur, mais décida de rester de marbre et de ne pas le montrer. Pourquoi les dragons devaient-ils rester cachés ? Sa supposition était donc bonne. Il écouta avec attention, le pourquoi ils devaient rester cachés. Pour éviter que tout le monde veuille se les approprier. Ils faisaient donc attention aux pillards et pirates eux aussi ? C’est un peu comme s’ils arrivaient à cacher leur navire ou leur village et c’était impressionnant. Des gens avaient voulu s’en prendre aux dieux, c’était insensé même avec des dragons.

— Ils étaient si puissants que ça pour oser défier les dieux ?  Dans quel but ? Ça n’a pas de sens.

Pour le coup, le petit ondin cherchait par tous les bouts une logique à cette histoire qu’il n’en trouva pas. C’était sûrement comme les morals de bardes à la fin qui disaient qu’il fallait toujours être gentil sinon quelqu’un nous punissait.

— Oui, bien sûr, la terre de l’aube me dit quelque chose, on raconte qu’elle a été engloutie par les eaux avec les méchants ! Enfin, parfois qu’elle existe toujours et que seuls quelques élus perdus en mer peuvent la voir s’ils ont le cœur pur.

Il pouvait continuer longtemps avec les différentes versions, sauf qu’il sentait que sa cousine n’allait valider aucune des versions, puisque visiblement elle existait toujours et l’on pouvait y aller au moins à dos de dragon. Par contre, il y avait peut-être un truc avec la singularité des individus qui pouvaient aller sur le continent.

— Seuls ceux qui peuvent entendre les dragons ont le droit d’y aller n’est-ce pas ?

Cette idée l’excita autant qu’elle lui faisait peur, mais le petit ondin la dit comme une question qui n’attendait qu’une réponse… Parce qu’il était évident qu’il n’y avait qu’une réponse possible.

— Je suis aussi content d’être revenu, Zornith.

Dit Deghan avec un sourire en se mettant à gratouiller autour de l’autre œil pour imiter Tesni.

— Pourquoi tes yeux deviennent-ils verts ? Dit-il en remarquant les changements de couleur.

Malgré son sang fëalocë, Tesni exprimait ses sentiments de manière bien moins visible que sa Liée. Si les yeux de Zornith, comme ceux de tous ses congénères, trahissaient facilement ses états d’âme, le visage de la sang-mêlé était généralement peu expressif. Pourtant la réponse enthousiaste de Deghan fit naître une ombre de sourire sur ses lèvres. Bien sûr qu’il voulait apprendre comment faire pour communiquer par la pensée avec la bleue… Mais il ne savait pas encore ce que ça impliquait vraiment. Il ne savait pas qu’en apprendre plus sur les dragons, leur vie et leurs capacités, c’était devenir Aspirant, c’était renoncer à sa vie de marin et à la mer – au moins pour un temps – et rejoindre Tol Orëa, c’était accepter de Lier son existence à celle d’un Enfant de Flarmya…

*Il ne le sait pas encore, mais ça va venir. Tu lui expliqueras tout à l’heure.*
*Et s’il refuse ?*
*Il oubliera. Mais ça n’arrivera pas.*

La dragonne était sûre d’elle, mais c n’était pas suffisant pour convaincre sa Liée. Elle fit néanmoins taire ses doutes, pour répondre à son cousin et prendre la direction de la maison. Chaque chose en son temps.

« On verra ça tout à l’heure, alors, » répondit-elle simplement avant que Deghan ne s’élance vers le village.

Elle suivit le garçon a un rythme plus modéré, consciente de la présence de Zornith dans son esprit. La dragonne ne quitterait pas son bois, mais elle serait au courant de tout ce qui se passerait à la maison. Heureusement, le déjeuner et les heures qui suivirent se déroulèrent sans anicroche, et il lui fallut attendre la fin d’après-midi pour pouvoir s’échapper et attendre Deghan dans le but d’aller retrouver Zornith. Et de poursuivre ses explications, s’il souhaitait toujours les entendre. Ce qui semblait être le cas : son enthousiasme ne semblait pas avoir faibli si on se fiait à la série de questions dont il la gratifiait. Il était difficile de croire qu’il s’était écoulé plusieurs heures depuis leur discussion dans la forêt… Le pauvre avait dû avoir du mal à se retenir pendant le repas.

« Oui, tu pourras choisir les pensées que tu souhaites transmettre à Zornith. Et partager avec elle tes sensations, quelles qu’elles soient. Mais ça demande un peu d’habitude et d’entraînement, c’est pour ça qu’il est plus facile de commencer par des mots clairement formulés : tu seras plus conscient de ce que tu fais. »

Elle ne précisa pas qu’il pourrait également communiquer avec d’autres dragons si tant est qu’ils le veuillent bien ou qu’il aurait bien plus de mal à cacher ses pensées et ses ressentis à son propre Lié. Il serait temps d’en parler quand elle aborderait la question de l’aspiranat et du Lien. Mieux valait y aller par étape et commencer par le commencement. Sinon ils y étaient encore dans trois jours, puisque chaque nouvelle information faisait naître plusieurs questions chez Deghan.

Comme pour la légende des Valherus.

« Certaines personnes sont aveuglées par le pouvoir et l’ambition, répondit simplement Tesni lorsque son cousin déclara que son histoire n’avait pas de sens. Ils avaient des connaissances en magie qu’on n’imagine même plus aujourd’hui, mais ça ne leur suffisait pas et ils voulaient toujours plus. Après, si les détails t’intéressent, on pourra te trouver des archives et des érudits qui te donneront plus de détails. »

Des archives et des érudits. Pas des légendes et des on-dit. Les légendes, les mythes et leurs variantes, c’était bien pour conserver le mystère de part le Rhaëg. Mais pour un Aspirant, futur Chevalier, destiné à se Lier à un dragon, il fallait des sources un peu plus fiables et correctes. Comme celles qu’on trouvait à Tol Orëa. Qui lui disait quelque chose, encore heureux… même si ce qu’il en savait était bien éloigné de la réalité. Tesni secoua la tête en signe de dénégation, mais Deghan lui coupa l’herbe sous le pied en lui proposant une dernière hypothèse assez proche de la vérité.

« Tu n’es pas loin, approuva-t-elle. Le continent est isolé du reste du Rhaëg par des courants marins et des nappes de brouillard qui rendent son approche très compliquée. Peut-être sont-ils dus à la magie, peut-être pas, mais seuls quelques navires peuvent y aborder. Et il n’y a qu’un seul port qui leur est accessible. Le reste de la Terre de l’Aube est effectivement réservé aux dragons, à ceux qui ont le Don de les entendre ou à ceux qui y sont nés. »

Elle enchaîna sur la naissance de Zornith, et des autres dragons par extension, et sur le Lien qui les unissait obligatoirement avec un bipède. Mais elle n’eut pas le temps d’approfondir le sujet qu’ils atteignaient la clairière et la dragonne. Celle-ci accueillit l’ondin d’une pensée – tandis que sa communication avec Tesni se passait de mots – et elle émit une sorte de ronronnement caverneux lorsque Deghan entreprit d’imiter sa cousine et de lui caresser, lui aussi, le tour de l’œil.

*Parce que c’est agréable,* répondit-elle seulement.

« Les yeux des dragons changent de couleur en fonction de leurs émotions, compléta la sang-mêlé. Ils sont bleus quand ils sont tranquilles, verts quand ils sont contents, rouges quand ils sont fâchés, orange quand ils sont excités ou agacés et jaune quand ils sont inquiets. Mais une fois que tu as conféré l’Empreinte, tu n’as pas besoin de ça pour percevoir l’humeur de ton Lié. »

La dragonne souffla légèrement par le nez, faisant voler quelques mèches blondes autour de la tête de Tesni, afin de l’inciter à exprimer clairement ce qu’elle ne disait que par demi-mots jusque-là.

« Comme je te disais, les dragons ont besoin de se Lier à un bipède à la naissance. Sinon ils dépérissent et finissent par mourir. Et ce Lien, il est exclusif et fusionnel. Certains érudits parlent d’âmes sœurs pour qualifier un dragon et son Lié, mais c’est très difficile à expliquer avec des mots. Le bipède gagne en longévité et parfois en puissance ou en magie, le dragon gagne en humanité. Zornith et moi sommes deux êtres distincts, mais nous partageons tout ou presque et nous ne pourrions pas vivre l’une sans l’autre. Littéralement. »

Elle retint un soupir. Elle ne voulait pas effrayer son cousin mais il fallait que les choses soient claires.

« Tu as le Don, toi aussi, comme moi. Tu peux entendre Zornith et les autres dragons. Ça veut dire que, peut-être, un jour, un dragon cassera la coquille de son œuf pour se Lier à toi. Si tu le veux, tu dois venir sur Tol Orëa pour apprendre tout ce que tu dois savoir avant et pouvoir t’occuper de lui correctement. »

Il pouvait donc partager ses pensées avec d'autres créatures, Tesni parlait de mots pour commencer, mais ça voulait dire qu'il pouvait aussi envoyer plein d'autres choses. Ça avait l'air super. S'il avait une chanson en tête et qu'il voulait l'envoyer à Zornith, il pourrait lui faire partager tout ce qu'il voulait... Et, s’il le voulait seulement.

-Du coup, si je n’ai pas besoin de prononcer mes questions, je pourrai les exprimer encore plus vite si je les donne à Zornith et plus précisément ? Elle pourra donc mieux comprendre ce que j'essaie de dire ? C'est trop bien !

Deghan était tout excité. Personne n’avait l'air de vraiment comprendre quand il parlait du chant des personnes qui l'entourait. Il supposait que c'était parce que c'était comme ce qu'on entendait ou voyait, ça changeait suivant les individus et l'instant présent. Puis de manière générale c'était toujours très compliqué et frustrant de ne pouvoir faire connaître la totalité de sa pensée à coup sûr. Personne n’avait l'air jamais rien de comprendre à ce qu'il racontait alors là il pourrait l'envoyer directement dans la tête du dragon  et zou plus de soucis !

Pour les Valherus il ne comprenait toujours pas. Ils voulaient toujours plus de connaissances ? Au point de vouloir défier les dieux ? Peut être pour ça que tout le monde lui disait d'arrêter de poser trop de questions. Sa famille avait peut-être peur qu'il se mette à défier les dieux lui aussi ? Cela lui semblait improbable, mais après tout affronter la mer ne lui semblait pas si différent que comme les Valherus avec les dieux. Ça ferait sens avec la peur que Ivanna avait l'air de ressentir en prenant la mer... Prendre la mer pouvait donc ressembler avec le fait de défier les divinités ?  hum, peut-être un peu au fond. Certains n'en étaient pas revenus... Le petit ondin prit un air triste d'un coup. Il eut envie de poser la question à Tesni avant de se rappeler que le père de cette dernière (son oncle) avait disparu en mer. La question mourut dans les lèvres du jeune ondin, il n'avait pas envie d'entendre un chant à fendre l'âme. Il essaya de trouver une autre question, ne sait-on jamais si Tesni lui demandait la question qu'il avait en tête parce qu'il n'osait pas la poser. Hum... Il y eut un silence. Les questions ne lui vinrent tout d'un coup plus. Il redevint un bon petit ondin, prit son air froid et analysa la situation et tâcha de reprendre le contrôle de ses émotions. La question qu'il devait poser fut alors de suite une évidence.

-Je veux bien voir les archives parce que ça m'intéresse, pour une chose aussi grave il faut comprendre pour ne pas recommencer.

Apprendre de ses erreurs c'était la base pour devenir un bon marin, et un bon ondin de manière générale. Apprendre des erreurs des autres était toujours enrichissants pour éviter de faire les mêmes erreurs qu'eux. Il se demandait si sa question avait été suffisamment convaincante pour justifier son hésitation peu de temps auparavant. La description de Tesni sur Tol Orea le fit rêver, tout cela lui fit néanmoins l'impression d'un voyage sans retour comme si son don l'empêcherait de revenir. Puis le chant de Tesni était vraiment étrange, il ne comprenait pas très bien ce qu'il disait.

-Et je ne pourrai partir du continent que lorsque j'aurai mon dragon n'est-ce pas ? On peut en avoir un au bout de combien de temps ?

Il sentit une pointe d'angoisse montée en lui en même temps que de l'excitation. Il avait donc de plus en plus envie de poser de questions, mais il était en train de perdre le contrôle de ses émotions et il fit ce qu'il fallait pour avoir le dessus, cela lui demanda de la concentration. Il en résulta qu'il sembla d'un coup encore plus froid. Normalement ça ne devrait pas gêner Tesni. Cependant, la suite des révélations étaient toutes aussi surprenantes et fascinantes les unes que les autres. Ce n''était que le début des découvertes, et sûrement le début des explications de Tesni, il écouta donc avec attention. Tout semblait beaucoup plus important que ça ne l'avait jamais été, et c'était arrivé sans crier garde. Au point que la vie d'un futur dragon dépendait de lui et qu'il partagerait bien plus que sa présence et sa proximité. Il y avait de quoi paniquer, il y avait de quoi se poser beaucoup de questions, et il y avait aussi de quoi se demander si Tesni ne lui racontait pas des histoires. Cependant, le dragon était un argument assez sérieux pour affirmer que tout ceci était bien réel. Il réussit néanmoins a gardé son calme et a resté froid.

-C'est une lourde responsabilité de cacher un secret et de sauver un dragon. Conclut-il tout en grattouillant Zornith. C'est toi qui a choisi son nom? Je pourrai donner un nom au mieux aussi ? Je pourrai voyager avec lui pour visiter Rhaëg ? En restant discret bien sûr !

Le ton avec lequel il posait les questions c'était fait de plus en plus enjoué. Au fond, maintenant qu'il réfléchissait, il pourrait faire tout ce que lui avait fait miroiter Artane beaucoup plus vite avec un dragon et c'était une opportunité en or. Puis ça ne devait pas être si mal, Zonith avait l'air cool et Tesni était gentille. Il n'aurait jamais deux opportunités comme ça, c'était même un miracle qu'il en ait une seule et c'était le moment de la saisir.

L’enthousiasme de Deghan avait quelque chose de rafraîchissant. Il était évidemment capable de faire preuve de calme et de retenue, comme un peu plus tôt, lors du repas, mais il semblait parfois terriblement expansif lorsqu’il était avec elle ou avec d’autres membres de la famille. Comme la mer qui, après s’être contentée de lécher le pied d’un rocher pendant des heures, décidait soudain d’envoyer une vague le submerger, son cousin faisait parfois preuve d’autant de spontanéité qu’un enfant.

*Il a l’esprit d’un dragonneau,* répéta Zornith, satisfaite d’avoir raison.
*C’est bon, j’ai compris.*

Malgré le léger agacement causé par l’intervention de la bleue, l’esquisse de sourire ne s’effaça pas des lèvres de Tesni.

« Même en passant d’esprit à esprit, tes pensées auront parfois besoin d’être formulées en mot, émit la jeune femme, amusée, ne serait-ce que pour qu’elles soient claires pour toi. Mais tu verras par toi-même. »

Elle hésita une seconde à développer, consciente que chacune de ses réponses faisait naître de nouvelles questions chez son cousin, questions qu’il faudrait effacer de sa mémoire s’il décidait de ne pas la suivre.

*Tu peux essayer de me répondre par la pensée, déjà, si tu veux,* proposa soudain la dragonne.

*Zornith !*
*Quoi ? Tu tergiverses encore.* répliqua la bleue, imperturbable.

Puisque sa Liée n’était pas capable de présenter les choses de façon claire à son cousin – quelle que soit la signification exacte de ce mot – elle allait prendre les choses en main. Sinon, elles y seraient encore dans trois semaines alors qu’elles devaient reprendre le chemin du Kaerl dans quelques jours. Que le petit soit de sa Lignée ou non n’aurait pas dû influer sur les explications de Tesni, mais celle-ci ne semblait pas encore capable de prendre le recul nécessaire.

*Tu pourras t’adresser aux autres dragons de la même manière, reprit donc Zornith, à l’attention de Deghan, s’ils acceptent de te parler. Mais la communication avec ton dragon sera beaucoup plus profonde que ça quand vous serez Liés.*

*Tu vas trop vite, protesta Tesni, je ne lui ai pas encore parlé du Lien.*
*Qu’est-ce que tu attends alors ?*

Mais la conversation s’intéressa d’abord aux premières questions de l’ondin, celles qui portaient sur la nécessité du secret autour de l’existence des dragons. L’histoire des Valherus, de leur puissance, de leur orgueil et de leur chute. Le sujet, sérieux, parut souffler l’excitation de Deghan. Sa cousine eut même l’impression de voir de la tristesse sur son visage mais, avant qu’elle ne s’interroge sur la cause de ce sentiment – en quoi le passé des Valherus, disparus depuis des siècles, pouvait-il l’attrister ? – l’expression de l’adolescent avait retrouvé un air calme, froid et analytique, plus habituel pour ceux de sa race. Et plus adapté à sa réponse. Soulagée, et satisfaite de l’état d’esprit du jeune homme, Tesni hocha la tête.

« Ce ne sont pas les archives qui manquent au Kaerl, répondit-elle, et elles sont nécessaires pour une bonne partie de l’apprentissage d’un aspirant. »

Elle se rappelait encore des leçons de Lothar et des piles de parchemins qu’elle avait dû consulter pour être capable de répondre à certaines de ses questions. La lecture des archives et la rédaction des rapports n’étaient clairement pas ce qu’elle préférait. Elle laissait ça à Kissare qui semblait tellement à son aise parmi les étagères recouvertes d’ouvrages.

Après les Seigneurs dragons, la discussion dévia naturellement sur Tol Orëa, le secret qui entourait son existence et les restrictions qui limitaient son accès. Et enfin, sur le Lien qui unissait les dragons et les bipèdes lors de l’Empreinte. Heureusement, Deghan semblait comprendre rapidement.

« C’est ça. Les aspirants, c’est-à-dire les personnes qui ont le Don et qui sont en apprentissage avant de se Lier à leur dragon, sont placés sous l’égide d’un maître et n’ont normalement pas le droit de quitter Tol Orëa. Sauf autorisation exceptionnelle du maître et des autorités du Kaerl, expliqua Tesni avant de réaliser qu’elle n’avait pas encore défini ce dernier mot. Les Kaerls, ce sont les cités où habitent les dragons et leurs Liés. Il y en a trois, sur la Terre de l’Aube, et chacune d’entre elles à son mode de vie. Leurs habitants partagent des valeurs qui ne sont pas trop compatibles avec celles des autres cités. Zornith et moi venons du Kaerl Céleste. »

Elle n’avait pas trop envie de s’attarder sur les deux autres cités, aussi revint-elle plutôt à la question de son cousin.

« La durée de l’apprentissage dépend de chaque aspirant… et du moment où son dragon naîtra. Certains attendent un an, d’autres plutôt trois ou quatre. Le mien a duré un peu plus d’un an, mais je connais… connaissais quelqu’un qui n’a rencontré son dragon qu’à dix-neuf ans alors qu’il était né au Kaerl. »

Elle déglutit et se tut quelques secondes, pendant lesquelles la chaleur de l’esprit de Zornith enveloppa le sien, en silence pour une fois. Elle n’aurait pas dû mentionner Leo, même à demi-mots. Ce n’était pas dans ses habitudes. Mais ce n’était pas dans ses habitudes non plus de parle de dragons, de Kaerl et de Lien avec un membre de sa famille.

Heureusement, Deghan savait rebondir, et ses nouvelles questions firent monter un nouveau sourire, un peu attendri, aux lèvres de sa cousine.

« On ne choisit pas le nom de son dragon, répondit-elle, il s’impose comme une évidence au moment où tu croises son regard. Je ne peux pas te l’expliquer mieux que ça, je n’ai pas les mots pour le décrire. Mais quand il sera suffisamment grand pour voler et te porter, oui, vous pourrez voyager. La plupart des dragons préfèrent tout de même rester vivre dans leur Kaerl, en dehors des voyages. »

Le souvenir de son Empreinte repoussant celui, plus douloureux, des absents, ce fut d’un ton un peu plus léger que Tesni prononça finalement la question qui la taraudait depuis que Zornith lui avait dit que son cousin avait le Don.

« Alors, qu’en dis-tu ? Veux-tu venir avec moi quand je rentrerai sur Tol Orëa ? Tu ne pourras plus naviguer pendant au moins deux ans, voire plus, le temps de ton aspiranat, de ton Empreinte, et que ton Lié soit suffisamment grand pour quitter le Kaerl. »

*Ce n’est pas une obligation, ajouta la bleue. Si tu préfères continuer ta vie comme avant, je peux effacer de ta mémoire toute notre conversation et ce sera comme si tu ne m’avais jamais rencontrée.*

Le petit ondin commença par faire la moue quand il apprit qu’il devrait continuer à réfléchir en mots. C’était nul. Il imaginait déjà envoyé des informations à une vitesse de vent par jour de tempêtes dans l’esprit des dragons avec une précision accru. Il fit quand même un petit oui de la tête avant d’embrayer par un sourire quand Tesni lui dit qu’il ne verrait pas lui-même. Il avait tellement hâte. Puis il présuma qu’il savait ce que cousine faisait. Deghan avait entièrement confiance en sa cousine en cet instant-là. Puis Zornith lui dit qu’il pouvait d’or et déjà essayé.

-Merci Zornith.

Il essaya, même s’il lui sembla toucher la penser de Zornith.

*Zorntih tu m’entends ?*


Tenta Deghan vraiment pas sûr de lui. Il savait que dorénavant il aurait le temps de peaufiner la technique, mais il avait hâte de commencer. Cela dit, il savait aussi qu’il lui faudrait faire preuve de patience et ne pas se laisser submerger par ses émotions. Cela handicaperait sa capacité d’apprentissage car il serait frustré par ses échec et trop joyeux pour bien se concentrer lors des réussites.



- Je suis sûr que les dragons ont pleins de choses passionnantes à raconter et que mon lié sera merveilleux.

Un petit sourire plein de joie illumina le regard de Deghan. Il était content d’avoir un ami draconique avec qui il pourrait parler. Il imaginait aussi déjà les récits qu’on pourrait lui raconter dans toutes les régions du monde. Artane un simple voyageur avait bien pu voir une quantité impressionnante de choses, alors un dragon… Leurs visions seraient sans nul doute différentes, un peu comme quand un elfe et un ondin discutait ensemble. Les points de vue n’étaient pas les mêmes et c’était tant mieux. Cela permettait d’en apprendre encore et toujours plus.

-Vous avez l’air d’avoir deux avis différents avec Zornith, ça doit être formidable d’avoir toujours quelqu’un sur qui compter et qui peut donner un autre point de vue.

Il pensa après avoir dit cela à sa mère. C’était peut-être moins sympas qu’il y paraissait dans le fond. Il commençait déjà à désenchanter. Il posa donc la question suivante.

- C’est… vous ne vous disputez jamais ?

Le jeune ondin fut soudain hésitant.

Pour les Valherus il était content qu’il y ait des archives au Kaerl…

-Chouette, c’est bien qu’on ait pu en garder une trace. Après comment je vais faire pour savoir ce qu’il y a dedans ? Quelqu’un va me les lire ? D’habitude c’est les bardes qui racontent tout ça d’habitudes. Il y aura aussi plusieurs versions suivant les bardes et les villages ?


Deghan connaissait vaguement le concept de livre et n’en avait jamais eut besoin. Il avait toujours été intrigué par les connaissances que les gens avaient tendance à mettre dedans même si souvent ça avait l’air d’être « pour faire les comptes ». Toutefois, on lui avait expliqué une fois que ça pouvait renfermer nombres de connaissances et d’histoires. Parfois dont même les bardes n’étaient pas au courant. Le jeune ondin avait donc été fort intéressé, mais voilà, il ne comprenait jamais rien aux symboles qu’il y avait marqué dans les livres. Si ça se trouve ils devaient avoir au moins cent livres au kaerl. Ça serait juste énorme. Avoir cent bardes différents qu’on peut emmener avec soi quand on veut.

-Tu m’apprendras à lire ?

la joie pouvait se lire dans ses yeux.

-Le Kaerl céleste ? Il est peuplé de pleins d’animaux avec des ailes ? Sûrement puisqu’il y a déjà des dragons. J’imagine bien des renards avec des ailes ? Il y a des humanoïdes avec des ailes aussi ?

Puis des poissons volants qui allaient du kaerl céleste jusqu’au lac en dessous pour échapper aux prédateurs. Le Kaerl Céleste avait l’air si passionnant. Toutefois, il décida encore une fois d’éviter de poser trop de questions pour l’instant. Après tout, il pourrait voir ensuite.  Il lui parla de l’apprentissage, Deghan était très motivé à faire comme cousine et réussir à se lier en seulement un an.

Cela fut néanmoins souffler par le fait que le chant de Tesni fut tout d’un coup troublé, et à la fois un peu chaud. Plus calme, plus triste. Deghan partagea étrangement cette peine. Il su d’instinct que c’était lié au jeune homme de 19 ans. La joie de l’ondin fut soufflée mais il garda son stoïcisme. Il su par instinct que Tesni voudrait rien lui dire et que ça aggraverait sa peine. Il décida donc volontairement de faire dissuasion en faisant comme si de rien n’était. Il essaya de trouver un truc heureux et vite. Les noms de dragons ça c’était bien, c’était une naissance, une joyeuse tentative de trouvaille, et tout le monde était content. Toutefois quand il posa la question, la réponse le déçu. Il ne pourrait pas nommer son dragon. Toutefois, cela n’entama en rien la volonté de Deghan d’avoir un dragon. Surtout que Tesni présenta la chose avec tellement de naturel que cela lui paru aussi naturel. Puis Tesni sembla se calmer, le chant redevient plus doux et plus agréable à entendre. Cependant, il y avait toujours des empreintes de nostalgie et un mystère que le jeune ondin voulait résoudre. Ce ne serait pas maintenant, il le savait. Il se dit d’un coup qu’à quoi bon traverser des continents entiers s’il ne connaissait pas les mystères du passé de sa cousine pour la réconforter. Cousine était de la famille quelque soit les rumeurs et les on dit sur son sujet, et la famille c’était précieux. Plus précieux peut-être que d’explorer des continents merveilleux à dos de dragons. Puis elle devait être seule là où elle était. Tout cela fit qu’à la question suivante la réponse était déjà faite.

-Je te suivrai Tesni ! Sur Tol Orëa. Je ne naviguerai plus sur les mers mais dans les airs désormais et c’est tout.

La détermination de Deghan semblait sans failles. Même le message de Zornith ne fit que renforcer cette détermination. En effet, il n’avait aucune envie de perdre ce savoir, ni aucune envie qu’il oublie ce moment. C’était un rêve, une opportunité inouïe, un miracle.

*D’accord Zorntih*

Encore une fois, il essaya de communiquer avec Zornith par la pensée, mais il ne su pas si ça fonctionnait réellement.

-Tu as pas des astuces pour communiquer avec toi ?

Comme on pouvait s’y attendre, dès que Zornith lui en donna la permission, Deghan essaya de communiquer avec elle par l’esprit. Et, comme on pouvait s’y attendre, il était particulièrement maladroit. Mais la bleue ne sourcilla pas lorsque les pensées de l’ondin bousculèrent les siennes avec autant de délicatesse qu’un Empereur Noir visitant une échoppe de verrier. Elle accordait de l’importance aux manières et aux usages de façon générale, mais elle savait qu’on ne pouvait pas exiger d’un tout jeune aspirant, qui venait de découvrir son Don, qu’il maîtrise toutes les subtilités de ce mode de communication. Surtout avec l’enthousiasme dont faisait preuve le gamin.

*Je t’entends,* répondit tranquillement la dragonne avant de lui expliquer qu’il pourrait désormais utiliser cette méthode pour s’adresser aux autres enfants de Flarmya.

Et, malgré les protestations de sa Liée qui trouvait qu’elle allait trop vite – alors que c’était elle qui traînait – en mentionnant le Lien qu’elle n’avait pas encore expliqué, quelques touches émeraude vinrent éclairer les iris de Zornith lorsque Deghan déclara que son Lié serait merveilleux. Il ne savait pas encore ce qu’impliquait exactement ce mot, mais son entrain était plaisant. Il devrait apprendre à se contenir avant d’être digne de conférer l’Empreinte, mais il serait bien temps de le canaliser plus tard, une fois que l’excitation de la découverte serait un peu retombée. Surtout que, si elle se fiait aux souvenirs de Tesni, il était parfaitement capable de prendre sur lui. Pour le moment, mieux valait profiter de son état d’esprit pour lui expliquer la vie qui l’attendait, c’était bien plus agréable que de devoir rassurer un Doué tremblant de peur et d’appréhension. Quoiqu’en pense sa Liée, l’enthousiasme de Deghan et la confiance qu’il vouait à sa cousine étaient de formidables atouts dont la bleue comptait bien se servir.

Et elle ne put s’empêcher de laisser échapper un petit rire dans l’esprit de Tesni à la dernière supposition de l’ondin.

*Tu entends ? C’est formidable d’avoir quelqu’un qui peut donner un autre point de vue.*
*Il ne sait pas encore de quoi il parle…* répliqua la sang-mêlé, toujours un peu agacée.

Néanmoins, elle ne put retenir un sourire quand Zornith souffla par le nez, faisant voler les mèches blondes autour d’elle, avant de s’appuyer contre l’antérieur de son âme sœur.

« Oh si, on se dispute. Souvent. Comme tu le dis, nous ne sommes pas toujours d’accord… »
*Et ta cousine est particulièrement têtue.*
« Parle pour toi ! grommela Tesni, avant de revenir à son explication : Mais ce n’est pas pour ça qu’on ne s’aime pas. J’imagine qu’Ivanna te dispute régulièrement, non ? »

La conversation reprit un tour plus normal pour une première rencontre entre un dragon et un possible futur aspirant. Avant même de détailler le Lien, les implications du Don et les obligations des aspirants avant leur Empreinte, il convenait d’insister sur l’importance du secret de l’existence des dragons et les erreurs des Valherus, et l’intérêt de Deghan pour les archives était une bonne chose. Même si, effectivement, il ne savait pas lire. Comme elle, lorsqu’elle avait débarqué sur la Terre de l’Aube. Comment avait-elle pu oublier qu’au village, seuls quelques lettrés savaient lire et écrire ? S’était-elle trop habituée à sa vie au Màr Menel pour considérer comme acquis ce qu’elle ignorait lors des dix-neuf années qui avaient précédées son arrivée ?

*Et même si c’est le cas, quelle importance ? Ta vie est au Kaerl, maintenant, avec moi. Cesse de t’inquiéter.*

Tesni cilla, rappelée à l’ordre par sa Liée.

« Oui, bien sûr que je t’apprendrai à lire, répondit-elle donc. Moi ou d’autres, il y a des érudits qui sont plus doués que moi pour ça – comme Kissare par exemple, qui était infiniment plus patient qu’elle pour tout ce qui touchait aux vieux parchemins. Il y a de nombreux ouvrages dans les Archives du Kaerl, écrits par des auteurs avec différents points de vue. Tu pourras les lire toi-même quand tu sauras. »

Cette question réglée, il en restait de nombreuses à expliquer. Mais ce n’était plus que celles qu’elle détaillait habituellement à un aspirant, quel qu’il soit. Tol Orëa et ses secrets, le Lien, les Kaerls… Et l’imagination de Deghan était vraiment trop fertile. Où allait-il chercher des idées pareilles ?

« Des animaux avec des ailes ? répéta Tesni. Non, à part les dragons et quelques espèces qui leur ressemblent, les habitants de Tol Orëa sont identiques à ceux du reste du Rhaëg. Le Kaerl Céleste s’appelle ainsi parce qu’il flotte dans les airs grâce à la magie des Valherus qui l’ont construit. Les autres Kaerl ont également des situations étonnantes : le Kaerl Englouti se trouve au fond de la mer et le Kaerl Ardent au cœur d’un volcan. Mais tu ne verras ni l’un ni l’autre, seuls leurs habitants y ont accès. Et ils ne sont pas fréquentables. »

Son regard s’assombrit brièvement sur ces derniers mots, avant qu’elle ne revienne aux questions de son cousin et de détailler la durée de l’aspiranat. Là encore, elle dévia de la simple réponse factuelle, et il lui fallut quelques secondes pour se reprendre. Elle n’aurait pas dû évoquer Leo. Ça ne regardait pas Deghan et elle n’avait pas l’intention de lui parler de la Guerre pour le moment. Tol Orëa était en paix, il serait bien temps de l’instruire sur le passé. Plus tard. Quand son enthousiasme serait un peu retombé et qu’il aurait passé la phase d’émerveillement. Pour le moment, il y avait plus important : savoir s’il acceptait, oui ou non, de rejoindre la Terre de l’Aube pour tenter de rencontrer son âme sœur ou s’il préférait continuer sa vie comme avant, sans toutes ces histoires de magie et de dragon.

Une vague de soulagement envahit la sang-mêlé quand son cousin lui répondit, faisant naître quelques flammèches d’amusement dans les yeux de Zornith.

*Je te l’avais dit,* souligna la bleue, satisfaite.
*Tu ne pouvais pas en être sûre, tant qu’il ne l’avait pas dit.*
*Oh, je t’en prie. Tu as vu son enthousiasme comme moi, non ? Et, surtout, il te fait confiance.*
*On se demande pourquoi…*

Seule une pichenette mentale, un peu agacée, répondit à la maîtresse dragonne. Zornith ne daigna pas lui répéter, pour la énième fois, qu’elle le méritait. À la place, elle répondit plutôt à l’ondin.

*Tu te débrouilles bien. Tu n’as juste pas besoin de forcer. Dirige simplement tes pensées vers moi comme tu le ferais pour ta voix. Tu n’as pas besoin de crier.*

« Tu pourras venir avec moi à la fin de la semaine, alors, proposa Tesni. Je reprendrai la mer le temps de rejoindre un port marchand puis nous nous rendrons sur Tol Orëa avec Zornith. Là-bas, tu seras présenté à la Dame du Kaerl et tu deviendras officiellement aspirant. Zornith et moi pouvons être tes maîtres mais, si tu préfères, on pourra t’attribuer une autre Triade. »

*Une autre Triade ? Vraiment ?*
*On est de la même famille, ce n’est pas forcément correct.*
*Comme si tu risquais de faire du favoritisme…*

Deghan fut absolument ravi de savoir que Zornith l’avait entendu. Le jeune ondin réussi, néanmoins, a resté digne. L’évènement lui semblait trop important pour faire des bêtises. Le jeune ondin commença donc à réfléchir de manière plus subtile aux questions qu’il devait poser. Pourtant les questions pouvaient encore et toujours fuser. Après tout, lorsqu'on répondait à une question,cela entrainait facilement deux questions de plus. Cependant, le petit ondin savait que cela ne pouvait pas toujours être bon de trouver de nouvelles questions, surtout dans les situations importantes. De plus, sa curiosité commençait déjà à être rassasiée et il trouvait moins de choses à dire. Il y avait aussi le fait qu’il commençait à se rendre compte qu’il aurait la plupart des réponses à ses questions tôt ou tard et cela le calma. Il attendit donc une impatience contenue à la suite. La dragonne et Tesni visiblement s’amusaient entre elles avec de petits jeux. Avoir un dragon était donc comme avoir un très proche ami en permanence avec soi aussi. C’était un peu le rêve de tout enfant qui se respectait. Et comme tous les amis, elles avaient visiblement de petites disputes qui n’avaient ni vraiment commencement ni fin. Deghan se contenta de faire un timide sourire. En vrai, il se contenait pour ne pas rire aux éclats, et il était vrai que cousine était têtue. Il n’osa pas le dire de peur de créer une nouvelle dispute entre Zornith et Tesni et surtout envers lui. Il connaissait bien cela. Ivanna trouvait qu’il était têtu « comme une huitre ne voulant pas s’ouvrir » et Deghan trouvait qu’Ivanna était elle-même têtue. Ce genre de débats n’avaient aucune fin et n’étaient pas forcément très intéressants. Pour le coup, le jeune ondin n’eut plus aucune question à poser. Pour tout dire, il avait hâte de changer de sujet, en partie parce qu’il avait peur de commettre un impair. Lorsque Tesni aborda le sujet de sa mère, Deghan ne put réprimer un petit soupire :

-Oh oui, je ne fais jamais les choses assez bien, il faut croire. Elle me dit de faire plein de choses pour mon bien, et moi je ne veux pas.

Ivanna lui avait encore fait comprendre qu’il devait trouver une jeune ondine, le sujet avait l’air de vivement l’inquiété. Presque autant que du sujet qu’il devrait plutôt trouver un travail à terre. Alors, qu’il avait envie de voyager comme son père et quelque part, il avait aussi de rencontrer des gens qui pourraient lui raconter les exploits de son père. Le monde étant cependant vaste, il n’y était pas encore arrivé. Cependant, il était très content de voir autre chose que son village. Il ne dit cependant rien de tout cela à Tesni, soit elle était déjà au courant, car ce n’était un secret pour personne, soit elle ne l’était pas et ne devait pas l’être obligatoirement. Cela pourrait la gêner ou l’énerver. Le jeune ondin resta donc évasif sur le sujet. Il conclut quand même avec une voix timide presque comme si c’était un aveu par :

-Mais je l’aime quand même beaucoup.

Il n’empêchait pas qu’il eût envie de partir loin. Il n’aurait jamais de réponses à toutes ces questions s’il restait ici. Ivanna pourrait le comprendre, enfin il supposait… Un jour… En attendant, elle l’embêtait, et cela meurtrissait le cœur du jeune ondin. Tesni lui dit qu’il n’y avait que très peu d’animaux avec des ailes.  Elle lui expliqua les différentes spécificités des kaerl. Les yeux du marin brillaient.

-Tu me montreras tout ça Tesni !

Fit Deghan avec de nouveau une curiosité accrue.

- Dommage que l'on ne puisse pas visiter les autres kaerl, ça doit être super intéressant. On peut plus faire de magie comme les Valherus, et c’est dommage qu’on ait pu faire plein de belles choses avec visiblement. Dommage qu’ils aient décidé de défier les dieux à la place. Quel gâchis. On aurait pu faire un kaerl flottant, et pour quoi ils n’ont pas fait de jardins qui se gèrent tout seul ? Puis des bateaux qui marchent avec du vent magique ?

Deghan prit un air tout triste. Les choses merveilleuses qui ne seront jamais créées à cause d’un égo surdimensionné.

*J’éviterai de crier alors ! ça va mieux maintenant ? *

Dit Deghan à Zornith en essayant tant bien que mal de suivre ces conseils avec un soin tout particulier. Puis Tesni lui expliqua le plan, il partirait la semaine prochaine. Deghan dégluti en se rendant comptant que tout cela devenait vraiment concret. Il ne faillit cependant pas, après tout, il  avait eu la même impression avant de partir en mer et pourtant il ne regrettait pas. La suite faillit détruire sa détermination pourtant. Il évita de le montrer, mais il se devait d'exprimer son opinion :

-Si… d’autres maitres si je préfère ? Non, je ne préfère pas Tesni.

Le jeune ondin redevint timide. Il n’avait pas envie d’avoir un maitre inconnu. Cela le paniqua presque.

-Je suis sûr que tu seras parfaite Tesni.

Puis il y eut plus de questions, si on connaissait bien Deghan cela pouvait vouloir dire qu’il roussissait intérieurement.