[RP] Et la Nuit des Fous continue

Il avait bien entendu resservir sa compagne de soirée. Après tout, il y avait toute une bouteille de mezcal à terminer. C'était la gueule de bois assurée avec cela et bien qu'il venait de remplir les verres, il se rendit compte que la bouteille qu'il avait chipé était d'un volume bien généreux. Il en avait de la chance. Et dire qu'il n'avait bu que deux rasades. Dans un recoin de son esprit, il sentit la présence de son Brun, qui le sermonnait juste par sa présence mentale. Altahir le rassura joyeusement. Après tout, c'était la Fête des Fous, il avait bien le droit de se mettre une grosse biture.

°Ne viens pas de te plaindre d'avoir la migraine. Et cette fois, je ne ferai pas appel à Selcot pour qu'il vienne la soulager. Tu l'assumeras°

Ah ! Mais c'est qu'il sera capable de tenir sa promesse le bougre de Dragon ! Il sentit la satisfaction de Norloth quand à sa réaction.

°Si jamais vous décidez de vous balader pour prendre l'air, ne vous éloignez pas trop. °
°Mère poule va ! Ne t'inquiète pas, je n'envisage pas de me rendre sur un autre continent et vu comment la boisson me monte déjà à la tête, on ne sera pas si loin que cela. Juste un peu en dehors de la bourgade. Et puis, mon invitée de ce soir ne doit pas être dépourvue de gardien... une autre Mère Poule comme toi. °
°Dans ce cas, veille à ce que son âme soeur ne te tombe pas dessus si tu viens à trèds légèrement déraper. °
°Meuh non voyons...°
Manquerait-il d'avoir réellement un soucis ? il retint un hochement d'épaules. Il verra bien. Au pire, il aura tellement bu qu'il sera déj dans un coma éthylique avant de subir les foudres de qui que ce soit.

Il prit un petit gâteau pour l'enfourner direct en bouche. Une fois qu'il l'eut mâché et avala, il adressa un large sourire à la jeune femme masquée.

''Que diriez vous de trouver un endroit plus moins artificiel ? Quittons Loméanor pour aller dans un coin plus calme, avec moins de risque de croiser des invités du Bal complètement mort plein qui pourraient en vouloir à notre bouteille... Je n'ai guère envie de la partagez avec d'autres si ces derniers viendraient à s'incruster. Et on n'oubliera pas le plateau. Regardez comme il est encore bien garni ! ''

Bien que les deux convives se soient généreusement servi dedans, il y avait encore bon nombre de douceurs et de petits fours à l'odeur alléchante, bien que se refroidissant doucement. Certains n'en seront que plus savoureux une fois froid.

Le Renard Masqué n'oubliait pas son verre, qu'il portait déjà à ses lèvres pour en savourer qu'une petite gorgée. S'il ne voulait pas comater avant d'avoir quitté les lieux, il devait prendre le temps de le savourer, et pour peu que la jeune femme soit d'accord de sortir du quartier pour se rendre dans un lieu plus solitaire et plus naturel. D'ailleurs, il rajouta un argument à cela.
''Vous verrez, savourer cette boisson divine sous le ciel étoilé, loin de toute construction, cela confère....un étrange bien être.....Allez, ca vous tente ? ''

Et il rajouta un petit supplément rassérénant

''Et on garde nos masques. ''

Elle l’avait suivi. Sans une once d’hésitation. Elle s’étonnait elle-même de son audace. À croire que le Grand Tricheur l’inspirait ce soir.

Semperya vit son verre se remplir à peine l’eut-elle vidé. Elle ouvrit la bouche pour protester, puis haussa les épaules. Un étau fataliste enserrait son esprit, alourdissait sa conscience et ne lui donnait guère envie de lutter contre ses instincts. Avec un sursaut plein d’aigreur, elle se dit qu’elle se transformait en friponne de bas étage. Sa Liée s’en serait amusée, sans aucun remords. Semperya ne lui aurait pas donné tort. Elle sentait frémir leur lien, à la frontière de sa psyché, alors que la Verte tournoyait au milieu des danseurs.

S’éloigner de la fête lui paraissait une excellente idée. Si elle décidait de céder à l’ivresse, elle serait seule face à ses erreurs et sa honte, sans le jugement de ses pairs autre que celui de sa propre moitié d’âme. Si elle résistait au contraire, rien ne serait plus gratifiant que de le faire face à ses propres démons, sans aucune pression sociale. Elle en sortirait grandie. L’inflexible Veuve Rouge de Galastden ne fléchissait jamais en public - seulement dans le secret d’une alcôve où coulait le vin à flots.

° Qu’il est doux, le parfum des pieux mensonges que l’on se sert à soi-même…
N’en rajoute pas.
L’alcool commence à t’embrumer l’esprit, ma sœur. Prends garde à toi. Je veille sur toi, mais je ne peux pas te protéger de toi-même.
Je le sais.
Sois prudente. °

Il n’était pas dans les habitudes de Nymeria de se montrer aussi timorée. La voix de la dragonne soufflait un vent doux et frais sur les braises de son âme. L’alcool commençait effectivement à l’échauffer, à en juger par le frisson qu’une simple conversation mentale avec sa Liée provoquait chez elle.

Dans l’air froid, sa respiration formait des volutes irrégulières évoquant des flocons fondus. Son verre dans une main, un petit pâté dans l’autre, elle cheminait dans le sillage du Renard masqué, sa vigilance aiguisée par les ruelles sinueuses dans lesquelles ils s’engageaient. Elle avait acquiescé à sa proposition de s’éloigner, la gorge sèche, tout en brûlant de l’envie de se désaltérer même si cela signifiait augmenter son taux d’ivresse. Elle passa la langue sur ses lèvres gercées, incapable de déterminer si cette sortie du périmètre de la fête lui porterait chance ou non. Elle connaissait les rumeurs sur son compagnon d’infortune. Il était d’ailleurs évident qu’ils s’étaient reconnus l’un l’autre. Elle aurait dû davantage se méfier de cet énergumène. Il n’avait indubitablement pas usurpé sa réputation.

- Garder nos masques me paraît une excellente idée.

Sa propre voix lui paraissait assourdie, râpeuse. S’entendre prononcer cette phrase manqua lui tirer un sursaut. Une étrangère s’exprimait par sa bouche. Les mots avaient beau surgir de sa pensée, ils n’en semblaient pas moins incongrus. Le mezcal était décidément une boisson diabolique – à l’image de celui qui le lui avait proposé. Les yeux de Semperya s’étrécirent alors qu’elle fixait le dos du Renard marchant devant elle.

Ils franchirent les portes de la ville, nonchalamment gardées par deux soudards ennuyés, pour s’engager sur un sentier. La petite clairière dans laquelle ils débouchèrent bientôt était peu fournie en végétation. Quelques bosquets figés par le givre en faisaient le tour. Un chêne centenaire masquait en partie le ciel étoilé qui s’étendait à perte de vue au-dessus d’eux. La Maîtresse Verte inspira à pleins poumons, le visage levé vers le firmament. Les odeurs de la ville lui parvenaient encore, mais la rumeur de la fête se confondait dans les bruits d’une nature qui s’éveillait la nuit.

Avisant une vieille souche, Semperya entreprit de s’y asseoir, la main levée vers son inconfortable masque de chat, avant de se raviser. Elle avait été prête à l’ôter, pareille à une idiote. Elle transforma son geste en un replacement de mèches écarlates derrière ses oreilles et trempa à nouveau es lèvres dans le breuvage. La chaleur de l’alcool se répandit nouveau dans son corps, lui arrachant un délicieux frisson.

Si le Renard Masqué avait été capable de lire dans les pensées de sa compagne de soirée, il ne se serait pas retenu de s’esclaffer. Mais voilà, il n’était pas télépathe. Il se doutait bien de l’identité de la femme déguisée. Donc nul besoin de confirmer son identité. Sauf si elle venait à vouloir réellement savoir qui il était. Avec l’alcool, le doute pouvait être bien plus tenace. Mais, à sa réponse qui confirma l’excellente idée qu’était de garder leur masque, il se contenta de sourire, en accompagnant ça d'un hochement de la tête. Tant mieux ! Après tout, c’était la Fête des Fous, une festivité où on pouvait se permettre d’être quelqu’un d’autres que soi même.

La dame prit ses aises en s’asseyant sur une souche. Avait-elle manquer de retirer son masque ? Ah non, elle recoiffa une mèche rebelle derrière une oreille, avant de réattaquer le contenu de son verre. L’humain avait du mal voir. Le mezcal était fort et troublait ses sens. Oui, cela devait être cela. Norloth parut s’esclaffer de loin… Il haussa un sourcil, comme cherchant à sentir si le saurien était juste derrière lui. Il tourna un instant la tête. Non, ce bougre de dragon n'était pas là.... Manquerait plus qu'il se ramène celui-là, pour briser ce moment voulu pour faire une pause vis à vis de la Fête des Fous. Enfin pause... où était-ce plutôt un éloignement volontaire pour terminer la soirée plus posément et sans plus d'extravagance ? Notre homme voyait cela plus comme une fin de course, le temps de doucement calmer les effets des Festivités. De toute façon, il se doutait bien qu'il ne réchapperait pas à la gueule de bois du lendemain.

Oubliant ça, comme son vaurien de saurien, il regarda un instant le firmament étoilé.

''C'est drôle, le ciel me parait bien magnifique ce soir. Sans doute que les torches, les lampions et autres luminaires m'aveuglaient que trop pour savourer le plaisir de contempler une des choses créées par les Dieux. Cela parait si banal, car on voit ces étoiles tous les jours de notre existence. Et pourtant, par moment, je ne peux m'empêcher d'apprécier la simplicité de cette nuit, simple mais si belle...''

Et il but d'une traite son verre, comme pour taire un début de bêtises de sa part. Mine de rien, l'alcool avait tendance à lui libérer la langue. Mais là.... au fond de lui, il se doutait pourquoi. La Féline assise avait eu à vivre un épisode de sa vie qu'elle aurait préféré ne jamais avoir à subir.... Pensait-il qu'il avait quelque chose en commun avec elle, avec ce que lui-même avait subi ? Elle, ce n'était pas comparable... C'était même quelque chose qui avait plus rudoyé son âme. Bon, et s'il s'asseyait à son tour ? Il commença à s'abaisser quand la gravité le prit par surprise, tellement le mezcal ingurgité commençait déjà à tromper ses sens. Il tomba quasi le derrière par terre à une vitesse non voulu, grimaçant sous le choc lors de la rencontre avec le sol, bien que bien plus mou que le plancher d'une taverne.

''Aie.... quel maladroit je fais... Heureusement, j'ai épargné l'essentiel. Si jamais vous voulez que je vous resserve, vous n'avez qu'un mot à dire.''

Et il en profita pour remplir son verre vide. Quitte à avoir mal au crâne demain, autant bien l'avoir. Il y réchapperait pas de toute façon.


''Alors, très chère.... qu'est ce qui vous a poussé à venir à ce genre de Fête ? ''

Semperya levait les yeux vers les étoiles. Kishi avait peint le ciel hivernal, d’un noir d’encre, d’une foule d’épines d’argent. Froides et silencieuses, les étoiles n’attiraient pas la Maîtresse Verte. Elle ne s’était jamais beaucoup penchée sur la question, mais elle devait reconnaître une certaine beauté dans ce paysage nocturne. Ici, les lumières de la cité affadissaient peu cette voie lactée, lui rendant toute sa splendeur. Sous certains angles, les astres évoquaient des yeux, une armée de regards glacés tournés vers la vie bruyante et agitée des mortels. Semperya frissonna, fronça les sourcils. L’idée d’être observée, d’être jugée sans son consentement, ne l’enchantait pas. Non, décidément, elle laissait la contemplation du ciel à d’autres.

— Je ne me sens pas l’âme d’une poétesse ce soir. Mais je peux comprendre l’attrait que ces étoiles suscitent.

Comme de coutume, Semperya ne mentait pas. Ni pour nier une évidence, ni pour faire plaisir à autrui. Elle n’aimait pas davantage se mentir à elle-même.

Par-delà le masque de chat, un feu vert se posa sur l’astucieux renard face à elle. Pourquoi avait-elle accepté sa proposition ? Pourquoi l’avait-elle suivi ? Les années avaient durci son cœur, assagi ses passions, affiné son instinct. Son orgueil s’était fané face aux horreurs de la guerre, mais n’avait-elle pas conservé un soupçon d’arrogance malgré tout ?

Chaque minute passée en sa compagnie ravivait de vieilles blessures. Des plaies qui imprégnaient encore ses bras, ses jambes, son dos, son torse et sa poitrine… Seul son visage et ses mains avaient été épargnés, ce qui lui permettait de cacher ses stigmates. Le temps des cauchemars était passé, mais elle se souvenait encore clairement de la sensation des lames sillonnant ses chairs, découpant sa peau, lacérant son âme… Elle ferma vivement les yeux. Elle ne voulait pas se rappeler. Elle s’était jurée que le passé ne la dévorerait pas. Elle lui avait déjà trop donné.

Lorsque le Renard tomba sur son séant, en épargnant le plateau, un rire fusa dans l’air glacé. Semperya s’aperçut avec une seconde de retard qu’il émanait d’elle. Surprise par sa propre spontanéité, elle se rendit également compte que cet éclat ne lui déplaisait pas. Son cœur s’allégea. Elle leva son verre à demi rempli vers son compagnon.

— J’y songerai… Plus tard. Je vais d’abord finir mon verre. Il serait dommage de gâcher cette merveille.

Qu’est-ce qui l’avait poussée à venir dans ce genre de festivité ? Semperya se posait exactement la même question. Son regard devint songeur un instant, avant qu’elle ne relevât la tête avec plus de détermination. Elle haussa les épaules, en apparence aussi nonchalante que le félin qu’elle incarnait cette nuit.

— La tradition, sans doute. Mes obligations me poussent rarement à trouver le temps de m’amuser, et je n’en ai pas le goût non plus. Mais il serait malavisé, selon les prélats, de contrarier Kaziel en n’apparaissant pas ce soir.

Un fin demi-sourire aiguisa son visage. Sous sa peau couvait le feu de sa Liée, occupée par la danse avec quelque partenaire mais qui ne perdait pas une miette de l’échange. Nymeria n’approuvait ni ne désapprouvait la tactique de sa moitié d’âme. La Verte se gardait d’émettre des jugements, particulièrement sur les bipèdes. Cependant, bien sotte aurait été Semperya de ne pas croire que la dragonne aimait ce qu’elle voyait. Ce nouveau jeu l’amusait follement. Voir sa sœur d’âme sortir de sa zone de confort la ravissait.

— Et vous ? Je vous retourne la question.

Les yeux pers de la Veuve Rouge se rivèrent dans ceux du Renard masqué, telles deux flèches cherchant leur cible.